Cela faisait plusieurs heures maintenant que les vertueux travaillaient sous un soleil de plomb. Les démons les avaient répartis dans trois groupes : l’un s’occupait de déblayer les débris qui encombraient la cour, l’autre devait décharger les vivres qui étaient arrivés il y a peu, et les entreposer dans le cellier, et enfin, le dernier groupe était simplement de corvée de cuisine. Certains devaient également nettoyer les locaux qu’utilisaient leur tortionnaires. Comme chaque jour, tout le monde vaquait à ses occupations et s’agitait sous les ordres de leurs geôliers. Les sacs qui contenaient leur nourriture étaient lourds et encombrants, de ce fait, les anges étaient obligés de les porter en binôme pour conserver ce rythme soutenu que leur imposaient les enfants de l’œil. Un peu plus loin, un vil les surveillait. Il ne dissimulait pas sa lassitude. Visiblement, il ne prenait aucun plaisir à effectuer sa tâche. Un imprévu aurait pu être bienvenu, mais ce ne fut pas le cas. En effet, alors que l’homme s’accommodait de son ennui, il aperçu une jeune femme aux cheveux blonds. Le fait qu’elle vagabonde ne lui aurait posé aucun problème s’il ne s’agissait pas d’une ange. « Hé toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? Viens ici ! » il fit signe à l’un de ses comparses, qui gardait un autre groupe de travailleurs un peu plus loin, avant de se précipiter vers la femme.


Le démon saisit brutalement son poignet. Il ne voudrait pas qu’il lui vienne à l’idée de tromper leur vigilance afin d’éviter leur courroux. « Comment ça se fait que tu es toute seule ? Y en a pas d’autres avec toi ? Et vos gardes, ils sont où ? » Là encore, il ne semblait pas des plus patients. Il ne lui laissait pas vraiment le temps de s’exprimer qu’il posait d’autres questions. Son regard était des plus accusateurs. Rapidement, un deuxième enfant de l’œil arriva. « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Le premier pesta, avant de désigner l’ange d’un signe de la tête. « Je l’ai trouvée juste là. Elle est toute seule. » Le vil qui venait d’arriver toisa la jeune femme de la tête aux pieds, avant de s’attarder un court instant sur le bracelet qui ornait son poignet. D’un geste leste mais dénué de délicatesse, il attrapa l’avant bras de l’ange. « Regarde. » Les deux matons inspectaient rapidement le petit objet. « Ceci explique cela… Mais pourquoi elle est là, alors ? » Le deuxième haussa les épaules. « Aucune idée. Je doute qu’ils lui aient demandé de venir, et encore moins qu’ils la laissent se promener comme elle veut. » A nouveau, ils plantaient leurs prunelles dans celles de la jeune femme. « Alors ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu t’es enfuie ou quoi ? » Son dédain faisait tonner sa voix. « Tu espères avoir des réponses comme ça ? C’est toi qui va la faire fuir. Peut-être qu’elle cherchait juste un peu de compagnie, n’est-ce pas ? » Il soutenait l’ange du regard, un sourire narquois au visage.


« Bon c’est pas tout, mais j’ai du travail moi. Faudrait pas traîner, ou ils vont devenir trop confiants là-bas. » D’un geste de la tête, il désigna les vertueux qui travaillaient toujours, un peu plus loin. « Tant que t’y es, va me chercher l’un d’entre eux. Elle sera peut-être plus bavarde avec l’un des siens. » Le deuxième acquiesça avant de tourner les talons, tandis que son comparse gardait un œil sur la jeune femme. De son côté, Shanxi faisaient des aller-retours entre l’endroit où ils entreposaient les vivres et la cuisine, afin de faire l’inventaire. D’un revers de la main, elle essuyait les gouttes de sueurs qui perlaient sur son front. Les emplumés se savaient sous surveillance, et de ce fait, ils réagissaient pas vraiment lorsqu’ils apercevaient des enfants de l’œil entrer dans les cuisines sans crier gare. Cette fois-là n’aurait pas fait exception si celui-ci n’avait pas emporté une ange avec lui. En effet, à peine y avait-il mis les pieds, qu’il attrapa la jeune femme par le bras avant de la traîner hors de la pièce. Bien sûr, il expliqua brièvement au démon qui était censé la surveiller quel usage il en ferait, avant de partir aussi vite qu’il était venu. D’un pas soutenu, il entraîna la jeune femme jusqu’au démon et la mystérieuse ange. « Enfin ! Bon tu vas pouvoir tout nous expliquer maintenant. Essaye juste de faire vite. J’ai pas votre temps, moi. » Il croisa les bras sur son torse dans l’expectative. « Et moi non plus, d’ailleurs ! Quel dommage que je ne puisse pas assister au démêlé de cette histoire, qui est sans doute très passionnante, j’en suis sûr. Quel veinard tu fais ! » Il donna une grande tape dans l’épaule de son comparse, qui ne semblait pas aussi enjoué, avant de repartir de là d’où il venait.

