Mancinia ouvre les yeux. Le ciel nocturne dominait le monde, une brise s'était levée au point de la contraindre à mettre un châle sur ses épaules dénudées. Sur ses genoux reposait Nibelungen. Elle tenait l'arme lorsqu'elle s'était effondrée, on l'avait laissé à ses côtés en venant l'installer ici. La personne avait dit qu'une Matasif sans arme ne pourrait pas se battre et, même si les Aetheri l'emportaient dans l'Au-Delà, elle ferait la fierté des siens. Si elle la connaissait, la jeune femme l'embrasserait. Malgré un long sommeil, son corps réclame de nouveau un endroit confortable pour s'y reposer. Elle se le refusait, résistant à l'appel des limbes en préférant observer l'agitation aux alentours de cet endroit. Ils étaient nombreux à s'être éveillés de cette léthargie et ceux ayant été envoyés à leur rencontre avaient réalisés une sorte de camp autour de la vaste pyramide où ils reposaient. C'était provisoire, mais nécessaire. Assise sur les marches de l'improbable structure, elle contemplait l'architecture aussi belle qu'imposante, la verdure environnante et l'ambiance étrange qui régnait. Tout n'était que bouleversements dans son esprit, le chaos régnait et la jeune femme avait besoin d'ordre. Un chant s'était élevé quelque part, reprit en choeur par quelques individus. C'était doux, apaisant. Il appelait à la miséricorde des Dieux avec force et tendresse.

Impossible de connaître ce que les Aetheri pensaient en cet instant, d'avoir remporter la partie ou l'avoir lamentablement échouée. Peut-être étaient-ils passés à autre chose ? Les dessins étaient trop grands pour en comprendre la réelle essence. C'était son choix que de suivre Drejtësi. Elle est une Aether. Elle est la Justice. Mancinia n'avait pas besoin de plus pour croire en elle, outre d'être la Protectrice des siens. Ceci dit, elle n'était pas certaine que cette présence invisible puisse balayer ses doutes et ses tourments. Une incertitude persiste dans son esprit depuis de longues heures, celle d'ignorer ce qu'il était advenu de ceux qu'elle aimait. Aurait-elle la force nécessaire de le découvrir ? Sans doute. En porter le poids était différent. C'était de ne pas savoir qui était pire que tout. Qu'était-il advenu de sa mère ? Elles célébraient un événement lorsque tout ceci s'était produit. Qu'était-il advenu de Mithra, qui avait pris peur quelques instants avant ? Qu'était-il advenu de Kamiya après sa chute ? Qu'était-il advenu des autres ? Qu'était-il advenu de Neah ? Mancinia sent quelque chose dans la poitrine, ce n'était pas de la douleur, seulement un mal à l'idée que ce dernier ne se soit fait tué. Si les Démons avaient pris la vie de nombreux de ses amis lors de l'assaut sur Utopia, elle les avaient aussi vus monstrueux au coeur de l'Edelweiss Enneigée.

À cet instant, elle savait que ce n'était qu'une partie des forces et que l'autre était à Stenfek, une dévastation que la Capitale des Réprouvés avait eu du mal à s'en remettre. Elle n'osait imaginer toute l'armée démoniaque au centre de la Citadelle Blanche, semant la mort parmi ce peuple. Il y avait de quoi avoir des frissons dans le dos. Neah, désormais, comprenait la peine de voir son peuple décimé, martyrisé et dispersé. Mancinia n'avait pas vécu cette horreur directement, mais en subissant les conséquences au quotidien. Si Neah avait survécu...Non. Il était vivant. Elle devait s'en convaincre tant qu'elle n'avait pas une preuve du contraire. Elle ferme les yeux, aspirant à plein poumon l'air frais, comme elle ne l'avait plus fait depuis longtemps. Se redressant, ayant besoin d'un calme plus profond que cet endroit pouvait lui offrir. Se relevant avec douceur pour éviter d'avoir la tête qui tourne, elle ne semblait plus réellement contrôler son corps affaibli. Cela lui demanderait du temps. D'un pas lent et mesurée, elle progresse vers ce petit endroit dont on lui avait indiqué le chemin vers un lieu de prière improvisé, un Temple dissimuler sous une large tente et regroupant les statues des Aetheri les plus vénérés des Humains. Y incluant désormais la lourde et grande qu'était celle de Sympan. Mancinia la regardait avec mépris, n'étant pas prête à lui accorder ses prières.

