Ces histoires d 'une famille

Il est de ces histoires qui se perdent dans les méandres des années, qui sont destinées à être oubliées de tous, d’enterrer un passé qui n’avait au fond, rien d’exceptionnel. Durant des centaines d’années, Je me suis efforcé de retrouver les membres de ma famille afin d’en constituer une archive aussi complète que possible. Petits ou grands moments, déclaration futile ou d’une grande conséquence, rien n’a été mis de côté. J’ai parcouru toutes les Terres du Yin et du Yang afin de retrouver mes semblables. Certains s’étaient exilés dans les endroits les plus sombres pour ne pas être trouvés, mais j’ai fini par en apprendre assez sur eux pour apprendre leurs histoires. Je ne fais pas ça dans le but d’embarrasser qui que ce soit ou pour faire revenir à la surface des histoires sordides. Non, mon but est simplement d’en apprendre plus sur eux, sur cette malédiction qui semble les avoir frappés durant plusieurs centaines d’années. N’ayant pas eu autant de connaissances que je l’aurais vu sur la famille de mon père, lui-même n’en connaissant rien, j’ai décidé de me lancer dans cette aventure d’archivage. J’espère pouvoir le transmettre aux générations futures pour qu’ils apprennent et s’inspire de toutes ces personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Et j’espère avoir la possibilité de prouver à ceux qui avaient perdu la foi en leur famille, à ces personnes frappées par cette tragique malédiction, qu’ils sont à présent libre de vivre sans que la crainte d’une quelconque possession ne pèsent au-dessus d’eux. Je transmettrai ces parchemins à qui bon me semblerait, à qui je trouverai nécessaire d’ouvrir les yeux. Si tu lis ces rouleaux, c’est donc que tu en avais besoin, que tu avais besoin de comprendre des choses, que tu avais besoin d’y voir plus clair. Prends-en soin et fais très attention, ces parchemins n’aiment pas l’humidité… Maintenant, laisse-moi te raconter nos histoires. Voilà les pensées d’une famille, parmi tant d’autres familles, qui n’a pas réussi à trouver sa place. Voici nos histoires.

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Zaanahir, Histoire I

« Tu veux savoir, ce que ça fait que d’avoir quelqu’un dans ta tête, qui te murmure sans cesse des atrocités à l’oreille ? Qui est toujours là, dans la moindre de tes pensées, à guetter des faiblesses les plus profondes pour les retourner contre toi ? Parce que c’est ce qu’il a fait. Pas une seule seconde il ne m’a laissé tranquille pendant des dizaines années. Pas une seule. Tu m’entends ! Il était toujours là, tapis dans un coin de mon esprit à attendre le bon moment pour m’assaillir. J’ai tenté de lutter au début, j’ai tenté de l’ignorer ou d’aller contre lui, mais il n’y avait rien à faire, je n’arrivais pas à la faire taire ne serait-ce que quelques minutes ! J’ai demandé de l’aide autours de moi, ma famille a fait tout ce qu’elle a pu, mais elle ne pouvait rien faire lorsque je me tapissais dans un coin pour me couper de tout. Au début, je me disais que cet esprit de malheur n’apparaissait que lorsqu’il y avait du monde autour de lui, mais je me suis rapidement rendu compte que la solitude était ce qui lui plaisait le plus : il pouvait me manipuler davantage et me pousser à… faire ce qu’il voulait. J’ai commis beaucoup d’atrocité dans ma vie : j’ai tué, torturé, manipulé, hommes, femmes, enfants, nourrissons, qu’importait tant que l’esprit voulait bien ficher la paix ! J’ai fini par en faire mon métier car c’est tout ce que je connaissais. Mes parents ont été tristes pour moi, mais il comprenait parce que Fehnzia n’avait pas plus réussi que moi à contrôler ces pensées dans sa tête. Tu sais, personne n’a cru que ça se transmettait, au départ : on avait simplement supposé qu’il me manquait des cases mais on a vite compris que ce que j’avais là-dedans, était la même chose que pour Fehnzia et ça s’est répété, encore et encore. Un héritage, une malédiction ou une coïncidence est-ce que c’est si important que ça finalement ? Je ne sais pas pour les autres membres de la famille, je m’en suis un peu éloigné il faut dire, mais cette entité à totalement détruit ma vie ou tout les rêves que j’aurais pu espérer. Elle m’a doucement amené sur la pente du déclin… Aujourd’hui, je n’y pense plus beaucoup, j’essaie de ne plus y penser, mais tu sais, des fois j’ai l’impression qu’il est toujours là. J’ai l’impression d’entendre sa voix. J’ai l’impression de sentir sa présence à côté de moi. Ce n’est que mon imagination évidemment, mais je me le suis traîné avec moi pendant si longtemps, qu’il a fini par laisser des traces… Je ne sais pas comment se débrouille les autres avec lui, mais je leur souhaite bien du courage pour s’en sortir. J’en étais arrivé à un point où sauter d’une falaise avait été une option très largement envisageable pour moi. Et puis du jour au lendemain, il a disparu. Du jour au lendemain il a été ruiné la vie d’une autre personne et m’a laissé seul. Assez paradoxalement, je prié pour sa disparition et une fois que c’était fait, je le maudissais de m’avoir laissé derrière lui, mais ça n’a duré qu’un certain temps. J’essaie de me reconstruire petit à petit et je t’avoue que je ne m’attendais pas à voir débarquer quelqu’un de la famille pour mon déterrer ce passé inavouable. Je ne sais pas si écrire mes mémoires est vraiment une bonne idée, mais je t’aiderai du mieux que je peux dans ta tâche et te répondrai de la manière la plus honnête possible, épargne-moi simplement mon absence de sourire. Ce ne sont pas des choses que j’ai l’habitude ou bien que je veuille raconter en général… Allons prendre un repas, ça me laissera le temps de réfléchir ce sur quoi je pourrais commencer. » Zaanahir, Histoire I

