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 La saison des amours [Livaï]

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Jeu 29 Nov 2018, 11:12

Je suis des yeux les clients qui entrent et sortent de la maison. Je lance un regard noir à l’un d’entre eux qui a posé le sien un peu trop longtemps sur moi.Je n’ai même pas le temps de le rejoindre pour lui casser les dents, il a déjà franchi le pas de la porte et disparu dans la grisaille de la rue.
Pour une fois, Menolee, qui est perchée sur le comptoir de l’accueil à côté de moi, ne parle pas. En revanche, elle tapote le bois de son ongle peinturluré en noir et le bruit m’agace. Je finis par me tourner vers elle.
-Tu peux arrêter ? je grogne.
Elle baisse son regard bleu vers moi.
-Quoi ? répond-t-elle d’un ton indifférent.
-De taper sur le comptoir, je grince.
Elle hausse les sourcils, ce qui a le don de m’irriter au plus haut point. Mais elle finit par hausser les épaules et faire cesser le bruit. Je souffle par le nez et me tourne à nouveau vers le hall d’entrée du bordel.
-T’as l’air nerveuse, ma poulette, s’élève alors la voix grave de Zora dans mon dos.
Je ne relève pas tout de suite et je sais que la Réprouvée m’observe en essuyant lentement un verre avec son torchon crasseux, ça me hérisse. Je finis par dire :
-Je vais à un rendez-vous arrangé cet après-midi.
Menolee tourne brusquement son regard vers moi, l’air halluciné.
-Toi ? lâche-t-elle, les yeux ronds.
Je me crispe un peu plus.
-Ouais.
Elle me regarde encore quelques instants, puis elle renverse la tête en arrière et éclate de rire.
-Anîhl veut trouver l’amour à Sceptelinôst ! glousse-t-elle en tapant dans ses mains et en agitant ses jambes qui pendent dans le vide. Ma pauvre, t’as choisi la mauvaise ville.
-Kaazin a raison, renchérit Zora en hochant la tête d’un air impassible.
Je m’écarte de Menolee qui fait trop de bruit et rétorque :
-Je m’en fous de l’amour. Un gars m’a payée pour rencontrer son ami.
Une fois de plus, Menolee hausse les sourcils. Un sourire de travers se dessine sur son visage.
-Si tu veux te faire de l’argent sur le compte de ton corps, tu peux aussi te faire engager ici !
-Il y a toujours de la place, ajoute Zora en attrapant un nouveau verre dans l’évier.
Je lâche un grognement menaçant.
-Je me prostitue pas. Je vais seulement discuter avec lui.
Le rire de Menolee reprend. J’ai très envie de l’encastrer dans le mur, elle se moque ouvertement de moi. Mais comme toujours depuis notre rencontre, quelque chose me retient de toucher à elle. Je me contente donc de la fusiller du regard.
-Le pauvre garçon ne sait pas dans quoi il s’embarque en voulant discuter avec toi, dit-elle entre deux hoquets de rire. Il va finir avec deux yeux au beurre noir. Ah, je donnerais tout pour voir ça !
Elle pousse un petit cri de réjouissance. Mes poings sont tellement serrés que mes jointures sont blanches. Je sais très bien que Menolee a de fortes chances de se voir donner raison et je suis déjà en train de regretter d’avoir accepté le marché de ce foutu inconnu ; on s’est heurtés dans le magasin alimentaire et il a été suffisamment habile pour que je ne m’énerve pas contre lui. Il a même réussi à évoquer son ami à la recherche d’une femme à marier et m’a proposé de venir à un rendez-vous arrangé. Je n’ai pas bien compris sa démarche et je n’ai aucune envie de me marier, encore moins à un parfait étranger – je n’en ai rien à cirer des relations romantiques – mais j’ai eu la bonne inspiration de lui demander une contrepartie à mes services et la chance inespérée qu’il accepte. Je n’y connais pas grand-chose à l’amour mais une chose est sûre, jamais ce genre de choses n’arriverait entre Réprouvés. Ce fameux Bélor est humain.
-En tout cas, si tu veux au moins faire une bonne première impression à ton rendez-vous, il va falloir que tu t’habilles en circonstance, s’exclame Menolee en me tirant de mes pensées.
Elle se laisse glisser du comptoir et se plante face à moi, mains sur les hanches.
-C’est hors de question, je grogne.
-Je t’ai pas demandé ton avis. Zora, tu as des robes à sa taille ?
-Bien sûr, répond la tenancière en posant torchon et chope vide pour nous rejoindre.
-Vous allez le regretter, sifflé-je en les voyant s’approcher de moi.
Je sens une terrible appréhension s’abattre sur moi alors que je croise le regard étincelant de Menolee.

Je jette un regard furibond à tous ceux qui le croisent sur le chemin. Je me sens à l’étroit et étouffée. Je déteste les robes. Je n’en ai porté qu’à de très rares occasions et ça s’est presque toujours fini en bagarre générale. Celle-ci est en outre décolletée. Et pourtant, c’est la moins déshabillée que Zora et Menolee aient trouvée dans la garde-robe. J’éructe intérieurement en ressassant la séance d’horreur que je viens de passer, « le bleu ça met tes yeux en valeur » « essaie de soigner ta posture tu ne veux pas ressembler à un charretier » je les déteste.
J’arrive devant le restaurant indiqué par Bélor. J’essaie de me souvenir du nom de l’homme que je dois rencontrer. Léo ? Lakavi ? Non, je l’ai, c’est Livaï.
Je regrette intensément de m’être lancée dans cette entreprise. Mais je pense à ma récompense et ça me rassérène un peu. Je pousse la porte du restaurant.
L’ambiance tamisée m’accueille et fait monter d’un cran ma nervosité. Le restaurant est dans une drôle de configuration, les tables sont alignées les unes derrière les autres et les hommes et les femmes sont divisés entre les côtés. Le plus étrange, c’est que tout le monde parle activement avec la personne assise face à soi.
Je scrute les visages masculins, à la recherche de celui qui corresponde à la description que Bélor m’a faite de Livaï. Je repère une tignasse de cheveux clairs au moment où le tavernier s’exclame :
-L’heure tourne, changez de place !
Je regarde avec des yeux hallucinés les femmes se lever docilement et se décaler de concert vers la droite.
-Vous faites partie de la rencontre organisée ?
Je sursaute, réalisant que le tavernier s’est matérialisé à côté de moi et me parle.
-Nous allons rajouter une chaise pour vous, renchérit-il sans attendre ma réponse. Avez-vous envie de commencer par un monsieur en particulier ?
L’information met un temps à atteindre mon cerveau, qui bout d’énervement et de panique. Je serre les poings.
-Madame ? répète l’homme, ce que je trouve extrêmement crispant.
-Lui, dis-je enfin en pointant celui que je suppose être Livaï.
-Très bien, ce monsieur a de la chance, commente le tavernier d’un ton hésitant.
Je lui emboîte mécaniquement le pas tandis qu’il amène une chaise devant Livaï. Je lutte contre une brûlante envie de tourner les talons et je finis par m’asseoir face à l’Humain. Les effets de son Ma’Ahid sont immédiatement perceptibles. Il y a un court flottement, durant lequel je combats une panique grandissante. Puis j’arrive à lâcher un :
-Eave. Euh, non, salut.

Zul'Dov :
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Mer 05 Déc 2018, 00:42

