Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Grâce à ses pouvoirs de Conservatrice, Latone décide d'explorer le passé de Linos, afin de trouver une solution pour contrer l'influence du Bleu Roi.

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Zterbiuh'Oshi, quelques heures avant les glas de Zyurm.

" Donc… Ainsi soit-il. Tlaalee-Aan reposa sa chope sur le comptoir. La condition de défunt lui allait comme un gant, plutôt anodin pour un Chaman qui passât la majeure partie de sa vie à flirter avec la Mort, à défier les tribus pour sa Liberté faillible. C'était comme s'il était déjà en paix avant le soudain trépas. Latone resserra les poings sur le bar, suite à des ressouvenances de sa déculottée face au Bleu Roi. Sans Léto, elle n'aurait jamais pu riposter avec panache. Mais au fond, elle avait toujours su que la Chamane souhaitait ne récupérer que sa fille, aucune autre forme de gloire ne l'intéressait. Tout cela, la Souriante le lui laissait. N'était-elle au final qu'un présent pour la Marche Terne, une arme qui n'aurait pas dû prendre conscience de son importance ? Latone ne tirait aucune fierté de ce qu'elle redoutait, rien ne la tiraillait plus que de se redécouvrir, plutôt que de se découvrir. Ceci dit, peut-être que les complications ne feraient que commencer ? Tu ne l'as pas touchée depuis ton arrivée. Le vétéran désigna la boisson qu'on lui avait offerte, le nectar des défunts alcooliques.
- J'ai trop goûté à la Vie. Répliqua-t-elle simplement, les yeux dans les yeux. C'était comme si on la préparait au Grand Voyage, mais en sens inverse. Les Vivants ne connaissaient rien à la Mort, et elle, l'ombre d'un spectre, appréhendait la Vie au même titre. Ce n'est pas moi dans cette scène. Je me sens si… déconnectée, étrangère à tout ce que j'entends et vois. Elle a mon visage, ma… voix. Mais ce n'est pas moi. Noyée dans le déni, telle une enfant, Latone se refusait de croire en ce temps qui ne pouvait pas exister. Son statut d'anomalie prenait une tournure qui ne lui plaisait pas, comme si les événements lui échappaient totalement. Tlaalee-Aan soupira, plus de fatigue par rapport au tourment de Latone que par réelle lassitude.
- Léto et toi, vous portez le même visage. Il marqua une pause, il savait que conjecturer serait inutile, puisque l'Hozro avait les clés en mains et se refusait encore de les utiliser. Peut-être que vous êtes le fruit d'un secret qui nous dépasse ? Il but une gorgée, la dernière. Tu es le capitaine de ton existence, tu l'as toujours été. Est-ce que ce savoir servira tes objectifs, ou préfères-tu ne compter que sur toi-même ? Il se risqua à lui tapoter l'épaule, connaissant l'aversion pour le contact que possédait l'Esprit lorsqu'elle était dans ses états. Jamais tu n'as suivi nos avis, c'est ce qui te définit. Tu es têtue, bornée, et c'est grâce à cette mentalité que tu en es là : tu fais tes choix et tu en assumes toujours les conséquences. L'Hozro fixa l'un des rares Hommes qu'elle tenait en respect, mûrissant son prochain coup, consciente que le destin de plusieurs Âmes en dépendait. Surprends-nous, comme à ton habitude. Soit nous te maudirons, soit nous t'applaudirons. "

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Zyurm, durant les glas.

Les cloches sonnèrent au rythme de son pas hésitant. Aucun Esprit n'osa se présenter pour assister à la décision de la Conservatrice, comme si leur naturelle connexion les poussait à entreprendre ce respect religieux. Une intimité qui l'effrayait autant que cet autre côté du miroir. Latone traîna ainsi de la patte jusqu'au barycentre de ce palier, alors que le vacarme résonnant au-dessus d'elle pourrait presque la dissuader de poursuivre cette chimère. Cette fois, c'était l'Esprit qui était en manque de sa Chamane, si habituée à résoudre les épreuves ensemble. Mais finalement, tous le savaient déjà : c'était sa voie, celle que nul autre ne serait capable d'emprunter. Sans tergiverser davantage, Latone se prépara à ce voyage qu'elle n'oubliera pas de sitôt ; ses paupières se refermant sur les ténèbres de son essence.

" Vertigo ! Vertigo ! Vertigo ! " Les spectateurs de l'opéra la louèrent encore plus fort, l'intensité de leur bravo l'inonda dans un torrent de satisfaction. Elle leur offrit son sourire le plus éclatant et entreprit une série de révérences et de remerciements. Certains en redemandèrent encore, mais son heure était terminée. À regret, ses pas l'amenèrent hors de leur scène, saluant une ultime fois la foule avec sa main.

