Les premiers rayons du soleil commençaient tout juste à éclairer les murs des bâtiments. Les coups d’un enfant de l’œil contre les barreaux de leur cellule les avait réveillés un peu plus tôt, suivi d’un duo de vertueux qui était de corvée de nourriture. Ils déposèrent rapidement la pitance de chacun de leurs frères et sœurs entre leurs mains, avant de se retirer. Les jours se ressemblaient, mais la fatigue qui martelait les corps du peuple angélique n’était jamais la même. Peu après qu’ils aient fini de se restaurer, deux autres vertueux vinrent récupérer leurs plats. Alors que le petit groupe de captifs se préparait à sortir pour rallier leur lieu de travail, la jeune femme sentit quelqu’un lui attraper le bras. Ses prunelles se posèrent immédiatement sur la personne qui cherchait à attirer son attention. Un visage familier, bien que malvenu, lui offrit un sourire dénué de chaleur. « Décidément, on fait que de se croiser. » Effectivement, l’ange avait eu affaire à ce vil un nombre incalculable de fois. Elle ne voyait d’ailleurs pas l’intérêt de la remarque de celui-ci, ils se voyaient presque tous les jours. Une question demeurait néanmoins toujours en suspens. Pourquoi l’avait-il écarté de son groupe de travail ? Que lui voulait-il ?


« On m’a demandé de venir te chercher pour t’emmener quelque part. Cela dit, avant de s’y rendre, il va falloir qu’on fasse une petite halte. » Il entraîna la captive avec lui sans donner plus de précisions. Ils longeaient le couloir un certain moment, avant de s’arrêter brutalement devant une petite porte de bois. L’enfant de l’œil relâcha son emprise sur l’ange pour ouvrir la fameuse porte qui les empêchait d’aller plus loin. D’un geste de la main, il invita Shanxi à entrer dans la salle, avant de refermer la porte derrière eux. Ce lieu n’avait rien de particulier, et n’était pas très grand. Quelques bassines de bois de différentes tailles étaient empilées les unes sur les autres dans un coin de la pièce, tandis que des sceaux se trouvaient juste à côté. Aussi loin que la jeune femme s’en souvienne, elle n’était jamais venue ici. Pas une fois. « Prends un de ces sceaux là-bas, on va aller le remplir. » La captive s’exécuta sans broncher, et pris la suite du démon dans le même couloir qu’ils avaient emprunté pour venir. Assez rapidement, Shanxi s’accommoda de sa tâche et ramena le récipient dans la salle.


« Verse le contenu dans une petite bassine. » A nouveau, l’ange obéit, malgré les multiples interrogations qui inondaient son esprit. « Je suis pas sûr que cela suffise. Retourne chercher de l’eau. Je t’attends. » Que comptait-il faire avec tout ce fluide ? Il était particulièrement précieux en ce lieu, étant donné la distance à parcourir pour aller en chercher. La captive se hâta de se plier à la demande du vil. Les minutes défilaient lentement, et assez rapidement, l’enfant de l’œil vit la jeune femme revenir un sceau plein à la main. « Vas-y, verse. » Il croisa les bras sur son torse, tandis qu’il regardait la vertueuse faire. « Ça devrait suffire. Enlèves tes vêtements. » Shanxi se figea un court instant. Enlever ses vêtements ? Avait-elle bien entendu ? « On a pas toute la journée. Dépêches-toi. » La jeune femme se recroquevilla légèrement, avant de retirer d’une main hésitante, l’unique couche de tissu qui couvrait sa frêle silhouette. « Aujourd’hui tu vas travailler dans un endroit très spécial. Ça te changera de d’habitude, non ? Il faut que tu sois propre. Je t’expliquerai le reste ensuite. » L’ange plongea alors ses mains dans l’eau que contenait la bassine, sous le regard indiscret de l’enfant de l’œil. Elle frottait vigoureusement sa peau, malgré la douleur que lui infligeait les blessures sa dernière escapade, celle où elle avait rencontré Althaea.