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Aléonor, Histoire I

« J’ai été heureuse, pendant de nombreuses et de nombreuses années, très heureuse, si bien que l’on aurait pu m’envier ma situation. Et ça a été le cas. J’en étais fière. À l’époque, on aurait pu m’accuser d’être vaniteuse et je n’aurais pas pu le reprocher. Vois-tu, ma famille venait de Lumnaar'Yuvon, des agriculteurs, extrêmement fiers de leurs plantations de blé et d’orge ; ils étaient réputés pour la qualité de la production sur une partie du territoire. Est-ce que j’appréciais cette vie ? J’en avais parfaitement horreur. Je détestais entendre que je devais me montrer digne de tout ce que mes ancêtres avaient bâti, que je devais être une Réprouvée forte, capable de prendre le relais du maraichage. J’étais entourée des représentants typiques de mon peuple : grands, musclés, taillées pour la guerre et les conflits. Manquant souvent d’intelligence lorsqu’un conflit qui pouvait se régler par de simples paroles, était mené par les poings. Loin de moi l’idée de dire que cela me déplaisait, j’ai passé de très bon moment avec certains d’entre eux… Mais le plaisir de la chair était suffisant à certains instants, ce n’était pas ce que je recherchais prioritairement chez un homme. Certains ont tenté de me charmer, à leur manière. Je les ai poliment éconduits, à ma manière… Il me fallait quelqu’un de différent, de particulier, quelqu’un que l’on ne trouvait pas forcément à Lumnaar’Yuvon ! Bref, je ne cherchais pas mon idéal sur ces terres. Arrivée à un moment de mon existence, et comme tous les Réprouvés, j’ai dû effectuer mon service militaire loin de ma famille qui n’avait qu’une hâte : que je revienne prendre le flambeau de leur exploitation. J’ai apprécié mon séjour à Gona'Halv, j’ai pu y rencontrer beaucoup de personnes intéressantes, qui m’ont beaucoup appris, avec qui je me suis liée d’amitié, je me suis particulièrement intéressée à un idiot. Ô, il n’était pas mauvais au maniement des armes, ils savaient les utiliser aussi bien que n’importe quel Réprouvé ; il n’avait rien d’exceptionnel mais il était dans la moyenne. Je me souviens qu’il était souvent la cible de moquerie dû à sa taille qui, malheureusement pour lui, était en-dessous de la moyenne. Mais il m’a immédiatement plu : cela fait en général parti de ces moments qui restent gravés dans la mémoire pendant très longtemps. Arrête de rigoler, tu comprendras quand ça t’arrivera. Je l’ai abordé, moi en première, pas lui car il n’avait qu’une seule idée en tête : terminer son service militaire au plus vite et s’installer à Stenfek. Je ne connaissais pas cette ville, mais il était persuadé qu’un grand mouvement s’amorçait : il m’avait parlé de contact, d’informations qu’il avait reçues. Une fois mon temps à Gona’Halv terminé, je l’ai suivi. Sans un regard en arrière, je l’ai suivi. Aujourd’hui, je me dis que cette décision a été prise d’une manière un peu hâtive, que j’aurais dû en informer ma famille mais je voyais le monde avec tant de désinvolture et j’étais tellement sûre de moi, que je nous croyais indestructible. Comme beaucoup de jeunes personnes je suppose. Je l’ai donc suivi à Stenfek, moi avec toute ma fortune, et lui avec la sienne. Même si ce mot était peut-être trop fort. Du temps a passé, des drames se sont succédés, mais je garderais ces détails pour une autre conversation si tu veux bien. Une fois… Toutes ces péripéties passées, je suis retournée vers parents, je leur avais rendu visite bien avant cela, mais j’y suis restée un temps et j’ai apprécié le soleil de Lumnaar’Yuvon, j’ai apprécié revoir d’anciennes connaissances et plus étrange encore, j’ai apprécié m’occuper de la récolte de blé ! Je ne souvenais pas à quel point les épis pouvaient démanger lorsque l’on s’en retrouvait couvert… Un jeu stupide maintenant que j’y réfléchi… J’y suis restée un certain temps et puis j’ai décidé de partir et de me refaire une vie : loin du tout, sur une terre qui n’appartient pas aux Réprouvés et dont je tairais le nom, je refuse que l’on m’y retrouve. Mais parle-moi de toi, jeune Eliosse et je continuerais peut-être mes histoires. » Aléonor, Histoire I

