Pieds et poings liés

Partenaire : Moi-même
Objectif : Adam et le groupe diplomatique vont rencontre les Anges qui partiront de Stenfek pour rejoindre le territoire angélique.

**

Nous étions dans une nouvelle pièce. Les événements avaient pris quelques jours à se mettre en place. J’avais pu visiter Stenfek. Je préférais Avalon. L’endroit était néanmoins intéressant. Il était possible de voir le changement s'opérer. Les Réprouvés qui vivaient là se cherchaient. Les valeurs d’autrefois étaient encore ancrées profondément dans leur quotidien. Reconnaître les guerriers n’était pas bien difficile. Ils étaient pratiquement tous musclés. Si les choses n’avaient tenu qu’à moi, j’aurais volontiers joué les Bicornes plus souvent. Odum me satisfaisait amplement. Elle me faisait penser à Kaahl dans certains de ses comportements, sauf que je n’avais jamais eu peur que les mains de la jeune femme autour de ma gorge finissent par me tuer. Elle aimait être dessus, ce qui me ravissait aussi. J’aimais voir son buste suivre les mouvements de ses hanches et je n’avais pas besoin de l’aider. Elle chevauchait vite et bien. De toute façon, pour l’aider davantage, il aurait fallu que je puisse serrer mes mains autour de sa taille. Attaché, c’était plus difficile.

« Voici Nir, Edmund, Ven et Mira. Ce sont des Anges qui ont décidé de se porter volontaire.
— Nous sommes enchantés de vous connaître.
— Ils ne parlent pas très bien le langage commun pour le moment.
— C’est compréhensible.
— C’est vrai que nous essayons de faire en sorte que tout le monde à Stenfek l’apprenne pour favoriser les échanges mais ce n’est pas encore ça. Les programmes scolaires ont changé récemment pour y inclure plus de matières théoriques, dont l’apprentissage de certaines langues, surtout celles qui pourraient servir à nos enfants. Même si nous ne souhaitons pas qu’ils partent, les langes démoniaque et angélique vont commencer à être enseignées.
— C’est toujours bien. Par exemple, Avalon est une cité ouverte au monde. Les Déchus parlent le commun. Ce serait d’ailleurs bien plus pratique si tout le monde le faisait.
— Vous avez bien une langue, n’est-ce pas ? dit le Réprouvé.
— Oui mais nous ne l’utilisons qu’en privé ou pour certains chants. C’est une langue qui se murmure. »

Je souris. Ses sonorités étaient exquises. Au lit, c’était merveilleux. Je pensai qu’il faudrait que j’apprenne quelques mots à Kaahl. Sa voix s’y prêterait bien. Je m’obligeai à changer le cours de mes réflexions. Néanmoins, j’avais remarqué que depuis que j’étais là, à devoir décider plus ou moins du sort de jeunes hommes et de jeunes femmes, j’avais tendance à sauter sur n’importe quel sujet susceptible de me sortir de ma culpabilité.

« Nous devrions faire comme vous. Le Zul’Dov est une langue dure que peu de gens connaissent. Ce n’est pas pratique pour le commerce. Néanmoins, Lumnaar’Yuvon n’a jamais souhaité faire un effort en ce sens. Les Réprouvés qui y vivent font même exprès de le parler devant les étrangers afin de les humilier davantage. C’est un comportement arriéré.
— C’est vrai qu’il est bien moins aisé de traiter avec Bouton d’Or qu’avec vous, à Stenfek. Les connaissances ne sont pas les mêmes non plus. Sans vouloir être vexant, Lumnaar’Yuvon est très loin d’être un territoire peuplé d’individus très cultivés. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas intelligents mais leur savoir sur le monde en général et sur ce qu’il se passe au-delà de leurs frontières est vraiment limité.
— Vous allez devoir aller parlementer avec eux ?
— J’ai bien peur que oui.
— Ne vous attendez pas à une réponse positive. Ils ont tendance à ne pas pardonner aux Anges et aux Démons qui quittent leur territoire, peu importe les raisons. Ils le vivent comme une trahison. Après, je vous dis ça et ça n’engage que moi, mais Stenfek est également en retard là-dessus. J’aimerais réellement que nous puissions donner la possibilité à nos enfants d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, faire du fantasme une réalité plutôt que de les laisser imaginer n’importe quoi.
— Je comprends. Je suis moi-même pour la liberté de choix. Tester permet de se faire sa propre opinion sur les choses. Laisser vos enfants partir et les voir revenir serait forcément valorisant.
— Oui, nous saurions que le travail que nous faisons à Stenfek va dans le bon sens. Nous avons encore beaucoup à faire pour pouvoir être indépendants mais je suis sûr que ça viendra avec le temps.
— Il faut bien commencer quelque part.
— C’est cela. »

