Zéphiel. Tel était le nom d'un ange qui avait appris une grande leçon à Andrzej lors de leur rencontre au sein de la forêt des murmures. Il n'était pas particulièrement puissant ou fort physiquement, on pouvait même dire qu'il était affligé d'une faiblesse latente qui l'empêchait de rivaliser avec les grands de ce monde mais il avait su révéler une force intérieure inégalable. Il parvenait à puiser dans sa force vitale même, faisant fi de la douleur et des conséquences, pour aider ceux autour de lui. Cette force de volonté exacerbée décuplait sa puissance et donnait un nouveau sens au mot sacrifice. Andrzej en avait été témoin dans sa jeunesse, cette notion était le fondement même des traditions de son clan. Chaque membre vivait dans la pression constante de prouver son dévouement au clan en récoltant des blessures de guerre ou donner sa vie dans des missions toujours plus périlleuses, le test de réceptacle aussi avait pour but de verser le sang et déterminer la place de l'individu dans l'échelle sociale en fonction des cicatrices reçues. Mais c'était là quelque chose de personnel dont seul l'individu tirait un bénéfice réel. Zéphiel, lui, était scarifié pour les autres comme un martyr souffrant pour une cause plus grande que lui. C'était cela qui avait touché le Bélua qui ne cherchait que la puissance pour se venger des démons et l'isolation de la Nature. Il avait compris que seul, il ne pourrait atteindre la force et puissance nécessaire ni même la motivation fondée pour arpenter ce long et sinueux chemin.

Impossible toutefois de deviner d'où l'ange tirait cet altruisme désintéressé. Et il était hors de question d'aborder ouvertement ce sujet au risque de rouvrir certaines plaies douloureuses du passé. Andrzej pensait alors à se renseigner sur son état d'ange, cela était peut-être la source de sa bonté profonde. Pour se faire, il se décidait à se rendre à la Citadelle Blanche en pèlerinage pour s'imprégner du mode de vie en cours dans la capitale angélique. Il avait de toute façon le temps libre. Ses actions récentes au sein de la Coterie de Bois-Lune lui avaient valu un repos bien mérité. Il commençait doucement à gagner en force grâce à cette confrérie mais aussi se socialisait, il saisissait de mieux en mieux ce que cela signifiait de s'intégrer dans une société et tisser des liens durables. Chaque fois qu'il se penchait sur la question, il repensait à la Reine des magiciens, Edwina, avec respect et à Sherri, sa consœur, en rougissant. La tête pleine d'idées, de questions et d'attentes donc, il se trouvait à l'entrée de cette ville immaculée. Il l’admirait un moment, ébahi par la beauté et la paix qui se dégageait de l’endroit et malgré une envie très forte de s’y reposer et ressourcer, l’endroit qui l’intéressait le plus se trouvait à l’arrière de cette citadelle. C’était le centre d’entraînement dont il avait entendu parlé et qu’il voulait utiliser.

Contournant les portes de la Citadelle et longeant le mur d'enceinte, Andrzej atteignait enfin sa destination. Le terrain d'entraînement était constitué d'un large rectangle de sable blanc sur lequel étaient disposés à intervalles régulières de petits piquets témoins pour le diviser en zones. Celle qui se trouvait tout à gauche accueillait des rangées d'archers qui s'entraînaient sur des cibles se trouvant à des distances différentes. Tir en cloche, en mouvement, direct et de très loin mais il y avait aussi certaines personnes qui décochaient leurs flèches les yeux fermés et atteignaient tout de même leur but. Un bâtiment jouxtait ce champ de tir et à l'intérieur un vaste choix de projectiles, arcs et même arbalètes, ainsi qu'un service de réparation et un atelier, étaient à leur disposition. A l'opposé, plusieurs lignes de lanciers se trouvaient en formation et un instructeur beuglait des ordres. Les guerriers changeaient de postures en un clin d'œil et se réorganisaient. Le premier rang avait les lances pointées vers le haut et l'instant d'après, un mur de bouclier s'était dressé et les armes d'hast, bien plantées au sol, étaient en position oblique pour bloquer une charge de cavalerie tandis que le second avait pointé leurs armes à l'horizontal pour une contre-attaque suivant le choc initial. Terrible manœuvre. Enfin au milieu il y avait des guerriers en entraînement libre entre eux ou contre des mannequins de bois. Là aussi des râteliers proposaient un grand assortiment d'armes. Derrière ce terrain central avait été érigé un bâtiment de plusieurs étages pour l'étude de la magie. Tout ici était dédié au dépassement de soi et l'amélioration de ses compétences.

