Bien souvent, Sindis, le tuteur de Séléna, l'amenait contempler la lune en haut du fameux Rocher portant le nom de l'astre. Néanmoins, avant que la lune n'apparaisse, ils avaient pour habitude de se balader longuement sur la terre des Béluas, l'enfant ayant toujours mille questions et l'homme souvent une légende à lui conter. Elle l'écoutait tantôt d'une oreille attentive, tantôt d'une oreille distraite, mais réussissait tout de même à relever les éléments importants de l'histoire. Ce que le Réprouvé essayait de faire, au delà du conte, c'était d'inculquer des valeurs à l'enfant et, surtout, d'éveiller sa curiosité et son sens de l'émerveillement. Quand ils étaient ensembles, ce n'était plus l'éducation stricte du Manoir qu'elle recevait mais une toute autre vision, une vision que l'on aurait pu qualifier de poétique, une vision que l'on prêtait souvent aux Génies d'ailleurs, créatures mystiques. A travers les mots qu'il prononçait, il y avait un soupçon d'interdit et comme un murmure susurrant que tout était possible. Séléna était sans doute trop jeune pour comprendre toutes les nuances qu'il souhaitait lui inculquer mais Sindis ne doutait pas un seul instant qu'exposer la fillette à un tel environnement lui serait profitable, même inconsciemment. Il en ferait la femme qu'elle devait devenir car, après tout, c'était elle, l'héritière de sa famille. En attendant, le tuteur de la Rehla eut une idée, qui n'était pas des moindres : la laisser seule pour la première fois un petit moment. Bien entendu, avec la destruction de la cité de Dhitys et l'invasion récente des Alfars, les Béluas avaient vécu de noirs moments, mais l'homme pensait que quelques minutes de solitude ne pourraient être fatales à la petite fille. Il ne serait pas loin. « Séléna ? ». « Oui ? » chuchota la concernée en s'arrêtant de marcher. Elle tenait les oreilles de Monsieur Lapin dans l'une de ses mains, le nounours plutôt grand traînant derrière elle. « Tu vas aller te promener seule quelques minutes. Fais ce que tu veux, mais évite de t'approcher des inconnus. ». Elle ouvrit de grands yeux avant de s'exclamer « Chic ! » et de partir en courant. Peut-être tenait-elle là enfin l'occasion de trouver quelques objets qui se trouvaient sur sa liste !

Une fois qu'elle fut à bout de souffle, l'enfant s'arrêta. Elle n'avait pas réellement besoin de peluches mais pensait fermement que Monsieur Lapin prenait vie quand elle ne le regardait pas. C'était son jouet préféré et nul n'aurait pu les séparer quand elle ne se trouvait pas en cours.

Devant elle, comme par enchantement, apparut soudainement une tour. « Oh ! ». Sindis aurait pu le prévoir, mais comment prévoir l'imprévisible ? La Tour Inconnue, monument aux mille facettes, aux mille couleurs et aux mille tourments. Quand le Réprouvé se rendit compte du phénomène, il était bien trop tard car la fillette était déjà rentrée dedans et la Tour avait décidé de repartir aussitôt, comme une façon de faire remarquer que c'était elle qui imposait les règles du jeu, non les « parents » soucieux de la sécurité de leur enfant. Bien sûr, Séléna ne se rendit compte de rien, à présent dans un univers étranges. Devant elle se trouvait un homme qui semblait totalement désemparé. L'enfant s'approcha. « Donnez-moi votre prénom. ». « Po... Pourquoi ? ». « Faîte le, c'est tout. » continua-t-elle sur un ton un peu trop autoritaire pour une enfant si petite. « Bernard... ». « D'accord ! Moi c'est Séléna, enchantée ! ». Ainsi, il n'était plus un inconnu et elle pouvait, donc, discuter avec lui. Elle n'était pas bien maline en temps normal mais, parfois, elle avait de la suite dans les idées, surtout pour contourner les règles qu'on lui imposait. L'éducation stricte qu'elle subissait jour après jour la faisait grandir un peu trop vite sans doute : cela s'entendait à son langage. Néanmoins, physiquement, elle faisait plus jeune que son âge. Quant à ce dernier, elle même l'ignorait. Elle n'en était pas sûre et, finalement, elle trouvait que cela n'avait aucune importance. « Vous allez bien monsieur ? » s'inquiéta-t-elle alors, voyant que l'homme n'était toujours pas calme. « Oui... Enfin non. Écoute, tu ne peux pas comprendre. ». Il n'allait tout de même pas demander de l'aide à une enfant. Et où était ses parents d'ailleurs ? Avisant un homme plus loin, il crut qu'il s'agissait de son père, simple déduction dans un contexte qui s'y prêtait. « Monsieur, vous devriez prendre votre fille et partir ! J'ai perdu mes enfants... cet endroit est maudit ! ». Il aurait bien demandé à ce qu'on l'aide mais n'osa pas d'un prime abord, comptant sur la générosité de l'homme pour qu'il la lui propose.

