Soit les Zaahin avaient le sens de l'humour, soit ils étaient très aigris. Comment les avait-elle trouvés ? Il n'en avait aucune idée et cela importait peu. Le résultat était sans appel : l'initiation de leur partie de jambes en l'air prenait fin. La déception de Priam se manifesta avec une force physique épatante ; son corps abandonna l'effort. Il lâcha Za et commença à reculer alors qu'elle le poussait avec virulence. Il fronça les sourcils. Il n'y était pour rien ! Comment aurait-il pu deviner que sa sœur apparaîtrait au milieu du bois ? « Non mais Za... » débuta-t-il sans savoir comment finir. Il n'y avait probablement rien à dire. Rien qui pût la calmer, faire disparaître sa cadette ou remonter le temps. Laëth, en entendant la Réprouvée sortir de l'eau, avait retiré ses mains de son visage et croisé les bras. Elle la toisait de cet air méprisant et hautain qu'elle savait si bien prendre et que Priam exécrait. Il s'approcha de la rive et posa ses deux avant-bras sur l'herbe humide, poings serrés. Elle l'énervait. Par tous les Zaahin, qu'est ce qu'elle l'énervait quand elle se comportait ainsi ! Qu'est-ce que ça pouvait lui foutre ? Il n'allait pas mourir pour avoir pris un peu de plaisir. Et la déchéance... elle avait beau dire, il n'y avait rien qui appuyait ses propos. En tout cas, il n'avait pas envie de lui donner raison - la colère dévorait toute sa bonne volonté. « J'espère que tu es fière de toi.. » siffla-t-il tandis que la blonde ramassait ses affaires. Elle lui accorda un regard noir qui ne fit qu'enfler son irritation. Il lui en foutrait, des baffes, tiens.

Il n'avait pas prévu que l'action de Za serait dix fois plus jouissive. A terme, en tout cas. Ses mots le conduisirent plutôt à se taper le front du plat de la main. Certes, sa sœur pouvait être insupportable, mais en disant cela, elle n'arrangeait pas... qu'est-ce qu'elle n'arrangeait pas, déjà ? L'alcool lui faisait perdre le fil et la cohérence de ses pensées. Laëth afficha une expression contrariée. Il n'était pas difficile de deviner qu'elle faisait des efforts considérables pour se contenir. « N'importe quoi. » Elle voulut rajouter : t'es une traînée, mais pas à ce point quand même. Toutefois, elle n'eut guère l'occasion de s'exprimer. La clone d'Erza fondit sur elle et l'embrassa avec la brutalité d'un Goled. Qu'est-ce qui vous traverse l'esprit, dans ces moments inattendus et imprévisibles ? Au secours ? Sauvez-moi ? Les appels à l'aide de l'Ange, en général, ne faisaient que frapper sur le gong de son ire. Elle résonnait de plus en plus fort, dans un grondement sourd, profond et puissant. Priam observait la scène, bouche-bée. Pas une pour rattraper l'autre. Elles allaient finir par se battre dans la boue qui bordait le ruisseau, probablement jusqu'à ce que mort s'ensuivît. Rien qui prêtait à sourire. Pourtant, l'effarement passé, il sentit un gloussement monter dans sa gorge. Puis, il éclata de rire. Za était partie ; il ne demeurait que la brune, figée, horrifiée et énervée. Un véritable démon, qu'il ne parvenait pas à considérer avec sérieux - l'alcool avait tendance à lui faire prendre les choses beaucoup trop à la légère. Il se plia sur le rebord de terre, secoué de rires incontrôlables. La Réprouvée était formidable. Elle ne représentait sans doute pas son idéal féminin en termes physiques, mais elle avait l'art et la manière de faire des entrées et des sorties remarquables. Lorsqu'il parvint enfin à se calmer, il releva la tête et essuya les larmes d'amusement qui maculaient ses joues. Laëth n'avait pas bougé. Elle le fixait, les pupilles aussi tremblantes que ses mains crispées. « Ca vaaa, calme-toi, il s'est rien passé ! Toujours puceau ! » tenta-t-il de la tranquilliser en sortant de l'eau. « A ma plus grande frustration... mais on va dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres, hein ! Houlala ça tangue vachement, là, non ? » Un sourire idiot fleuri sur ses lèvres, tandis qu'il attrapait ses vêtements. Remettre son pantalon serait une épreuve à nulle autre pareille. Soudain, comme arrachée à de son immobilisme, Laëth se dirigea vers lui. En trois pas, elle fut sous son nez, et en moins d'une seconde, elle fut capable de lui asséner une claque retentissante - heureusement pour lui, elle était loin de disposer de la même force que leurs parents. « Eh ! » - « Rien passé ? Je... Tu... RAAAAAAAH ! » Elle frappa du poing contre l'écorce d'un arbre - Priam fut certain qu'elle s'était fait mal, mais la rage avait l'avantage de rendre les douleurs anodines. « Elle embrasse pas si mal ! » Quoi ? Elle avait gâché son après-midi - et l'avait peut-être sauvé de la déchéance, mais il n'était pas prêt à l'admettre -, elle méritait bien quelques taquineries. Lui ne risquait pas grand-chose. Il n'y avait pas que la colère qui anesthésiait : la boisson partageait cette vertu, en plus d'annihiler toute conscience du risque. « Je vais l'éclater cette salope ! Et toi aussi, putain ! Putain de merde ! Intenable ! C'est pas possible d'être débile comme ça, nom d'un cerfeuil ! Tu réfléchis des fois ou tu penses qu'avec ton dum ? » Son ton et la teneur de ses propos le dégrisèrent presque instantanément. « Laëth... » Il lui attrapa les poignets pour essayer de l'apaiser ; elle se débattit. « Lâche-moi ! » Des larmes de colère débordèrent des yeux de sa cadette, et une pointe de culpabilité serra le cœur de l'Ange. Il la lâcha. Elle s'écarta et lui tourna le dos. Elle inspira un grand coup pour essayer de se calmer - en vain. Son expiration fut tremblotante. « De toute façon, ça sert à rien que je te parle, tu dois pas comprendre un mot sur deux tellement t'es bourré. » - « ... » - « Je rentre. » - « Arrête un peu. » - « Fous-moi la paix. T'as qu'à aller la baiser, puisque ça la démange tant de se faire sauter, et puisque t'es apparemment pas né avec la bonne race. C'est vrai, quoi, le travail aux champs, ça attendra ! Puis ton avenir, ta famille, ta sœur, bof, on s'en fout. T'aurais dû être un Démon, tiens, ça t'aurait évité bien des soucis. » Sans lui laisser le temps de répliquer, elle fit volte-face et quitta la clairière. Sa colère n'avait été que la manifestation de ses peurs et de ses insécurités mais, déjà, elle s'en voulait d'avoir tenu des propos si durs. Il fallait qu'elle se défoulât.

Le soir, ils endurèrent le repas dans un mutisme pénible, masqué par la conversation de leurs parents. Ce ne fut que lorsqu'ils se retrouvèrent seuls dans leur chambre que Laëth se glissa dans le lit de son aîné, comme lorsqu'elle était enfant. Elle le serra dans ses bras et pleura jusqu'à être capable de prononcer le mot désolée. Et il pardonna.

FIN