Andrzej eut une bonne première impression et il se doutait qu'il trouverait ici ce qu'il cherchait. Ce n'était pas la puissance brute en soi mais une raison, une motivation pour accéder à cette force intérieure. Sans trop savoir comment procéder, il se dirigeait vers le premier ange venu qui n'était pas en plein exercice. Ce dernier d'ailleurs avait l'air d'être en train de préparer son matériel avant de partir.

« Excusez-moi. Je m'appelle Andrzej. Je voudrais savoir comment participer aux entraînements. Il y a des conditions ou règles ? »

Lentement, il se redressait, délaissant totalement son sac, pour regarder le Bélua des pieds à la tête. Ses mouvements étaient lents mais fluides. Il écartait les bras et tout en fixant son interlocuteur droit dans les yeux, l'accueillait.

« Bonjour Andrzej. Je me nomme Anathiel. Bienvenue à la citadelle. »

L'ange avait laisser planer un silence comme s'il voulait bénéficier de quelques instants complémentaires pour jauger le nouveau venu. Un sourire étrange passait sur son visage.

« Il n'y a de règles que celles inhérentes à la vie. Le respect est la clé de voûte de cet endroit car même si tout cela est fait pour développer nos capacités martiales, ce n'est pas pour colporter haine et frustration. T'en sens-tu capable ? »

Il venait à peine d'arriver et déjà on le mettait à l'épreuve et les motivations de sa présence étaient remises en cause. Andrzej tentait déjà de digérer ce qui venait d'être dit alors qu'Anathiel lui se mettait en garde. Il avait légèrement fléchi les jambes. Son bras droit pendait le long du corps tandis que le gauche était tendu vers le jeune homme, paume vers le haut. Se doutant qu'il s'agissait là d'un test d’entrée, Andrzej posait son sac à terre et se préparait pour une lutte à mains nues. Sans crier gare, il s'élançait de toutes ses forces vers l'ange en essayant d'agripper son bras pour le renverser d'un mouvement de hanche. Avec un réflexe évidemment surhumain, l'adversaire repliait son bras vers lui en accompagnant l'élan de l'assaillant pour finir avec une rotation de la main qui parvenait à déstabiliser Andrzej. Celui-ci finissait son attaque au sol après avoir perdu l'équilibre.

Un peu éberlué par la fulgurance de ce contre, il restait quelques secondes comme si son cerveau commençait seulement à analyser les stimuli et comprenait qu'il était à terre. Ce n'était pas véritablement une situation nouvelle pour lui. Au contraire, il avait déjà goûté la défaite et l'adversité, et il les avait assimilés au goût métallique du sang dans la bouche quand il rencontrait un ennemi plus fort que lui. Non, ce qui était la cause de son début d’impatience, c’était ce test d'entrée qu'il ratait lamentablement pour le moment. S'il ne se montrait pas à la hauteur face à Anathiel, il ne pourrait pas s'entraîner à la Citadelle et il aurait fait ce chemin pour rien au final. Serrant les poings, il se remettait sur pieds et à nouveau en position d'attaque. Cette fois-ci, il l'aurait.

Il fit un pas rapide en avant comme précédemment et tendait le bras aussi mais il s'agissait d'une feinte. Comme prévu, l'ange repliait son membre. Andrzej donnait alors une impulsion dans sa jambe d'appui pour se retrouver presque poitrine contre poitrine avec Anathiel. Ce dernier semblait surpris par cette approche car il ne réagissait pas, en tout cas il n’avait pas utilisé la même parade qu’avant. Le Bélua tentait de profiter de la surprise pour le prendre dans ses bras et se jeter au sol avec lui. A terre, il pourrait lutter en diminuant l'avantage de l'adversaire, sa vitesse. Le combat deviendrait alors une lutte se basant sur la force et la résistance. Seulement, tout ne s'était pas passé comme prévu car Andrzej avait juste réussi à attraper de l'air. Anathiel s'était accroupi en un éclair et avait pivoté sur un pied pour lui faucher les jambes. En un instant, le voyageur était à terre. Seul.

Il était défait, battu, impuissant face à l'ange. Ce dernier avait mis en évidence la faiblesse du prétendant en quelques mouvements à peine et ainsi anéanti les espoirs d'Andrzej. D'ailleurs celui-ci se rendait bien compte qu'il avait échoué lamentablement pour démontrer sa force et son potentiel. Doucement, il se relevait et s'éloignait déjà des lieux alors qu'Anathiel, un sourire énigmatique aux lèvres, observait le moindre de ses mouvements. Il n'avait pas fait deux mètres que l'ange l'interpellait.