Je les écoutais toujours. Nous étions plusieurs à ne pas être autorisés à intervenir. J’aurais pu tenir cette conversation, j’en étais certain, surtout qu’elle n’avait rien à voir avec les Anges qui se tenaient là. Ils regardaient les deux hommes échanger, tout en restant silencieux. Ils paraissaient jeunes. Leurs corps étaient moins musclés que celui de leurs pères et mères mais il était possible de constater leur entrainement militaire quand même. C’était sans doute une question de morphologie.

« Pour revenir à nos jeunes Anges… Ils sont les premiers à s’être portés volontaires. Nous ne pensons pas qu’il soit une bonne chose d’en envoyer trop en même temps. Ça paraîtrait suspect. Aussi, ce sera un premier test. Nous verrons s’il est concluant. Avant d’en savoir plus sur l’Agbara, ils vont devoir s’adapter à leur nouvel environnement et se fondre dans la masse des autres Anges. Ça prendra du temps.
— C’est vrai. Il faut faire les choses bien pour éviter qu’ils soient découverts.
— C’est cela. Nous aimerions aussi former des Anges spécialement pour cette mission. C’est difficile puisque nous serons obligés de laisser des jeunes partir. Peut-être un ou deux Anges plus âgés mais ce serait suspect.
— Ils peuvent toujours avoir changé d’avis entre temps.
— Ça ne s’est que très peu vu depuis le début de l’Ère de la Conciliation. Ce serait inhabituel. Ceux qui choisissent de rester, généralement, restent.
— Je vois. »

**

« Tu n’es pas d’humeur ? me demanda Odum, d’un air troublé
— On l’a déjà fait y a une heure, dis-je.
— Tu es sûr que tu es un Luxurieux ? Ça m’étonne. »

Je la fixai un moment et souris. Elle avait raison : je n’étais pas spécialement d’humeur. Je pensais à ces Anges.

« Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda-t-elle.
— Je suis en train de réfléchir à l’avenir de ces Anges. Ils sont vraiment jeunes. Si on m’avait demandé de faire ça à leur âge… J’aurais refusé.
— Tu devais être trop occupé à fourrer ta queue n’importe où.
— Oui, déjà, et puis j’aurais eu peur. Je me serais enfui en courant.
— C’est oublier que les Réprouvés ne s’enfuient pas en courant. Nous sommes élevés comme ça. Fuir c’est renoncer. Renoncer c’est mourir sans honneur. Nous sommes reconnaissants aux Zaahin lorsque nous mourrons pour notre peuple.
— Je dis juste qu’il y a des façons plus idiotes que d’autres de mourir. Quand tu es en première ligne et que tu n’as même pas le temps de combattre parce que tu te prends une flèche ou un sort, ne me dis pas que ta mort est glorieuse.
— Elle l’est parce que ton sacrifice n’a pas été vain. Il a permis aux autres de prendre le dessus, d’occuper l’adversaire, de lui faire perdre du temps. Les Zaahin ont des plans pour nous que nous ne connaissons pas forcément. Fuir un combat revient à devenir un traître.
— Tu penses qu’il vaut mieux être un homme honorable et mort plutôt qu’un traitre vivant ?
— Totalement.
— Ce n’est pas ce que je pense.
— Ça explique pourquoi c’est moi qui te chevauche. »

Je souris. Ça n’expliquait rien du tout. Elle me chevauchait parce que je la laissais faire. Elle avait beau être musclée, je pouvais retourner la situation à n’importe quel moment. J’avais beau réfléchir, je trouvais que mourir en première ligne était stupide. Ça ne servait à rien. Ça prouvait juste que la stratégie était bancale. À quoi bon se battre ainsi ?

