Oh bien entendu, les Chamans lui restaient fidèles car elle n'avait point encore semé le doute en leurs esprits. Il ne pouvait pas en dire autant des Ombres qui étaient actuellement tournées vers Sympan mais qui ne le priaient presque plus, comme s'il était responsable de leur état passé. L'ironie voulait qu'elles vouaient un culte à Edel qui, en secret, servait les Ætheri. Il la connaissait trop bien pour savoir qu'elle n'avait pas fait un choix non délibéré et irréfléchi. La question qu'il se posait était surtout de savoir pourquoi elle avait fait pencher sa balance vers ces derniers, entraînant dans son sillon une race comme celle des Humains. Les Enfants de Sympan priaient actuellement les Ætheri. La situation était d'une ironie sans nom. Attachés aux Anges, les Humains en devenaient de plus en plus ridicules aux yeux de la Mort. Il était pourtant responsable de leur maintient en ce Monde. Il avait refusé la mort à une petite poignée d'entre eux juste après le passage de Ludwig sur le corps fragiles et inutiles de ces derniers. Regrettait-il ? Sans doute. Mais il n'allait pas s'amuser à revenir dans le passé. Le fait que les Humains survivent avait donné le fondement à bien des batailles et, surtout, avait étendu le culte de Drejtësi. Ce qui amusait l'homme, en réalité, c'est qu'il était maître de cette femme – et de bien d'autres – mais celle-ci n'en avait pas conscience, pas encore. Il sentait la victoire au bout de ses doigts et le fait que lui, ses versions futures et passées n'aient jamais reculé devant un petit voyage dans le temps, lui donnait l'avantage. Les Maîtres du Temps devaient se frapper la tête contre les murs. Cependant, il avait réussi à effacer des archives tous les Dieux de la Mort qui lui avaient précédé et, pour ça, il mériterait une ovation des plus grandes. Sa vie de Mortel avait été une succession de défaites, si bien qu'il avait cru que la fatalité s'intéressait à son cas de près. Ce n'était pourtant guère le cas. Ni la fatalité, ni les défaites. Il était certain qu'il était écrit qu'il réussirait à se tirer du piège qu'Aria lui avait tendu jadis. Il le faisait déjà.

L'homme glissa sa cheville droite sur sa cheville gauche. Assis confortablement dans le siège qui devait appartenir au Monarque Démoniaque, ses pieds étaient posés sur le bois de son bureau. Il l'attendait, un verre de whisky à la main. Comment était-il arrivé là ? Le mystère demeurerait sans doute. Concrètement, les Mortels avaient beau mettre des serrures à leurs portes et à leurs secrets, rien n'était inaccessible à un Æther. Jun ne voyait pas le passage de Mortel à Æther comme un état d'omniscience absolue mais bien comme un combat plus élevé. Se servir des Hommes pour combattre d'autres Ætheri revenait à se servir de ses soldats pour aller détruire l'armée d'un Roi ennemi. La seule différence résidait dans le fait qu'un Dieu « régnait » sur bien plus qu'une simple race. Un Dieu pouvait, en plus, être ce qu'il souhaitait : Sorcier, Démon, Vampire, Elfe ou fleur dans une jardinière. Et puis, concrètement, un Æther pouvait prendre le contrôle d'un peuple, aussi. N'était-ce pas ce qu'elle faisait actuellement avec les Ombres, se faisant passer pour l'Esprit de la Mort sans aucune gêne ?  Mitsuko n'aimait pas ce statut de Divin qu'elle affichait depuis maintenant des Ères parce qu'elle ne voulait pas être certaine de gagner. Lui voyait les choses différemment. Puisqu'il était le seul à réguler sa puissance, il devenait qui il avait envie d'être. Il suffisait donc simplement de se tenir au rôle envisagé pour avoir des surprises, tout en laissant son ego de côté. Un Dieu avait-il seulement un ego ? Là encore, tout dépendait de sa volonté.

Quoi qu'il en soit, il attendait que Zane se ramène patiemment. Le Temps n'était pas vraiment un problème et quand bien même il était moins puissant que sa rivale, il maîtrisait un peu mieux cette notion qu'elle. Mitsuko ne s'était jamais libérée des entraves de la mortalité et là était sa plus grande faiblesse. Parfois il se demandait sincèrement si une partie de son être n'était pas restée Mortelle. Après tout, son âme avait été divisée en trois, et les deux autres morceaux appartenaient à des créatures qui l'étaient. Il but une gorgée du liquide, souriant comme s'il venait de trouver la solution aux énigmes de ce Monde. Il n'en était rien. Pantalon noir, chemise blanche, cheveux courts, il attendait le Monarque sous son apparence passée, préférant lui exposer la situation calmement dans un premier temps, d'homme à homme.