La jeune femme était là, assez loin du Tamashi pour ne pas se faire repérer, mais assez proche pour ne pas perdre sa trace. Le suivant à travers les ombres, elle le laissa la guider involontairement vers celui qui l’avait invoqué. Lorsqu’elle l’avait vu attaquer le pauvre loup avec une violence plus que bestiale, l’Ombre avait  failli se présenter à cet être ignoble pour lui apprendre le respect d’une chasse. Son geste n’avait guère prit forme lorsque ses yeux avaient remarqué les chiffres sur son cou. Ce ne fut qu’alors qu’elle prit conscience de l’être qu'il était vraiment. Si elle voulait faire justice pour ce loup, mort lacéré sous les attaques du Tamashi, elle devait avant tout rencontrer celui qui l’avait invoqué. Il se devait de mieux être maître d’une telle créature, d’autant plus qu’elle ne semblait pas avoir tué pour se nourrir, mais bien pour la lui rapporter. Aurait-elle affaire à un individu si passif qu’il ne chassait même pas par ces propres moyens ?

Voir le loup se faire traîner sur une longue distance ne lui fit guère plaisir et elle lui aurait bien arraché de ses mains, mais cela l’aurait empêchée de retrouver la trace du véritable responsable. La mort d’une proie était acceptable, pour autant qu’elle servît à nourrir son prédateur. Il fallait savoir respecter l’animal mort pour la survie d’un autre… Ce qui ne fut pas le cas en cet instant. Grimaçant devant les tâches de sang que le Tamashi laissait derrière son sillage, l’Ombre prit son mal en patience et conserva son calme pour ne pas trahir sa présence. Puis, elle le vit enfin. Caché dans une grotte à l’abri du soleil. Sa nature brumeuse lui permit de se faufiler dans les ombres et d’observer, une fois encore. Il n’eut aucune parole, aucun échange. L’animal mort en martyr fut lancé au vampire et le Tamashi disparu.

Deux crocs avides de sang s’enfoncèrent dans le cou du loup sans autre préambule. Nul acte de respect ou de remerciement pour le canidé qui avait péri sous les griffes d’une autre créature pour satisfaire son appétit insatiable. Et lorsqu’il l’eut vidé de tout son sang, il le fit rôtir pour s’en sustenter. L’Ombre fronça les sourcils, sachant que le vampire devait apprécier la nourriture probablement autant qu’elle… Cette viande ne devait avoir aucun goût sous sa langue. Seul le sang avait de la saveur pour ces créatures de la nuit. Cependant, cela devait signifier qu’il ne voulait pas gâcher la viande ramenée ou qu’il ne voulait pas voir un cadavre traîner dans sa grotte. Les deux hypothèses tenaient la route, mais l’Ombre préférait nettement la première, signe que le vampire n’était peut-être pas aussi irrécupérable qu’elle le pensait au départ. Néanmoins, il devait apprendre que la chasse était un art qui commençait par avoir de la considération pour sa proie.

Lorsqu’il s’installa pour se reposer après son repas, l’Ombre sortit de sa cachette, usant du bijou reçu par Drejtësi pour se rendre invisible à ses yeux. Elle s’agenouilla devant lui tandis qu’il fermait les yeux à la recherche d’une sieste probablement régénératrice. Il ignorait que celle-ci serait peut-être plus agité qu’il ne le pensait. Elle arqua un sourire presque carnassier tel un prédateur près à courir derrière sa proie repérée.

« Je vais m’occuper de ton rêve, lui susurra-t-elle au creux de l’oreille. Tu sauras ce qu’est la vie d’une proie apeurée quand j'en aurai fini avec toi… »

L’Ombre usa de sa capacité à rêver pour rejoindre le vampire dans un monde bien plus étrange encore que les Terres du Yin et du Yang. Certes, rêver était pour elle un pouvoir à double tranchant, s’il tournait au cauchemar, sa déprime en sera affectée, mais l’Ombre comptait bien garder le contrôle dans ce monde onirique. Aussi, elle laissa le vampire à ses rêves, observant les lieux avec intention. Il lui fallait réfléchir sur la manière de s’y prendre pour l’amener à mieux réaliser l’horreur dont il était responsable. Qu’il vidât le sang d’être humain ne la dérangeait guère, qu’il s’en prît aussi aux animaux, à la rigueur. Il était peut-être encore trop faible pour s’en prendre des proies aussi récalcitrantes que les nombreuses races qui peuplaient le monde Yinois. Cela ne l’autorisait toutefois pas à laisser ses basses tâches à une autre créature sans en être un peu plus maître de ses réactions. Elle le regarda appeler ses parents. Une scène plutôt touchante, mais qui ne l’affecta guère.