La soirée battait son plein. Non pas quelle était inintéressante, mais l’humain au crâne partiellement rasé commençait à trouver l’exercice ennuyant.
S'il n’avait pas perdu aux jeux contre son ami de longue date, si habile, pour sûr qu’il n’aurait jamais accepté pareil traquenard. Rencontrer des femmes à tour de rôle dans un temps imparti ne manquait pas d’ironie, lui qui ne trouvait jamais le temps se s’éterniser à leurs côtés, préférant sans doute fuir ce terrible ennemi qu’il redoutait plus qu’une lame effilée.
Bélor avait énoncé les règles de son gage en ces termes : Livaï devait jouer le jeu et rencontrer toutes les jeunes femmes de la soirée. Puisqu’il cherchait à l’aveugle une chimère, peut-être fallait-il l’aider un peu.
Cela changeait quelque peu des soirées habituelles. Pour une fois les femmes venaient à lui, dans un défilé sans fin et des présentations pour le moins inattendues. Comme cette Eversha tortue qui faisait glisser sans fin ses lunettes sur son nez pointu en ne cessant de répéter « Quel est votre nom déjà? ». Ou bien cette Rehla qui ponctuait chaque phrase d’un « je le savais », sans vraiment attendre la fin de ses réponses. Elles avaient toutes un intérêt certain, mais pas encore assez grand pour se démarquer du lot et donner à l’humain de quoi être sûr qu’elle était l’élue que Drejtësi avait placé sur sa route.
Bélor l’avait assez répété, chercher une femme sans visage, sans autre élément qu’une vague certitude serait une longue quête.
Livaï était un homme entêté qui, même sans aucune piste et autre idée que son rêve était une demande implicite de sa déesse, mènerait à bien ce défi jusqu’à réaliser son souhait. Sa foi en elle était si grande qu’il se moquait de passer pour fou auprès de ses semblables. Bélor pouvait étouffer ses rires derrière le comptoir en sirotant sa bière, cela ne le dérangeait pas. Pas même lorsque le maître de la soirée s’avança en interceptant la demoiselle qui allait s’assoir devant lui.
Vautré sur le dossier de sa chaise, un bras par-dessus celle-ci, l’humain ne put s’empêcher de lever tout de même un sourcil, interloqué par cette interruption.
La petite blonde qui allait prendre place avait pourtant des atouts intéressants et il se demandait bien quelles étaient les raisons de cette soudaine intervention. Il se redressa partiellement, prêt à demander des explications, lorsqu’il vit la jeune femme derrière le tavernier prendre place sur la chaise.
Le regard de Livaï trouva celui de Bélor, comprenant derrière son apparente hilarité qu’il avait pimenté le jeu à sa façon en trouvant le moyen d’interférer dans ce ballet de rencontres.
Livaï baissa légèrement la tête, étirant ses lèvres dans un large sourire à la simple idée qu’il devait sûrement s’attendre à tout. La situation amusait plus que de raison son ami et, le connaissant, il avait fort à parier que le « meilleur » comme le « pire » était encore à venir.
Pourtant, lorsqu’il releva son regard sombre sans vraiment changer sa posture, il s’étonna d’y voir une jeune femme mal à l’aise. D’instinct et intrigué, il laissa sa tête se pencher sur le côté en ramenant ses bras sur la table. Il la détailla de longues secondes avant de nouer ses doigts les uns aux autres pour se donner une certaine contenance.

_ Salut, lança-il dans un petit sourire.

Elle ne manquait pas de charmes, du moins pour un homme comme lui. Sa tenue laissait entrevoir des qualités physiques attrayantes, loin d’être les mêmes que celles de ses semblables croisées auparavant. Hormis peut-être le mastodonte à tresses, cette géante à la musculature outrageante qui, un peu plus tôt, avait brisé une table en réponse à un commentaire un peu graveleux d’un homme à une table voisine.

Dans une demi hilarité qu’il ne pouvait cacher, Livaï se redressa légèrement sur sa chaise sans quitter l'inconnue des yeux. Sceptelinôst était une cité des plus attrayantes mais les femmes qu’on y croisait pouvaient se révéler de redoutables créatures.
Avec flegme, il s’accouda sur le rebord de la table et reprit avec nonchalance :

_ T’es pas du genre à te chercher un mari, je me trompe?

Avant même qu’elle ne se sente offusquée par ses paroles, il soupira en tapant légèrement la table du plat de la main.

_ Je te rassure, moi non plus, avoua t-il sérieusement avant d’étirer ses lèvres. Je n’aime pas les hommes.

Livaï avait joué la carte de l’humour, du moins il tentait de la faire rire, elle qui avait l’air si raide sur sa chaise et un brin nerveuse. Quoi qu’avait pu promettre Bélor à cette femme, ce n’était pas une raison pour la voir se décomposer pour si peu. Avec lui, elle ne craignait absolument rien. L’humain ne comptait repartir avec aucune femme ce soir. Dès lors qu’il avait mis un pied dans la taverne il avait su, au plus profond de son être, qu’« elle » n’était pas là, sa quête, sa chimère, celle que Drejtësi voulait qu’il trouve pour d’obscures raisons. Qui était-elle? Femme ou enfant, il n’en avait aucune idée. Il se devait de chercher, d’embrasser sa foi, en croyant de tout son être que lorsque ce moment viendrait, il « la » trouverait, il serait frappé par la clairvoyance de sa si grande déesse.
Dans un sourire d’encouragement, il se recula en pressant ses mains l’une contre l’autre sous la table. Un soupir s’échappa de ses lèvres avant qu’il ne reprenne la parole à son tour, gêné d’avoir perdu le fil de cette présentation. Qu’importait les raisons qui l’avaient amené à s’assoir à cette table, il n’était pas de ceux qui pouvait se montrer grossier avec le sexe opposé et quant à être là autant jouer le jeu, qui sait cela pourrait se montrer intéressant.

_ Tu sais… ça va être long vingt minutes si tu ne parles pas. Si tu permets, je vais me lancer en premier… Je commence à être habitué, précisa t-il sur un ton légèrement moqueur. Je suis Livaï, je suis humain, éternel et ça j’y tiens ! précisa t-il non sans sérieux avant de pouffer. Et j’ai un sens de l’humour déplorable, mais… mais je sais me battre !!!

Il avait trouvé intéressant de le préciser, naïvement, comme si ce détail avait une importance. Mais, pour l’heure, il était le seul à faire la conversation et ne trouvait pas grand chose à dire.

_ Je sais… c’est pas terrible, mais crois-moi, faire un petit résumé vendeur, comme ça, à une inconnue, c’est pas facile, rigola t-il en pressant ses mains moites sur son pantalon.

Son regard charbonneux croisa celui de l’inconnue dans une interminable minute qui le motiva à annoncer sans réfléchir :

_ Je te prends au bras de fer quand tu veux !

Oui, Livaï ne prenait plus l’exercice au pied de la lettre, elle était si crispée qu’inconsciemment elle avait éveillé sa sympathie, le poussant à jouer les idiots pour la motiver à parler. Qu’importait la manière et la forme de la réponse, tant qu’elle venait vers lui et le libérait de ce silence oppressant.
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Mar 18 Déc 2018, 14:11

