La silhouette passa une main fébrile sur la poche d'eau attachée à sa ceinture. Avec des mouvements lents, elle la porta à sa bouche et but quelques gorgés de cet or bleu... Elle savait qu'elle devait économiser ses provisions et pourtant, la soif et la faim la forçaient à l'imprudence. Parviendrait-elle jusqu'au prochain village avant d'avoir but toute son eau ? Pourrait-elle manger tous les jours ou devrait-elle amoindrir ses rations ? Elle aurait voulu ne pas s'occuper de ces préoccupations mais voir ses réserves diminuer à chaque fois la faisait angoisser. Elle avait oublié à quel point le desert pouvait se révéler cruel, lorsque l'on y voyageait seul. A quel point la morsure du soleil pouvait être éprouvante, et comment le froid pouvait vous saisir une fois la nuit tombée... Oublié. Un sourire amer se dessina sur les lèvres de la Voyageuse. Ne considérait-elle pas le desert comme sa propre maison, autrefois ? Si, elle avait longtemps cru avoir dompté les dunes de sable doré, avoir appris à trouver les rares oasis, avoir su apprivoiser cette terre hostile. Elle se rendait désormais compte à quel point elle se trompait. Elle s'était bercé d'illusions, car le groupe l'avait toujours aidé, mais désormais elle était seule, il n'y avait plus personne pour l'épauler... Un long soupir lui échappa tandis qu'elle rabattait son capuchon sur sa tête.
Babelda posa ses yeux verts sur la boussole qu'elle n'avait pas lâché depuis le début de son voyage. L'aiguille avait lentement glissé du rouge au noir, puis s'était éclaircit pour devenir gris, et finalement devenir blanche... Elle se rapprochait du but. Son coeur battit la chamade une fois de plus, tandis qu'elle regardait dans la direction que lui indiquait la boussole. Combien de temps lui faudrait-il pour retrouver sa destination ? Elle ne pouvait le prévoir. Elle craignait même de ne pas parvenir à reconnaître ce qu'elle cherchait le moment venu... C'est sans doute pour cela qu'elle se raccrochait à cette boussole pour retrouver son chemin, chemin qu'elle avait depuis longtemps perdu... L'enfant de la lune soupira à nouveau et se pencha en avant, se reposant sur le long coup d'Esm'Rah. Elle jetait parfois des coups d'oeil à la boussole pour s'assurer qu'ils ne bifurquaient pas, mais se laissait guider par le rythme lent et régulier de son destrier, qui la berçait peu à peu... Ses yeux se fermaient malgré sa volonté, elle remarqua mentalement qu'elle était sur le point de s'endormir, et c'est sans doute ce qu'elle aurait fait si une étrange apparition ne s'était pas manifesté.
"
Bon, maintenant, tu veux bien me dire pourquoi tu m'as traîné jusqu'ici ?" Babelda dû se retenir pour ne pas soupirer une nouvelle fois : s'il l'entendait témoigner aussi peu de plaisir à le voir à ses côtés, le génie pourrait bien décider de la bouder et de ne plus lui obéir aussi gentiment que ce qu'il avait fait jusqu'à présent. La rehla se força donc à se redresser et esquissa un maigre sourire. "
Ce n'est pas encore le bon moment." Le regard perçant de l'enfant des mirages la mit mal à l'aise. Allait-il sagement retourner dans son habitacle et attendre qu'elle le rappelle ? Elle ne croyait pas une seule seconde à cette idée. Allait-il encore insisté pour savoir ce qui l'avait forcé à faire ce long et épuisant voyage ? Plus probable. Mais pourtant non. Il se contenta de garder me silence et d'observer sa protégé. "
Quoi ?" demanda la brune, sur la défensive. "
Tu as encore plus mauvaise mine que dans mes souvenirs." En effet, de larges cernes violacés creusaient des poches sous ses prunelles émeraudes. Ses lèvres asséchées saignaient dès qu'elle ouvrait trop grand la bouche, et la peau de son visage avait commencé, en plus des rougeurs, à peler. "
Je ne dors pas très bien ces temps-ci." répondit-elle pour toute explication. Asgard réfléchit silencieusement. "
Plutôt étrange, pour quelqu'un comme toi." Babelda frissonna malgré la chaleur accablante. Cela lui faisait toujours étrange de savoir que son génie, pourtant guère plus intelligent qu'une huître, connaissait sa condition de rehla. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi sa mère avait décidé de le mettre dans la confidence.
Hésitante, Babelda soupira finalement. Ça ne servirait pas à grand chose d'attendre. "
Maman est en vie." Cette déclaration fut suivit d'un silence pensant. "
Tu as l'air sûre de toi." Babelda acquiesça. "
Je l'ai vue... Dans mes rêves." Asgard n'y connaissait pas grand chose aux rehlas, mais il avait finit par comprendre, en côtoyant Babelda, et sa mère avant elle, que les rêves qu'elles faisaient avaient souvent tendance à se réaliser. "
Est ce que Barnabé..." - "
Je ne lui ai rien dit. Je ne voulais pas le chambouler. Je crois que lui comme moi avons fini par penser que Mère était morte..." Sa voix se cassa sur les dernieres syllabes. "
Et ces rêves... Tu en fait depuis longtemps ?" - "
Environs un mois..." - "
Et comment sais-tu qu'elle est toujours en vie ?" Babelda garda le silence. Ulrich, un rehla beaucoup plus puissant qu'elle, et qui avait accepté de la prendre sous son aile, l'avait aidé à améliorer ses dons de rehla. Même si elle était loin d'être sans faille, elle était parvenu à acquérir une maîtrise suffisante pour pouvoir affirmer qu'Eärel était toujours en vie. "
Elle va simplement... changer..." - "
Changer ?" Babelda resta muette et se plongea dans ses souvenirs. Le génie, comprenant qu'il n'obtiendrait rien de plus pour l'instant, s'éclipsa dans son tableau.
