Blood - Priestess

Nimir bifurqua au premier tournant qui se présenta à elle avant de pénétrer dans la ruelle en titubant. La main en appui sur le mur de briques, la Réprouvée parvint à longer l’allée sur quelques mètres, jusqu’à ce que ses jambes, engourdies par la fatigue, finissent par flancher sous son propre poids, entraînant inévitablement le reste de son corps dans une chute des plus disgracieuses. Pendant que ses fesses rencontraient brusquement le pavé, un juron – qui ressemblait davantage à un grognement – trouva le chemin pour s’extirper de l’ouverture de ses lèvres ensanglantées. « Dreell! » Merde! Elle cracha sans la moindre élégance un mélange de salive et de sang poisseux qui s’écrasa par terre en produisant un son flasque et répugnant. Faisant abstraction au goût ferreux de sa langue, la jeune femme renifla bruyamment et manqua de s’étouffer à cause du liquide écarlate qui suintait des orifices de son nez. Écœurée, elle jura d’un ton virulent tout en essuyant, du dos de la main, le coulis rouge qui dégoulinait de sa face jusqu’à la pointe de son menton, avant de faire basculer sa tête vers l’arrière afin de la poser contre le mur, les yeux rivés vers les étoiles incandescentes du ciel nocturne. La Réprouvée, exténuée, laissa paresseusement sa paume enduite de sang glisser sur son ventre sans se soucier le moins du monde de la ligne vermeil qu’elle abandonnait sur le tissu de sa chemise. Nimir préféra plutôt écouter le tambourinement affolé de son cœur contre sa cage thoracique et le souffle haletant de sa respiration que s’offusquer de l’état plus que déplorable de son apparence. Il n’y avait pas grand-chose à sauver de toute façon. Elle ressemblait à n’importe quel imbécile qui, à défaut de bon sens, avait cru, avec toute l’arrogance dont il savait faire preuve, être en mesure de remporter un combat à mains nues contre un adversaire bien plus grand, fort et rapide que lui. Rien d’inhabituel en somme. Une soirée tout à fait ordinaire dans son registre. La leçon était même aussi douloureuse que les autres l’ayant précédées. Peut-être un petit peu plus. Qui sait? C’était difficile à évaluer lorsque l’intégralité de son visage la faisait atrocement souffrir. Pour tout dire, seul son orgueil l’empêchait de pleurer et encore, elle ne se rendait même pas compte que des larmes s’étaient suspendues à ses cils.

« Tu as une sale gueule Nimir. » La voix grave et ouvertement moqueuse de Koda perça les ténèbres avant que l’homme lui-même ne daigne apparaître devant la concernée. « Ta gueule. » Le Démon s’avança davantage vers la lumière pour venir se pencher au-dessus de la Bipolaire. Son ombre de géant semblait engloutir la petite chose qui gisait pitoyablement à ses pieds. « C’est comme ça que t’accueilles la personne qui vient t’aider? » - « J’ai pas besoin d’ton aide. » Grogna la Kirr’Saqhon en le foudroyant du regard. Le Vil se contenta de sourire. « T’es plutôt mignonne quand tu te mets en rogne. » - « Va chier. » Il éclata de rire. « C’est un compliment, le Chihuahua. » - « J’en ai rien à foutre de tes compliments. Et appelle-moi encore une fois le Chihuahua et je te casse les dents, c’est clair? » - « J’ai hâte de voir ça morveuse. » Sa part angélique devait avoir la mainmise sur son esprit, parce qu’elle lui aurait bien envoyé son poing dans la figure. À l'inverse, la Réprouvée, à bout de patience, jugea que s’énerver était une bien meilleure option. « Putain! T’es venu m’aider ou pas? » L’être démoniaque prit un air faussement étonné. « Je croyais que t’avais pas besoin de mon aide. » Nimir se jeta sur l’Enfant de Réprouvés dans le vain espoir de réussir à l’étrangler. Malheureusement, Koda parvint facilement à s’écarter de sa trajectoire en riant. Désormais face contre terre, la jeune femme se mit à gesticuler, proférant sa tirade d’insultes alors qu’elle tentait désespérément de se redresser. « Je jure sur l’honneur des Zaahin que je vais te buter! Tu m’entends?! Je vais te buter! » - « C’est juste une blague! Pas la peine de t’énerver. » Souffla le Démon entre deux éclats de rire, mais la Réprouvée ne l’entendit pas de cette oreille. Elle ne plaisantait pas. Elle avait seulement envie de lui arracher la langue. « Dégage avant que j’te crève les deux yeux. » - « Tu peux te lever toute seule ou je dois te prendre par la main? » Se moqua-t-il, ignorant délibérément les menaces de son « amie ». « Donne-moi cinq minutes et je te pète la gueule. » - « Comme tu veux. » Sur ces mots, le Vil rebroussa chemin sans la moindre vergogne, laissant la furie seule à son sort.  

Étendue sur les dalles de la ruelle, la Réprouvée finit lentement par sombrer sous l’influence du sommeil. Cela dit, lorsque ses paupières s’ouvrirent à nouveau, elle constata bien vite qu’elle ne se trouvait plus à Keizaal. Ni même sur les Terres d’Émeraude. Ou même un endroit qu’elle connaissait. La Kirr’Sahqon se releva brusquement sur ses pieds. « C’est quoi ce putain de bordel? » Combien de temps avait-elle dormi? Des heures? Des jours? Abasourdie, Nimir observa ce décor immaculé que la lumière du jour rendait presque impossible à regarder sans plisser des yeux. Elle aurait pu passer des heures à contempler, d'une expression ahurie et stupide, cette étrange forêt si le froid ambiant ne l’avait pas brutalement ramenée à l’ordre. « Dreell! » Merde! Jura-t-elle en serrant ses bras maigres autour de son corps frigorifié. Était-ce un rêve? Une mauvaise blague? La Réprouvée songea à Koda et aussitôt, elle se mit à voir rouge. Ce devait être lui non? Ça ne pouvait qu’être lui. Tout était toujours de sa faute. « KODA! » Commença-t-elle à hurler à pleins poumons. « Gowno! Mellemrum yu! Io weii yu dreh yu lus! » Enfoiré! Montre-toi! Je vais te faire ta fête! Elle enchaînait les insultes en Zul’dov tout en courant, au hasard, à travers le bois pour se garder un minimum au chaud, persuadée que le Démon, las d’entendre ses complaintes enragées, finirait par la ramener à la Capitale réprouvée. Néanmoins, faute de susciter la pitié de l’Enfant de Réprouvés, la jeune femme trébucha sur une caisse remplie de décorations scintillantes qui traînait sur le chemin, renversant tout son contenu dans la neige. Nimir chuta simplement à la suite des boules et des guirlandes. « Dreell… » Merde... Marmonna-t-elle après avoir recraché les mottes de neige qui s’étaient introduites à l’intérieur de sa bouche en tombant. « Sale journée de merde. »

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