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Séléna sourit à l'homme qui arrivait. La petite fille n'avait pas l'habitude de voir beaucoup d'individus adultes, hormis les domestiques du Manoir. C'était nouveau pour elle et l'on pouvait déjà affirmer sans se tromper que la nouveauté lui plaisait énormément. L'enfant passa l'une de ses mains dans ses cheveux, puis l'autre, attrapant une mèche qu'elle s'amusa à suivre jusqu'aux pointes plusieurs fois. Elle n'avait pas vraiment de notion de danger, elle ne se méfiait pas, malgré les dires de son tuteur. Elle trouvait ennuyeux de toujours voir les mêmes personnes et, à présent qu'elle pouvait profiter de figures étrangères, elle ne voulait pas les quitter. Le seul petit soucis, c'est que la situation semblait un peu désespérée. Séléna le comprit au ton de l'homme qui pleurait presque. Inquiète, elle se demanda si elle ne pouvait pas trouver les enfants dont il parlait... Après tout, souvent, elle faisait des chasses au trésor dans le Manoir. Peut-être était-elle qualifiée, douée comme elle était pour retrouver les objets ? Bon d'accord, elle ne réussissait pas toujours son entreprise mais elle était presque sûre que la demeure faisait disparaître les choses. Et puis le Manoir était grand... quoi que cette tour aussi. La Rehla fit la moue, hésitant à se proposer. Elle ne voyait que le jeu et faire une partie de cache-cache géante ne pouvait qu'être amusant. Les autres enfants ne devaient pas être bien loin. Séléna connaissait plein de cachettes  comme les armoires, les dessous de lit, derrière les portes aussi, il suffirait de bien fouiller chaque pièce...

Elle sortit de ses pensées quand le nouveau venu s'adressa directement à elle, ouvrant de grands yeux. « Oh ben je ne veux pas rentrer moi, monsieur... ». Elle le regarda un moment avant de murmurer : « En plus, je ne dois pas parler aux inconnus... ». Elle ne connaissait pas son prénom, à lui. « Mais moi tu... ». « Mais vous, vous vous appelez Bernard. D'ailleurs, j'ai décidé de vous aider à retrouver vos enfants. ». Elle sourit. « Non il n'en est pas question ! Tu dois rentrer chez toi ! ». Le sourire de Séléna se transforma en moue. « Mon tuteur a dit que si jamais un jour on se perdait, je devais attendre qu'il vienne me chercher. Moi je pense qu'il pourra mieux me retrouver si je reste dans la tour que si j'en sors... non ? ». « Ah c'est que... ». Elle n'avait pas tord dans un sens, sans pour autant que son raisonnement soit le même que celui que fit l'homme à ses mots. Séléna ne savait pas que la tour changeait de place, elle pensait donc que Sindis viendrait la chercher si elle était en retard à leur rendez-vous. Le père de famille lui, pensa que le monde était sans doute plus vaste que la tour et, comme il ne savait pas où elle allait se poser quand l'enfant déciderait de sortir, peut-être valait-il mieux qu'elle reste à l'intérieur. Il ne manquait plus qu'elle tombe en Enfer ou à Sceptelinôst... « Oui, ce n'est pas faux. » finit-il par concéder avant de regarder l'homme qui allait sauver ses enfants, une lueur de reconnaissance habitant de nouveau ses yeux. « Peut-être peut-elle vous accompagner ? ». « Oui ! Comme je suis une enfant, peut-être que je retrouverai les autres. Et puis, comme je suis petite, je pourrai mieux voir certains coins... enfin je crois ! ». Elle rit, contente de sa théorie. « Comme ça si son... tuteur réussit à venir jusqu'ici, je lui dirai qu'elle est avec vous... ». Il fit une courte pause avant de préciser sa pensée. « C'est sans doute plus sûr que de la laisser sortir toute seule de la tour... ». « Surtout qu'il n'y a plus de porte ! ». « Pardon ? ». « Oui... la porte, elle n'est plus là. » précisa Séléna en montrant l'endroit où se trouvait la sortie quelques minutes plus tôt. Peut-être que la tour voyageait ? Le père de famille sembla un instant vaciller, envisageant sans doute la possibilité qu'ils puissent rester coincer là à jamais. Sans s'apercevoir du trouble de son interlocuteur, la Rehla s'avança vers l'homme avec qui elle devait aller chercher les enfants. Elle s'arrêta et l'observa minutieusement, comme une amatrice d'art contemplerait un tableau. « Dîtes monsieur ? Est-ce que c'est normal qu'une stalac... stalactite pendouille de vos cheveux ? ». Elle pencha doucement la tête sur le côté, ses deux mains jointes derrière son dos. « Et puis, si on doit coopérer, il faut que vous me donniez votre nom. Mon tuteur sera pas content si je continue de parler avec un inconnu. ». Elle pinça ses lèvres avant de sourire, malicieuse.