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Néok, Histoire I

« Je n’ai jamais aimé cette famille de tarés : un esprit qui entre dans ton crâne et qui te pousse presque au suicide, non mais tu y crois toi ? Tu crois que c’est normal ? Non ça ne l’est pas et le pire dans cette histoire, c’est que ma folle de mère me l’a fait payer ! Pendant des années ! Avant que je ne puisse m’échapper. Franchement, je ne sais pas ce qu’elle est devenue et je n’en ai rien à foutre. Elle pourrait bien pourrir dans le pire des enfers que je lui mettrais mon pied sur la face pour l’y enfoncer ! Qu’est-ce qu’elle a fait ? Qu’est-ce qu’elle a fait ? Mais ce qu’une mère peut faire de pire à son fils : elle m’a pris pour un pion. Un pion qu’elle voulait mettre sur l’échiquier politique. Pour quelle raison ? J’en ai aucune foutue idée, mais si je n’avais pas trouvé le courage de m’enfuir, je serais probablement encore entre ses griffes… Je n’ai jamais connu mon père, il semblerait qu’elle ait « répudié » selon ses termes. Pour quelle raison ? Je me pose encore la question aujourd’hui, elle l’aurait tué que ça ne m’étonnerait pas… Et elle en a bien profité cette garce. Je ne pourrais pas t’expliquer tout ce que j’ai subi, ce serait bien trop compliqué et long, et je n’ai pas envie de remuer toute cette merde. Même si j’ai plus ou moins réussi à passer au-dessus de tout ça aujourd’hui, ça a vraiment été la pire époque de ma vie… Elle me voyait comme le futur souverain de notre peuple, une vraie folle alliée ! Tu aurais dû me voir étant jeune, ça t’aurait suffi à comprendre que jamais, même dans mes pires cauchemars, je n’aurais pu, ne serait-ce que lâcher les pompes d’un roi. Littéralement. J’étais chétif, petit, pas très dégourdi, incapable d’utiliser mes dix doigts sans faire une connerie et elle pensait que je serais capable un jour de m’occuper d’une armée de gros bras avec un petit pois à la place de la cervelle. Maintenant je le prends à la rigolade et je pense que cette idée était complétement stupide, mais à l’époque, elle m’a traité comme un moins que rien, un capable. Tous les mots que tu veux. Elle m’obligeait à traîner dans une forêt, je ne sais plus où. J’aurais dû y foutre le feu tient… Dès que j’ai trouvé le courage, je me suis enfui, je me suis caché sous des masses de troncs et de feuilles en décomposition pendant plusieurs jours pour lui échapper. Ne crois pas que c’était une garce méchante mais dénuée d’intelligence, bien au contraire, c’était une experte quand il s’agissait de me faire vivre un enfer ! Bref. Une fois que j’y suis arrivé, j’ai rejoint le premier port que j’ai pu trouver. Je me suis démerdé pour me faire embaucher sur un bateau pour payer la traversée, et je suis parti sans un regard en arrière. J’avais moins de vingt ans. Il m’a fallu tout ce temps pour trouver du courage car vois-tu, ce n’est pas le fait de partir qui me freinait, non. C’était ce qu’elle me ferait subir lorsqu’elle aurait découvert que j’avais voulu lui échapper. Rien que d’y penser, bouh ! Ça me fait froid dans le dos ! Au début, j’ai regretté. Vraiment. Je me disais que finalement, c’était pas si mal avec elle, maintenant que je savais ce que c’était de vivre comme un péquenaud. Je ne suis pas allé à Lumnaar’Yvon mais à Sceptelinôst, ça a été bien plus simple pour moi de passer inaperçu, il a fallu que je m’adapte à cette ville. Mais crois-moi, je n’ai été tiraillé qu’un temps avant de vraiment me rendre compte que la liberté se trouvait dans les ruelles obscures de cette cité. J’ai fait un peu tout le boulot et je tairai celui que je fais aujourd’hui. Ce sera tout pour ce soir si ça ne te gêne pas. Peut-être que je serais plus d’humeur demain pour t’expliquer la relation tordue que j’avais avec ma salope de mère. » Néok, Histoire I

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