822 mots.

Shanxi demeurait silencieuse tandis que l’ange expliquait la raison de sa venue. Elle n’était pas vraiment sûre du motif pour lequel les enfants de l’œil avaient réclamé sa présence, mais la jeune femme n’avait pas vraiment le choix. Le vil, lui, ne semblait pas vraiment inquiet. Il était avide, et ne s’en cachait pas. Il se fichait du reste. « Oh, avant que j’oublie. Tu as jusqu’à la fin de la journée pour accomplir ta tâche et revenir. Si lorsque je fais le compte, tu n’es pas là, je partirai du principe que tu t’es enfuie, et je ne manquerai pas de mettre les autres au parfum. Tu sais à quel point on a horreur des fuyards ici. Tu sais aussi qu’on finit toujours par les retrouver. Et tu ne voudrais pas t’attirer des ennuis, n’est-ce pas ? » Il soutenait Shanxi du regard, une expression carnassière tirait ses traits. L’ange hocha la tête en signe de compréhension. « Bien. Dans ce cas je vous laisse faire votre besogne, j’ai autre chose à faire moi. Fais en sorte qu’elle ramène la bestiole, au cas où je déciderai de rendre une petite visite aux Luras. Ne me couvrez pas de honte. » L’homme tourna les talons, et repartit en direction du groupe de travailleurs qu’il surveillait auparavant.


Les deux anges étaient livrées à elles-mêmes désormais. Au moins pouvaient-elles se réjouir du départ de ce rustre. La jeune femme s’attarda quelques instants sur sa nouvelle compagne. Elle était vêtue bien différemment de tous les vertueux qu’elle avait pu croiser jusqu’à maintenant. Quant à ce bracelet, il l’intriguait au plus haut point. Après tout, les captifs se faisaient systématiquement dépouiller de toute possession dès leur arrivée sur la Terre blanche, il n’était pas rare non plus que les emplumés se voient arracher leur pureté. Les chaînes et les haillons qu’ils portaient étaient tout ce à quoi ils avaient droit, et une vie de servitude tout ce à quoi ils pouvaient aspirer. Shanxi n’adressait que rarement la parole à ses frères et sœurs, sa peur prenait trop de place pour leur laisser le moindre espace. Pourtant, ils ne la laissaient pas de marbre, et leur sort ne lui indifférait pas, loin de là. L’ange allait devoir prendre son courage à deux néanmoins si elle voulait mener à bien la tâche qu’on lui avait confié. De plus, elle ne pouvait que compatir, car elle aussi savait pertinemment que lorsqu’un démon jetait son dévolu sur un vertueux, et choisissait de se l’offrir, cela ne serait pas forcément une bonne chose pour celui-ci.