Le brouhaha ambiant remplit mes oreilles. Ma poitrine monte et s’abaisse à un rythme trop rapide. Je me sens comme un oiseau dans une cage. Qu’est-ce que je fais là ? Sortir d’ici sortir d’ici sortir d’ici, mais mon corps est paralysé et je ne peux bouger le petit doigt.
Comme derrière une vitre, la voix de Livaï me parvient, se distinguant à peine du tissu des autres sons. Je tourne le regard vers sa bouche, en quête de compréhension sur ses lèvres. Je ne comprends pas. Il bouge un peu. Puis il tape soudain du plat de la main sur la table. Le bruit, discret, me fait sursauter et brise la vitre entre nous. J’inspire profondément. Je suis reconnectée avec l’extérieur.
Livaï sourit. Il a dû dire quelque chose de drôle. Je reste interdite un instant, puis je laisse s’échapper un bruit qui doit ressembler à un gémissement d’épouvante. Je ne me souviens plus comment on fait pour rire.
Je parviens enfin à arracher mon regard de ses lèvres, qui étaient mon ancre dans la mer de panique. Je jette un regard nerveux à droite et à gauche de moi. Les hommes se ressemblent tous, les robes des femmes sont trop chatoyantes. Je me souviens de ma propre apparence et j’adresse une pensée agacée à Menolee. Visualiser son visage moqueur me rassérène un peu plus. Je suis à nouveau maîtresse de moi-même.
Livaï reprend soudain la parole et cette fois, je tâche de l’écouter. Il parle de lui-même, alors que je ne lui ai rien demandé. Je trouve ça étrange, mais c’est peut-être parce qu’il est humain. D’ailleurs, je ne savais pas que les Humains pouvaient être éternels. Je fronce les sourcils, prête à l’interroger à ce propos, mais il ne s’arrête pas de parler.
Mon regard se balade sur son visage. Il a des yeux sombres et perçants et des traits plutôt bien dessinés. Je m’attarde sur la peau claire de ses joues. Il a les tempes rasées et des longs cheveux châtains sur le haut du crâne. Son visage a du caractère.
Je me suis perdue dans ma contemplation et n’ai pas poursuivi la discussion. Je remarque seulement maintenant que Livaï n’a pas l’air très à l’aise non plus.
Je suis prise au dépourvu par son défi au bras de fer. Menolee ne m’avait pas débriefée sur les bras de fer en rendez-vous galant. Mais c’est dans mes cordes – c’est peut-être la seule chose qui soit dans mes cordes, ici.
Sans plus de cérémonie, je fais glisser mes fesses vers l’avant de ma chaise et pose mon coude droit sur la table, paume ouverte en signe d’invitation.
-J’accepte ton défi, dis-je,  portée par un soudain regain de confiance.
J’intercepte vaguement des regards surpris qui se posent sur moi mais je n’en ai rien à faire. Les autres individus dans cette taverne sont retournés au rang d’insectes dans mon esprit.
Livaï finit par attraper ma main. Pour la première fois, je le regarde directement dans les yeux et lance :
-À trois. Un, deux, trois.
Je contracte mon muscle et exerce une pression sur sa main. La résistance que je perçois chez lui déclenche une décharge d’adrénaline dans mon corps. Je ne peux empêcher un petit sourire de se peindre sur mon visage. Je me sens presque à l’aise.
Je n’ai pas envie de mettre fin à cette lutte tout de suite. Je me contente d’opposer la résistance nécessaire contre son bras. En revanche, je suis gênée par le tissu serré de mes manches.
-Foutue robe, je marmonne, avant de me souvenir que Livaï doit m’entendre.
À ce moment, le commentaire désobligeant de la femme assise à ma droite me parvient. Je tourne la tête vers elle. Elle me jette un regard de mépris en biais et se cache à moitié derrière sa main, comme si ça pouvait la protéger de moi.
-T’as un problème ? je lui crache.
Elle semble offusquée par mes paroles. Puis elle finit par répondre :
-Ceci est un lieu de rencontres galantes, pas une arène de combat.
C’est à moi de la regarder avec dédain.
-Est-ce que montrer tes seins à tout le monde c’est galant ? je rétorque en baissant les yeux vers sa robe jaune outrageusement décolletée.
Je vois ses yeux s’agrandir et ses joues s’empourprer mais je me suis déjà désintéressée d’elle. J’ai une brève pensée pour Menolee, qui aurait probablement essayé de me frapper pour m’être affichée comme ça, mais je n’ai plus la moindre envie de jouer la femme polie que je ne suis pas. J’expire bruyamment pour me calmer et relève le regard vers Livaï.
-Anîhl, lancé-je en guise de présentation. Pourquoi tu es immortel ?
Je sens la paume un peu moite de Livaï contre ma peau. Elle est calleuse, comme la mienne. Pas de doute, l’Humain s’est frotté au travail manuel. De toute manière, il a le regard de quelqu’un qui a vécu des choses pas faciles. Tous les Réprouvés ont le même, parce que la vie des Réprouvés n’est pas facile.
Je commence à avoir un peu chaud. Le bras de fer et l’ambiance excitée de la taverne y contribuent. D’un geste de ma main libre, je déplace mon épaisse tignasse sur mon épaule gauche. Menolee a tenté d’en faire une coiffure un peu sophistiquée, ça n’a pas été très concluant mais pour une fois je ne me balade pas avec un nid d’oiseaux sur la tête.
Je reporte mon regard dans celui de Livaï. Ses yeux sont vraiment aussi noirs que les miens sont clairs. Je les aime bien. Je continue donc à les fixer, luttant toujours de mon bras droit.

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Mer 02 Jan 2019, 16:45


Dans un hoquet de surprise Livaï s’était figé dans une expression frôlant le ridicule. La bouche de travers et les yeux grands ouverts il dévisageait la jeune femme, complètement sidéré par son audace. Bien qu’il était l’instigateur dudit défi, il ne s’attendait pas à ce qu’elle le prenne au pied de la lettre. Mais face à la détermination dont faisait preuve l’insolente inconnue et son petit air revêche qui n’en finissait plus de l’amuser, il finit par secouer sa tignasse en posant à son tour son coude sur la table.

_ Je vois, t’es du genre à aimer les rapports de force … Ça tombe plutôt bien, moi aussi, murmura t-il dans un sourire narquois.

Il attendit docilement la fin du décompte avant d’exercer une pression sur son bras. Surpris par la résistance qu'elle lui opposait, Livaï tira bien involontairement un peu plus sur ses zygomatiques.
Elle était décidément une surprise fort appréciable dans cette masse dense de prototypes conformistes en jupons. Cela avait un certain charme à ses yeux, qu’il s’empressa de faire pétiller de malice en l’entendant se plaindre de sa tenue.
Non sans effort, il mobilisa sa force pour attirer son attention sur le duel, alors qu’il sentait s'envoler la concentration de la demoiselle. Il n’avait que faire des autres autour d’eux. Livaï n’était pas du genre à s’inquiéter de l’image qu’il pouvait renvoyer à de parfaits inconnus. L’amazone au taffetas étriqué devant lui était de loin sa seule priorité, même les regards de Bélor n’avaient plus d’effet sur lui, comme si subitement il était seul face à « elle » dans le bruit assourdissant de la taverne.

_ C’est moi ton adversaire poupette ! la taquina t-il en redirigeant sa force dans son biceps pour la provoquer.

Elle résistait plus qu’il ne l’avait cru capable de le faire, motivant plus encore son instinct de guerrier à se montrer implacable. Elle était un adversaire de taille qu'il aurait sans doute pu battre si elle ne l’avait pas brusquement surpris par une question balancée dans une effarante candeur.

_ Pou … Pourquoi … articula t-il difficilement, étonné de son intérêt. En voilà une question qui ne manque pas d’intérêt …

Livaï sentit sa paume glisser dans celle d’Anîhl. Le tempérament impétueux de la donzelle aux mèches indomptables venait d’embrouiller son esprit. Comme s'il était incapable de faire deux choses en même temps, l’humain bredouillait nerveusement, hésitant à répondre ou bien à mettre un terme à ce déballage de force pour satisfaire sa curiosité.
Loin de la tablée qui attirait tous les regards et les chuchotements, Bélor,quant à lui, se délectait d'un pareil spectacle. Bien que les préliminaires duraient un peu trop à son goût, il détourna son attention vers l’homme qui s’était avancé vers lui.

_ Hey, l’ami ! Combien tu paries sur la fille? balança, goguenard, le tavernier dans sa direction.

Belor porta lentement son verre à ses lèvres, avec un étrange sourire qu’il étouffa bien vite dans une longue goulée. Il s’essuya la bouche en pinçant ses lèvres et s’accouda au comptoir dans une posture désinvolte.

_ Je parie sur l’abruti qui croit pouvoir tenir tête à une réprouvée, trancha t-il froidement en montrant Livaï du doigt.

Le tavernier frappa le comptoir du plat de la main dans un petit cri de joie.

_ Tenu ! Dix pièces pour la demoiselle au joli cul.
_ Tenu, répondit simplement Bélor en portant toute son attention sur l’improbable duo.

Toute la taverne observait à présent le bras de fer, dans une tension insoutenable qui avait passablement alourdi l’atmosphère déjà suffocante des lieux.
Pris dans ce duel de regards, Livaï ne quittait plus des yeux la téméraire et intrigante jeune femme qui résistait à sa poigne. Elle se mesurait tant et si bien à lui, dans une parfaite égalité de force, qu’il se demandait à présent s'il ne valait pas mieux la laisser gagner pour qu’elle se détende, plutôt que de prendre le risque de la voir se renfermer en cas de défaite. 
Non loin d’eux la géante aux tresses semblait s’agiter avec son nouveau prétendant. Elle se redressa brusquement en plaquant ses mains sur la table dans un bruit sourd qui fit se lever tous les visages vers elle.

_ Cette femme a raison ! Ne nous laissons pas faire mes soeurs !!! Ne subissons plus le dictat patriarcal oppressant de ces cloportes. 
_ Qu’est-ce qu’elle dit ? s’étonna, visiblement inquiet, le propriétaire des lieux et organisateur de la soirée.
_ Je crains qu’elle ne fomente une révolte ! précisa le petit homme à ses côtés.
_ Un révolte ? Mais… Pourquoi ?

Avant même qu’une réponse n’arrive, la bélua tortue avait sauté sur sa chaise en brandissant son corset fraichement arraché en guise de protestation.

_ Libérons-nous des discriminations physiques imposées par ces hommes. Bannissons le jugement esthétique qui opprime nos soeurs. Pourquoi faire des efforts pour plaire à ces goujats ?
_ Goujats ? rétorqua l’homme hilare en face d’elle. Si c’est se montrer honnête qui déplaît à ces dames … Autant donner de la confiture à un cochon.

Un léger silence plana dans la salle avant que les femmes ne répondent brusquement en s’érigeant contre les hommes devant elles. Peut-être était-ce le trop plein de réflexions mal pesées desdits mâles durant la soirée, ou peut-être tout simplement un malaise récurrent que la gent féminine semblait éprouver en temps normal qui les poussa à cette curieuse révolte, mais tout s’enchaîna subitement dans un joyeux bazar débordant de table en table dans un curieux effet de dominos.
Bouche bée, l’humain eut juste le temps de se lever de sa chaise et de tirer sa partenaire vers lui, qu’un homme percutait leur table dans une explosion de copeaux de bois.
Dans un éclat de rire et sans défaire leurs mains liés, Livaï attira habillement vers lui la jeune réprouvée. Debout en face d'elle, il la toisa dans un large sourire avant de la faire tourner sur elle-même et de l’attirer plus loin dans un semblant de tango.

