« Je suis très chagriné par votre contenance. Vous avez réussi à provoquer ma colère, vous pouvez être fier. Vous savez ce que j’exècre le plus au monde ? L’indiscipline. » Embusqué derrière une table en marbre, l’homme qui osait finalement tout mettre en place pour réquisitionner le trône maniait une poudre étrange qu’il insinuait perpétuellement dans ses narines, savourant parfois celle-ci en évacuant sa langue pour un petit lèchement habile. La drogue étant leur seul commerce florissant du moment, Zane collationnait sur ce patrimoine pour l’exploiter à fond les ballons. Il accusait toute son implication dans la mise en œuvre de découvertes enthousiasmantes sur les assortiments et les nouvelles créations qu’il pouvait entreprendre. Accidentellement, il avait en effet relaté divers effets selon les combinaisons et la composition de la préparation. Très synthétique dans son perfectionnement, il tenait là une belle matière, qui si elle était bien déployée, pourrait leurs permettre de faire déflagrer ce mode d’économie, en plus d’accroitre exponentiellement la narration des tortures. La paralysie, la folie, la dépendance, le regain ou la perte momentanée d’énergie ; tant de procédés qui garantissaient un plaisir avéré pour les plus délicats. En revanche, son emportement n’avait aucun rapport avec ça. Entouré de deux gorilles démoniaques qu’il pouvait qualifier comme étant ses gardes du corps exclusifs, les faits étaient d’autrement plus sérieux, du fait que le bruit comme quoi il s’apprêtait à mettre la main sur le trône dans l’imminence en faisait de plus en plus jaser. Certes, ce n’était pas faux puisqu’il avait presque rassemblé tous les ingrédients fondamentaux à l’aboutissement de son règne. Il ne manquait plus que deux/trois parties ; par exemple le besoin de rallier ceux qui contestaient encore sa future conquête, voire l’élimination des plus forts qui pourraient être un frein à son développement. Néanmoins, il ne pouvait pas se permettre de fomenter une hécatombe, c’est pourquoi il devait d’abord envisager de s’entourer utilement de démons assez vigoureux, ou sinon son sacre ne serait qu’une mascarade.

Il se contenterait de fracasser les plus ambitieux qu’il envisageait comme trop audacieux pour ses projets et pour lui-même. Mettre totalement un terme au comportement traitre des siens n’était de toute façon pas réalisable, et puis il s’agissait ici d’un point vital qui apportait malgré tout un devoir de surpassement de soi. En toute circonstance, il obtiendrait ce qu’il désirait par la puissance, mais aussi par le dialogue ; outil le plus à même d’éviter des conflits oiseux. C’est ainsi que pour débuter en douceur, il avait fait agglomérer un groupe de rebelles de son agence de parjure. Malheureusement, il n’avait pas réussi à soutirer les chefs de ces fameux mouvements, devant finalement faire avec leurs complices. Cela dit, c’était toujours mieux que rien. Pendant qu’il pensait justement avoir deviné le bon mélange à sa substance, il saisit une seringue pénétrée d’un liquide globuleux, puis il se leva, calmement. « Voyez-vous, vous auriez mieux fait de cracher le morceau lorsque je vous en ai donné la chance. Je vais vous raconter une histoire. » Paraissant dans le dos de deux d’entre eux, il les embrassa de ses deux grands bras, la seringue dans sa main gauche laissant son aiguille postillonner quelques gouttes qui trébuchèrent sur le sol ; le parquet chauffa et fondit. Il s’agissait d’un type d’acide particulièrement funeste. « On relate qu’un Démon a un jour été capturé pour être supplicié durant plusieurs pleines lunes. Malgré tout le tourment éprouvé, il n’a jamais abandonné, se battant jour et nuit de toutes ses forces pour persister à ce cauchemar déluré. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il commençait progressivement à se réformer en une autre créature, bien plus terrifiante que ce qu’il avait été jadis. L’on dit aussi de cet homme qu’il a muté à tel point que la douleur physique et psychique ne l’affectait plus, mais qu’il était en mesure de la faire ressentir à qui il le convoitait en mettant les siens au dos du mur. Ce que je tiens dans la main est un condensé de procédés scientifiques pouvant prodigieusement affecter l’esprit par la peur qu’il procure. Petite démonstration. » L’aiguille — aussi longue que fine — s’inséra sous l’épaisse peau de l’individu qu’il accablait de sa poigne de fer afin de l’empêcher de se débattre sous ses geignements persistants.