Petit à petit, l’on pouvait sa peau s’éclaircir, tout du moins reprendre sa couleur originelle, tandis que la crasse teintait désormais l’eau. Le visage du vil se fendait d’un visage carnassier, tandis que ses mirettes parcouraient sans aucune honte le corps de la captive. « Tu as fini ? Tiens, enfiles ça. » Il jeta une sorte de vêtement très similaire aux haillons qu’elle portait auparavant, à la seule différence qu’il était plus propre. Désireuse de couvrir son corps au plus vite, Shanxi se para de sa nouvelle tenue aussitôt que l’homme la lui céda. « Maintenant que tu es propre, on va pouvoir y aller. Suis-moi. » A nouveau, l’ange emboîta le pas à la suite de l’enfant de l’œil vers une destination qui lui était encore inconnue. Quelques minutes suffirent à ce qu’ils soient sortis du bâtiment, et les rayons du soleil les enveloppait d’une douce chaleur, tandis qu’ils poursuivaient leur route. « Un de mes congénères a demandé à ce que tu travailles pour lui aujourd’hui. Je ne sais pas ce que t’as pu faire pour que tu finisses là-bas, mais tu vas devoir bosser chez lui. Ça a un rapport avec tes avants-bras ? » Forcément, il n’avait pas pu s’empêcher de remarquer ses plaies, puisqu’il ne l’avait pas quittée des yeux pendant qu’elle s’attelait à faire disparaître la crasse de sa peau. « Je ne sais pas. » Le vil haussa les épaules, un sourire narquois au visage. « Je ne pense pas que la gamine approuverait, tu sais ? Enfin, quoi qu’il en soit, tu es à lui pour la journée. Je crois qu’il prévoit de te faire travailler en cuisine, et au service pour son banquet de ce soir. Je serais toi, je m’appliquerais à la tâche. » Ce qui agaçait le plus la jeune femme lorsqu’elle échangeait avec cet homme, c’était cette attitude qu’il adoptait systématiquement.


Une bougresse pourrait croire qu’il était soucieux, et conseillait les vertueux afin qu’ils ne s’attirent pas d’ennuis. Seulement, l’ironie dans sa voix trahissait ses intentions de se moquer de ceux qui s’évertueraient, corps et âme, à appliquer ses conseils pour entrer dans les bonnes grâces des enfants de l’œil, ou au moins s’épargner des problèmes supplémentaires. Shanxi fut soudainement tirée hors de ses pensées par cette même voix qu’elle cherchait à fuir. « On y est. » Une assez grande maison se dressait devant eux, les rayons du soleil ne pouvait plus les atteindre tandis qu’ils se tenait sous le porche. « Il me semble que tu auras de la compagnie pour cette tâche. Il doit déjà y avoir des domestiques à l’intérieur, qui doivent t’attendre. » L’enfant de l’œil vint se positionner juste derrière la jeune femme, avant de laisser ses mains se balader sur ses bras, puis ses chaînes. « J’espère que tu seras bien entourée. » Son visage était si près du sien, que l’ange pouvait sentir son souffle sur sa nuque. D’un geste leste, l’homme défit les chaînes de la captive avant de les balancer sur son épaule. « Elles te gêneront pas, au moins. » Puis, il frappa vigoureusement contre le bois de la porte. Rapidement, ce qui semblait être l’une des fameuses domestiques que le démon avait mentionné vint leur ouvrir. La captive ne s’attendait pas vraiment à se trouver face à l’une de ses sœurs, et d’un autre côté, cela ne surprenait guère plus que cela. C’était évident. Il n’y avait que son peuple pour les servir en ces terres. « Comme convenu, je vous l’amène. » Il désigna Shanxi d’un geste de la tête. « Je viendrai te chercher quand tu auras fini. » A nouveau, le vil lui servait ce sourire si caractéristique, avant de tourner les talons.


La domestique l’invita aussitôt à entrer, et ne perdit pas un instant pour lui expliquer en quoi consisterait son travail. « Nous devons encore attendre l’arrivée de quelqu’un, mais elle ne devrait plus tarder. Pourriez-vous vous charger de l’accueillir ? J’ai fort à faire ce matin. » La jeune femme acquiesça d’un geste de la tête. Elle n’avait pas vraiment le choix de toute façon. « Allez donc attendre près de la cuisine. Prévenez-moi lorsqu’elle sera là, je ne serais pas loin. » La servante sa hâta de vaquer à ses occupations, non loin du hall d’entrée, une fois qu’elle eut montré le chemin à l’ange. Elle se retrouvait donc là, à attendre. Fort heureusement, elle n’eut pas à patienter très longtemps avant de voir une silhouette quelques peu familière l’approcher. Il s’agissait de la vertueuse qu’elle avait dû accompagner, afin de retrouver une panthère qui s’était échappée de la demeure de ses maîtres. Un sourire timide se dessina sur les lèvres de la jeune femme à son approche. « Je ne pensais pas vous revoir de si tôt. Êtes-vous là pour le banquet que le propriétaire de cette demeure a organisé, vous aussi ? » Quelque part, travailler à ses côtés était devenue une valeur sûre, puisque Shanxi l’avait déjà fait.