À quoi cela servirait-il de mentir au Créateur ? Tout don qu'il lui avait offert ne lui permettait pas encore de le vénérer. Ça aussi, cela lui demanderait du temps. Le temps nécessaire à comprendre ce qu'il était et ce qu'elle s'était refusé d'apprendre auparavant. Dommage. Si elle avait réellement apprit, peut-être que les choses auraient été différentes pour les Humains, ceux qu'on disait Enfants de Sympan ? Ce n'était pas une certitude, mais qu'importe désormais. Venir en ces lieux méconnus lui était étrange, se retrouvant devant une haute statue de l'Aether régnant à ses yeux en maîtresse sur le Temple. Elle ne savait plus quoi penser, seule dans ce vaste, sans un bruit aux alentours, le silence s'imposant comme une nécessité. Cet endroit l'avait appelé dès qu'elle avait connu son existence, sans jamais avoir pu y venir. Cette nuit, il était hors-de-question de laisser cela lui échapper de nouveau. Mancinia inclina la tête vers le bas, réalisant presque une révérence. Elle n'avait pas réellement prié son Aether depuis une décennie et elle se sentait redevable.

— Drejtësi.

Se redressant après quelques instants solennels, la jeune femme relevait son visage vers la représentation. Autour d'elle, plus aucun bruit n'est perceptible tant l'endroit est pieux. Pour autant, son regard reste rivé sur la belle statue, représentant l'Aether dans des traits sévères et figés, tenant une balance dans une main et une épée dans l'autre. Un calme fragile régnait ici, sans qu'elle ne soit une intruse en ce lieu, elle se refusait de briser la solennité de l'instant. Sans fermer les yeux, elle joint ses mains sur son ventre. Ce n'était pas un besoin de parler avec des mots s'enchaînant, seulement de la réflexion. Quoi que ce soit, Mancinia était persuadée qu'elle l'entendrait. Elle voulait apaiser les tourments de son esprit, se raccrochant à quelque chose qu'elle savait réel. Ce n'était pas anodin que les âmes tourmentées se plaisent à s'accrocher à quelque chose d'aussi immuable que les Aetheri. Si une chose n'avait pas changée en cette décennie d'absence, c'était bien la fidélité des Humains envers l'Aether de la Justice. Au fond, est-ce que la Justice existait-elle vraiment ? En quoi était-ce Juste que les Anges aient péri et que les Démons narguent ce monde ? Pourtant, elle était consciente que tout n'était qu'une question de point de vue. Elle était seulement ébranlée. Pourtant, leur Divine Protectrice la décevait. Sans doute son coeur était-il trop amer face aux derniers événements et qu'elle recherchait une coupable plus haut gradé que soit. Qu'elle soit punie pour avoir choisi le mauvais camp, elle l'acceptait, mais y avait-il une Justice a constamment se faire marcher dessus ? Mancinia avait fait des rencontres, découvert bien des choses et acquis une puissance unique. Peut-être pas aux yeux des puissants manipulateurs de magie de ce monde, mais aux yeux de sa race, sans doute deviendrait-elle une étrangeté. Ce don n'allait pas provoquer une dévastation considérable dans les rangs de leurs ennemis, mais elle préserverait les siens de bien des tourments.

Dans un trait d'épuisement, sa rancoeur fût abandonnée pour demander le pardon. Ce qu'elle ressentait était pourtant très clair au fond de son âme. Un courant d'air caressait ses bras, emportant quelques grains de sable qui ne devaient pourtant pas se trouver ici. Comment ne pas souhaiter ce changer les idées après avoir subi tant de révélations ? Mancinia avait été assez impressionnée de ce que la Reine Scylla avait accompli, c'est sans doute pour cette raison qu'elle souhaitait se rendre à Qaixopia pour plus de stabilité. Les changements trop soudains avaient tendance à lui déplaire, elle se refusait de suivre un étranger dans une contrée qu'elle ne connaissait pas. Elle se promettait néanmoins de découvrir ces autres Royaumes lorsque le moment serait venu. Ils étaient Humains. Ils étaient tous unis même en étant si loin les uns des autres. Cet instant d'apaisement ne dura qu'un instant. Un autre problème la rongeait, plus grand encore. Comment ne pourrait-elle pas comprendre la rancoeur des Anges présents aux Jardins de Jhen ? Les Démons étaient toujours les vainqueurs de l'Histoire et aucune autre race, soit disant bénéfique ou bien alliée, ne semblait avoir envie de leur régler leur compte. Jamais personne n'avait réellement aidé les Humains autrement que par pitié et, visiblement, les Anges avaient droit au même traitement.