C’est pour cela que beaucoup d’anges préféraient se faire discrets, car ceux qui se faisaient remarquer de la plus mauvaise des manières n’avaient rien à envier à ceux qui entraient dans les bonnes grâces des enfants de l’œil. Shanxi ne pu retenir un léger soupir. Puis revint à sa compagne. « Si c’est une panthère que nous cherchons, je ne pense pas qu’elle se trouve à l’intérieur. On pourrait aller voir autour des installations, il y a beaucoup de terrain. » Elle désigna du regard les bâtiments près desquels travaillaient leurs comparses. Les deux anges n’avaient pas vraiment le luxe du temps, et elles ne savaient pas combien il leur en faudrait pour retrouver l’animal. De ce fait, elles ne tardèrent pas à lever le pas. Entre le temps que les captifs passaient en cellule, à ne rien pouvoir faire puisque des chaînes les entravaient, et les heures durant lesquelles ils devaient vaquer d’un bout à l’autre du site pour le travail supprimait tout juste milieu. Les anges étaient fatigués de ne rien faire, et l’étaient encore plus lorsqu’ils œuvraient pour leurs geôliers. Ce rythme était des plus drastique, et de ce fait, il n’était pas aisé pour les vertueux qui venaient à peine d’être affectés aux travaux de se mouvoir. Ils n’avaient plus l’habitude. Quant à ceux qui suaient pour les démons depuis un certain temps déjà, ce n’était pas non plus une partie de plaisir.


Ce fort déséquilibre les épuisaient tout autant. D’autant plus que l’inefficacité était vigoureusement réprimandées par les matons. Il n’était pas rare de voir les anges qui travaillaient couverts de bleus, et la douleur rendait leur tâche bien plus difficile à accomplir. C’était un cercle vicieux dont ils ne sortaient jamais, et pour ceux que l’espoir n’animait plus, ce manège était parfois fatal.

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Les deux anges cherchaient vigoureusement le moindre indicateur qui pourrait les mettre sur la piste de l’animal. La mystérieuse jeune femme semblait quelques peu s’en vouloir quant au fait d’avoir embarqué Shanxi dans cette histoire. Pourtant, celle-ci n’y accordait pas tant d’importance. Elle devait travailler pour les enfants de l’œil quoi qu’il arrive, alors peu lui importait de quelle manière elle pouvait s’y prendre. D’autant plus que ce travail là était bien moins ingrat que ce qu’ils pouvaient lui demander d’habitude. L’ange essaya tant bien que mal de rassurer sa compagne, et lorsque celle-ci se présenta, la jeune femme interrompu un court instant leur recherche. « Moi c’est Shanxi. Je me suis réveillée il y a un petit moment. Je ne sais pas trop combien de temps exactement… La notion du temps ici, on la perd assez vite. » Si échanger de telles mondanités était auparavant quelque chose de tout à fait banal pour Shanxi, ce n’était décidément plus le cas aujourd’hui. Cela lui rappela vaguement sa rencontre avec Fergus, celui qui avait pu éclairer sa lanterne sur la situation dans laquelle elle se trouvait aujourd’hui. Maintenant qu’elle y pensait, cela faisait un moment que l’ange n’avait pas croisé sa route. Elle aurait aimé échanger d’avantage avec lui, mais il avait été changé de cellule depuis un certain temps, et la jeune femme ne l’avait vu que très peu de fois depuis.


Les présentations faites, le travail pouvait reprendre. Shanxi prenait en compte toute information que pouvait lui donner sa comparse quant aux endroits éventuels où le félin serait susceptible d’aller, et orientait ses recherches en fonction. L’ange se penchait pour fouiller les moindres recoins où l’anime pourrait se faufiler. Cela faisait déjà plusieurs heures que les deux femmes tournaient en rond, inspectant parfois le même endroit à plusieurs reprises. Le soleil tapait vigoureusement, et il n’y avait pas un saut de vent. Les prunelles de la jeune femme venaient parfois se poser sur sa compagne. « Si vous êtes fatiguée, dites-le moi. On fera une pause. » Puis à nouveau, elle balaya la zone du regard. L’ange s’attarda un court instant sur une petite forêt qui se trouvait un peu plus loin de leur position actuelle. « Vous avez dit qu’elle aimait bien se cacher, tout à l’heure… Je pense que c’est le seul endroit où elle pourrait éventuellement le faire. Surtout vu la chaleur, elle pourrait vouloir s’abriter en dessous des arbres. » Shanxi leva les yeux en direction sur soleil, protégeant ses yeux d’une main. Il était bien moins haut que tout à l’heure, mais c’était jouable. « Je propose qu’on aille y jeter un œil. C’est un peu loin, mais si on se dépêche on devrait être de retour à temps. Cela dit, si elle n’est pas là-bas, je ne sais pas comment on va faire. » Elle soutenait sa comparse du regard.