_ Voilà une ambiance plus entraînante, clama Livaï en évitant une bouteille qui se fracassa contre le mur derrière lui.

Une jeune femme venait de se planter face à eux, armée d’un couteau, dans une curieuse vision qui n’alarma pas plus que cela l’humain qui se contenta de redresser du bout du pied une chaise renversée avant de la faire habillement glisser sur le sol, pour entraver le chemin de l’hystérique qui menaçait de se jeter sur eux. La demoiselle tomba alors lourdement sur le sol, tandis qu’un homme l’entraînait plus loin par les pieds.

Interloqué par la scène, Livaï fronça ses sourcils avant de croiser le regard d’Anîhl et de la faire tourner sur elle-même pour éviter toutes questions. Il la réceptionna contre son torse, toujours dans un tempo improvisé sur les cris et l’assourdissant bruit des altercations qui les entouraient et l’observa par dessus son épaule légèrement dénudée.

_ Je lui ai peut-être dit qu’elle avait une croupe semblable à un scute … 

Son sourire prit des allures outrancières avant qu’il ne se reprenne dans un petit air entendu.

_ C’était peut-être maladroit, confessa t-il dans un léger sourire. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir des formes dignes d’une vestale. Et je m’y connais en cul de vestale … pousuivit-il en lorgnant les formes d’Anîhl dans un regard appréciateur.

A l’autre bout de la taverne Bélor avait levé son verre juste avant que la géante ne frappe la tête d’un malheureux jeune homme sur le comptoir. Avant même que son attention ne se porte sur lui, il bougea son index en direction de l’homme qui se dirigeait droit vers elle et s’empressa de prendre ses distances tout en se dirigeant vers Livaï.

_ Quelle douce soirée ! clama t-il en évitant un couple en train de se tirer les cheveux. J’ai parié sur ta victoire. Tu t’en sens capable, ou bien faut-il parier sur ta charmante adversaire?

Livaï observa son ami avant de froncer les sourcils et poser son cul sur une chaise, entraînant Anîhl à faire de même face à lui. Il força alors sur ses biceps et lui adressa un large sourire.

_ Si tu gagnes, je répondrai à ta question ! Et ne parle pas comme ça de la demoiselle ! piailla t-il à l’intention de Belor tout en se concentrant de nouveau. Je ne veux pas la fâcher … Du moins, pas tant que je n’ai pas gagné ! finit-il en souriant de nouveau. Reprenons … Je suis curieux de savoir qui de nous deux peut battre l’autre.
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Ven 04 Jan 2019, 14:30

Livaï me tient tête. Il me tient pas beaucoup de bouts, d’ailleurs, il ne quitte pas du regard le mien et sa poigne s’est resserrée autour de mes doigts. Je sens mon bras trembler un peu, ce que j’essaie de cacher du mieux que je peux, mais de toute façon le sien tremble aussi légèrement. Il est hors de question que je perde. Ni le bras de fer, ni la bataille de regards.
Un bruit fracassant et des cris me font sursauter violemment et briser le contact visuel malgré moi. J’étais tellement absorbée dans notre duel que j’ai complètement oublié l’existence des gens autour de nous. Mon regard est irrémédiablement attiré par la femme énorme qui éructe à l’autre bout de la pièce, bientôt rejointe par d’autres personnes. Je n’écoute pas ce qu’elles beuglent, je suis juste irritée qu’elles fassent autant de bruit et qu’elles aient interrompu mon duel avec Livaï.
Penser à notre affaire rappelle la présence de sa paume dans la mienne. Je tourne mes yeux vers son visage mais à ce moment, les cris se transforment en chaos et un homme surgit de nulle part sous mes yeux à l’atterrissage de son vol plané. Tout arrive d’un coup et je me sens emportée par une secousse dans mon bras, je suis debout, je suis à côté de Livaï, il y a des gens partout autour de nous et ils se tapent dessus.
Je n’ai pas le loisir de m’attarder sur la scène. Livaï, qui a l’air de s’amuser beaucoup, lève le bras et me fait faire une pirouette ridicule, malgré la résistance que j’essaie d’exercer.
-Mais qu’est-ce que…
J’ai envie de regarder ce qui se passe dans la taverne, même si je n’ai pas compris pourquoi tout le monde se tire les cheveux, mais mon attention est absorbée par Livaï qui semble décidé à s’accrocher à moi. Complètement hallucinée, j’essaie de lui adresser quelques mots bien sentis mais à chaque fois que j’ouvre la bouche, il me fait tourner dans un autre sens, c’est frustrant et j’ai la tête qui tourne et je ne comprends rien à ce qui se passe – où est-ce qu’il vient de mettre sa main ?
Livaï me fait finalement atterrir contre son torse, qui est soit dit en passant beaucoup moins large que celui de la plupart des Réprouvés à Lummaar’Yuvon, et je lève un regard furibond vers lui. J’intercepte son regard. Il est posé sur mes seins. Je hausse les sourcils. Finalement, les Humains et les Réprouvés ont des points en commun.
Une voix vaguement familière me parvient. Je tourne la tête, enfin capable de fixer mon attention sur quelque chose. Je reconnais ce visage espiègle. C’est Bélor, celui qui m’a proposé ce stupide marché. Je n’aime pas beaucoup la manière dont il parle de moi. Je commence à être sérieusement agacée. Je n’ai pas l’habitude qu’on me traite avec autant de légèreté et ça ne me plaît pas.
Je m’assieds avec des gestes brusques en face de Livaï. Il roule des mécaniques, ça ne m’impressionne pas. Je plante mon regard dans le sien et roule des mécaniques aussi.
-Je vais te pulvériser, je marmonne.
Je tends le bras vers une table miraculeusement intacte au milieu du chaos et la tire vers nous. Puis je pose mon coude avec brutalité dessus. Je suis énervée. J’ai un peu envie de frapper Livaï et Bélor, mais j’ai surtout envie de battre le premier à plate couture à ce fichu bras de fer. Je n’ai jamais été aussi déterminée de ma vie.
J’attrape la main que me tend Livaï et cette fois, je lui serre beaucoup les doigts. C’est maintenant ou jamais. Je contracte mon biceps mais à peine avons-nous repris le duel qu’un individu heurte notre table et fait déraper mon coude. Je lève mon regard vers l’homme. Il titube et saigne du nez, son habit est déchiré par endroits. J’ouvre de grands yeux.
-T’es sérieux ? je m’écrie en me levant d’un bond. Je veux ma réponse à ma question et toi tu débarques comme ça ?
Furieuse, j’attrape son nez cassé entre le pouce et l’index et le tire vers un coin de la pièce sous ses gémissements. Je le lâche juste à côté d’une femme ébouriffée qui lui jette un regard un peu dément et s’approche aussitôt de lui d’un air menaçant. Je tourne les talons et me fraie mon chemin à l’aide de coups de coudes vers Livaï et Bélor. Je respire fort, encore sous l’emprise de la colère. Cet endroit m’est définitivement hostile.
-Sortons d’ici, je lance à Livaï. Je déteste cette taverne. Les gens sont fous.
C’est ce moment que choisit une dame pour enlever sa robe sous nos yeux en hululant quelque chose à propos de la libération du corps de la femme. Maintenant, j’ai vraiment envie de prendre mes jambes à mon cou, mais je me souviens que si je veux avoir ma paie, il faut que je reste avec Livaï jusqu’au bout. Je n’ai pas le choix, Bélor veille au grain.
-Allez, tu viens ? insisté-je auprès de Livaï en me penchant pour lui attraper la manche. T’en verras plein d’autres, des seins.
L’Humain finit par se lever et je le traîne hors de cette taverne. Je jette des regards noirs à tous ceux qui croisent ma route pour les dissuader de nous aborder – ce qui n’empêche pas une ou deux femmes de me dire qu’il faut que je prenne les rênes dans mon mariage.
-C’est pas mon mari, je grogne à deux ou trois reprises, tirant toujours Livaï par la manche.
J’atteins enfin la porte et l’ouvre avec soulagement. Dehors, il fait sombre. Le ciel s’est voilé en un rien de temps et les températures ont chuté d’un coup. Évidemment, il fallait que cette robe ne remplisse pas non plus la fonction élémentaire de tenir chaud.
Réprimant un frisson et de plus en plus maussade, je lâche Livaï et me tourne vers lui. Il faut que je finisse ce rendez-vous pour toucher ma paie. Allez, Anîhl.
-Tu veux faire quoi ? je lâche après un temps de réflexion. On peut marcher dans les rues, si tu veux.
Une goutte atterrit sur mon nez. Un instant plus tard, il pleut. Je m’entoure de mes bras, j’ai froid, je déteste la pluie.
-Ou bien on peut aller à l’intérieur, je marmonne. Je connais des gens qui tiennent un bordel. Je connais la planque d’un gang, aussi.
Je m’arrête.
-Mais on n’est pas obligés d’y aller, je rectifie après un instant de méditation. La planque pue, en plus.
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Dim 06 Jan 2019, 22:34

