« Où est-il encore passé ? » Ma nourrice allait finir par devenir chèvre. Elle ne cessait de le répéter mais, pour une fois, je n’étais pas bien loin. Il ne fallut que quelques minutes à son Hozro pour me trouver. Je jouais à cache-cache avec des enfants de Réprouvés, un peu plus petits que moi. Je ne comprenais rien à ce qu’ils racontaient et l’inverse était aussi vrai mais nous avions fini par tomber d’accord sur un jeu en mimant tant bien que mal ce qu’il fallait faire. À croire que les activités enfantines ne changeaient pas tant que ça d’une civilisation à l’autre. « T’es vraiment pas drôle ! » lui envoyai-je. « De toute façon, tes fesses dépassaient, ils t’auraient trouvé sans trop de difficulté. » me rétorqua l’Esprit. « Et arrête de me parler. C’est pas discret. » « M’en fiche. » dis-je en bougonnant et en rentrant dans l’auberge que nous avions louée. En passant la porte, j’entendis des cris en provenance de l’étage. « Il se passe quoi ? » « Shuïa va accoucher. Elle a perdu les eaux il y a quelques heures. » « Et ça me regarde ? C’est pour ça que je dois être là ? » « On a décidé d’accueillir le bébé comme il se doit. Comme nous sommes en territoire étranger, nous n’avons pas tout le nécessaire avec nous. » « Il va être transformé ? » « Non pas pour l’instant. On va attendre de rentrer à Awaku No Hi. » « C’est quand qu’on rentre ? » « Pas tout de suite. » « J’ai vu la Hǫfðingi faire un discours mais je n’ai rien compris. » dis-je, en changeant de sujet. « Puis y avait un gamin roux qui avait l’air drôle mais je ne l’ai pas retrouvé. » « Y en a plein des gamins. » « Oui mais celui là avait des joues intrigantes. » J’étais sûr que mon autre nourrice, celle qui était restée sur l’Île Maudite, aurait aimé les lui tirer.

Un nouveau cri nous sortit de notre discussion. « Le travail a commencé depuis longtemps ? » « Non. » « Ça peut durer des heures… T’es sûr que je ne peux pas finir ma partie de cache-cache ? » « Oui je suis sûr. Va aider à sortir le matériel de peinture. » « Pour une fois qu’on ne me dit pas d’aller tanner la peau. » fis-je remarquer avec un sourire légèrement insolent. « Mais bon, je ne suis pas un Raya moi. » L’Hozro leva les yeux au ciel. À chaque fois qu’on me demandait de faire quelque chose qui ne me plaisait pas, j’avais toujours le même type d’arguments qui commençait par « Je ne suis pas un – insérer le nom de la tribu choisie ». Forcément, les activités de Mior me plaisaient dans l’ensemble, même si j’étais impatient d’aller à la chasse. Pour évoluer au sein de ma tribu, je devais être capable de tuer un ours avec une seule arme. Autant dire que je n’étais pas prêt. Pourtant, dans mes rêves, je réussissais sans aucun problème et je devenais le plus grand chasseur du monde entier, une légende, dissimulée entre les arbres des grandes forêts, presque invisible. Je voulais inspirer les enfants, comme les Draugrs, et le mien plus particulièrement, m’inspiraient moi-même. Je désirais aussi rejoindre les Corvus Æris, pour pouvoir parcourir le monde et raconter des histoires de monstres aux Miors une fois de retour, comme mes parents.

Alors que je sortais les peintures, l’odeur de l’encens ne tarda pas à me chatouiller les narines, suivie de près par d’autres odeurs plus appétissantes. Nous allions festoyer, ce qui signifiait manger, boire, fumer, chanter et prier les Ætheri. Edel serait mise à l’honneur puisqu’il s’agissait d’accueillir un nouveau-né parmi nous. « Tekoa, est-ce que tu te sens capable de peindre ? » La question aurait pu être anodine mais les symboles et les couleurs étaient importantes. Pour une fois, le sérieux s’installa sur mes traits. « Oui. » répondis-je. À partir de ce moment, je me concentrai et fis du mieux que je pus pour habiller les corps de peinture essentiellement blanche. Mon travail était ponctué de cris plus ou moins graves, de soupirs hachés et de calme. Je n’y comprenais pas grand-chose en bébé. On m’avait dit une fois qu’il y avait une histoire de contractions et que ce n’était pas parce que la femme perdait les eaux qu’elle allait accoucher tout de suite après. Je trouvais ça un peu dégoûtant, même si j’adorais Edel et ce que la Déesse représentait. Moi, je ne voulais pas d’enfants pour l’instant. Je voulais me perdre entre les arbres et devenir une légende. Puis les filles, c'était nul, sauf Raya.

Plus tard, la fumée embauma les pièces de l’auberge. Je croquai dans un fruit avant de rejoindre les prières. Nous devions demander aux Dieux de donner un enfant en bonne santé et d’abréger les souffrances de la mère.

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