Souviens-toi ˥


Le regard  levé vers le lieu de ce qu’il avait cru être sa délivrance, l’ancien Mage blanc s’abandonna à ses souvenirs. La seule chose qui lui restait. Peut-être y trouverait-il aussi la réponse à la raison de sa triste condition.

Il se souvint de son épouse. Maria. Un nom magnifique, comme son sourire. D’aussi loin que pouvaient remonter ses souvenirs, il s’était toujours vu passer le restant de sa vie à ses côtés. Il avait mis bien du temps avant d’avoir le cran de la courtiser. Mais ensuite les jours écoulés à ses côtés furent probablement les plus beaux à ses yeux.

Il se souvint de leur enfant. Un unique fils auquel il tenait plus que la prunelle de ses yeux. Un fils qui portait les traits de son père, mais qui avait tout le caractère de sa mère. Il l'avait vu grandir plus rapidement qu’il ne l’aurait voulu. Il l'avait vu partir alors qu'à ses yeux il lui semblait n'être encore qu'un enfant. Puis il l'avait vu revenir une damoiselle au bras. Il les avait vu se marier et les quitter à nouveau, vivre leur vie.  

Il se souvint de ses petits-enfants. Un jour il avait appris qu’il était grand-père. Il avait reçu un portrait de sa petite-fille. Ils avaient passés, lui et Maria, de longues heures à planifier leur voyage pour Vervallée. Ils voulaient rencontrer, connaître, cette enfant. Par deux fois ils avaient répétés ce rituel alors que deux autres lettres leurs étés parvenues à quelques années d’écarts. Et tout comme il avait vu ses propres enfants s’épanouir, il avait vu ceux de son fils grandir, trop vite à ses yeux, et vivre, comme l’avaient fait leurs parents.

L’homme tournait son regard vers l’entrée avant de s’y diriger. A nouveau il essaya d’en franchir le seuil, mais une force invisible le retint à l’intérieur. Quelque part il s’y attendait. Il se plongea alors une nouvelle fois dans son passé. Car au-delà de sa vie de famille, son vécu personnel et ses expériences passés avaient plus influé la route de sa Destinée qu’il ne l’aurait voulu. Poussant sa mémoire au plus loin qu’il le pouvait, il se remémorait les différentes étapes de sa vie. Ce qui avait fait qu’il avait été  lui.

D’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, il avait toujours habité Caelum. La seule fois où il avait quitté l’île c’était pendant ses études. Il se souvenait des problèmes que le monde avait vécus à ce moment-là. Il n’avait pas caché sa peur. Pourquoi l’aurait-il fait ? Ca n’aurait été que pur mensonge que de dire qu’il n’avait pas peur. Il avait peur de ne jamais retourner à Cael. Il avait peur car, finalement, il n’était pas certains qu’on attende son retour avec la même inquiétude que ses amis. Pourtant, lors de son départ du palais, il se souvint avoir eu un pincement au cœur. Après tout ils l’avaient recueilli, élevés et éduquer. Ils lui avaient offert un confort que tous rêveraient d’avoir. Son seul regret peut-être serait de ne pas avoir pu voir plus souvent sa bienfaitrice.

Il se souvint que le Magicien qu’il était avait commencé par vouloir jouer avec le feu. Une envie inconsciente, probablement, de ramener un peu de chaleur dans le cœur des gens, dû à ces événements qui secouaient le monde. Finalement il finit par s’intéresser aux vieux livres qui sentent bon la poussière et la moisissure. Un changement de vocation qui coïncida étrangement avec l’apparition de cet étrange individu. Edgard aurait aimé que cet homme ne se montre jamais pour dire vrai… Jamais de sa vie il ne s’était autant inquiété après ce jour.

Il se souvint de l’attaque des Démons, cette escouade qui avait frôlé les terres du Lac Bleu et la ruse déployée par l’Impératrice Blanche afin de détourner les êtres démoniaques, permettant à ses enfants d’échapper à un massacre. Il se souvint de son petit-fils, venu en Caelum, pleurer ses parents, noyés avec le Continent du Matin Calme ou portés disparus – depuis trop longtemps – après la folle attaque des Démons à travers le Continent Naturel.

Il se souvint de sa femme, effondrée en apprenant le triste de sort qu’avait subi le garçon tandis que les défenseurs fanatiques opposés au retour de Sympan avaient employés une méthode bien trop violente pour faire entendre leurs idées. Il se souvenait de la voir dépérir, incapable d’agir. Il se souvenait son regard, autrefois  si brillant et pétillant de vitalité, soudain recouvert d’un morne voile grisâtre et absent de toute émotion. Comme si son esprit était mort en même temps que leur descendance. Il se souvenait de ce matin où Ezechyel l’avait emporté, le laissant seul dans sa maisonnée.

Il se souvenait de ces  tristes jours qui avaient suivis. Il se souvenait avoir songé à une malédiction. Ca ne pouvait être que ça. Mais il ignorait qui, et pourquoi.  Il se souvenait de cette sombre idée qui avait commencée à germer en secret dans son esprit.

Il se souvenait du jour il s’était décidé à la concrétiser…