Concentré, Livaï acquiesça dans un sourire angélique. La demoiselle en face de lui n’avait plus l’air de plaisanter. Bien qu’il se demandait ce qui la motivait à se montrer si impartiale, il s’exécuta, tant par jeu que par envie. Cette irrépressible sensation qui gonflait ses muscles, couplée au fait qu’elle résistait tant bien que mal à la pression qu’il exerçait, le rendait curieusement euphorique. Anîhl s’avérait être une surprise qu’il n’attendait plus. Elle avait la fougue d’une jument indomptée et la force d’un homme, pourtant ses yeux brillaient d’un éclat familier qui finit par le déstabiliser, manquant de le faire céder avant qu’un lourdaud ne s’écrasa sur leur table.
Il fallut un certain temps à l’humain pour comprendre ce qui s’ensuivit. En tant que spectateur conquis, elle ne pouvait qu’avoir l’assurance de son indéfectible attention.

_ Tu l’aimes bien ? chuchota Bélor à l’oreille de Livaï, devinant les raisons de l’emprise dont il semblait être l’otage.

Le principal intéressé ne répondit pas tout de suite, préférant étirer lentement son dos pour mieux se vautrer sur sa chaise. Un bras par dessus le dossier, l’autre pendant entre ses jambes, il ne semblait plus vouloir décrocher son regard des plis tortueux de la robe satinée qui épousait si bien les formes d’Anîhl.

_ Elle est intéressante, s’empressa d’avouer Livaï en toussant dans son poing.

Dans un large sourire il balaya le sol de son regard sombre, avant d’arrêter sa progression sur le visage goguenard de son ami.

_ Tu avais une idée en tête en lui demandant de prendre part à la soirée ? poursuivit-il sur un ton détaché. J’aimerais bien que tu m’expliques …

Une femme débraillée arriva droit sur eux, obligeant Livaï à lever son bras d’instinct avant qu’elle n’exécute d’hostiles manoeuvres à son encontre.
Interrompue dans sa course, la Rehla le dévisagea d’un air grave. Son geste s’était suspendu face à l’irrévérencieuse manière de l’humain et, prête à lui faire payer son affront, elle descendit finalement son bras vers lui dans une magistrale claque qui raisonna dans le vacarme de la taverne.
La tête dévissée par l’agaçante jeune femme, Livaï n’esquissa qu’un sourire en guise de réponse.

_ J’imagine que je l’ai mérité, acquiesça t-il face au visage dubitatif de Bélor.
_ Que lui as tu dis?
_ Il n’a rien dit, mais son sourire m’insupporte
, vociféra la demoiselle en tournant les talons.

Bélor observa du coin de l’œil la jeune femme s’éloigner, tandis que Livaï malaxait sa mâchoire dans d’interminables bâillements.

_ Ces femmes sont complètement folles ! reprit Bélor. Peut-être devrions-nous rentrer … Il me suffit de la payer …

Les doigts de Livaï s’enroulèrent autour du poignet de son ami, dans un geste leste qui ne trouva d’explication que lorsque les deux hommes s’échangèrent un regard insistant.

_ Donne-moi ce que tu lui a promis … soupira finalement Livaï.
_ Livaï … tenta d’insister son ami.
_ Je ne ferai rien qui compromettrait ton devoir ici. Fais-moi confiance et donne-moi le dû de cette femme … Je m’en charge !

Bélor roula des yeux, sans vraiment chercher un moyen de réfréner les obscurs desseins de son si cher et si obstiné camarade. Il se contenta de glisser dans sa main la bourse d’argent, tout en levant les yeux vers l’indomptable inconnue qui venait de réapparaître à leurs côtés.
Sans un mot de plus il se recula, laissant l’espace à Livaï qui s’empressa de prendre ses aises en posant ses bottes sur ce qui restait de la table devant lui. Les bras derrière la tête, l’humain la toisait derrières ses prunelles sombres.

_ Madame en a termi …

A peine avait-il ne serait-ce qu’entamé un début de phrase, qu’Anîhl s’imposait dans un ordre des plus surprenants. Mille et une pensées traversèrent la cervelle creuse de l’humain qui se leva bien vite comme un automate, suivant l’élan cavalier de son interlocutrice. Il avait bien du mal à comprendre ce qu’elle comptait faire, mais l’envie de dissiper les mystères qui l’entouraient était si forte qu’il se retrouva très vite le bras tendu, tiré vers la sortie, dans l’impossibilité de contraindre la demoiselle à donner une explication.
Cela arrivait bien peu souvent, pour qu’il ne se réjouisse pas de cette situation en s’imaginant d’excentriques explications. Peut-être le trouvait-elle à son goût ? Ou bien peut-être était-ce une de ces coureuses de trottoirs aux mœurs frivoles comme il y en avait tant à Sceptelinôst ?
A bien des égards il s’étonnait que ce fut le cas et avant même qu’elle ne reprenne la parole sur le seuil de la taverne, il chassa de son esprit toutes pensées dégradantes.
Sous la pluie et les jeux d’ombres des torches, elle semblait à présent comme toutes les autres femmes, aussi fragile et déconvenue d’avoir attiré un homme dans son sillage. Cette vison figea l’humain dans un certain malaise qu’il tenta de dissimuler en se grattant la glotte. Il ravisa bien vite sa posture en s’accrochant à la devanture et se balança au dessus d’Anîhl dans un sourire charmeur.

_ Voyez-vous ça … La téméraire lionne frissonne comme un chaton à la moindre averse.

Avant même qu’elle ne se sente offusquée, il amorça deux pas sous la pluie et s’arrêta en étirant sa nuque dans la pénombre.

_ Je connais un endroit qui n’est ni un bordel, ni une taverne … On sera tranquilles et au sec, le temps … le temps de parler, précisa t-il dans un sourire enjôleur.

Sans attendre de réponse, il commença à marcher le menton baissé. Les mains dans les poches, il gardait à l’esprit qu’elle n’était motivée que par le gain et bien qu’il avançait en toute connaissance de cause, il ne pouvait y voir là qu’un moyen abject de s’octroyer sa compagnie.
Les doigts serrés sur la bourse d’argent dans sa poche, Livaï arrêta brusquement sa progression. Les yeux perdus dans le dédale des rues encombrées de marchandises, il soupira gravement avant de balancer son dû dans les bras d’Anîhl.

_ Tiens … C’est ce que mon ami t’a promis… Je comptais le garder encore un peu pour m’assurer de ta compagnie, mais il fait froid et tu es détrempée …

Avec son visage renfrogné il était difficile de juger de sa sincérité, pourtant Livaï n’avait jamais été aussi soucieux de paraître galant, comme il n’avait jamais autant haï son altruisme. Le regard partiellement caché par les mèches de ses cheveux, il détourna tout de même son attention d’un empilement de tonneaux, pour lui faire face dans un masque parfait de neutralité.

_ On peut toutefois poursuivre, souffla t-il finalement en tendant son doigt vers une échoppe prés des quais. L’homme avec qui nous avons fait affaires nous a concédé les lieux pour la nuit … C’est modeste, il n’y a pas de lit, pas de chaise ni de table, mais il y a de quoi faire un feu et pour discuter c’est pas si mal …

Ses lèvres s’étirèrent brièvement dans un regain d’assurance, qu’il chassa habilement en baissant sa tête juste assez pour s’assurer de toujours être la cible des prunelles brillantes d’Anîhl. Elle ne pouvait plus voir son sourire à présent, seuls leurs regards s’adressaient l’un à l’autre dans un interminable silence qui motiva subitement Livaï à reprendre la parole, après avoir brièvement essuyé le surplus d’eau qui inondait son visage.