Vidant complètement la seringue, il se recula précipitamment pour laisser l’homme déchoir de sa chaise dans une pleine agonie. Ses veines gonflaient à vue d’œil, ses yeux s’insinuaient de sang qui coula le long de sa joue avant d’avoir de violents spasmes, s’étouffant dans sa propre salive. Il scruta le peloton dans son ensemble. « À qui le tour ? » Tous avouèrent, mais un seul prit la parole après que Zane la lui céda. « Nous sommes les rebelles de cinq groupes distincts. Nos chefs sont disséminés aux abords du volcan… ils essayent de réunir de quoi vous faire tomber. L’invitation qu’ils vous ont envoyée est un piège. Ils n’ont jamais eu l’intention d’adhérer à votre cause. » « C’est insipide, mais j’irais tout de même leur rendre une petite visite, et je vais avoir besoin de vous pour ça. Vous allez suivre mon plan, compris ? » « Ou… oui, bien sûr ! » « Maitre, vous planifiez d’y aller seul ? Qu’en est-il de Seth, de Greed, de Lust et des autres ? » « Ils sont déjà occupés à réunir plus de fidèles. Je ne peux pas compter sur eux pour cette fois. » Tout avait été organisé en amont avec ses associés qui faisaient partie de l’élite. Ainsi, il avait délégué les opérations plus communes à ceux en qui il avait raisonnablement confiance pour ça. Les chefs rebelles, il devait en faire son intrigue, et puis cela était un moyen pour lui de se tester en situation concrète en plus de dénoter si oui ou non il était disposé pour mettre en place des dispositions que seul un souverain pouvait exposer. Ceci était un exercice parmi tant d’autres qu’il devrait braver dans le futur, la fratrie étant perpétuellement accablée par les hâbleries qu’elle devait relever. C’était d’autant plus vrai pour un chef de la race qui n’avait pas le droit à l’erreur s’il voulait éviter de perdre son trône dès le second jour. C’est ainsi qu’il développa son plan aux intéressés, désignant une carte des enfers qui lui permettait de vérifier le campement de chaque groupuscule de rebelles. Il en avait conclu que ceux-ci étaient quelque peu divisés pour pouvoir les prendre en même temps, c’est la raison pour laquelle il sollicita les prisonniers, ceux-ci allant devoir jouer le rôle d’intermédiaire pour répondre positivement à l’invitation, ainsi les chefs se rassembleraient pour le prendre par surprise.