« Ça n’empêche que ces Anges ont quoi ? Dix-huit ans ? On s’apprête quand même à les envoyer chez leurs semblables pour qu’ils s’y implantent et les espionnent.
— Tu es naïf si tu crois que les espions sont tous des adultes. Justement, c’est rarement le cas. Ils commencent souvent dès l’enfance. Leur capacité à rester discrets prouvent leur talent. Seuls les plus forts survivent. C’est valable pour beaucoup de choses.
— Je ne suis pas d’accord. Les plus forts doivent aider les plus faibles. Sinon c’est de la cruauté.
— Lorsqu’un mouton dans le troupeau est malade, il ne faut pas le laisser dans ce troupeau.
— Tu penses qu’il vaut mieux l’éliminer ?
— Oui. Dans certains cas, aucun choix n’est possible. Il vaut mieux achever la bête pour l’empêcher de souffrir et de contaminer les autres.
— Sauf que la magie est là pour palier ce genre de cas. »

Il y eut un silence. Elle me regarda.

« Adam Pendragon, je préfère vraiment lorsque tu la fermes et que tu me prends.
— Excuse-moi d’être aussi bavard. » dis-je avec insolence.

Je n’avais pas envie d’en démordre. Je ne trouvais pas la situation normale. Il y avait des risques. Ces Anges pouvaient être découverts et envoyés à l’Agbara. Ils pouvaient être découverts et tués. Ils pouvaient aussi trouver la vie hors de Stenfek préférable et devenir des espions pour le camp adverse. J’avais du mal à faire le tri dans toutes les pensées qui me passaient par la tête. Je savais très bien que les espions commençaient jeunes, généralement. Kaahl en était le parfait exemple. Vu son état actuel, ça ne lui avait pas spécialement réussi. Je serais incapable d’espionner qui que ce soit. Je mentais que très difficilement.

« Qu’est-ce que tu fais ? » me demanda-t-elle.

Je venais de me redresser. Je la fixai, bien plus sombre que précédemment. Je calai un instant ma langue contre l’arrière de mes dents du haut, appréciant la pression pour une obscure raison. Je finis par sourire, avec la même insolence.

« Je crois qu’il est temps de te démontrer que tu n’es pas une si grande dresseuse de Bicorne que ça.
— C’est un défi ?
— Si tu le prends ainsi alors je suppose que oui.
— Je vais te faire passer l’envie de te rebeller. »

Et moi j’allais lui montrer que j’étais plus fort qu’elle. Seuls les plus forts survivent hein ? Je souris avant de lui attraper vivement les poignets. Elle essaya de se débattre mais j’accentuai ma prise, tout en pensant qu’au lieu d’envoyer ces Anges à des problèmes certains, c’était à nous de les protéger. Je n’aimais pas les Ailes Blanches. Ils étaient coincés, incapables de s’amuser vraiment, incapables d’aller dans l’excès. Comment pouvait-il comprendre le sens de la retenue s’ils ne testaient jamais l’excès, justement ? C’était parce qu’on buvait trop que l’on mesurait l’intérêt de se retreindre la prochaine fois. Pourtant, amour ou non, je trouvais le fait de les envoyer là-bas détestable.

D’un geste brusque, je la fis tomber sur le matelas. Je réunis ses poignets au-dessus de sa tête, les gardant liés d’une seule main. L’autre me servit à la positionner correctement. Cuisses écartées, je la regardai et souris.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu n’aimes pas le fait que je sois plus fort que toi ? »

Son regard était furibond. Je souris davantage et la lâchai. Je me relevai.

« Tu méditeras sur ça pour la prochaine fois : que ce n'est pas plus mal, parfois, que les plus forts acceptent de donner leur chance aux plus faibles, de les guider ou de les protéger. Parce qu’avec ta théorie, en tant que supérieur à toi, je pourrais te faire ce que je veux maintenant. Sauf que je ne suis pas comme ça et que je n’ai pas envie de l’être. »

Je me rhabillai et me dirigeai vers la porte.

« Bonne nuit. »

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