L’Ombre s’installa sur une pierre qu’elle créa et opta son large capuchon tout en passant une main dans sa longue cheveux d’ébène pour y remettre un peu d’ordre. Elle scruta le dos du vampire, avant de sourire pour rendre sa voir bien plus agréable.

« Tu as perdu tes parents ? » lui demanda-t-elle d’une voix séduisante et rassurante à la fois pour signaler sa présence.

Dans cet endroit chimérique, elle était la seule personne avec le vampire, nul doute qu’il ne lui faudrait guère longtemps pour la relier à la voix. De ses yeux sombres, l’Ombre l’invita à s’approcher d’elle. La demoiselle n’était pas des plus inquiétante en cet instant, elle était même proche d’une silhouette de rêve. Quand elle parlait d’une voix, souriait et ne se cachait pas sous une large capuche noire, Aaliah était relativement jolie, voire charismatique.

« Veux-tu que nous cherchions après tous les deux ? » lui proposa-t-elle d’une voix innocente pour ne pas l’effrayer de suite. Comme si elle était une mère bienveillante qui s’inquiétait de son enfant, mais l’abandon maternel n’était pas loin…

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Le vampire semblait troublé et l’Ombre usa de la puissance des rêves pour lui offrir un sourire amusé devant son bégaiement bien plus vrai que toutes les illusions qu’elle aurait pu créer. Il lui demanda de l’aide pour retrouver ses parents et la jeune femme attrapa la main qui lui tendit. Il n’avait pas de raison de se méfier d’elle, en apparence, elle ressemblait à une jeune fille ordinaire, charismatique et aimable. Le vampire lui présenta ensuite le village et elle le suivit docile, lui laissant le temps de se sentir libre et maître de la situation. La demoiselle n’avait cependant pas prévu attiser autant les pulsions endormies du vampire. Assurément, elle avait un peu trop de sa beauté pour adoucir l’atmosphère. Lorsqu’elle réalisa son geste, l’Ombre eut juste le temps de fuir à l’état brumeux. Un temps un peu trop court puisqu’elle sentit toutefois les lèvres glacées de l’homme frôlé les siennes. Un baiser frôlé que la demoiselle apprécia moyennement et elle ne lui laisserait guère le temps d’en profiter. Aaliah avait disparu du paysage, laissant à sa place un tamashi moins bien rassurant. Une créature au visage connue du vampire, puisqu’il s’agissait de celui invoqué pour sa chasse irrespectueuse.

« Te pensais-tu donc dans un rêve pour croire que tu pouvais me posséder aussi facilement ? le questionna-t-elle alors d’une voix lointaine, insaisissable. Je ne suis pas de celle que l’on courtise… mais de celle que l’on fuit, ajouta-elle en posant une main sur l’épaule du tamashi qui semblait figé sur place, comme s’il attendait un ordre.

L’Ombre tourna la tête, arqua un sourire sardonique tout en dévisageant le vampire de son regard d’ébène le plus profond. S’il pensait rêver, il risquait vite de comprendre que ce dernier se transformait en cauchemar et qu’il n’y avait guère de prise dessus. Pire encore, il n’était pas prêt de se réveiller en sursaut. Elle recula d’un pas, laissant de la place à la créature nommée Caladbolg, dans une attention peu amicale et il ne fallait pas être d’une intelligence élevé pour le comprendre. La demoiselle, même si elle conservait son charme, avec un regard bien moins sympathique et elle avait effacé toute émotion bienveillante de son visage. L’Ombre avait retrouvé son visage de marbre, dépourvu sentiment. Cependant, il lui fallait expliquer brièvement la raison de cette haine envers lui alors que leur chemin ne s’était encore jamais croisé.