Les deux anges n’avaient pas vraiment le choix, semblait-il. Elles avaient passé au peigne fin tous les lieux possible et imaginable, et cette forêt semblait être leur meilleure carte. Sans trop tarder, les deux femmes emboîtèrent le pas. L’ombre leur offrirait un certain confort, au vu de la chaleur qu’il faisait, mais ce serait un atout à double tranchant, car les arbres qui s’élevaient en ce lieu fournissaient une bonne couverture pour quiconque voulait échapper à leur vigilance. C’était l’endroit idéal pour se cacher. Shanxi avait beau être finement vêtue, la sueur perlait sur front tandis qu’elle progressait vers leur destination d’un pas soutenu, bien que marqué par la fatigue. Elle n’était décidément pas habituée à marcher autant, et cet effort physique était bien trop conséquent pour quiconque ne sortait de sa cellule uniquement pour travailler. Au moins était-elle en meilleure compagnie que ses frères qui devaient encore se tuer à la tâche sous les yeux des vils à l’heure qu’il était. Les minutes avaient beau s’écouler à une vitesse fulgurante, mais leur objectif était encore loin de leur portée. A mesure que le temps passait, la fatigue venait alourdir les membres de la jeune femme, qui était déjà déshydratée par l’effort et le manque d’eau. Hélas, elle n’avait aucun fluide à sa disposition, et était donc dans l’incapacité de répondre à ce besoin primaire. Au moins ne souffrait-elle plus des blessures que lui avait infligé cet enfant de l’œil. Celui-ci ne risquait d’ailleurs plus de lui nuire au vu du sort que lui avait réservé la jeune maquerelle qui avait jeté son dévolu sur Shanxi.

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L’ombre des arbres défilait sur leurs corps tandis qu’elles s’avançaient dans la forêt. La chaleur les quittait partiellement, et ça ne pouvait que les soulager. Shanxi avait le souffle court. Elle n’avait décidément pas l’habitude de bouger autant, et aussi longtemps. Alors que la jeune femme essayait de se ressaisir, des bruits de battements d’ailes soudains ne manquèrent pas de la faire sursauter. Sa compagne émit l’idée que quelque chose avait pu les effrayer. C’était fort probable. Elles tenaient peut-être une piste. Quelque part, l’ange se réjouissait de la présence d’Althaea, car si elle avait tout de suite interprété le comportement de ces volatiles, Shanxi, elle, n’y aurait pas forcément prêté l’oreille, tant ses maux lui faisaient oublier la raison de sa venue en ce lieu. Sa comparse semblait légèrement s’inquiéter néanmoins de sa condition. La jeune femme n’était pas sans savoir qu’en effet, il devait y avoir un court d’eau dans les environs, car sinon, où les vils envoyaient-ils ses frères lorsqu’ils avaient besoin du breuvage, pour les multiples utilisations qu’ils lui réservaient ? Shanxi n’avait jamais été elle-même de corvée d’eau, les enfants de l’œil favorisant les plus costauds pour cette tâche, elle ne s’était même jamais aventurée aussi loin de la bâtisse. « Il y en a un, mais je ne sais pas où il se trouve. »


L’ange avait toutefois remarqué que lorsque ses comparses se rendaient dans la forêt pour y chercher de l’eau, ils n’étaient jamais très longs à en revenir. Le court d’eau ne devait donc pas être très enfoncé dans la sylve. Cela dit, si elles prenaient le temps de le chercher pour se désaltérer, il était fort probable que les jeune femmes perdent la trace de l’animal, qui pourrait continuer de se déplacer pendant qu’elles ont le dos tourné. « Je ne pense pas qu’on aura besoin d’aller très loin pour trouver de l’eau, mais l’animal, vous ne voulez pas le retrouver tout de suite ? Il vaudrait peut-être mieux d’abord aller voir s’il n’est pas là-bas, et si c’est le cas, nous pourrons peut-être faire une pause et chercher l’eau. » En effet, perdre de vue leur objectif maintenant pourrait réduire leurs efforts à néant, et si elles venaient à rentrer les mains vides, ce qui les attendait serait bien pire. Shanxi ne s’y risquerait pas. D’un pas légèrement plus déterminé, la jeune femme s’enfonçait un peu plus dans la forêt, en direction du point d’envol des oiseaux.


