Une immense forêt, semblable à celle que la nuit vient rendre effrayante et plus dangereuse encore. Une grande colline, semblable à celle dont l’on ne revient jamais. Cette grandiose demeure, surplombant le reste du paysage, comme pour s’imposer aux regards de ceux qui s’y aventurerait. Il y régnait une atmosphère à la fois attrayante, de celle dont il faut se méfier à tout prix, mais également mystérieuse. L’idée n’était pas réellement de moi, mais après tout ce qui s’était passé sur les terres, ou même dans ma vie, il devait y avoir entre les deux, un moment d’arrêt sur le temps afin de réfléchir. Lorsque la missive m’était parvenue, je n’étais pas prêt à lâcher mes problèmes aussi facilement, à partir et tout laisser comme tel. Témis m’y avait poussé, sentant l’instabilité d’Aglakh, se nourrissant inlassablement de tous mes à-côtés, prêts à exploser. Lorsque le bateau s’était éloigné du port, nous étions neuf à fouler le vieux bois du pont. Si j’avais été un tant soit peu présent, conscient, peut-être me serai-je posé la question : Pourquoi nous ?  Pourquoi dix ? Pourquoi maintenant ? Mais la réalité résidait dans cette fatigue qui alourdissait mon corps et mon esprit. Survivre était un combat de tous les instants, il n’y avait pas de moment propice pour se reposer, pour arrêter de se battre un bref instant, le temps de respirer une courte durée. La méfiance avait cela de mauvais de briser un cercle d’hommes, ou de femmes, sur lequel somnoler lorsque tout devient plus instable. Le manque d’un pilier nous rend arrogants, destructeurs, conquérants et ambitieux. Il est faux, mais également vrai, de dire que plus nous montons, plus nous sommes incertain de vivre longtemps, car plus nous nous élevons, plus il devient difficile de nous toucher sans être punis en retours, même si le nombre d’ennemis augmente. Tandis que personne ne s’insurgerait de lever le pied sur un cadavre des bas-fonds afin de le dépasser sans lui accorder le moindre regard, et cela, même si les ennemis se font plus rares, car vous n’êtes pas à l’abri de vous retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Cet arrêt était donc un moment pour moi, de celui où l’on ne se méfie pas de ceux qui nous entourent, car personne ne se connait.  

Les grandes portes s’ouvrirent sur une entrée majestueuse. Certains des convives avaient le visage de ceux qui voulaient à tout prix posséder cette richesse, que l’on apercevait à chaque fois que notre regard se posait à un endroit de la pièce. Les bouches formaient des ronds tandis que les yeux brillaient. Néanmoins, il n’y avait rien de rassurant dans cette sombre beauté, si ce n’est qu’elle pouvait ravir l’Alfar que j’étais. Deux anciens domestiques vinrent à notre rencontre, nous ôtant les affaires superflues que nous apportions avec nous. Une douce chaleur envahissait toute la demeure, et les domestiques nous attribuèrent nos chambres avant de nous conduire dans le salon, apportant de quoi nous ressaisir du voyage que nous avions fait pour venir ici. À peine les serviteurs eurent fermé la porte, qu’un éclair déchira le ciel gris. Les nuages noirs firent illuminer d’un hurlement violet et un torrent se déversa sur la demeure. Les gouttes d’eau s’écrasèrent sur les vitres, faisant un bruit monstrueux en tombant sur les tuiles. « Bon, au moins nous sommes à l’abri dans une somptueuse maison ! » lança une des convives dans un sourire plus qu’hypocrite. Un homme d’âge mûr lui répondit sur le même ton. «  Oui ! Nous avons eu de la chance de ne pas nous retrouver sous ce torrent lorsque nous étions encore en mer ! Madame ? » « De Haova ! » « Enchanté, je suis Gregor De Kinal ! » Je détournais le visage, trop habitué à ces mondanités sans queue ni tête, visant simplement à grandir son ego. Tandis que les plus riches s’évertuaient à respecter les règles du snobisme, méprisant ceux qui ne s’y adonnaient pas, d’autres restaient dans leur coin. Pourquoi nous ? Pourquoi dix ? Pourquoi maintenant ? Ces questions résonnaient de plus en plus dans ma tête. Nous étions dans une pièce où étaient réunies, au premier coup d’œil, riches, pauvres, élevées, rejetées de la société… des conditions toutes différentes pour des futurs rôles bien distincts.

La nuit s’accapara chaque recoin de la maison, ne laissant que les flammes des bougies éclairer les grands espaces. Il n’y avait eu, en quelques heures, aucune venue de notre hôte, comme si celui-ci n’existait tout bonnement pas. Les domestiques, quant à eux, s’occupaient de nous sans poser de questions. Tandis que les feux des grandes cheminées brûlaient le bois mort, craquant sous la chaleur, les plus riches continuaient de discuter en portant leur tasse de thé à leur lèvre. Le mien refroidissait sur la table, alors que mon regard se portait sur ce tableau d’une femme dont le regard semblait nous suivre. Peut-être ne nous préoccupons-nous pas assez de ceux qui nous entourent, parce que si quelqu’un vit disparaitre la femme aux cheveux blond, elle ne se demanda pas où elle pouvait bien aller. Peut-être, ne nous préoccupons pas des signes qui ne touchent pas directement notre conscience, car si quelqu’un entendit son souffle difficile, il ne se demanda pas d’où il pouvait venir. Les visages ne se détournèrent que lorsqu’un vase se brisa sur le sol et qu’un bruit sourd suivit.  

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