« Où vas-tu, Andrzej ? »

« J'ai échoué. Je ne suis pas assez fort donc je dois revenir plus tard. »

Le sourire de l'ange était de plus en plus marqué.

« Oui, tu as échoué. Tu as donc prouvé que tu remplis la seule condition d'entrée : être capable d'accepter la défaite sans verser dans la frustration ou la colère. Ici, tu trouveras toujours quelqu'un de plus fort que toi. Tu vas avoir à ton actif plus de défaites que de victoires, il est donc primordial d'avoir une attitude saine face à l'échec. Bienvenue parmi nous. »

Pour joindre le geste à la parole, il lui indiquait un petit bâtiment légèrement en retrait. Apparemment, cette construction abritait un vestiaire car les gens y allaient et venaient régulièrement. Déstabilisé mais heureux d'avoir pu rejoindre le programme, Andrzej s'y rendait accompagné par Anathiel. A l'intérieur, l'ange lui indiquait les salles d'eau et commodités et lui désignait une petite pièce qui lui servirait de vestiaire individuel. Dedans, une petite penderie, des essuies frais qui pendaient sur l'intérieur de la porte et un tabouret de bois sur lequel étaient pliés avec soin des vêtements blancs.

« Voici ton vestiaire. Tu seras le seul à y avoir accès aussi longtemps que tu resteras avec nous. Je t'invite à te changer avant de commencer. »

Et il s'éclipsait pour attendre le nouveau à côté de l'entrée. Andrzej posait son lourd sac de voyage au sol et considérait l'endroit pendant quelques instants. Tout allait si vite. Quelques minutes auparavant, il était persuadé qu'il devait rentrer chez lui et maintenant on lui donnait une tenue d'entraînement. D'ailleurs il se mit à examiner cette dernière et faillit pousser un juron en s'imaginant dedans. C'était une toge d'un blanc immaculé dont l'espèce de jupe était vraiment trop courte et avec le haut qui, révélant sa poitrine, exposait son téton gauche. Une simple corde servait de ceinture et deux brassards de cuir sombre pour lui protéger les poignets. Pour couronner le tout, une paire de sandales à lacets remontant à mi mollets étaient posées sous le tabouret. Il avait vu les guerriers porter cet accoutrement mais le Bélua pensait qu'il s'agissait d'une mode locale, pas d'un uniforme.

« Si je dois en arriver là … »

Mettant de côté sa fierté vestimentaire, il ôtait ses lourdes chaussures de marche renforcées de métal et ses protections, aux tibias et avant-bras. A contrecœur, il enlevait sa cape en défaisant la broche de cuivre dont l’odeur embaumait la petite pièce et l’accrochait dans la penderie. En poussant un long, long soupir, il se mettait torse nu et restait quelques instants à regarder ses bras et son buste qui n’accueillaient, à la différence des membres de sa famille, pas la moindre marque ou cicatrice et cela le mettait au rang de paria. Enfin, il ouvrait la boucle métallique de son pantalon pour laisser tomber les derniers morceaux de tissu qu’il portait. Il était entièrement nu mais pas pour très longtemps car il sautait sur la toge qui, bien que ridicule auparavant lui semblait être déjà beaucoup plus intéressante car c’était le seul vêtement qu’il pouvait enfiler désormais. Vêtu à la romaine, il était prêt à rejoindre Anathiel sur le sable blanc de l’arène.

Dehors, il avait rejoint le pugiliste angélique pour commencer l'entraînement mais il fût redirigé vers la partie du camp où les guerriers s'exerçaient aux formations militaires. Anathiel lui expliquait rapidement que ses capacités martiales n'avaient rien à envier avec les siennes, il l'égalerait assez rapidement avec l'expérience. Par contre, au vu de son style de combat à mains nues, il avait décelé, à raison, que le Bélua était un solitaire et qu'il n'avait jamais pu participer efficacement à un combat de groupe. La première étape consistait donc à comprendre la notion de groupe. Savoir ce que c'était de vivre avec d'autres individus et leur faire confiance n'était pas chose aisée. Pouvoir s'appuyer sur quelqu'un jusqu'à lui confier sa vie encore moins. Andrzej ne comprenait pas trop où voulait en venir l'ange. Après tout, il était déjà membre d'un ordre, d'un chapitre, à la Coterie et avait pu combattre aux côtés d'autres initiés. Il repensait même aux bons soins de Sherri quand il fût blessé lors de leur croisade à l'Outreforêt. Pensant que cela était suffisant, il acceptait avec assurance cette première partie de l'entraînement. Un des assistants armurier venait sur le bord du terrain pour lui fournir une lance en bois, non létale pour l'entraînement, et un bouclier de cuir rond. Ce dernier était d'une taille telle qu'il pouvait recouvrir toute la poitrine et le haut de la cuisses en même temps. Un casque, en cuir lui aussi, fût enfoncé sur sa tête et sa conception empêchait Andrzej de profiter de sa vision périphérique, un peu comme les œillères pour les chevaux.

