Post-scriptum : N’oubliez pas qu’il est de convenance d’apporter un présent à sa cavalière, peu importe les conditions de la rencontre. Un meurtre ne saurait ternir cette coutume. J’espère que vous comprenez.

Un petit sourire éclaira le visage d’Edelwyn. Elle se tenait assise en face de la glace de sa coiffeuse. Elle avait loué une chambre sur l’île de Dryagan où allait avoir lieu la soirée. Elle était en train de s’apprêter. La Déchue avait déjà glissé sa robe sur sa peau. Une douce sensation l’avait alors envahie, la caresse de la matière précieuse l’électrisant totalement. Elle avait choisi une couleur similaire à ses yeux. À vrai dire, elle avait acheté tellement de robes la veille qu’elle en aurait sans doute assez pour le reste de sa vie. Le Péché de Gourmandise lui semblait contrôlable mais elle n’était guère sûre d’en avoir envie à chaque fois. Il l’enivrait totalement. C’était comme si, pour la première fois depuis longtemps, quelque chose lui plaisait véritablement. Elle aimait dépenser son argent autant qu’elle aimait accumuler les objets. Plus que tout, elle appréciait observer la réaction des marchands lorsqu’ils comprenaient qu’ils pourraient s’offrir quelques jours de vacances ou, mieux, rembourser leurs dettes éventuelles. Il y avait ce petit côté grisant à en vouloir toujours plus et Edelwyn comprenait aisément qu’une fois qu’elle se serait habituée à ce nouveau paramètre, elle pourrait s’en servir au-delà de ses espérances. En attendant, elle profitait, se laissant glisser dans une irrationnalité qui n’avait aucune conséquence néfaste pour le moment. Ce qui l’effrayait, cependant, était un tout autre facteur auquel elle n’avait guère été confrontée depuis longtemps : ses sens. Tout ce qu’elle touchait lui semblait dangereux. Ses draps sur son corps paraissaient vouloir la caresser pour la tenter et la perdre dans des considérations qu’elle préférait taire. Elle détestait qu’on la touche, cela avait toujours été. Néanmoins, cette haine de l’autre et du pouvoir qu’il pouvait avoir sur elle n’avait jamais été aussi grande. Elle ne voulait pas que quiconque prenne des libertés et, heureusement, elle était de celles qui avaient le don d’éconduire les éventuels prétendants d’un simple regard. Elle pinça ses lèvres après y avoir apposé du rouge à lèvre à la couleur des cerises et sourit. Elle mit ses gants, fit couler quelques goûtes d’un parfum à la senteur poudrée au creux de son cou et se leva. Ses pieds glissèrent dans ses escarpins et elle attrapa une pochette dans laquelle elle avait mis quelques affaires sans grande importance.

Une fois dans le couloir, elle salua un couple d’un signe de tête distingué puis les suivit discrètement, flânant ensuite en direction de la grande salle où le bal avait déjà commencé. Quel endroit amusant, pour un crime. Le Dædalus devait la rejoindre mais elle ignorait quelle forme il prendrait. La nouvellement Déchue s’arrêta soudain. Quelques secondes passèrent avant qu’elle se mette à rire. L’homme mystérieux à qui appartenait cette demeure était également celui qui avait acheté sa dernière toile, visiblement. Elle qui avait pensé que l'Impératrice Blanche était la coupable ; elle s'était fourvoyée. Elle s’approcha et ne tarda pas à être rejoint par un homme qui la dépassait d’au moins deux têtes et demi. « J’ai toujours trouvé que le Maître du Jeu possédait un véritable don. J’aimerais beaucoup le rencontrer. Ce doit être un homme exceptionnel. ». « À qui le dites-vous. Je rêve de posséder l’une de ses toiles. Je ne connaissais pas celle-ci. Intéressant, ce seul vêtement cachant l’intimité du Monarque Démoniaque. ». Il acquiesça. « Pensez-vous que le peintre a souhaité se moquer de lui ? ». « Peut-être. Difficile à dire. ». Il y eut un petit silence où son interlocuteur semblait réfléchir. « À moins que cela soit une invitation à le trouver. C’est ce que j’ai toujours pensé de l’artiste. Personne ne le connait mais ce qu’il représente est soit une fiction, soit une vérité tellement embarrassante qu’elle crie aux représentés de se venger, s’ils le peuvent. ». Elle sourit. « Excusez-moi. » dit-elle avant de tourner les talons.

Edelwyn s’approcha du balcon intérieur qui donnait sur la salle de bal. Plusieurs couples dansaient déjà au rythme qu’imposaient de talentueux musiciens. Cela lui rappelait des temps anciens où, elle aussi, organisait ce genre de réceptions. Il n’y avait rien de mieux pour observer les jeux politiques et profiter de la situation. Qu’allait-elle faire, à présent qu’elle était Déchue et de retour pour de bon dans le monde des vivants ? Elle soupira, n’en ayant aucune idée. Jun ne renoncerait pas à jouer avec elle mais il avait fait en sorte de l’affaiblir. Elle ne pouvait plus voir ni les âmes ni les clepsydra. Les Esprits ne lui apparaissaient plus non plus. Elle ne pouvait rester dans le déni : il l’avait roulée et alors qu’elle se pensait importante pour ses projets personnels, il lui avait montré qu’elle était remplaçable. Maintenant, elle n’avait d’autres choix que de conquérir ce monde. Elle savait qu’il n’y aurait qu’en devenant Reine et en tirant de nombreuses ficelles qu’elle se protégerait de lui. Elle devait s’attirer les faveurs d’autres Ætheri qui empêcheraient la Mort de l’approcher, devenir un acteur économique puissant et un rouage incontournable de ces Terres.

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