Soudain, Latone eut l'impression de plonger dans un amas compact, comme si des ombres visqueuses lui collaient à la peau et l'aveuglaient. La dernière fois qu'elle s'était ainsi servie de son pouvoir de Conservatrice, elle avait ressenti la même sensation, alors qu'elle se baladait dans les estrades de l'opéra, tel un Esprit en dehors de son corps d'origine. Malgré tout, elle sentit également qu'on la repoussait en dehors de cette brume opaque, et une lumière criarde lui tirailla la vue durant quelques secondes. La confusion s'estompa progressivement et elle crût entendre des voix, féminines, un mélange de tons juvéniles et de timbres ravagés par les affres du temps.

" Mes filles, prenez un moment pour féliciter votre sœur. Suite à sa prestation, les invités à l'Opéra Mehlio n'avaient que son nom à la bouche, pas même le ténor Atoh ne fit autant sensation. Tout le cercle féminin redoubla d'effort pour donner du corps aux ovations. Celles du public de Mehlio l'avait déjà ravie, mais les félicitations de sa famille symbolisaient beaucoup plus à ses yeux.
- Bravo Lola, tu es la meilleure ! Le public devait être en feu !
- Oh non, heureusement, je serai morte étouffée ! Déjà qu'il y avait une de ces odeurs dans la salle, je ne sais pas si ça venait des spectateurs ou d'un d—
- Lolaha, surveille ton langage. La mère de la troupe fut vindicative, peu encline à accepter ce type d'égarements de la part de ses descendantes. Lolaha se massa les cheveux pour se faire toute petite, mais ne manqua pas une occasion d'échanger un clin d'œil complice avec sa cadette. Lolaha… Se répéta intérieurement Latone, selon ces souvenirs ce nom devrait lui évoquer quelque chose, ou provoquer un déclic. Néanmoins, il n'en était rien. Pourtant, elle ressentait et vivait tout ce que cette femme traversait en cet instant gravé dans l'Histoire. Je vous rappelle que Ghydra sera présente, alors tenez-vous correctement. L'ensemble des filles acquiescèrent timidement, toutes respectueuses à l'égard de leur parent. Elles ont toutes les lèvres noires. Remarqua l'Esprit en se concentrant sur le maquillage particulier des sœurs, se demandant si c'était également le cas de Lolaha. Cette dernière balaya son regard tout autour d'elle, comme si elle cherchait quelque chose ou quelqu'un. Latone en profita pour tenter d'identifier les lieux : le groupe se tenait près d'une clôture, apparemment en pierres blanches, avec non loin une barrière à la fois imposante et ivoirine. Avec la vivacité de Lolaha, l'Hozro peinait à bien assimiler ce qu'elle voyait. Surtout, le paysage tout entier l'éblouissait, elle distinguait des bâtiments dont le caractère opalescent et sobre tranchait avec les rares tons colorés, principalement apportés par l'exubérance des passants. Latone savait déjà qu'elle peinerait à retransmettre toutes les informations qui lui sautaient au visage, malgré tout elle pourrait se contenter de dire que ces gens-là étaient l'exact opposé des Marcheurs. Et pourtant, tout autour d'elle, près d'elle ou au lointain, elle les entendait. D'où viennent ces chants ? Ces voix ? C'était comme si… l'air en était chargé, sans qu'aucune langue n'ait besoin d'être déliée.
- Mesdames Kirzor… Lolaha se tourna vers un homme, à la voix chaude et mélodieuse. Sa présence apporta un sentiment enjoué et général chez les filles. Je vous prie de me suivre. " Il offrit son bras à la mère et la fratrie leur emboîtèrent le pas.

Ils franchirent la barrière et Latone partagea tout autant l'émerveillement de Lolaha : ce lieu semblait être un parc, rempli de végétaux entièrement faits de cristaux ou ce qui pouvait s'en apparenter. L'Esprit remarqua alors que ce minéral était quasiment identique à ce plafond de glace, dont la pureté et l'allure céleste lui évoquait le ciel tout simplement. Pourtant dénué d'astres, son intensité décroissante lui faisait comprendre qu'ils plongeaient peu à peu dans la nuit. Au fil de leur promenade, la végétation éclatante grouillait de vie, une agitation qui intéressa les filles les plus jeunes. Lolaha distingua des silhouettes tapies dans les fourrées, avant que son inspection soit interrompue par l'arrivée d'une tierce. " Bonsoir, les filles. Les cadettes se précipitèrent dans les jupons de Ghydra, les plus âgées se contentèrent de salutations plus discrètes. Mère. " Celle-ci n'y répondit que par un hochement de tête, tant l'échange était froid. Lolaha songea à tout ce que son aînée avait traversé pour en arriver là, notamment en repensant à la mort de leur père. Ghydra ressemblait bel et bien à ses sœurs, Latone devina qu'elle devait faire partie des premiers enfants Kirzor. Néanmoins, elle semblait plus négligée, avec sa touffe brunâtre ébouriffée, ses lèvres dont le noir n'était guère aussi profond… Une sorte d'anomalie dans la descendance, que Latone imagina réelle étant donné les tensions installées entre la mère et sa progéniture.