_ Du moins le temps que l’averse se calme … C’est à toi de voir, annonça t-il comme une fatalité. Tu es la fille qui avait une question et je suis l’homme qui avait une réponse !
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Dim 03 Fév 2019, 15:59

Je marche dans le sillage de l’Humain en réprimant un vague malaise. Livaï a changé d’attitude. Il n’y a plus la même atmosphère de défi entre nous que tout à l’heure dans la taverne ; j’ai l’impression que le masque de l’homme s’est fissuré. Je ne suis pas sûre de vouloir savoir ce qu’il y a derrière. Mais je le suis quand même le long de la rue détrempée, sans protester – sans même réfléchir.
Brutalement, il s’arrête. Je sursaute malgré moi et manque de trébucher en stoppant à mon tour mes pas. Livaï se retourne, son visage est fermé, mon malaise s’accroît. Puis, soudain, il sort une bourse de sa poche et me la lance. Je la rattrape in extremis, prise de court par ce geste. Les pièces tintent lorsqu’elles atterrissent dans ma main. Je devine immédiatement ce que c’est, Livaï n’a pas besoin de le préciser. Bélor n’y est pas allé de main morte, le butin est conséquent.
Le sentiment de jubilation que j’éprouve au premier abord s’estompe cependant rapidement pour céder à nouveau la place au malaise. Un goût un peu amer se répand dans ma bouche, j’ai du mal à regarder Livaï dans les yeux. Cet argent ne me procure pas autant de satisfaction que j’aurais voulu ; je ne sais pas pourquoi.
C’est presque avec culpabilité que je fais disparaître la bourse entre les plis de ma robe. Une fois qu’elle n’encombre plus mes mains, je me sens un peu plus légère et je parviens à nouveau à regarder Livaï dans les yeux. Je suppose qu’il faut que je dise quelque chose, mais les mots ne me viennent pas, mon esprit est vide. Il pleut plus que jamais et j’ai froid, mais mes pieds restent ancrés dans le sol et je ne peux me résoudre à partir – pourtant, ma mission est finie, en principe, j’ai reçu ma paie. Je reste immobile et muette.
Heureusement, Livaï m’ôte la responsabilité de briser le silence et lance quelques mots d’un ton insondable que je ne lui reconnais pas. Je suis si déstabilisée par son attitude étrange que je mets un temps à comprendre ce que l’Humain a vraiment dit. J’ai l’impression que mon estomac descend d’un cran et mes yeux s’arrondissent. Je suis prise au piège par le regard brillant de Livaï. Merde. Il m’a battue à plate couture.
Je le fixe encore quelques instants, totalement dépassée par la situation. Puis les rouages de mon cerveau se remettent enfin en route. J’ai froid. Je n’ai pas particulièrement envie de retourner maintenant à la planque.
Je parviens finalement à détourner les yeux de ceux de Livaï et les baisse vers le trottoir détrempé. Les bras noués autour de mon corps, je hausse les épaules et marmonne :
-Vas-y, emmène-moi à ton échoppe.
J’emboîte le pas à Livaï tandis que le silence retombe entre nous. Je ne sais pas trop dans quoi je m’embarque, mais ma sensation de malaise s’est dissipée par magie et je ressens désormais plutôt une sorte d’étrange excitation.
L’échoppe est enfin en vue. C’est une minuscule bâtisse dont la lumière étouffée par la crasse sur les fenêtres peine à éclairer l’obscurité de l’extérieur. Je n’y ai encore jamais été et je ne tarde pas à comprendre pourquoi lorsqu’en y entrant, une entêtante odeur d’humidité et de poussière me saute à la gorge. Livaï m’entraîne vers une pièce à moitié cachée dans le fond de l’échoppe. La porte se referme derrière nous dans un claquement discret. La pluie n’est plus qu’une rumeur en arrière-plan.
Je scrute les lieux. Le plafond est bas, une unique lampe à naphte brûle encore et révèle vaguement les contours mal dégrossis de la salle.
Typique Sceptelinôst.
Après avoir fait quelques pas dans la pièce, je me tourne vers Livaï et lance :
-Et maintenant, on fait quoi ?
Les battements de mon cœur sont un peu accélérés par la situation. Le calme qui règne autour de nous et l’ambiance chargée d’intentions me pèsent sur les épaules et c’est une charge qui me panique mais qui me plaît un peu en même temps.
Pour me donner de la contenance, je me tourne vers la cheminée noire de suie et attrape quelques-unes des bûches entreposées à côté de l’âtre, puis les dispose au milieu des cendres. Je m’apprête à attraper mes morceaux de silex dans ma poche mais je réalise avec un grognement que je porte toujours cette satanée robe et que j’ai laissé toutes mes affaires utiles au squat.
-Bon, il y aura pas de feu, on peut continuer à se geler les miches, je jette par-dessus mon épaule à l’intention de Livaï.
Je ne sais soudain plus quoi faire. Ma tentative d’allumer un feu vouée à l’échec, je me sens brutalement ridicule. Je me relève un peu trop vite et me tourne vers Livaï. Un frisson violent me parcourt, de froid et d’autre chose. Mon rythme cardiaque accélère d’un coup et je sens des couleurs me monter au visage. Respire respire. Je tire sur mes étoffes, qui me collent à la peau à cause de la pluie c’est insupportable j’ai vraiment très envie de les enlever là tout de suite. Je réfléchis un instant à ce que je porte en-dessous. Mes bas descendent à la mi-cuisse et sont relativement secs. Je lance à l’intention de l’Humain en levant déjà les bras pour défaire la fermeture éclair dans mon dos :
-Je vais enlever ma robe. Elle est trempée.
Sans attendre de réponse, je fais glisser la fermeture jusqu’à mon bassin et tire sur les manches de la robe pour m’en libérer. Le haut de l’habit me tombe sur les hanches, révélant les tatouages et les opales sur mes bras, qui paraissent ressortir de manière presque exsangue dans la lumière tamisée de la pièce. J’ai toujours eu la peau anormalement pâle pour une habitante de Lummaar’Yuvon, mais en cet instant, elle paraît vraiment blanche à cause du froid.
J’émerge de mes brèves pensées et tourne mon regard vers Livaï. Je lâche :
-Tu peux répondre à ma fichue question, maintenant, je crois.
J’ai envie d’enlever mon corset également, cette chose est vraiment horrible à porter. Menolee ne l’a pas autant serré que ce que stipulent les règles de l’art, mais j’aurais séparé son corps en deux morceaux si elle avait essayé. En attendant, ça comprime quand même ma cage thoracique depuis le début de la soirée et je suis absolument certaine que je ne porterai plus jamais de corset.
Je tords mon bras dans mon dos pour tenter de défaire seule les lacets. Je m’y reprends à plusieurs fois sous le regard de plus en plus pesant de Livaï, sans succès. C’est très humiliant. J’ai énormément de rage contre ce corset. Je finis par baisser les bras et lève les yeux vers l’Humain.
-Je suis coincée, je marmonne d’un ton mortifié.
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Mer 13 Fév 2019, 13:59


Anîhl était une créature bien étrange. A bien des égards elle intriguait l’humain, qui persistait à chercher en elle une réponse quant à ses agissements. Il n’avait jamais vraiment côtoyé une femme comme elle auparavant. Elle semblait osciller entre deux façons d’être diamétralement opposées, lui conférant tantôt l’âme d'une jeune femme libérée, tantôt celle d’une demoiselle hésitante, tant et si bien qu’il n’avait pas su se faire une réelle opinion d’elle jusqu'à présent.
L’humain avait laissé la porte se refermer derrière eux. Il ne l’avait pas retenue, comme si ses bonnes manières étaient restées accrochées au seuil de l’échoppe. Il ne semblait déjà plus prêter attention au jugement d’Anîhl, lui laissant sûrement à penser qu’il se fichait éperdument de son ressenti à son égard. Pourtant Livaï avait de bonnes raisons de ne plus s’encombrer d’obligations formelles, ce n’était ni un manque de respect, ni une preuve de désintérêt de sa part. Elle ne l’avait pas encore remarqué mais l’humain était tout autant mal à l’aise qu’elle.
Si en l’invitant à s’abriter il n’avait eu de volonté que de la préserver de l’humidité, celle-ci s’était lentement éclipsée au profit de pensées bien moins louables. Chaque pas qui les avaient rapprochés de l’échoppe n’avaient fait qu’accentuer le doute qui s’était installé en lui.

Complètement perdu dans des limbes d’hésitations, Livaï ne releva que tardivement la première question d’Anîhl.

_ On fait quoi ? répéta t-il complètement hébété.