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A présent que la domestique leur avait expliqué en quoi consisterait leur travail tout au long de la journée, les deux jeunes femmes pouvaient vaquer à leur première tâche. En effet, il y avait fort à faire, et la servante leur avait conseillé de commencer par écrire les invitations afin de les remettre ensuite aux destinataires. Rapidement, l’ange vint s’installer aux côtés de sa comparse. En réalité, cela faisait très longtemps que Shanxi n’avait pas écrit, et elle n’était pas sûre d’y arriver correctement. De ce fait, lorsqu’Althaea lui proposa de répartir les tâches entre elles, la captive accueillit l’idée avec enthousiasme. La jeune femme se sentait tout de même quelques peu coupable de laisser sa compagne faire le plus gros du travail. Peut-être pourrait-elle l’aider lorsqu’elle en aurait fini avec l’itinéraire de distribution ? L’ange parcourait scrupuleusement la liste de noms qu’on lui avait précédemment donné. Shanxi avait beau fréquenter les enfants de l’œil tous les jours, elle ne pouvait vraiment affirmer qu’aucun de ces noms ne lui étaient familiers. Quoi de plus normal ? Les emplumés avaient beau vivre à leurs côtés, les vils ne faisaient pas systématiquement étalage de leur identité.


Si l’un d’eux se présentait, cela voulait dire que celui-ci avait bel et bien l’intention de s’attarder auprès des anges, ou bien que l’enfant de l’œil était important, et dans ce cas, les vertueux devaient s’en souvenir. Quoi qu’il en soit, ce n’était jamais de très bonne augure. Ces noms lui étaient peut-être inconnus, mais il ne serait pas étrange ou malvenu que la captive reconnaisse l’un des convives en allant distribuer ces invitations. Shanxi inspectait les lieux qui étaient assignés à chaque invité, et quelque minutes suffirent à ce qu’elle pu établir un ordre de distribution. Pour plus de facilité, la jeune femme avait réécrit la-dite liste de manière à ce qu’aucune d’elle n’ait à retenir l’ordre. Les deux anges n’auraient plus qu’à barrer les noms de ceux à qui elles auront déjà remis une invitation au fur et à mesure de leurs visites. La main de la captive tremblait légèrement tandis qu’elle inscrivait chaque nom et chaque adresse, et elle s’efforçait du mieux qu’elle pouvait de maintenir une certaine stabilité dans son emprise sur la plume. Ses blessures ne lui faisaient pas tant souffrir que cela du moment qu’elle n’agitait pas trop ses membres. Ses plaies s’étaient en grande partie refermées, même s’il fallait le dire, frotter sur ses avant-bras pour faire partir la crasse comme elle avait dû le faire ce matin-là avait quelques peu relancé la douleur.


Pourtant, l’ange ne pensait pas que ses maux étaient la cause de sa maladresse. En effet, si elle peinait à écrire, c’était sûrement par manque d’habitude. Il fallait dire que la dernière fois s’était servie d’un encrier, la jeune femme était dans la peau d’une magicienne. Autant dire qu’elle n’avait pas pratiqué depuis longtemps. Shanxi avait beau dire, elle ne savait pas vraiment depuis combien de temps elle se trouvait dans cet état. Des mois ? Des années ? La captive ne saurait dire. Le temps lui semblait long depuis qu’elle s’était réveillée dans le fleuve, et cela ne l’aidait pas vraiment à se repérer dans le temps. La jeune femme fut rapidement tirée de ses pensées lorsqu’elle eut enfin fini d’établir la liste. Elle fit lentement glisser le parchemin en direction de sa comparse. « Je les ai mis dans l’ordre pour qu’on sache qui aller voir directement. Qu’est-ce que vous en pensez ? » Ses prunelles s’attardaient un court instant sur les lettres que devait écrire Althaea. « Vous vous en sortez ? » Shanxi n’allait tout de même pas laisser sa compagne tout faire à sa place. Puis, si elle pouvait profiter de cette occasion pour s’entraîner à écrire, ce n’était pas plus mal. La captive savait pertinemment que ça ne lui serait d’aucune utilité en ces lieux, et qu’elle aurait vite fait d’oublier à nouveau.


Seulement, pour une fois, l’ange voulait pouvoir s’accrocher à quelque chose. Quoi que ce soit, du moment que ça l’éloignait ne serait qu’un peu de son quotidien morbide. La jeune femme parcourait les invitations qu’avait écrit sa comparse. Elle observait la forme qu’Althaea avait donné aux lettres, captivée. Si ces fameuses invitations ne se trouvaient pas être à l’intention d’enfants de l’œil, Shanxi aurait pu y prendre bien plus de plaisir. Là encore, ils exerçaient une emprise sur leur manière de vivre, sans même qu’ils fassent acte de présence.