« Vous avez invoquez un tamashi pour chasser un loup… Il l’a massacré, l’a trainé jusqu’à vous pour le jeter à vos pieds, commença-t-elle en replongeant dans le vouvoiement qui lui était si familier pour toujours se tenir à l’écart du monde. Ce n’est pas cela la chasse, ce n’est pas cela être prédateur. Et je suis là pour rendre justice à cet animal dont vous avez oublié d’honorer la vie perdue pour abreuver la soif de la vôtre…»  

Certes, le vampire semblait jeune, mais il pouvait se contenter de proies à la hauteur de ses capacités et non sombrer dans l’oisiveté en invoquant une créature bien plus chasseresse que lui… Si le tamashi pouvait encore être considéré comme cela, il n’avait même pas chassé pour lui. Il avait fait ce pour quoi il fut invoqué et s’en était allé aussitôt, le vampire n’étant pas assez puissant pour lui permettre de rester plus longtemps sur les Terres du Yin et du Yang. Il avait fait appel à un intermédiaire pour traquer une proie et s’il n’avait su ni remercier le chasseur, ni la créature qui avait offert sa vie pour le nourrir. Elle le regarda une dernière fois, avec une fierté qui en disait long sur sa capacité à plonger le vampire dans le plus effroyable des cauchemars.

«  Courez, lui ordonna-t-elle simplement sur un ton calme, comme s’il s’agissait d’un conseil susurré aux creux de l’oreille avant de reporter son attention sur le tamashi patient. J’ai faim, rapportes-moi de quoi me sustenter… »

L’injonction donnée, l’Ombre s’assit sur un rocher pour observer le spectacle. Certes, il ne pouvait pas mourir, en soi, il l’était déjà un peu et dans ce monde, les morts n’étaient pas courants. Cependant, elle ne le laisserait pas fuir aussi facilement et échapper sa colère en retournant dans la réalité. Le tamashi était plus que vrai, de par son apparence et ses gestes. Le vampire risquait de sentir chaque entaille de ses griffes s’il le laissait s’approcher bien trop près. Il allait comprendre aussi qu’il n’avait aucune prise sur ce dernier, car il était l’œuvre d’Aaliah pour transmettre son message de justice. Le vampire était désormais dans la peau du loup, poursuivit par un tamashi sans pitié, prêt à le lacérer dans l'unique but d'être traîné ensuite jusqu'au pied de la jeune femme. Il n'était pas vraiment une proie, mais un bâton. Un simple bâton que l'on lançait à son chien bien docile avec l'espoir qu'il le ramènerait dans les plus brefs délais pour montrer qu'il était bien appris. Nul n'était capable d'éprouver des sentiments pour un bâton, à peine une grimace de dégoût quand ce dernier revient couvert de bave... C'était presque un jeu, on comptait les secondes mises pour ramener l'objet demandé. D'ailleurs, l'Ombre se mit à compter mentalement...

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Le vampire ne semblait pas particulièrement ravi de voir son compagnon Tamashi, et l’Ombre ne pouvait que le comprendre. C’était le genre de créature qu’on appréciait peu de rencontrer, notamment à cause de leur côté animal prédateur sans pitié. A côté d’eux, certains vampires passeraient pour des Anges… Accroché à son rêve, l’homme était persuadé que Caldbolg lui obéirait et lui ordonna de s’arrêter sous peine d’être banni. Des ordres inutiles, puisqu’il était l’œuvre d’Aaliah et non le véritable Tamashi. Roxas ne put donc le faire disparaître. Il attendit le premier coup, espérant peut-être se rêver. Il fut surpris de constater que la violence du coup ne le fit pas sursauter dans sa grotte. L’Ombre sourit, narquoise.

« Bien sûr que vous êtes encore là, où espériez-vous vous retrouver ? A la citadelle des Anges ? persifla-t-elle. Le coup n’était pas mortel » ajouta-t-elle pour immiscer en lui le doute d’être dans un rêve, ou un cauchemar en l’occurrence.

