Kaahl n'était pas à Sceptelinôst depuis longtemps mais il s'y sentait déjà mal. Bien entendu, personne ici ne pouvait deviner qu'il était Sorcier en le voyant se promener, mais il valait mieux être prudent. Le territoire appartenait aux Réprouvés, et même si l'endroit était assez mal famé et plutôt diversifié au niveau des races à cause du commerce qui s'y faisait, son peuple n'était pas le bienvenue. Quoi qu'il en soit, le cadet de la famille Paiberym avait rendez-vous avec son frère Khaal sur le port, devant une maison qui servait très certainement à alléger les besoins naturels des hommes de passage. L'adolescent ne se préoccupait pas de ces détails. Ses hormones le travaillaient parfois, mais pas assez pour le pousser à s'abaisser à ce genre de pratiques. Il trouvait ça répugnant. Si un jour il prenait femme, alors elle serait à lui et à lui seul. Jamais il ne laisserait un autre homme la toucher. Kaahl n'était d'ailleurs pas très sûr que sa conception de l'amour soit celle de tout à chacun. Pouvait-il seulement aimer ? Tout ce qui l'intéressait, c'était de posséder et de dominer. Il n'en avait pas encore la possibilité malheureusement, trop jeune et trop faible, mais dans ses objectifs de vie figurait celui de devenir l'Empereur Noir. Il admirait Lord mais il le surpasserait, il se le promettait.

En attendant, s'il était ici c'était pour une chose très précise qui, même si elle n'était pas directement liée au pouvoir qu'il convoitait, lui permettrait plus aisément de le posséder. Chacun de ses frères possédait un fragment du cristal maître et lors de la quête qu'il avait mené en compagnie de Kaalh, une vision s'était imposée à lui : celle de Sceptelinôst, la ville des pirates. Comme pour la seconde pierre, cette magie qui avait pris possession de son esprit un court instant n'avait autre but que de le conduire à ce qu'il cherchait : la troisième pierre de la Rose des Sables. Puisque les recherches s'étaient toujours déroulées à deux par le passé, il avait convié Khaal à se joindre à lui. Ensembles, ils seraient bien plus forts. Les triplés de la famille Paiberym avaient cet avantage, un avantage tactique non négligeable. Néanmoins, le fait d'être trois avait un inconvénient majeur également : si l'un mourrait, les autres subiraient le même sort. Depuis qu'ils étaient petits, on le leur avait dit sans cesse. Il n'y avait rien de précis qui justifiait cette mise en garde hormis l'expérience des vivants. C'était ainsi, même si l'on ne savait pas pourquoi : quand deux ou plusieurs enfants naissaient en même temps, ils étaient liés à jamais. Alors, Kaahl avait en sa possession la responsabilité de sa vie, mais également de celle de ses frères. Il en était conscient. N'importe quel Sorcier normalement constitué ne pouvait faire confiance à d'autres Sorciers. C'était une évidence, même s'ils étaient de la même famille. Il n'était pas rare que la trahison soit de mise, que l'on tue son père ou son fils pour sauvegarder ses propres projets ou s'élever vers les sommets de la hiérarchie. Chez les Paiberym, cela ne pourrait jamais se faire. Les trois avanceraient toujours ensembles, parce qu'ils y avaient été obligés dès leur naissance et qu'ils avaient su tirer partie de la chose pour en faire un avantage.

Kaahl souriait aux passants, appuyé contre la balustrade. Jamais le sourire qu'il avait sur le visage ne disparaissait tout à fait, ou dans de rares occasions. Il faisait exprès car son jeu était ainsi. Chacun sa tactique : la sienne consistait à tromper son monde. Il aimait qu'on le prenne pour un Magicien ou tout autre être bénéfique. Il aidait les gens, se liait d'amitié avec eux et, de cette manière, arrivait à obtenir ce qu'il souhaitait. Il avait remarqué depuis déjà tout petit qu'il suffisait de parler poliment, de s'intéresser aux autres pour que beaucoup plus de possibilités s'ouvrent d'elle-même. Une femme était plus sympathique après un compliment, un homme plus bavard après qu'une aide amicale lui ait été apportée et ainsi de suite.

Le Sorcier finit par se tourner vers le large. Sa silhouette aux vêtements gris foncés se détachait du ciel bleu. La journée s'annonçait parfaite pour entamer des recherches.  Il ignorait ce qu'il se passerait une fois qu'il aurait la pierre en main mais il avait hâte de le découvrir.

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