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Les deux jeunes femmes arpentaient les rues, avec pour destination, le domicile du premier invité de ce banquet infernal que prévoyait l’un des enfants de l’œil. Si, dans un premier temps, le silence, ou tout du moins, le brouhaha de la cité, était tout ce qui parvenait aux oreilles de Shanxi, sa compagne ne tarda pas à y mettre fin. En effet, la journée au cours de laquelle ces deux-là s’étaient rencontrées avait été des plus mouvementée, et il était tout à fait normal qu’Althaea s’inquiète de la condition de l’emplumée. C’était un sentiment réciproque, en réalité. « Je n’ai pas eu de problème particulier, non. » Elle marqua une pause, durant laquelle ses prunelles quittèrent un court instant son interlocutrice pour balayer le paysage meurtri qui s’offrait à elles, avant de s’attarder à nouveau sur son visage. « Et vous ? Ils ne vous ont pas trop causé de soucis j’espère ? » En réalité, la vertueuse se doutait bien que les maîtres de sa compagne n’avaient pas pu laisser passer une telle maladresse, et elle craignait que celle-ci se soit faite sévèrement réprimandée. En tout cas, le contraire l’étonnerait, pour sûr. C’était ainsi qu’était leur réalité, après tout. Empreinte de violence, les vestiges du peuples angélique cédant sous les pas viciés de leurs geôliers, tandis que leur sang abreuve la terre.


Les jours avaient beau défiler, ils apportaient systématiquement cette même conclusion. Shanxi se rappelait encore de son arrivée, et de son incompréhension face à la lassitude de ses frères. Désormais, elle faisait partie de ceux-là, et partageait ce sentiment, synonyme de mort pour toute la combativité dont les emplumés avaient pu faire preuve jusque là. Et si la jeune femme espérait chasser le sombre fond de sa pensée en s’assurant de maintenir ses mains et son esprit occupés par toute tâche que les vils pouvaient lui confier, elle se trompait lourdement. Ce travail n’était rien de plus qu’un rappel finalement, et le moindre mouvement, le moindre acte perpétré en leur nom l’empêcheraient d’oublier. Sa tâche, ne tarda d’ailleurs guère à couper court à sa réflexion, tandis que les deux vertueuses posaient un pied sur le pas de la porte du premier nom qui figurait sur leur liste. Du dos de sa main, Shanxi donna trois coups délicats contre les planches de bois qui composaient l’entrée, avant de reculer légèrement pour faire place à leur interlocuteur.


Assez rapidement, celui-ci se présenta aux deux jeunes femmes dans une tenue légère, que tout vertueux s’accorderaient à qualifier d’inappropriée si on leur donnait l’occasion de s’exprimer sur leurs goûts vestimentaires. Heureusement pour eux, ce n’était pas le cas. « Deux anges en liberté comme ça, et sans surveillance, ça ne court pas les rues. » Les stigmates de son visage trahissaient une sieste récente. Peut-être même que les deux bougresses l’avaient interrompu ? Ses lèvres s’étiraient néanmoins en un sourire carnassier, tel un fauve que l’on aurait tiré des bras d’Harabella, un morceau de viande généreux entre les mains. « Que puis-je faire pour vous ? » L’enfant de l’œil semblait caresser la douce ironie de la situation, tandis que ses mirettes quittaient ses interlocutrices un court instant pour vagabonder dans les rues, et plus précisément sur les emplumés qui les parcouraient sous le joug de ses comparses. Sans perdre plus de temps, Shanxi se saisit de l’enveloppe portant le nom de leur interlocuteur, avant de la lui remettre. « Vous êtes cordialement invité au banquet du maître Odasso, qui espère que vous l’honorerez de votre présence ce soir autour d’un verre et d’un bon repas. » Si la jeune femme n’en pensait pas un traître mot, elle s’évertuaient tant bien que mal à rester fidèle aux attentes de ses commanditaires du jour, dans l’espoir d’éviter les ennuis autant que possible.