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hrp:

Quand l'homme inconnu dit qu'il voulait bien l'amener avec lui, Séléna eut un petit mouvement de joie avec ses bras. Dans un murmure, elle fit entendre sa joie par un « Chic ! » motivé. Vivre des aventures, voilà qui avait le don de la rendre heureuse. Au Manoir, elle vivait parfois, mais pas assez à son goût. Là, le décor était différent et elle avait hâte de découvrir les environs. En plus, elle se dit que si elle arrivait à trouver les enfants du monsieur avec son compagnon d'aventure, alors elle pourrait s'en vanter un peu auprès de Sindis. Peut-être qu'il la féliciterait ? L'enfant sourit, se disant qu'elle aurait sans doute un baiser aussi. C'était assez rare qu'on prenne soin d'elle physiquement. Souvent, tout se faisait par la parole et, à vrai dire, elle était plus souvent punie qu'autre chose. Tout ça, c'était à cause de Samuel. Mais qu'importe, pour le moment, elle devait se montrer efficace ! Se remémorant les scènes pertinentes des livres qu'elle possédait, la gamine se mit à plisser les yeux et à regarder partout, comme un vrai détective ! Elle voulait tellement trouver les enfants ! Peut-être même qu'elle pourrait les inviter au Manoir plus tard ? « Arunh » répéta la fillette. Elle ne connaissait personne portant ce prénom. Tant mieux, comme ça, elle ne confondrait pas. Et puis, à présent, l'homme n'était plus un inconnu, c'était tout ce qu'elle demandait. « Aux gens de ton espèce ? » demanda alors Séléna sans comprendre. Alors comme ça, il y avait des gens qui, dans le monde, avaient les cheveux qui se glaçaient ? Elle en était presque jalouse. Elle aussi elle souhaitait avoir ça ! L'enfant prit l'une de ses mèches de cheveux et fronça les sourcils pour se concentrer dessus. Il ne se passa strictement rien. Elle soupira. Arunh ne devait pas être de la même espèce qu'elle. Elle leva les yeux vers lui, assistant au spectacle magique. « Waaaa ! » fit-elle, comme émerveillée. Il en fallait peu pour la rendre heureuse. Elle était impressionnée par à peu près tout ce qui sortait de son ordinaire. « J'aimerai tellement savoir faire comme toi ! Moi ça me dérange pas en tout cas ! Si tu veux, tu peux même le faire sur moi ! Je trouverai ça amusant d'avoir les cheveux glacés ! Peut-être que je pourrai faire de la musique, même ! ». Séléna imaginait un peu n'importe quoi. Cela dit, un instrument fait de glace lui paraissait plausible. Elle ne savait pas vraiment mais elle se disait que ça devait faire un son aigu et agréable à entendre.

« Ouii ! » fit-elle en se mettant en route avec Arunh. Elle montait les escaliers d'un pas enjoué, dansant à moitié. Elle n'était pas très souple, ni très forte, ce qui fit qu'elle arrêta bien vite de bouger dans tous les sens, s'essoufflant rapidement. Elle mit sa main sur la balustrade pour s'aider, bien que la surface soit un peu haute pour lui être d'un réel appui. « Tu crois qu'on va les retrouver ? Et puis... quand tu dis les gens de ton espèce, tu penses à quoi ? ». Elle fit une petite moue avant d'avouer : « Moi, je ne sais pas à quel peuple j'appartiens en fait. On ne veut pas me le dire et pis je n'arrive pas à faire de la magie... enfin si, parfois je peux parler avec les animaux... enfin, je crois. Je ne suis pas sûre mais je pense que je comprends ce qu'ils disent. C'est drôle hein ? ». La fillette passait énormément de temps à nourrir tous les animaux qui se trouvaient dans le Manoir, même les insectes comme les fourmis. Elle aimait donner à manger aux oiseaux aussi et faire boire les chevaux. « Dis monsieur, tu es un aventurier ? ». Ça lui paraissait être le cas vu qu'il allait secourir des enfants perdus. Peut-être même qu'elle aussi, du coup, avait changé de statut ? « Moi j'aimerai bien être une aventurière mais je dois rester au Manoir pour apprendre l'étiquette. C'est un peu ennuyant mais c'est ce que doit faire une demoiselle de mon rang apparemment. Moi je préférerai partir à l'aventure ou alors devenir une pirate ! Ce serait bien de naviguer sur l'eau... ou alors de courir sur la glace pour chercher des trésors. ». Elle changea de sujet, posant une question hautement existentielle. « Dis, tu as une amoureuse toi ? ». En même temps qu'elle parlait, Séléna regardait autour d'elle, comme si elle cherchait un indice. En haut des escaliers, il y avait beaucoup de portes, si bien qu'en les apercevant, elle fronça les sourcils. Comment allaient-ils choisir ?

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