L’Ombre regarda la scène sans émettre la moindre émotion sur son visage. Sa nature l’empêchait d’apprécier cette poursuite, tout comme cela ne lui permettait pas de la compassion pour le vampire malmenait. En fait, celui l’énervait même plus que ça ne lui procurait du plaisir. Elle soupira tout en regardant le paysage autour d’elle. C’était finalement la seule chose intéressante dans ce rêve. La jeune femme détailla chaque habitation que le vampire avait recrée, cherchant à comprendre pourquoi son songe était nourri de souvenir d’avant sa transformation. Certes, le vampire était relativement jeune, autant par son âge que par sa modification raciale. Mais elle aurait cru qu’une créature de la nuit, prédatrice par nature, aurait plutôt rêvé de chasse. Après, il s’était peut-être endormi bien trop repu pour courir après des proies chimériques.

La jeune femme décida de reposer son regard sur la scène de combat, lorsqu’elle entendit le sifflement typique des flèches qui traversait l’air. Les deux êtres s’affrontaient à distance, disséminant ci et là des flèches. Le vampire, malgré la situation qui devait lui peser et l’inquiéter, puisa dans ses capacités extraordinaires pour la localiser. Il avait une vue perçante et ne manquait pas d’audace. Ignorant un instant le combat avec son Tamashi, il décocha une flèche en sa direction. Elle fendit l’air sans faillir et l’Ombre la regarda venir sans inquiétude en se contentant de reprendre une apparence brumeuse. Le carreau la traversa de part en part et s’empala dans un mur derrière elle, dans un claquement sonore. Le vampire était un bon archer et la jeune femme tourna la tête un instant pour regarder l’arme qui venait de la transpercer. Même si cela ne lui faisait rien, elle appréciait moyennent de retrouver sa forme d’Ombre pour recevoir des choses en pleine tête. Surtout parce qu’elle préférait conserver son apparence d’origine.

« Ne recommencez plus jamais ça, lui confia-t-elle sur un ton glacial et menaçant. Vous ne ferez qu’user vos flèches et ma patience… »

Puis, elle disparut et le paysage aussi. Autour du vampire, un nouveau village se mit en place et le Tamashi prit l’apparence d’un homme à l’apparence affable. Les habitations ne devaient pas lui parler grandement, puisqu’il ne s’agissait pas réellement d’un village existant sur les Terres du Yin et du Yang. Plutôt en assemblage de différentes bourgades que l’Ombre avait pu visiter depuis sa longue errance. Les rues grouillèrent de gens, mais aucun ne s’intéressa vraiment au vampire, s’occupant de leur affaire comme si de rien n’était. Un détail cependant permettait de savoir qu’il n’était pas visible à leurs yeux, personne ne lui entra dedans, l’évitant comme on contourne un obstacle gênant, certain même semblait râler de devoir faire un pas de plus. Il faut dire qu’Aaliah avait réuni dans un même lieu, les personnes Yinois les plus méprisables et que pourtant, nul ne prenait la peine de combattre. Ceux qui en apparence était aimable avec leur ami et mal poli avec les inconnus. Pire encore, l’Ombre avait pris le soin de ne reproduire que les êtres qui s’en prenait aux animaux sans jamais les respecter. Et il suffisait au vampire d’ouvrir les yeux pour les constater. Le village était un enfer pour toutes créatures, sans distinction. Dans une écurie, les cheveux gardait la tête baissé, le vendre creuser par la faim et la peau érafler par les liens de cuir qui les entravait. Les femmes chassaient les chiens et chats errants de leur propriété à coup de bâton ou de balais. Des hommes discutaient d’un prochain combat de coq, cherchant à savoir lequel allait concourir et à quel sauce serait déguster le vainqueur. La cruauté animale y était représentée à son paroxysme et pourtant, chaque voisin s’échangeait un sourire amical, en parlant du beau temps à venir. Pour eux, il n’y avait rien de mal dans la souffrance qu’ils faisaient subir à leur compagnon animal. Au loin, un maître frappait son fidèle canidé, le rouant de coup parce qu’il n’avait pas su attraper un lapin pour le dîner et les passants ne posèrent aucun regard de pitié à l’animal qui couinait sous la violence des chocs et donc les poils prenaient une effrayante teinte vermillon.

La jeune femme réapparut près de ce maître peu clément, assise sur une barrière en bois, en le regardant faire. Elle tourna ensuite la tête vers le vampire, se demandant quelle serait sa réaction devant ce spectacle.

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