« J’aurais préféré une gâterie. » L’homme parcourait sans aucune gêne le contenu de l’enveloppe, tandis que les deux emplumées attendaient sa réponse. Un court instant suffit à sa lecture, et l’enfant de l’œil reporta à nouveau son regard sur les deux coursières. « Très bien, j’y serais. » Il marqua une pause, toisant les jeunes vertueuses. « J’imagine que vous avez un tas d’autres invités à aller voir… C’est dommage. J’aurais bien aimé un peu de compagnie. » Le vil exposait une carrure élancée, mais à la fois, harmonieusement athlétique, tandis qu’il appuyait ses deux coudes sur chaque extrémités de l’encadrement de la porte. « Je vous retrouverais au banquet de toute manière, non ? »

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Le temps lui paraissait s’écouler lentement, et pourtant, le soleil n’était déjà plus aussi haut qu’au début de cette journée. Les deux vertueuses s’étant enfin affranchies de leur première tâche, elles pouvaient dès à présent prendre la direction du marché. Shanxi s’attarda un court instant sur le panier qu’elle tenait dans sa main gauche, perplexe. « On a pas vraiment le choix. Ce n’est pas comme si nous pouvions faire demi-tour pour leur réclamer une charrette. » Le temps leur était compté, après tout. « On a qu’à les remplir, et si on vient à manquer de place, et qu’on a le temps, on ira en chercher une si on peut. » La jeune femme se doutait bien que les vils ne leur faciliterait pas la tâche à ce sujet-là, mais elles n’avaient pas vraiment le luxe du choix non plus. La fatigue commençait déjà à assaillir la captive tandis qu’elle progressait en direction du quartier marchand. En soi, leur tâche n’était pas très physique, mais faire du porte-à-porte pour discuter avec tous ces démons avait drainé ses forces. Ses prunelles vinrent se poser sur sa partenaire. Elle aussi devait être lasse de tout cela, sans aucun doute.


Shanxi en vint à se demander comment ses maîtres pouvaient bien la traiter. Quelque part, elle espérait que son quotidien lui était plus favorable que celui de ses frères et sœurs emprisonnés. Bien évidemment, la jeune femme se doutait que ce n’était sûrement pas le cas. Il s’agissait des Enfants de l’œil après tout. « C’est bien qu’ils ne vous aient pas trop punie sévèrement pour ce qu’il s’est passé avec la panthère. J’avais peur qu’ils ne vous fassent payer le prix fort pour son évasion, même si elle n’était que temporaire. » Leurs geôliers faisaient de leur supplice une habitude, dont même les emplumés peinaient à se détacher à présent. Leurs punitions étaient d’ailleurs bien souvent injustifiées. Certains vertueux auraient perdu un ou plusieurs membres, ou bien leur vie, pour ce genre de chose. La captive pourrait énumérer bien des châtiments qui leur aurait été infligé pour une erreur aussi insignifiante, mais les tissus qui se balançaient au grès du vent et qui recouvraient certaines étales, derrière lesquelles des voix s’élevaient pour rameuter la foule la ramenèrent bien vite à la réalité, et au travail qu’on lui avait confié. L’ange se tourna alors vers sa compagne afin de prendre connaissance des éléments qui garnissaient cette liste. « Il me semble qu’on peut trouver ces légumes-là dans cette étale là-bas. » Elle désigna du regard un petit comptoir qui se trouvait un peu plus loin.


Il lui était quelques fois arrivé d’être envoyée au marché accompagnée d’un de ses comparses, afin de réapprovisionner les cuisines du camp où ils étaient détenus. Pouvoir observer un soupçon de liberté convoité depuis si longtemps, et ne pas pouvoir en profiter était peut-être la pire forme de torture que l’on puisse leur infliger. « Qu’est-ce que ce sera ? » L’homme était à moitié avachi sur son étale, et le ton qu’il employait ne dissimulait en rien son manque d’intérêt pour l’activité qu’il exerçait, et les client qu’il servait. « Il nous faudrait une vingtaine de fèves, une dizaine d’endives, de la salade et des betteraves. » Le marchand hocha la tête avant de se redresser pour préparer leur commande. Shanxi déposa quelques pièces sur le comptoir à l’annonce du prix, puis glissa les différents aliments au fond son panier. « Ensuite il faut acheter la viande, c’est ça ? On peut en trouver là-bas il me semble. » Les deux jeunes femmes se dirigeaient alors vers la deuxième étale d’un pas soutenu. La quantité d’aliments à acheter n’était en rien négligeable, et même si leurs paniers n’étaient pas encore remplis dans leur entièreté, le temps, lui, continuait de filer à une vitesse fulgurante.


« Tu as encore de la place, toi ? Il nous reste plus grand-chose à acheter je crois. » Quoi qu’il en était, les deux emplumées allaient devoir se hâter de finir leurs emplettes si elles voulaient rallier la demeure de leur commanditaire dans les temps. Le manoir n’était pas trop en retrait par rapport à la cité, mais ne lui était pas non plus adjacent pour autant. Quant au poids qui leur faudrait porter jusqu’à leur destination, il ne risquait pas de leur rendre la tâche plus aisée.

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Désolée pour le temps de réponse.