Une poignée de minutes suffirent à ce que les deux jeunes femmes aient rallié leur destination. La première chose que Shanxi fit en arrivant fut de balayer la zone du regard, dans une hâte certaine et non dissimulée de retrouver la petit félin. L’ange était à l’affût du moindre bruit, du moindre indice.  Les prunelles de la jeune femme montèrent vers le ciel, ou plus précisément vers la cime des arbres qui les entouraient. Il n’en restait plus un seul. Un silence de mort régnait en ce lieu. L’on entendait à peine le chant des volatiles au loin. Visiblement, la chose leur avait fait si peur qu’ils avaient tous dû déserter. Enfin, elle reporta son attention vers le sol, un domaine qui était plus le sien. Toujours rien. Shanxi s’attarda sur sa compagne. « Vous avez une idée d’où elle pourrait se cacher… Ou même s’il est possible de l’attirer de quelques manières que ce soit ? » Althaea lui avait dit plus tôt qu’elle ne s’occupait de ces animaux que depuis peu, et que par conséquent, elle n’avait pas encore beaucoup de connaissances à leur sujet. « Est-ce qu’elle a un nom auquel elle répond, peut-être ? » Il fallait le dire, la jeune femme faisait pâle figure face à ce type de situation. Elle ne risquait pas d’être d’un grand secours. L’ange en venait à se demander si un jour, elle aussi avait eu un animal. En réalité, Shanxi n’avait jamais eu de temps à consacrer à un quelconque bestiau, même si cette notion lui échappait encore. Pourtant, elle ne les détestait pas, au contraire. La jeune femme s’était toujours montré très tactile, que ce soit avec sa famille ou ses amis. Les animaux ne faisaient pas exception. Elle n’avait jamais vraiment connu la solitude, ayant toujours été bien entourée. Elle avait même la chance de pouvoir dire que ça avait été le cas de sa naissance jusqu’à sa mort.

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Les deux jeunes femmes suivaient scrupuleusement les traces qu’avait laissé le petit félin derrière lui. Si la panthère ne répondait pas à son nom, et que seule la crainte de ses maîtres motivait son obéissance, il était inutile d’essayer de l’amadouer en usant de ces informations. Alors qu’elles progressaient lentement, l’ange vu sa compagne s’arrêter soudainement. Quelque chose l’avait sûrement interpellée. Shanxi suivit immédiatement le regard d’Althaea. La jeune femme retint un long soupir de soulagement. Après tout, il ne fallait surtout pas attirer l’attention de la bête sur elles, sous peine de la voir fuir à toute vitesse. A la place, elle écouta attentivement la proposition de sa comparse. Se précipiter sur le félin ? Cette méthode pouvait porter ses fruits si les deux anges se montraient suffisamment rapides. Il ne fallait pas oublier que ces bestioles avaient l’ouïe fine. Au moindre faux pas, elles auraient tout intérêt à vite mettre la main sur la fuyarde. Au moins, l’attention de la panthère était accaparée par son futur repas. Shanxi et Althaea pourraient jouir de cet avantage pour attraper l’animal.


La jeune femme balaya la zone du regard. Le félin aurait l’embarras du choix s’il voulait leur échapper. S’ils avaient été en nombre, ils auraient pu encercler la bête et empêcher toute fuite. Hélas, ce n’était pas le cas. Elles allaient devoir faire du mieux qu’il leur était possible de faire. « Je pourrais essayer d’aller me poster là-bas au cas où elle essaierait de fuir dans cette direction. » Shanxi désigna leur flanc gauche d’un signe de tête. En effet, de cette manière, il ne resterait qu’une option de fuite à l’animal, ses proies se trouvant devant lui, il y avait peu de chances qu’il se rue sur eux pour fuir. Les deux anges, quant à elles, couvriraient ses arrières et l’un de ses flancs. De ce fait, s’il venait à leur échapper, au moins sauraient-elles vers où la panthère pourrait se diriger. Il serait néanmoins difficile pour la jeune femme d’atteindre l’emplacement qu’elle désirait rejoindre. Elle allait devoir se montrer discrète, et quelque part, elle espérait que ces lapins divertiraient suffisamment le félin pour qu’il ne remarque pas sa présence. D’un pas aussi lent et léger que possible, Shanxi commença à se diriger vers son objectif. Sa fatigue n’aidait pas et faisait trembler ses membres inférieurs, tandis qu’elle s’efforçait à faire moins de bruit.