Une fois qu’il avait assuré toutes les directives à chacun des adhérents, le bellâtre alla se préparer. Pour la première fois, il enfila une armure, s’équipant également d’un fourniment conséquent. Après tout, il en avait clairement besoin étant donné le risque qu’il encourait. Ce n’est qu’après avoir été parfaitement outillé qu’il partit à destination de l’endroit convenu. Par sécurité, il était évidemment escorté de quelques hommes. Rien de très probant cela dit. À son arrivée, un individu émergea incontinent de sa caverne, lui aussi entouré de plusieurs démons criards. « Ravi de voir que tu as réagi favorablement à notre invitation. J’appréhendais que tu penses à un guet-apens. » « Je ne suis pas aussi suspicieux, surtout envers d’anciens camarades. » « C’est parfait dans ce cas. Approche, n’aie pas peur. » Répondant à l’affirmative par sa prière, il gravit les quelques marches et la pente qui menait auprès de ce dernier. Les deux hommes se serrèrent dans les bras en plaisantant de bon cœur, se murmurant dans le creux de l’oreille. « Tu es au courant, c’est ça ? » « Bien sûr. » Il s’écarta hâtivement de lui en élevant le bras en l’air. « Tuez-le ! » Deux fronts de démons confortés d’arbalètes prirent position sur la cime d’une fracture, à l’abri de toute menace, les meneurs de chaque section s’exposant en première ligne. Ils étaient cernés. Zane se précipita vers le chef de bande le plus proche, passant derrière lui dans le but de lui semer rapidement l’aiguille dans le mollet. Ouvrant la bouche comme pour bramer, aucun son ne sortit toutefois de ses lèvres. S’en suivit un dérèglement de ses articulations qui le fit bouger tel un pantin renversé. Il tomba plus tard à genoux, la respiration oppressée, mais le signe qu’il inoculait aux archers les empêchait d’attaquer. Sa drogue avait fonctionné, lui permettant de renverser la vapeur, au moins sur ce type-là. C’était sans compter sur l’intervention d’un autre maitre. « Pousse-toi de là, Roth ! Sinon tu crèves avec lui ! » Les hommes qui encadraient le rebelle à bout de souffle hasardèrent immédiatement de l’attaquer, mais tous furent rapidement réprimandés par sa terrible puissance actuelle.

Les substances qu’il avait prises juste avant lui avaient aussi permis de ramasser une faculté provisoire. « Tir... » « Attendez ! » Se mettant au centre de la piste, plus que jamais exposé aux flèches qui pouvaient le mitrailler à tout moment, il leva ses yeux enfoncés dans l’obscurité vers le ciel. « Rejoignez-moi ! Je peux vous conduire là où vous l’avez toujours désiré. Retenez bien cela, la tromperie que l’on voit est sans gravité, ce qui est bien plus dur c’est la trahison que l’on ne voit pas. Optimisme, croyance, dépendance, Déroute. Ce sont des mots pour les faibles. Je n’ai pas besoin de ces balivernes, et c'est ce qui fait de moi un roi légitime. » « Tu penses donc franchement que tes subalternes croient en toi ? Pauvre fou ! Aucun d’entre eux n’a confiance en tes promesses fallacieuses ! » « Tu te trompes. Mes subordonnés ont mieux à faire que de croire en moi. La seule chose que je leur aie assurée est que nous marcherons ensemble jusqu’à la victoire, rien de plus. J’ai toujours prêché la liberté. Mais la plupart d’entre eux ont failli, ils ont succombé à ces nobles sentiments. Je suppose qu’il est naturel pour les êtres inférieurs de se soumettre à leurs homologues d'exceptions. S’ils veulent rester en vie, ils n’ont pas d’autres choix que de se résigner docilement. C’est un cycle sans fin... Afin d’échapper à ce fardeau... Ceux qui pensent de la sorte cherchent une entité plus forte qu’eux. Et celle-ci à son tour s’expose à une personne plus forte pour les défendre. C’est ainsi que naissent les dieux. Mais entendons-nous bien. Ils sont tout de même sous mes ordres, et à partir de maintenant vous allez être aux premières loges pour découvrir comment se déroule cet enfantement. Je deviendrais le dieu qui ne leur laissera pas d’autre choix que de croire en lui. » Ce monologue avait suffi à ses hommes pour prendre une juste position. Une vive bourrasque se leva alors brusquement, dégageant d’une volée les masses de freluquets. Chacun des leaders se retrouva avec une lame affuté collé en dessous de la gorge, sans possibilités de se débattre. Enterrant ses mains dans les poches, Zane renonça à la scène comme il était venu. « Souvenez-vous. Je suis celui qui gouvernera dans les firmaments. Vous allez m’obéir, et vous allez le faire bien. » C’est ainsi qu’il laissa les siens prendre le relais. Il avait réussi à rallier les récalcitrants par la dissuasion, mais ses devoirs n’étaient pas achevés pour autant. Il restait tant à faire avant la conquête de cette bête. Il avait cependant complété le principal, et ça, c’était bien, car ces derniers allaient grandement accélérer le projet.