L’humain attendit qu’elle se tourne pour pouffer de rire. Elle était amusante et cette spontanéité dont elle faisait preuve était presque tout aussi touchante que risible.
Voilà pourquoi elle le rendait si nerveux. Cette jeune femme revendiquait une certaine forme de libération, elle s’assumait sur bien des aspects mais, sans crier gare, elle retournait sa veste offrant à l’humain cette déroutante candeur enfantine.
Il l’observa longuement s’affairer devant l’âtre de la cheminée, s’amusant encore de ses mimiques juvéniles et de son malaise qui n’en finissait plus de le faire sourire.

_ Laisse, reprit-il en s’agenouillant devant le foyer. Je vais le faire …

L’humain fouilla à son tour dans ses poches, d'où il sortit un ensemble d’accessoires qu’il s’empressa de positionner sur la dalle devant lui.

_ Tu sais … je ne vais pas te sauter dessus, souffla t-il l’air de rien. J’aurais trop peur de me prendre une raclée, rigola t-il finalement. Tu es un adversaire redoutable

Livaï s’était contenté de lui jeter un regard par dessus son épaule, pour s’assurer que ses moqueries ne l’avaient pas offusquée. Sans même attendre une réponse, il reporta son attention sur la lame d'acier dotée d'une poignée. Ses doigts s’étaient glissés à l’intérieur des deux cercles qui ornaient l’outil, lui permettant d’aller frapper une roche dure. Quelques étincelles explosèrent au choc du métal et du silex, enflammant partiellement l’amadou qu’il avait disposé au préalable près du foyer.

Avec précaution, Livaï souffla sur les flammes pour propager le feu avant de le placer sous un amoncellement de petit bois.
Les mains tendus au-dessus du foyer, il s’imprégna de la chaleur des flammes avant de reprendre la parole.

_ Ça devrait prendre … Le bois est plus sec que n…

Ses mots s’étouffèrent alors qu’il entendait Anîhl formuler une bien curieuse mise en garde.

Statufié, ne sachant pas vraiment comment agir face au culot et à l’audace de cette gamine, l’humain se contenta de détourner ses yeux en s’éloignant de la cheminée. Son corps, légèrement vouté, s’arrêta devant une fenêtre embuée, devant laquelle il s’installa en s’appuyant nonchalamment contre son encadrement.

_ La pluie va s’arrêter, annonça t-il banalement en croisant ses bras.

L’humain ne savait pas vraiment quoi dire, cette situation le dépassait, tout bonnement.
Tandis que, serrant sa machoire il s’insultait mentalement face à son manque de réactivité, la jeune femme donna une porte de sortie à son malaise, qu’il s’empressa de saisir en pointant du doigt le carreau embué.

_ Oui, la question ? Pourquoi suis-je éternel ? soupira t-il en terminant de tracer un symbole triangulaire. Eh bien … C’est une sacrée longue histoire en fait … Pour faire court, je suis allé dans l’au-delà et j’ai touché l’épée d’Ezechiel. Fou, non ? se vanta Livaï avec arrogance, dans un large sourire en direction d’Anîhl. La faute aux chamans, enfin, c’est grâce à une cérémonie spéciale que j’ai pu faire ce voyage et aussi à l’esprit de mon défunt père … Je n’avais pas compris ce qu’il attendait de moi … Je ne sais pas pourquoi je l’ai écouté cette fois, mais ça m’a plutôt bien réussi … Je n’avais aucune idée des effets que cela aurait sur moi. Je l’ai appris au fil du temps. Alors que tous les miens étaient frappés de vieillesse, je ne prenais pas une ride … Et quand bien même Utopia sombrait, que nos anges gardiens disparaissaient et que certains mouraient précocement, j’étais épargné.

Les paupières de l’humain étaient retombées comme un rideau sur ses sombres souvenirs. Il ne comptait pas s’alourdir de pensées morbides. Cette époque de sa vie était loin de lui à présent, le motivant à se retourner vers son interlocutrice en ouvrant ses bras. Les yeux grands ouverts, il lui adressait maintenant un large sourire.

_ Tu as devant toi l’élu des dieux, souffla t-il avec modestie.

Bien qu’il avait soufflé cela sur un ton faussement sérieux, il n’en espérait pas moins pour autant. Livaï avait toujours cru qu’il était spécial et que tôt ou tard son heure de gloire viendrait mais, à cet instant, ce n’était pas vraiment une demande divine qui lui était adressée ou bien quelque chose qui s’en rapprochait, compte tenu de ce qui pouvait en découler.
La tête penchée sur le côté il observa les contorsions grotesques d’Anîhl, avant de se résigner à l’aider. Il se plaça derrière elle, tout en prenant le temps de tirer sur les lacets, comme pour dénouer l’épineux dilemne qui s’était installé entre eux et malgré eux.

_ Qu’est ce que tu attends de moi Anîhl ? murmura t-il doucement tout en laissant glisser ses phalanges sur les flancs dénudés de la jeune femme. Tu ne peux prétendre ignorer ce qui anime mes pensées quand tu me demandes une telle requête … Alors quoi ?

Avec fébrilité, l’humain laissa son souffle descendre le long de la nuque de la réprouvée, tandis que sa main la libérait de l’oppressant carcan vestimentaire. Il ne la touchait pas vraiment, il ne faisait que l’effleurer, dans une sensation pénible que sa gorge se serrait.

_ Où nous amènes-tu ? Car tu es seule guide en ces lieux. Es-tu de celles qui prêchent le froid pour obtenir du chaud, ou bien de celles qui se jouent du chaud pour mieux glacer leurs proies ?
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Lun 18 Fév 2019, 00:03

Mes yeux rencontrent ceux de Livaï et y restent accrochés. La flamme minuscule qui s’y reflète trouve écho dans une chaleur qui monte dans mon estomac. Le contact dure quelques secondes ou une éternité, je suis sortie de mon corps je suis happée par mes sensations. L’Humain quitte le rebord de la fenêtre contre lequel il s’était accoudé et s’approche de moi. Chaque pas semble résonner dans mon ventre. Je baisse les yeux sur ses chaussures qui brillent sous le craquement des flammes et qui sont de plus en plus proches. Elles finissent par disparaître de mon champ de vision. Livaï est dans mon dos. Tout près. J’ai un peu envie de m’enfuir en courant. J’ai aussi envie de savoir ce qui va se passer si je reste. Je ne bouge plus d’un pouce. Ma respiration est en suspension.
Je sens une légère pression dans mon corsage et un chuintement discret vient donner la réplique au crépitement du feu. Livaï défait mes lacets. Une déflagration de glace et d’étincelles éclabousse mon ventre. L’Humain ne me touche pas mais sa présence est partout sur moi.
Le moment est une éternité. Le silence hurle à mes oreilles.
Mon buste est enfin libéré du corsage. Il se décroche lentement et tombe mollement à terre. La robe de lin que je portais sous mes épaisses étoffes se décolle de ma peau et flotte autour de mon corps en me donnant la sensation d’être plus nue que si je l’avais également ôtée.
Les mains de Livaï m’effleurent, la voix de Livaï s’élève. Elle me parvient de manière étouffée, je suis sous l’eau. Les mots ne font pas sens dans mon esprit, je suis prisonnière des sensations corporelles.
Son souffle caresse ma nuque. L’ensemble de mon épiderme se couvre instantanément de chair de poule.
Électrifiée par ce contact qui n’en est pas un, je relève la tête. Les mécanismes se remettent en route. Le flot des mots prononcés par Livaï franchit enfin la frontière de l’intelligible.
Je fronce les sourcils. Me tourne vers l’homme. Mes mains sont posées sur ses avants-bras, le contact ne me dérange pas. Son visage est au-dessus de moi et me renvoie son spectacle d’ombre et de lumière.
-Je n’ai pas bien compris ton histoire, dis-je.
Je regarde ses yeux noirs. Puis les tatouages tortueux sur ses tempes rasées.
-Ça fait quoi, d’être l’élu des dieux ? demandé-je.
Je marque une pause. J’ai désormais les yeux plongés dans les flammes. J’essaie un instant de m’imaginer ce que m’a raconté l’Humain. Puis je hausse les épaules.
-Les Zaahin n’ont pas d’élu, à ma connaissance.
Je n’éprouve pas grand-chose de plus que de l’indifférence pour les dieux des autres peuples. Les Zaahin ne s’encombrent certainement pas d’une colocation avec d’autres divinités. C’est pourquoi je n’accorde pas une once de crédit aux Aetheri.
Après une observation prolongée des flammes dans l’âtre, je lève à nouveau les yeux vers Livaï et m’arrête sur ses lèvres, les détaille, remonte vers ses iris. Ces dernières sont vraiment sombres, malgré la lueur qui y brille. Je prends soudainement conscience de mes mains, ecnore posées sur les bras de l’homme. Le contact ne me dérange toujours pas, il est même plutôt agréable. J’exerce une légère pression avec mes doigts. Je baisse les yeux, je veux regarder son corps.
Le silence a duré quelque temps. J’entreprends enfin de répondre aux interrogations fébriles de Livaï :
-Tu poses des questions trop compliquées. Est-ce que tous les Humains se posent autant de questions ?
Je peux sentir l’effervescence qui déborde de Livaï. Un pincement dans mon estomac lui donne la réplique. Mon souffle change de cadence. Je vois à nouveau ses lèvres.
Je n’ai jamais vécu de rapprochement avec un individu qui ne soit pas d’origine réprouvée. La sensation de nouveauté qui vient s’ajouter au reste est grisante. Je me sens sourire. Je me rapproche un peu du corps de l’autre, mes mains glissent le long de ses bras et trouvent ses mains.
Livaï sent le cuir, le soleil et la sueur, avec quelque chose de plus doux par-dessus. Je bats des paupières. Des vibrations délicieuses se diffusent dans tout mon corps. J’aime ce moment d’anticipation, cette suspension étouffée d’attentes.
Je laisse échapper un long souffle entre mes lèvres entrouvertes et ancre mes yeux dans les siens. Je crochète son regard, je suis hameçonnée par le sien.
J’attrape ses paumes et les soulève lentement jusqu’à mes hanches. Je les y dépose. Je recule de quelques pas, j’entraîne Livaï avec moi, je ne le quitte pas des yeux, je me sens parfaitement bien, je heurte quelque chose avec mon talon, un tintement étouffé retentit. Je baisse les yeux, rompant instantanément le contact visuel. Je sens un rocher tomber dans mon estomac, j’ai donné un coup de pied dans la bourse d’or, qui était à moitié dissimulée entre les plis de ma robe à terre.
Je sens l’ensemble de mes portes se refermer brutalement.
-Dreell, je marmonne.
Un mauvais sentiment m’envahit, le même que celui qui m’a prise plus tôt dans la rue lorsque j’ai eu cette bourse dans mes mains pour la première fois. C’est un sentiment que je n’ai pas l’habitude de ressentir de cette manière ; pas dirigé contre moi-même.
Je n’aime pas ça. Ce n’est pas une bonne chose. Je ne peux plus détacher mon regard de la bourse qui perturbe le paysage montagneux du tissu étalé sur le sol, ma respiration s’est accélérée.
Ce n’est pas bien. L’image de Menolee fait irruption dans mon esprit.
Je relève brusquement les yeux vers Livaï. Je m’exclame compulsivement :
-Je suis pas une prostituée.
Je reste égarée sur son visage, les yeux agrandis par la culpabilité.