De temps à autre, elle s’attardait sur la bestiole, afin de s’assurer que son attention était toujours accaparée par l’objet de sa convoitise. Finalement, son regard se porta sur un arbre qui se dressait fièrement devant elle. L’ombre de ses branches dansait sur le visage marqué par l’épuisement de Shanxi. L’ange y était presque. Elle allait atteindre sa destination. Alors qu’elle prenait garde à éviter soigneusement les racines d’un des membres de cette sylve, une brindille, qui avait visiblement échappé à ses prunelles attentives, céda sous l’un de ses pieds. Le craquement du bois vint perturber le silence qui régnait en ces lieux, et ne manqua pas de couper le souffle de la jeune femme sous la surprise. Aussitôt, Shanxi hâta son regard sur la panthère, afin de s’assurer que sa maladresse n’avait pas interrompu sa partie de chasse. Si le petit prédateur était jusqu’à présent loin de se douter qu’il était  lui aussi devenu une proie, il venait d’en prendre conscience. L’animal se rua de ce fait brutalement hors du buisson qui dissimulait sa présence à la famille de lapins, avant de se soustraire au danger qui le guettait par la seule issue qu’il pouvait emprunter sans risques. Au moins, les deux anges ne s’étaient pas donné autant de mal en vain. En effet, elles n’avaient plus qu’à talonner la panthère pour retrouver sa trace.


Rapidement, la jeune femme se lança à sa suite. Elle se doutait bien qu’elle n’allait pas la rattraper, mais la distance qui les séparait serait un atout. En effet, si les deux femmes la suivaient d’assez loin, peut-être que le félin finirait par se penser hors de danger, et mettrait fin à cette course folle. « Je suis désolée. » L’ange peinait à stabiliser son souffle. Marcher lui était déjà difficile, et le rythme que ce manquement lui imposait lui était des plus infernal. La boule qui semblait se former au fond de son estomac n’arrangeait rien. C’était de sa faute si l’animal leur avait échappé. Désormais, elle ne pouvait qu’espérait que sa maladresse ne leur coûterait pas plus cher. Alors que ses pas martelaient le sol d’un rythme soutenu, un bruit bien singulier interpella l’ange, qui ne s’interrompait pas pour autant. Si jusqu’à présent, Shanxi ne percevait pas le bien dans cette tâche qu’on leur avait confié, cela ne tarderait pas à changer. Le hasard venait de leur faire une première faveur, quand de doux ruissellements vinrent chatouiller leurs oreilles. Le cours d’eau que les deux jeunes femmes convoitaient un peu plus tôt, sans pour autant pouvoir l’atteindre, était à portée de main. Tout du moins il n’était pas très loin. Elles auraient juste à se laisser porter par leurs sens, si toutefois la panthère daignait leur donner un peu de répit.

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La jeune femme ne savait plus où puiser la force de courir. Elle n’avait clairement pas l’habitude de fournir un effort si conséquent, et encore moins en un tel environnement. Shanxi manquait parfois de peu la chute lorsqu’un de ses pieds se prenait dans une racine. Elle se rattrapait de justesse, mais ses chevilles, elles, n’en étaient pas sortie indemnes, et étaient quelques peu endolories. Ses prunelles ne lâchaient pas un instant le félin derrière lequel les deux femmes se hâtaient, tandis que sa compagne formula une idée. Elle aussi semblait épuisée. Quoi de plus normal ? La famille dans laquelle elle servait ne devait pas la faire courir d’un bout à l’autre de la Terre blanche. En tout cas, même si la fatigue se faisait ressentir, Althaea parvenait toujours à réfléchir clairement, et son entreprise était loin d’être mauvaise. En effet, se servir du cours d’eau pour combler leur désavantage numérique était une excellente idée. Les deux anges ne pouvaient se permettre de tergiverser, car quoi qu’il arrive, le temps jouait contre elles. « Je ne sais pas s’il est grand. Il va falloir aller voir ça par nous-même. » La captive avait de plus en plus de mal à s’oxygéner.