Le sergent qui beuglait ses ordres plus tôt plaçait le jeune homme dans sa formation. Plus précisément au centre, avec les guerriers les plus expérimentés et solides qui formaient le cœur des manœuvres. Tout le monde était en position neutre, lance à la verticale, jambes droites et bouclier le long du corps. Chacun regardait droit devant lui. Le Bélua les rejoignait pour les imiter. A ce moment-là, l'instructeur invitait un des soldats à sortir des rangs pour faire une démonstration des ordres. Ceux-ci étaient des cris profonds et brefs et à chacun d'eux, le soldat bougeait avec un rythme et des gestes d'une grande précision. Andrzej se concentrait du mieux possible pour absorber les informations, associer chaque son à chaque mouvements et essayer de les ressentir pour que son corps fût sujet à cette fameuse mémoire musculaire. Quand il estimait que cela était suffisant, l'instructeur arrêtait et renvoyait le soldat dans les rangs.

Le premier ordre fût donné. Andrzej s'en souvenait. Appui sur la jambe gauche, légèrement fléchie, avec la lance en position oblique dont l'extrémité était plantée dans le sol juste à côté du pied droit et avec le bouclier levé. Aussi vite que possible, il s'exécutait. Le sergent venait près de lui et, avec un bâton, donnait un coup dans son bouclier.

« Mort ! »

Le jeune homme ne comprenait pas pourquoi. Il tournait la tête pour observer les autres et comprendre pourquoi il serait mort. Il voyait alors que l'angle des lances du reste de la formation était différent. La sienne était trop basse, ce qui ne permettrait pas de bloquer une charge de cavalerie efficacement, un saut avec élan étant assez pour parer cette défense. Retour à la position neutre. Nouvel ordre. A nouveau appui sur la jambe gauche avec bouclier levé pour protéger le visage, la poitrine et le haut des jambes tandis que la lance se trouvait sur le côté, à l'horizontale. Position pour une réception de charges à pied ou le combat contre d'autres lanciers. En un instant, le Bélua se mettait en position, laissant parler son expérience du combat. A nouveau, un coup sur son bouclier.

« Mort ! »

Il l'avait levé trop, exposant son genou et le bas de la cuisse gauche à un coup. Erreur idiote. Le soldat juste à côté de lui tournait la tête et lui adressait un regard d'encouragement du genre " baisse pas les bras, tu peux y arriver, on est tous passé par là ". Andrzej lui rendait la politesse d'un acquiescement discret et se concentrait pour le prochain mouvement. Le cri était bref mais plus profond que les autres. Le premier rang mettait genou à terre avec le bas du bouclier au sol et la lance dans un angle oblique similaire à la première position. Le deuxième rang faisait un demi pas en avant pour poser la lance sur l'épaule droite du guerrier face à eux tandis que leurs boucliers venaient s'emboîter pour former un véritable mur. La défense totale au prix de la mobilité. Le jeune homme ne voyait rien, entendait juste les respirations des autres guerriers et sentait la chaleur de leurs corps. Impression étrange. Tout à coup, il sentait son bouclier vibrer.

« Mort ! Pause ! »

La formation se brisait d'elle-même et le groupe de soldats ne se fît pas prier pour aller se désaltérer et retirer ce casque trop chaud et cette lance trop lourde. Certains d'entre eux discutaient, blaguaient en se passant une gourde d'eau fraîche, d'autres profitaient de la pause pour s'isoler un moment et méditer sur l'entraînement. Andrzej suivait le deuxième exemple mais fût bien vite rejoint par le soldat qui l'avait encouragé plus tôt. Alors que ce dernier approchait du voyageur, il lui lançait une gourde qui se faisait bien vite engloutir par le débutant.

« C'était pas mal mais... t'es du genre à te battre en solo non ? Ca se voit. »

Il n'y avait pas le moindre soupçon d'hostilité dans la voix du guerrier. Andrzej souriait en regardant le sol.

« Oui, première fois en groupe de cette taille. Je suis mort trois fois déjà. »

Il buvait à nouveau une gorgée d'eau avant de rendre la gourde à son propriétaire. Il la regardait un instant comme s'il l'inspectait puis, tandis qu'il la portait à bouche, il glissait une remarque.