Zul'Dov :
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Mar 19 Fév 2019, 15:40



Livaï avait attendu sa réponse en vain. La réprouvée n’avait pas daigné affirmer ou infirmer ses dires. Elle s’était contentée de se retourner face à lui avant d’entamer l’esquisse d’invisibles tracés autour de ses avant-bras. Elle n’agissait pas comme ces autres femmes qui avaient un jour partagé la couche de l’humain, tant et si bien qu’il se sentait légèrement perdu face à ses étranges manières.
Sa question le surprit, manquant de justesse de l’étouffer. La tête baissée vers le sol, il ne bougeait plus à présent, tandis qu’elle énumérait tout un tas de faits qui ne fit qu’accroître l’hilarité qui menaçait déjà de le submerger. Les épaules de l’humain sursautèrent brièvement, alors qu’il remontait son poing vers ses lèvres pour se contenir.
Il n’était nullement offusqué par son manque de discernement et encore moins par le fait qu’elle n’avait pas fait l’effort de le comprendre. Ce n’était pas ce qu’il attendait d’elle. Non, l’humain n’avait aucune intention vis-à-vis de la jeune réprouvée. En d’autres temps ou peut-être d’autres lieux se serait-il risqué à l’amadouer, mais pour l’heure il n’avait nullement l’envie de se frotter à une demoiselle si complexe qu’Anihl.

Pourtant, elle le surprit une nouvelle fois, alors qu’il ne s’y attendait plus.
Un sourcil plus haut que l’autre, Livaï l’observait à présent avec un nouvel intérêt.  Dans une reprise d’air qu’il avait jugé difficile, la jeune femme s’était risquée à une repartie. Bien qu’il n'eût plus d’attente la concernant, il ne put cacher sa déception lorsqu’elle s’empressa d’éluder le sujet en lui retournant la question.
A bout de patience, jugeant qu’un rapprochement serait suicidaire au vu de l’indécision de la demoiselle, l’humain se recula d’un pas. Arrêté net dans son élan par les mains de l’énigmatique réprouvée, il se laissa guider par ce nouveau rebondissement en se laissant ramener vers elle. Ses mains s’étaient nouées aux siennes pour mieux les amener à l’arrondi gracile de ses hanches, dans la curieuse impression qu’elle venait de prendre une décision qui n’était pas sans lui déplaire.
Pourtant l’humain hésitait encore, il la dévisageait avec insistance comme si cette situation n’avait pas lieu d’être. Les langoureux regards qu’elle lui lançaient criaient à une délivrance bien peu louable, alors que les tremblements de ses mains ne faisaient qu’accroître ce ressenti qu’elle n’était pas prête à franchir la barrière de l’interdit. Alors que fallait-il comprendre ? que fallait-il entreprendre ?

Elle était une mystérieuse créature aux énigmatiques desseins qui, comme il l’avait annoncé plus tôt, était, sans surprise, de celles qui prêchaient le chaud pour mieux glacer ses proies. Il l’aurait parié. Dans un nouveau élan à peine attendu, Anihl avait mit un terme au début des préliminaires qu’elle avait pourtant elle-même amorçés.

_ Ah ça non, souffla Livaï avec nonchalance.

Ses mains retrouvèrent une certaine liberté qu’il s’empressa de mettre à profit pour prendre un pieux recul. Les bras croisés sur son torse, il la dévisageait longuement avant de reprendre sans animosité.

_ Crois moi, une coureuse de trottoir ne ferait pas ce genre de choses et à vrai dire, précisa t-il non sans moquerie, certaines se sentiraient même sûrement insultées par ce petit préjugé. Non, pour être honnête, si cela avait été le cas, jamais je ne t’aurais payé avant … Question de principe !

Livaï se mit à pouffer comme s'il s’agissait d’une bonne blague mais, conscient qu’il pouvait avoir à faire à une demoiselle complexe et effarouchée, il se résigna à tempérer son humour.

_ Excuse moi, soupira t-il en passant nerveusement sa main derrière sa nuque. C’est juste que … t’es pas simple à suivre comme nana. Je ne suis pas du genre à sauter sur tout ce qui bouge et ça ne m’intéresse pas vraiment en fait,, avoua t-il dans un léger sourire d’embarras. Oh, ça ne veut pas dire que je ne suis pas capable de me montrer entreprenant, je sais faire, mais … mais je trouve cela un peu redondant. L’histoire de la meuf qui veut le mec, mais qui a des principes et ne veut pas souffrir ou je ne sais quoi … Non, j’ai déjà donné. Attention, insista t-il, ce n’est pas par manque de respect, juste que c’est voué à l’échec, du moins avec moi. Ce genre de situation compliquée, c’est tout ce qui me fait fuir. Enfin tout ça pour dire que si j’avais voulu te manquer de respect ça serait chose faite depuis longtemps. Je ne t’aurais pas traitée d’égal à égal dans la taverne en te proposant un bras de fer, je ne t’aurais pas donné ce que mon ami t’avait promis et je ne t’aurais pas proposé de t’abriter le temps que la pluie cesse. Anihl, souffla t-il dans un large sourire tout en passant sa main dans ses cheveux pour les ramener au dessus de son crâne, je ne sais pas ce que tu veux vraiment, mais ne te sens obligée de rien. On peut juste parler, rien de plus … J’aime les choses simples tu sais, enfin du moins si ça t’intéresse de le savoir, ajouta t-il en se moquant cette fois-ci de lui-même.

Dans un petit regard de côté, l’humain se laissa tomber en tailleur près du feu. Il étendit ses bras vers les flammes et retira à son tour sa chemise dans un mouvement ample.

_ Voilà, à égalité, railla t-il encore en contractant ses abdominaux.

Accoudé à son genou, il l’examina minutieusement avant d’étirer ses lèvres dans un large sourire.

_ Assieds-toi !!! Raconte-moi ce que tu fais dans la vie … puisque tu n’es pas une prostituée, insista t-il dans une expression espiègle. J’aimerais savoir ..
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La saison des amours [Livaï]

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