Objet : Réaction à Réconciliation et De l'amour j'ai toutes les fureurs

Ilias fixait le Miroir avec beaucoup d'intérêt. Les images et les sons qui en étaient tirés le rendaient curieux. Au moins, il ne pleurait plus. J’étais assis à la table du salon. La nuit était tombée depuis longtemps. Les habitants du château dormaient tous, sauf mon fils et moi. Lucius s’était rendormi, lui aussi. Je le regardai brièvement. Sa tête était calée contre une peluche en forme de dragon. Il ne la quittait plus et mettait souvent les pattes, les ailes ou la queue de l’animal dans sa bouche, ce qui rendait le nounours horriblement baveux. « C’est Laëth. » répétai-je à l’attention du petit Magicien que je tenais contre moi, à l’aide d’un unique bras. « Tu vois ? Elle va écrire une lettre. » Si je ne savais pas encore à qui, j’allais vite comprendre. Des lettres en Zul’Dov se formèrent sous l’action de la plume. Je compris les premiers mots sans grande difficulté. Le reste m’apparut indéchiffrable, à l’exception de quelques mots. Il était question de Yüerell, d’Hena, sa mentor, d’Ange, de Réprouvé et de Magicien. J’allais bien sûr traduire ce qu’elle était en train d’écrire mais plus tard. Pour le moment, je me concentrais surtout sur la jeune femme et son visage. Elle était expressive, si bien que la contempler revenait à lire en elle. Puisqu’elle se croyait seule, les choses étaient d’autant plus faciles. Les barrières qu’elle plaçait parfois entre nous n’existaient pas, actuellement. Le silence du salon n’était rompu que par les babillements d’Ilias et par le mouvement de l’une de ses mains sur le Miroir. Sous mes yeux, le visage de l’Ange se décomposait progressivement. Elle allait pleurer, bientôt. Ce n’était qu’une question de secondes. Je fis apparaître le monocle afin d’immortaliser les lignes, à raison. La plume ne tarda pas s’écraser sur le papier avec plus de force. Elle ratura les dernières phrases avec l'énergie du désespoir et des choses qui blessent. Le feu rongea la missive jusqu’à la faire disparaître totalement. J’inspirai profondément et laissai l’air ressortir de mes poumons dans un même rythme. Je fixai le bracelet qui entourait mon poignet, l’Anejka. Elle me l’avait envoyé plus tôt. Je lui avais écrit également, afin de lui reparler de son départ en en riant, sans entrer dans les détails de ce que nous nous apprêtassions à faire avant qu’elle ne disparût. J’avais fini par évoquer la présence de Sylbille Liddell à mes côtés, pour confirmer ensuite qu’il y avait eu bien plus de peur que de mal. Je n’avais pas voulu lui parler d’elle au début mais avais fini par me rendre compte que lui cacher cette vérité aurait de grandes chances de se retourner contre moi à l’avenir si elle rencontrait la concernée par hasard. J’avais simplement omis d’expliciter mon état corporel à ce moment précis, même si elle devait s’en douter légèrement.

Je me levai doucement, emportant Ilias avec moi afin de prendre de quoi écrire. Le nourrisson s’était mis à chouiner dès que j’avais fait disparaître le Miroir. Mes boitements eurent le mérite de lui offrir une autre source de curiosité, ce qui le calma rapidement, sans que Lucius ne se réveillât. Je revins m’asseoir et positionnai l’enfant de façon à pouvoir rédiger. J’aurais pu dicter des ordres à ma plumes ou utiliser la télékinésie pour cette tâche mais préférai écrire directement pour ce soir.

Laëth,

J’espère que tu ne me trouveras pas insistant de t’écrire encore alors que je n’ai pas reçu ta réponse. Je n’arrive pas à dormir et je pensais à toi. Je porte le bracelet que tu m’as offert et, pour être honnête, sa magie m’apaise autant qu’elle me trouble. Lorsque je suis seul dans mon lit à essayer de trouver le sommeil et que j’ai l’impression de sentir tes bras m’entourer, je dois avouer que ça ne m’aide pas du tout. J’aimerais que tu sois avec moi. J’espère que tes entraînements se passent bien et que la Terre d’Iyora se montre toujours aussi prometteuse. Ça ferait du bien à ton peuple de retrouver sa pleine liberté, un territoire à lui où vivre et s’épanouir pleinement. Je ne peux pas venir te voir pour le moment mais peut-être viendrais-je plus tard, si tu me le permets. Je ne voudrais pas te faire honte ou te mettre dans l’embarras.