« Si l'un de nous meurt, tout le monde meurt. »

Andrzej était totalement pris de court. Il ne s'attendait pas à ce genre de réponse et ne la comprenait pas. Le sergent instructeur l'avait désigné lui comme étant mort à cause d'une mauvaise position. Il ne comprenait pas pourquoi sa mort pouvait entraîner celle des autres. Un nuage de doute passait sur son visage et le soldat le voyait bien. Il refermait la gourde et prit alors le temps d'expliquer.

« Lors du premier mouvement, un cheval aurait pu sauter et éviter ta lance. Donc oui, tu serais mort. Mais en ayant cette lance trop bas, ceux derrière toi sont exposés. Dans le deuxième mouvement, tu exposais ta jambe sur lequel le poids de ton corps était placé. Une blessure à cet endroit causerait un déséquilibre. Tu serais blessé, au sol, donc mort. Mais en tombant, tu exposais les flancs des personnes à côté de toi. »

L'homme reprenait une nouvelle gorgée pour laisser le temps à ses paroles d'investir les pensées de son interlocuteur. Andrzej rougissait de honte non pas pour avoir échoué mais d'avoir fait échouer les autres. Il venait de comprendre qu'il était dans le faux. La force d'un individu était bien sûr primordiale dans un combat mais cette puissance était secondaire au sein d'un groupe organisé. Une personne faible mais entraînée pouvait compter sur les deux autres faibles mais entraînés à ses côtés pour le protéger de la même façon qu'il les protégeait. Plusieurs individus agissant de concert pour former un nouvel organisme. Il ne suffisait pas d'exécuter les mouvements mais bien de le faire en accord avec les autres. Il comprenait.

« Le piège c'est le casque. »

« Exactement, on limite volontairement le champ de vision pour nous forcer à nous synchroniser autrement. Allez on y retourne. »

Andrzej se mit à le suivre pour rejoindre les autres après avoir ramassé ses armes. Côte à côte, ils avançaient. A mi mots, le Bélua posait une rapide question à son mentor du jour.

« Et pour le troisième mouvement ? Pourquoi j'étais mort ? »

« Tu étais deux centimètres en avant par rapport aux autres. »

C'était avec une vision des choses différentes qu'il reintegrait sa place au sein du dispositif militaire. Comme un seul homme, chacun reprenait la position neutre d'attente en prévision de l'ordre qui allait être donné d'un instant à l'autre. Andrzej profitait de ce bref répit pour mettre à profit ses nouvelles connaissances sur cet exercice. Il devait trouver un moyen de se synchroniser avec les autres. En regardant au sol, les ombres des autres guerriers s'etendaient et lui donnaient une bonne idée, assez précise, de la position de leurs propriétaires. Le Bélua les fixait, attendant ainsi la commande pour se mettre à bouger en même temps que les ombres. L'instructeur criait brièvement.

Immédiatement, le voyageur traduisait ce cri qui correspondait au premier mouvement. Ses muscles se mettaient déjà en branle et il prenait la posture adéquate en même temps que les autres. Il était heureux car il était sûr d'avoir réussi cette fois

« Mort ! »

Le sergent donnait un coup sur le bouclier attirant l'attention du jeune homme. Ce dernier relevait la tête pour voir le donneur d'ordres à quelques centimètres à peine de lui. Il avait réussi à pénétrer le mur de lances simplement parce que Andrzej regardait indirectement les autres au lieu de voir l'ennemi virtuel qu'ils combattaient. Retour à la position neutre. Le Bélua pestait intérieurement car il ne voyait pas comment remplacer la vue pour se coordonner avec les autres. Il réfléchissait intensément sans trouver de solutions mais ce fut au moment d'être à court d'idées que la révélation arrivait. Il entendait les souffles des guerriers, leurs sifflements caractéristiques. Le cliquetis des armes et le crissement des lanières de cuir. Il sentait autour de lui le vent qui fluctuait en fonction des obstacles rencontrés, leurs corps, et il transportait l'odeur de leur sueur. Il n'avait pas besoin de les voir, il pouvait simplement sentir leur présence. C'était d'ailleurs pour cela qu'ils avaient réussi à l'intégrer si facilement à la formation, ils avaient l'habitude de cet exercice.

Nouvel ordre. Andrzej regardait droit devant lui en se mettant en position mais la faisait en fonction des présences alentour qu'il percevait très clairement désormais. L'instructeur venait face au jeune homme, bâton tendu et prêt à annoncer le décès, maus il s'arrêtait dans son mouvement. Il l'inspectait des pieds à la tête en silence puis retournait à sa position pour donner le nouvel ordre. Andrzej était euphorique mais il ne pouvait se relâcher, l'entraînement commençait à peine.