La présence de Ghydra fut vite éclipsée par l'extravagance du guide, qui n'en ratât pas une pour être le héros de ces demoiselles. Il s'adonna à de fastidieuses explications sur le mode de vie des Kangelas, qu'il s'amusât à comparer à lui et ses confrères, des guides à la fois proches des Hommes et de leur environnement. Toutefois, il fallait pouvoir attirer leur attention, car un Kangela ne répondra qu'à l'appel d'une voix sincère. Le guide entreprit alors sa vocalisation. Lolaha jeta un regard en biais et nota l'éloignement de Ghydra, la jeune femme en profita donc pour se rapprocher, une intimité installée par l'artiste des Kangelas. " Tout va bien ? Sa sœur tressauta, ne s'attendant pas à ce qu'on vienne maintenant à elle. Elle lui rendit tout de même son sourire et hocha doucement de la tête.
- On laisse la vie filer à son allure. Tu ne t'intéresses pas aux boules de poils ? Lolaha contint son rire pour ne pas s'attirer les foudres de sa mère, celle-ci n'ayant pas remarqué leur cachotterie.
- C'est rare que nous soyons toutes réunies, exceptée notre aventurière. Je priorise les meilleurs moments, vois-tu ? Ghydra accepta la bonté de la cantatrice et l'invita à s'assoir sur l'un des bancs, elles savaient pertinemment que la venue des fameuses bêtes poilues prendra encore un peu de temps. Les deux sœurs se perdirent un instant dans un mutisme quelque peu gênant, l'attention attirée par la végétation environnante. Le guide commença à peine sa chanson.
- Il parait que l'Opéra Mehlio t'a acceptée ? Lolaha se tourna vers Ghydra, heureuse qu'on évoquât l'œuvre de sa vie.
- Ouais ! "Vertigo", c'est mon nom de scène. C'était ma deuxième prestation ce soir.
- Oh, j'ai déjà entendu parler de Vertigo. Félicitations, Lola.
- Ha, merci. Je suis contente qu'on entende enfin ma Voix ! Latone bloqua légèrement sur ce mot, comme s'il n'avait pas la signification qu'on lui prêtait…
- Ce jour devait forcément arriver. La sœur marqua une pause, consciente qu'elle troublait la chanteuse. Tu as toujours été aussi naturelle, comme si tu vivais avec Linos. Mais pour moi, contrairement aux Linèsiens, tu es capable de rythmer notre cité. Il suffit juste que tu sois entendue. Des rougeurs envahirent le faciès de Lolaha, tant elle ne s'attendait pas à autant d'éloges, de la part d'une sœur trop éloignée de leur famille. Latone ressentait cette chaleur, cet embarras.
- J'ai… toujours voulu qu'on m'entende, oui. Mais ce que je souhaite par-dessus tout, c'est d'ouvrir le cœur des gens. Parfois, j'ai l'impression que leurs Voix sont étouffées, qu'il manque… Enfin, qu'on casse la baraque ! C'est bien pour ça qu'on vit ici, non ? Ghydra approuva, son sourire trahissait son soulagement quant aux convictions de sa cadette. Cette dernière se retint de s'élancer davantage, consciente que si leur mère entendait son franc-parler, elle ne s'en remettrait pas.
- Peut-être… Ghydra fixa leur ciel, soupirante. Parfois, je songe à partir comme Cresrie… Lolaha repensa à cette jeune femme, que Latone identifia comme une autre sœur, selon ces portions de souvenirs.
- Cresrie n'est pas partie pour cette raison. Et… je pense que tu devrais rester. Cette affirmation attira le regard de Ghydra, touchée là où sa sensibilité était la plus forte. Même si Mère t'a rejetée, tu restes notre sœur, notre aînée juste en-dessous de la tyrannique Eposi. Ceci lui arracha un léger rire. Il n'y en a pas une seule parmi les filles Kirzor qui te déteste. Même si notre vie n'est plus la même, on finira toujours par se recroiser. Et un jour, Linos sera plus radieuse. Ghydra lui offrit un franc sourire, il lui sembla qu'elle était aux portes des larmes. Lolaha entrelaça sa main dans la sienne, soutenant ses propos. D'ailleurs, je rédige une chanson en ce moment qui…
- Les voilà ! " Les sœurs se levèrent lorsqu'elles entendirent les Kangelas pousser leurs petits cris, pour finir par se dévoiler auprès de la troupe. Lolaha et Ghydra se rapprochèrent ensemble, et Latone eut à peine le temps d'admirer les bestioles que les ténèbres s'abattirent sur ses yeux.

Plus rien. Que des ombres invasives, accolées au décor de Linos. Latone n'était plus capable d'entendre quoi que ce soit, exactement comme à l'Opéra. Son Esprit se faisait traîner à travers des pans de Linos qu'elle ne pouvait pas distinguer, elle n'entrevit que les premières marches de la cité au-delà de la première Porte, baignées dans une lueur purificatrice. Tout le reste, tout simplement, bloqué. Elle songea à cette piste et sut que cette scène-là ne lui fût pas dévoilée par hasard. Enfin, Zyurm reprit vie autour d'elle, les cloches muettes. Lolaha Kirzor, Vertigo.

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