Je souris.  

J’ai adopté d’autres enfants. Certaines procédures ont pris plus de temps que prévu, notamment pour Justinien. C’est un enfant qui a été trouvé seul dans la rue et, c’est bien normal, il a fallu ouvrir une enquête pour essayer de retrouver ses parents. Elle n’a rien donné donc, jusqu’à ce qu’ils se manifestent, il restera chez moi et portera mon nom. Je compte accueillir un dernier enfant chez moi bientôt, une petite Humaine. Ce sera plus difficile mais vu la situation que vit le peuple actuellement, je pense que ceux qui peuvent aider le doivent. J’ai les moyens de m’occuper d’elle et j’espère, vraiment, qu’elle pourra s’épanouir à mes côtés. J’ai acheté beaucoup d’ouvrages sur les us et coutumes de sa race. Je crois même être capable d’exécuter la danse du ventre maintenant.

Je ris. Absolument pas.

J’espère donc que mon dossier sera accepté. Le Ma’Ahid m’effraie un peu mais je m’acclimaterai. Bien sûr, je le redis mais ce sont mes enfants. Jamais je ne te demanderai de t’en occuper. Je ne veux pas que tu partes en courant parce que mon château tend à se transformer en salle de jeux. Nous pourrons toujours nous rencontrer ailleurs, même si Gustine n’arrête pas de parler de toi et de ta prochaine visite. Je crois bien qu’il te faudra rester au moins trente jours pour goûter tous les plats qu’elle a prévu de cuisiner pour toi. Je t’ai aussi prévu une surprise quand tu reviendras. J’ai dû me plier en quatre pour faire en sorte qu’elle soit réaliste alors j’espère que tu apprécieras. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas une demande en mariage, pas tout de suite.

Un sourire en coin éclaira mon visage. Je jetai un coup d’œil à Ilias. Il ne dormait toujours pas. Il regardait simplement les mouvements de la plume.

Je sais que je vais d’abord devoir te dévorer des yeux un certain temps avant. C’est normal. Je n’ai pas envie de précipiter les choses, surtout que j’ai conscience de ne pas être le meilleur parti possible. Je veux qu’on se côtoie assez pour que plus aucun doute n’existe dans ton cœur. Je désire m’engager à tes côtés pour pouvoir t’enlacer et t’aider tous les jours. J’ai envie de te rendre heureuse. En réalité, je pense que si tu ne veux jamais te marier, je l’accepterai. Il faudra simplement que tu viennes effrayer mes prétendantes. Sortir ton épée devrait suffire, j’espère.

J’imaginai un instant une Magicienne, en robe à crinoline, face à Laëth, en tenue de combat.

Les feuilles d’Æia donnent un thé délicieux. Gustine en est ravie. Moi aussi. Je t’envoie aussi des dessins des enfants de l’orphelinat. Ils n’arrêtent pas de parler de toi. La dernière fois que je m’y suis rendu, ils m’ont donné la trentaine de coloriages que je t’envoie. Si tu veux leur faire plaisir, tu pourras leur écrire un petit mot directement. Je te joins l’adresse exacte. Ce n’est pas obligatoire. Sache qu’ils t’ont érigée en véritable héroïne. Depuis que je leur ai dit que tu combattais les méchants et que tu explorais de nouvelles terres, ils se battent pour t’incarner dans leurs jeux. Une petite nouvelle, qui ne t’a pourtant pas rencontrée mais qui a entendu parler de toi, a même déclaré qu’elle voudrait être comme toi quand elle sera grande. Je pourrais te détailler leurs jeux durant des heures.

Je réhaussai Ilias doucement.

Je te trouverai un petit cadeau pour te remercier de celui que tu m’as fait. Sois forte, ne baisse pas ta garde et n'embrasse pas des Anges pendant que je ne suis pas là. Je t’aime.

Kaahl.