Babelda avança pendant toute la journée. Par chance, elle croisa sur sa route un petit village, à moitié vide. Desert. Il n'y avait guère plus de quelques maisons et une sorte d'auberge, à laquelle elle s'arrêta pour reprendre des vivres, le temps que son dromadaire se repose. Une fois fait, elle repartit en route, ne souhaitant pas perdre de temps. La nuit tomba bien vite et Babelda dû faire une halte. Elle monta une tente de fortune et se débrouilla pour allumer un feu. Depuis plusieurs jours que son voyage avait commencé, elle avait fini par réussir à allumer ses feux presque à chaque fois. Elle mangea le repas qu'elle avait acheté un peu plus tôt puis, épuisée par la longue journée de marche, elle s'allongea pour la nuit.
•○•○•
La nuit était sombre. Seul un rayon de lune perçait faiblement à travers les barreaux d'une petite fenêtre, et il fallait attendre que sa vue se fasse à la pénombre avant de percevoir les formes sombres plongées dans la noirceur. On entendait le clapotis régulier des gouttes d'eau tombant en flaque, le bruit du vent s'engouffrent dans la cellule... Et les tremblements de son habitante. Elle était recroquevillée dans un coin de la prison, roulée en boule pour essayer de préserver sa propre chaleur corporelle, sans grand succès toute fois. Sa respiration résonnait en un sifflement rauque tandis que sa poitrine se levait avec difficulté. Elle n'avait guère plus que la peau sur les os, la malnutrition avait fait tomber ses longs cheveux blancs et son crâne était ainsi dégarni sur les contour de son visage anguleux. Sans doute avait-elle été belle autrefois, mais ses joues creuses et ses lèvres gercées, ses cernes profondes et les blessures qui marquaient son corps, tout cela avait détérioré son apparence autrefois enchanteresse. Elle était en vie, mais tout juste. On l'avait affaiblit au point qu'elle n'ait plus la force de bouger pour rien... Pourtant, malgré cette faiblesse alarmante, la lueur de ses yeux verts témoignait de l'étincelle d'intelligence qui persisait. On avait beau l'affamer ou la maltraiter, on n'avait put détruire son psyché. Ou tout du moins, pas son essence même.
La lueur d'une lampe torche attira son regard de l'autre côté de sa cellule. La silhouette familière d'un homme apparu. Elle ne pouvait voir son visage, caché sous un capuchon, mais ses deux yeux rouges luisaient. Elle frissonna en sentant son regard se poser sur elle. Elle redoutait ce qu'il allait lui faire, pourtant, comme à chaque fois, elle ne détourna pas le regard. Elle affronta celui qui se faisait appeler le
Prince. Les secondes passèrent, les minutes suivirent, sans que personne ne bouge, ni ne dise rien. La prisonnière remarqua tardivement que personne ne l'accompagnait ce soir là... Aucun garde pour assurer sa protection. C'était sa chance... Peut être, si elle parvenait à se hisser sur ses pieds et à s'approcher de lui... Si elle pouvait l'attirer et le mettre en danger...
L'homme fit quelque chose d'inhabituel. Au lieu de repartir sans avoir cherché à rien faire d'autre que la scruter, il sortit de sa poche une clé qu'il inséra dans la serrure. Il entra. La femme se recroquevilla davantage sur elle même en le voyant s'approcher lentement. Elle qui avait souhaité pouvoir s'en approcher pour le tenir en otage, voilà qu'elle regrettait ses pensées en le voyant venir vers elle. L'homme, une fois à sa hauteur, s'accroupit devant elle et, lentement, il vint cueillir son menton entre ses doigts, sans qu'elle ne puisse résister. "
Avez-vous peur de moi ?" La jeune femme ne répondit rien. "
Vous devriez... Pourtant vous ne baissez jamais les yeux... Est ce de la provocation ? De la fascination ? De la haine..." L'homme s'était tellement rapproché qu'elle pouvait désormais voir son visage... il était beau. Sublime. Pourtant, il l'effrayait. "
Je n'arrive pas à lire en vous. C'est assez contrariant... Mais bientôt, nous partagerons tout...Je saurais tout de vous, de vos moindres envies à vos plus sombres secrets..." Avant qu'elle ne comprenne ce qu'il venait de se passer, le vampire planta ses crocs dans sa gorge, et se nourrit abondamment de sa proie, qui essaya de se défendre vainement.
•○•○•
Babelda se réveilla en sursaut, la main serrée sur sa gorge, comme si c'était elle qui venait de recevoir la morsure, et non sa mère. Encore tremblante, Babelda regarda autour d'elle. Toujours déboussolée par son rêve, la rehla essaya de se remémorer ce qu'elle avait découvert lors de ses nuits agitées. Sa mère était toujours en vie. Elle était retenue prisonnière dans un cachot. Et, si ce n'était pas encore le cas, elle serait bientôt transformée en vampire.
Babelda n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps à ses problèmes. Au loin, des ennuis se profilaient.