Shanxi quitta un instant la panthère du regard pour balayer la zone d’où provenait le ruissellement de l’eau. Elles n’allaient pas avoir d’autre choix que de se séparer si les deux jeune femmes voulaient être sûres de pouvoir se servir du cours d’eau comme atout, et ce, sans perdre de vue l’animal. L’ange puisait l’air qui restait dans ses poumons. « J’ai une idée… Je vais me diriger vers la rivière. Il faudrait que vous continuiez de suivre la petite, et si possible, faire en sorte qu’elle vienne vers là où je serais. On la coincera là-bas si le cours d’eau est assez grand, et dans le pire des cas, on pourra toujours essayer de l’attraper même si au final ça ne devait pas marcher. » Le sang lui montait à la tête tant l’épuisement la martelait. Ses membres commençaient à s’engourdir. Elle craignait que ses jambes se dérobent sous son poids à tout moment. « Faites attention à ne pas vous perdre. Je ne sais pas si j’arriverai à vous retrouver si ça devait être le cas. » La jeune femme commença à se s’orienter sur leurs flanc droit afin de rallier la rivière. Elle ne pressa guère plus sa course tant elle flirtait avec ses limites.


Au bout de quelques minutes durant lesquelles ses pas avaient vigoureusement battu le sol, de grands rayons de soleils vinrent réchauffer son dos. Elle était sortie de la forêt. L’ange ralentit quelques peu, avant de s’arrêter complètement. Elle balaya rapidement la zone du regard. Elle était là. La rivière. Sa taille n’était ni insignifiante, ni colossale. Une simple rivière finalement. Shanxi espérait de tout cœur que cela suffirait à refréner, voir même mettre un terme, à la fuite du félin. A nouveau, l’ange se mit à courir, mais d’un pas bien moins soutenu, afin de rejoindre les abords du cours d’eau. Ses mirettes continuaient de scruter la direction de laquelle elle devrait voir sa partenaire arriver. La jeune femme craignait qu’Althaea se soit perdue à la suite de l’animal. Cela signifierait alors qu’elle devrait rentrer les mains vides, sans sa comparse. Cette idée lui faisait froid dans le dos. Un nœud semblait se former dans sa gorge.


Hésitante, la captive commença à avancer vers l’endroit où elle s’attendait à voir la panthère et la femme surgir. Plus les minutes perlaient, plus Shanxi pressait le pas. Il fallait dire que tous avaient parcouru une bonne distance, et le temps commençait à cruellement leur manquer. D’un autre côté, elle ne pouvait pas vraiment abandonner sa compagne, et revenir comme si de rien était. Même si elle avait le choix, la jeune femme ne se le pardonnerait pas. Non pas qu’elle souhaitait à tout prix voir Althaea retourner entre les griffes de ses maîtres, mais si elle ne revenait, qu’adviendrait-il de sa personne ? Que cela signifiait-il ? Il lui serait arrivé malheur ? Elle se serait égarée ? Ou bien alors elle avait saisi cette opportunité que peu avaient, et s’était enfuie ? Il est vrai que le fait qu’elles soient seules, loin de tout bâtiment et sans surveillance était fort tentant. L’idée de se soustraire au joug des enfants de l’œil séduirait n’importe quel bougre. Il fallait être fou pour ne pas essayer. Ou peut-être était-ce l’inverse ?

747 mots.

Alors que la jeune femme commençait à désespérer de ne pas voir sa compagne arriver, elle aperçu au loin la petite panthère qui détalait dans sa direction. Plus par réflexe qu’autre chose, Shanxi leva les yeux pour s’assurer qu’Althaea suivait bien le félin. Elle fut soulagée de constater que c’était le cas. Celle-ci mis d’ailleurs la captive en garde. Tout allait se jouer maintenant. Si elles ne parvenaient pas à l’attraper, les deux vertueuses ne pourraient espérer ramener l’animal avec elles. Le temps leur manquait cruellement. La panthère courait à une vitesse folle, et plus elle se rapprochait, plus les muscles de la jeune femme se contractaient. L’échec n’était pas une option. L’adrénaline et l’excitation ne suffisaient plus à chasser la douleur que lui avait laissé la fatigue. Une violente migraine martelait son crâne tandis que ses prunelles ne semblaient pas vouloir quitter le félin. Ce ne serait l’histoire que de quelques secondes. Ce serait fini, et les deux anges connaîtraient l’issu de leur tâche en un clin d’œil. Shanxi sentait son sang bouillir à l’approche du l’animal. Elle se positionna d’ailleurs de manière à pouvoir sauter sur la panthère, si sa compagne venait à échouer.


