Celle qui s'était échappée

Spirit of freedom

Le groupe d'Ygdraë avait trouvé refuge dans une taverne après avoir passé la journée au Fessetival. Ils avaient réservé une grande table pour les quatre Eskëts, les deux Ildra et Raïm qui comptait pour deux elfes avec sa stature. Il devait rester une parcelle d'énergie insoupçonnée chez l'elfe rousse car elle prit immédiatement le contrôle de la discussion. A l'aide de grands gestes, Astriid se remémorait les événements de la journée, son visage prenant tour à tour des expressions différentes en fonction de ce qu'elle se rappelait. «Et vous avez vu comment la bombe d'eau lui a explosé en pleine face ! Sa tête était hilarante ! Comme quoi il ne faut jamais sous-estimer les Ygdraë, en équipe on est les plus forts !» Valÿn hochait la tête vivement, approuvant chacun des mots de son amie. L'elfe aux cheveux gris ne s'était jamais senti aussi libre que depuis leur départ de Melohorë. Loin de la pression familiale, il se redécouvrait et retrouvait un peu l'enfant qu'il avait été aux côtés d'Astriid. Il la suivait tout le temps, désireux de participer à toutes ses aventures. Aëvanna, de son côté, était tout l'inverse du duo surexcité et était l'image même du sérieux. Elle s'imposait une discipline de fer et ne tolérait pas l'attitude étourdie de ses camarades de voyage. Elle avait d'ailleurs tout détesté dans le festival et n'avait qu'une hâte, continuer leur chemin ou au moins visiter les quartiers historiques d'Avalon pour sa connaissance personnelle. Dans la tête d'Astriid, c'était juste l'elfe aux mèches blanches du groupe qui était si ennuyeuse qu'elle oubliait parfois son nom.
Daràdir et Solenn étaient des Ygdraë plus expérimentés mais aussi plus calmes que le bruyant groupe. Ils prenaient souvent le relais pour contrôler les Eskëts quand Raïm perdait patience, c'est à dire plusieurs fois par jour. Pour le moment, ils discutaient à voix basse, leur tête penchée l'un vers l'autre. Ils avaient opté pour l'Hyriël par soucis de discrétion. Bien des oreilles indiscrètes pouvaient traîner dans les tavernes et le sujet était brûlant pour eux. Daràdir semblait agité, ses oreilles changeant fréquemment de position. «Tu as vu ce que j'ai vu ? Ou plutôt qui ?» La blonde regarda autour d'elle avant de répondre à voix basse à son tour. «Tu parles de la Fugitive ? La Löth qui a quitté Melohorë sous le nez de tous les elfes ?» L'Erëla approuva et se mordit les lèvres. «Comment se fait-il qu'elle soit à Avalon ? N'était-elle pas en territoire chaman ?» Solenn demeura pensive, se mordillant une de ses mèches blondes, un tic dont elle ne parvenait pas à se défaire. «Elle paraissait sous bonne garde au festival. La question que je me pose, c'est ne devrait-elle pas retourner à Melohorë si elle a réussi à quitter l’Île Maudite ?» Daràdir ouvrit de grands yeux, il paraissait presque effrayé et aussi inquiet. C'était une situation inédite. «Tu crois que nous devrions rapporter sa présence à Avalon à notre peuple ?» souffla-t-il en quêtant le support de sa camarade, espérant qu'elle saurait trancher car jamais il ne saurait prendre une telle décision par lui-même.
Leurs chuchotements conspirateurs furent soudainement coupés par la voix claire d'Astriid. «Vous parlez de quoi ?» Ils ne s'étaient pas aperçus que les Eskëts avaient cessé de parler pour les écouter. Les deux Ildra échangèrent un regard. Les Löth étaient rarement mentionnés parmi les Ygdraë, ces elfes rares restaient à l'écart du peuple et ne se mêlaient pas aux autres, ou si peu. Par conséquent, ils ne parlaient pas beaucoup d'eux. Mais Circë Fëanturi Vairë n'était pas n'importe quelle Löth. L'Ygdraë avait fui son pays d'origine, l'histoire avait fait scandale car jamais les Löths ne quittent Melohorë, jugés trop précieux pour risquer de mourir en quittant le pays, ils demeuraient cachés dans les temples des Enelyës dans l'attente qu'Yggdrasil se réveille en eux. Leurs journées étaient alors rythmées par les prières et leur éducation. La pire crainte d'Astriid avait d'ailleurs été de devenir une Löth lors du regard des Enelyë, elle n'aurait pas supporté ces journées d'un ennui sans nom alors que tous les autres elfes vivaient des aventures hors de leur pays natal, c'était tout simplement impensable pour la rousse.
Daràdir prit la décision de leur en parler, protéger les jeunes elfes étaient une chose mais il fallait aussi savoir leur faire confiance. «Avez-vous déjà entendu parler de Circë Fëanturi Vairë ?»«Qui ?» Astriid était trop jeune et, si le nom réveillait un écho lointain, elle ne parvenait pas à se souvenir ce que ce nom pouvait évoquer. Aëvanna, elle, se figea, une oreille levée plus haute que l'autre de manière assez comique, comme un animal aux aguets. «La Löth ? Vous l'avez vue ?» Les deux elfes acquiescèrent d'un mouvement identique. Astriid était perdue. Elle n'aimait pas ça. Elle interrompit Aëvanna qui lui lança un regard noir. «Eh bien quoi, qu'est-ce qu'elle a de particulier cette Löth ?» En quelques mots, les elfes lui expliquèrent l'histoire. «Ah oui j'avais oublié.» dit la rousse simplement, ne ressentant aucune honte à avoir omis un sujet si brûlant.
En vérité, l'Ygdraë admirait cette Löth et elle la comprenait aussi. Compréhensible car elle aussi aurait fui Melohorë si les Enelyë lui avaient annoncé qu'elle devait demeurer enfermée dans son pays pour toujours. Admirative car elle devait posséder un pouvoir immense si elle était capable de déjouer les puissantes barrières elfiques qui protégeaient Melohorë ainsi que la surveillance des Enelyë. Astriid l'imaginait grande, vêtue comme une guerrière, auréolée d'un halo brillant dû à sa magie incroyable, un regard téméraire et déterminé, légèrement ironique. Oui ce devait être une Ygdraë d'exception et Astriid espérait la croiser un jour.

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