Essoufflée par sa course matinale, la jeune femme marchait tranquillement en direction de l’atelier. Déjà bien entamée, la saison estivale voyait les rues de la cité s’emplir de touristes, et circuler entre eux n’était agréable qu’aux heures les plus précoces. Ayant terminé son sport matinal, la blonde avisa une fontaine, et, de ses mains en coupe, dispersa de l’eau sur ses traits rougis. « Tu n’es pas au courant ? Depuis la Coupe des Nations, les gens ont décidé d’élire le meilleur restaurant de la ville. » Non loin d’elle, des individus bavardaient gaiement. Intriguée par leur conversation, elle prêta l’oreille ; si elle découvrait le fin mot de l’histoire, peut-être pourrait-elle inviter Joliel à un repas pour le remercier de son hospitalité. « Je vote pour le Va et Vins, sans hésitation. » « Je suis d’accord, même s’il n’y a pas que la carte que j’ai envie de goûter. » Visiblement satisfait de sa plaisanterie, il gloussa bruyamment. « C’est vrai que la propriétaire est plutôt jolie. » L’autre manqua s’étouffer, manifestement indigné par l’euphémisme. « Plutôt jolie ? Elle est aussi bien roulée que ses gâteaux ! » « Il paraît qu’elle va tenir un stand, au Fessetival. » « J’ai hâte de la voir à l’oeuvre. Tu crois qu’elle accepte les paiements en nature ? » Son interlocuteur lui jeta un regard noir. D’un geste courroucé, il leva la main, avant de se raviser. « Tu mériterais que je t’en colle une. » N’étant pas le moins du monde intéressée par leurs chamailleries, elle reprit son chemin.

Lorsque Calanthe poussa enfin la porte de l’atelier, son confident était penché sur une pierre précieuse dont elle n’aurait su identifier la nature. Vaguement, elle imaginait qu’il s’agissait d’un péridot ou d’une émeraude, mais elle n’y connaissait pas grand-chose. Guillerette, elle s’approcha de lui, patientant sagement jusqu’à ce qu’il ait entaillé ce qui allait devenir un somptueux bijou. « J’ai entendu des gens parler d’un restaurant, tout à l’heure. Le Va et Vins, je crois. On ira manger là-bas, un jour ? » Ce serait pour elle l’occasion de le remercier, et de lui offrir le cadeau qu’elle avait choisi pour son anniversaire : elle croyait être la seule à connaître la date, et elle voulait célébrer avec lui ce privilège. « Si tu veux. La propriétaire est célèbre, il faudra réserver à l’avance. » Battant des cils, la jeune femme pencha la tête sur le côté. Elle n’avait jamais entendu parler de personnes connues qui tenaient des établissements de ce genre : il fallait avouer qu’elle n’avait jamais entendu parler de grand-chose. « Ah ? C’est qui ? » Concentré sur la pierre qui prenait forme entre ses doigts experts, le Déchu mit quelques instants à lui répondre. À la lueur du jour, il tentait d’examiner si sa précédente taillade ne l’avait pas fissuré. Par chance, elle était intacte. « L’Issemsith Jeanne Euskara. » La blonde écarquilla les yeux. Malgré son ignorance, elle avait déjà entendu ce nom, et elle se souvenait que la tenancière avait participé à une épreuve de la Coupe des Nations. « Oh ! Tu la connais ? »

Voyant que son amie ne paraissait pas décidée à le laisser travailler, Joliel reposa précautionneusement le fruit de son ouvrage. Il savait que, sa curiosité contentée, elle se précipiterait à l’étage pour ses travaux de couture quotidiens. « En quelque sorte. J’ai essayé de la séduire, un soir, mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Elle est mariée, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle incarne à merveille la fidélité. Son mari n’a aucun souci à se faire. » Cette découverte avait été pour lui une grande déception, et en dépit de ses stratagèmes, il avait dû reporter son choix sur de charmants clients. « Il paraît que c’est le meilleur restaurant d’Avalon. » Pensif, il prit quelques instants pour y réfléchir. Les bonnes adresses ne manquaient pas, et le Va et Vins en était indubitablement une. « Honnêtement, je ne sais pas. Mais je dois reconnaître que les plats sont excellents. J’ai entendu dire que Jeanne est intransigeante avec la nourriture. Ceci dit, c’est assez surprenant, pour une Gourmande. » « Tu crois qu’elle accepterait de m’apprendre à faire des tourtes ? Je sais que tu adores ça. » « Peut-être. De ce que j’ai vu, c’est une femme qui n’hésite pas à rendre service. » « Elle a l’air adorable. » Joliel eut un rire amusé. « Pas vraiment. La première fois que je l’ai aperçue, elle ressemblait plus à une bourgeoise méprisante qu’à une gentille cuisinière. Mais les apparences sont parfois trompeuses. » Hochant la tête en silence, la blonde lui sourit, et s’éclipsa vers les escaliers. Ils avaient tous les deux du travail.

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