Althaea accula la panthère entre la rivière, Shanxi, et elle-même, de manière à ce que finalement, l’animal ne puisse s’enfuir. Il n’avait pas d’autre choix que de faire face à ses poursuivantes. Visiblement apeuré, le félin se retourna vers la compagne de la captive, qui, assez rapidement, se jeta sur elle pour l’attraper. Hélas, cette tentative se solda par un échec cuisant. La jeune femme ne saurait dire combien de secondes il avait pu s’écouler entre l’entreprise de sa compagne et la sienne. Tout s’était passé très rapidement, après tout. Le temps paraissait suspendu tandis que l’animal détalait à nouveau dans la direction de l’ange. Rapidement, ses épaules s’affaissèrent pour orienter son saut vers la panthère, qui l’aperçu au dernier moment. Trop tard. Ce moment d’hésitation que l’animal avait eu lui avait coûté fort cher. Pour cause, la captive eu le temps de lui mettre la main dessus tandis la peur le paralysait. Bien sûr, ce fut guère aisé pour la jeune femme de maintenir son emprise sur le félin, qui se débattait vigoureusement. Elle grimaçait de douleur tandis que celui-ci plantait ses griffes dans ses avant-bras. Shanxi faillit lâcher prise, mais se ressaisit aussitôt avant de faire appel à sa compagne pour qu’elle vienne l’aider.


Il fallait qu’elle prenne sur elle, que l’ange fasse abstraction de la douleur, au moins le temps qu’Althaea trouve un moyen de calmer la panthère. A genou, la captive se repliait sur elle-même, la mâchoire serrée, tandis qu’elle sentait sa chair se scinder en deux. Lorsque l’animal était lui-même à bout de souffle pour poursuivre sa lutte, Shanxi reprenait son souffle, essayant de se concentrer sur sa tâche et d’oublier le supplice qu’elle lui faisait subir. Le liquide chaud coulait le long de ses bras pour finir sa course sur ses doigts frêles, puis le sol. La jeune femme continuait de respirer profondément. « Je suppose que vous n’avez pas pris de cage avec vous ? Nous allons devoir la porter pour le trajet du retour ? » L’ange avait l’impression de sentir son cœur battre comme un fou dans son crâne, comme si celui-ci allait sortir par ses tempes. Au moins l’animal ne se débattait plus avec autant de force qu’auparavant. Lui aussi semblait à bout de souffle. Quoi de plus normal me direz-vous, après cette course folle ? « Elle a l’air plus calme. Vous pourriez peut-être la prendre ? J’aimerais bien aller rincer ça dans la rivière. » Elle désigna du regard ses plaies nouvelles qui suintaient le sang.


« Quand j’aurais fini je la reprendrai. Vous pourrez aller vous désaltérer. » Avec une difficulté certaine, la jeune femme se leva pour aller plonger ses bras dans l’eau. La fraîcheur qui entourait ses membres lui était douloureuse, et ses plaies semblaient brûler tandis que le courant se teintait lentement de son plasma. Shanxi pourrait tout à fait essayer d’user de ses pouvoirs pour soigner ses blessures. Seulement, elle craignait que la fatigue ne joue contre elle. Son souffle était tantôt court, tantôt long. Ses afflictions ne semblaient plus vouloir la quitter. La captive s’attarda du coin de l’œil sur sa comparse, afin de s’assurer que tout se déroulait pour le mieux, ou en tout cas, aussi mieux que possible. Elle ne voulait pas la voir blessée à son tour, après tout. « Je la porterai pour la route du retour. Elle pourrait essayer de s’échapper à nouveau, et vous blesser. Je préférerais que vous rentriez intacte. »

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