Ce n'était envers l'Aether, qui avait été Juste avec les vainqueurs de la guerre, qu'elle devait en vouloir. Non, car étrangement, Mancinia se sentait trahie par l'Impératrice Blanche. Elle ne faisait que protéger son peuple en priorité, accordant l'asile aux derniers Anges et dissimulant de nombreux Humains sur ses terres. Par pitié. Elle ne voyait aucun acte de bonté là-dedans. Celle que l'on disait être la Magicienne la plus puissante n'avait rien fait contre le Monarque Démoniaque. N'en avait-elle pas les dons ? Même sans massacrer toute l'armée ennemie, n'aurait-elle pas pu simplement le contenir au loin avec l'aide d'autres souverains, comme eux-mêmes l'avaient-ils entreprit lors de la bataille de l'Edelweis pour protéger Earudien ? Elle-même aurait pu laisser la race des Ygdraës périr, mais cela ne lui avait pas semblé...Juste. Cela ne lui avait rien apporté, surtout que cette ancienne Capitale n'était plus. Ce que Mancinia trouverait juste désormais, ce qu'elle espérait, c'était que le vent tournerait et que ces peuples qui n'avaient rien fait se fassent massacrer à leur tour. Quand le moment serait venu. Et cette fois, elle n'interviendrait pas. À défaut, elle ferait tout pour venger les Humains. Elle se l'était promis lors de la Nuit Pourpre, dans Cael recouverte de sang. Ce serait elle qui tuerait Zane Azmog.

À ce moment-là, ils n'étaient tous deux que deux simples soldats. Il avait rapidement saisi sa chance pour s'emparer du trône et, elle devait l'admettre, c'était un méritant. Était-ce parce qu'à ce moment-là, ce n'était que Justice pour les Démons d'avoir quelqu'un comme lui au sommet de sa hiérarchie ? Pour autant, il pouvait être plus haut qu'elle, plus puissant et plus déterminé, cela ne l'empêcherait pas d'essayer. Et s'il ne périssait pas de sa main, Mancinia serait de ceux qui conspireraient à sa perte. Et elle ne doutait pas qu'ils soient nombreux. Mancinia pointa sur arme vers la statue.

— Vous avez reconstruit cette lance au Temple de la Justice pour que je puisse me battre contre le Mal qui agressait les miens. Je suis à mon tour en morceaux, mais mon combat ne s'arrête pas ici. Je ne renoncerai pas.

L'Humaine baissa la pointe de sa lance vers le bas, tenant fermement dans sa main cette arme devenue extension d'elle-même au fil des ans. Ce n'était pas une menace envers l'Aether, seulement une promesse. Pour avoir un miracle, elle ne devait pas attendre qu'il se fasse seul. Que le temps fasse son office ou que d'autres agissent en ayant ce même besoin de revanche. Elle devait en être l'instigatrice. Ayant toutes les cartes en main, ce serait stupide de ne pas s'en servir. Son voyage n'était pas terminé. Elle devait savoir ce qu'il était advenu des siens, réapprendre à vivre, voyager vers de nouveaux lieux et construire tout ce qu'elle pourrait pour la gloire des Humains et la chute de leurs ennemis. On lui avait pris tant de choses. Elle était déterminée à se venger. La Justice n'était que la face d'une pièce, existant sous de multiple forme et c'est une en particulier qui devenait son moteur. C'était nécessaire pour sa progression. En sortant de la large tente faisant office de temple miniature au coeur du Désert, Mancinia serrait son arme en contemplant les étoiles brillantes. Non. Elle ne renoncerait pas. Et que Drejtësi lui pardonne ses aspirations vengeresses qui la détournaient désormais d'elle.

— Si Luftë le souhaite.

1 955 mots