La berceuse céleste avait eu l’air de résulter avec une diligence affligeante. De toute évidence, la fatigue de Callidora associé à la légère brise lui octroyait un débordement d’émotions. C’était également son premier vol, Zane était bien placé pour savoir que la première fois rimait toujours avec adoucissement. La liberté dans les airs n’était inégalée par aucun autre pouvoir. Du ciel, tout paraissait plus distinct, plus admirable, mais aussi plus simple. C’est comme si les problèmes étaient provisoirement balayés par le vent qui fouettait leurs visages. Le démon, défendu par le défaut de la curiosité, était à l’écoute des songes de sa partenaire. Qui sait ce qu’il pouvait obtenir comme révélation maintenant qu’elle se trouvait dans le pays des rêveries. À tout moment elle pouvait sortir des insanités piochées de ses fantasmes les plus insensés, alors pour rien au monde il ne se priverait d’obtenir quelques confessions inavouables, surtout pour les lui ressortir plus tard lors de différends qu’il pourrait dévoiler à son avantage. Sadisme, quand tu nous tiens. Pas de chances pour lui, la brunette ne semblait pas disposée à lui donner satisfaction, les seuls mots qu’elle délogea du bout de ses lèvres étant totalement indécodables. Décidément, même lorsque'elle sommeillait et ne disait rien, elle parvenait à contrecarrer ses désirs les plus démentiels.

À cet instant, une idée satanique germa quelques microsecondes dans la conscience malsaine du diable. Il avait hésité à la lâcher brusquement pour lui faire vivre le grand frisson, lui donnant ainsi un ticket gratuit pour les voltiges hasardeuses du grand Z. Il renonça toutefois bien vite à cette idée, s’imaginant la torture qu’elle pourrait lui faire endurer ultérieurement à cette frayeur, et surtout, car la probabilité qu’il réussisse à la réceptionner était assez mince. Tout bien réfléchi, il préférait la garder indemne, quitte à perdre une belle occasion de se réjouir un peu. Il n’en oubliait pas non plus la finalité de son sac d’os qui reposait entre ses mains. Quand bien même il ne portait pas cet homme dans son cœur, ses yeux arpentaient chaque fraction de terre qu’il sillonnait méticuleusement en franchissant le ciel méthodiquement. Ne trouver aucune trace de lui était assez frustrant, ça l’était davantage lorsqu’il était convaincu d’avoir tout feuilleté sans succès. Un phénomène étrange se présenta soudainement à sa randonnée divine, lorsque sorti de nulle part se dressa des sommets végétaux plus hauts que les nuages. Pris de court, l’homme fut trop brusquement surpris pour tenter de bouleverser sa trajectoire. Sans qu’il ne puisse l’expliquer, ses ailes contestaient vouloir rester stationnaires, ce qui engendra une dégringolade inéluctable. L’unique moyen qu’il avait de protéger sa marchandise se limitait à la serrer contre lui tandis que l’impitoyable affaissement se produisit. Contrairement à ce que ses yeux lui avaient révélé, c’est sur un amas de mousse qu’ils s’aplatirent, et fort heureusement pour sa compagne qu’il fut forcé de lâcher sous la violence de la collision, laissant cette dernière rouler sur quelques mètres.

Plus tenace que sa camarade, Zane ne mit qu’une fraction de seconde avant de rectifier son buste. Tout cela était si bizarre, ce phénomène anormal recelait un élément en dehors de sa portée. Avide d’en apprendre plus, le démon fut toutefois encombré par le corps de Callidora qui l’escalada. En d’autres contextes, il aurait assurément été enchanté d’une telle initiative. Malgré cela, la venue de cette femme les acclamant les interrompit tous les deux. C’est le visage érodé par l’agacement que le démon précipita sa tête vers la nouvelle intervenante. L'émanation qu’elle exposa au grand jour lui révéla qu’il s’agissait d’une consœur. Elle était donc la cause de sa chute ? Probablement. Et le dénommé Syveth, à n’en pas douter elle s’était servie de lui par le biais de manipulation. Sans dire un mot, Zane libéra lentement sa partenaire afin qu’il puisse délicatement se ressaisir. Poing et genou à terre, il fixa férocement sa compatriote, frissonnant non pas d’effroi, mais d'effervescence. Il se retenait de ne pas lui sauter dessus, précédant ses sens de s’éveiller pour éviter toute inadvertance qui aurait généré de fatales répercussions. Il n’écoutait même plus le monologue qu’elle acheva en se disséminant dans un nuage de vapeur. Le grognement de l’homme détona subitement alors qu’il se rétablit d’un coup en bombant son torse. Il raillait à son tour, révélant une dentition de prédateur. D’une puissance accrue par la rage, il frappa de toutes ses forces contre le premier végétal qui tomba sous sa main, déracinant ce dernier en le divisant. « Elle a fait l’erreur de s’en prendre au mauvais démon. Elle le regrettera amèrement. » Scanda-t-il en reconquérant tout son calme, savourant ses paroles d’un ton apaisé.

Au moins, elle avait déverrouillé l’accès à la sortie, pour le reste il s’en fichait royalement. Tandis que la belle brune était toujours soutenue contre son torse, elle se disposait à repartir une nouvelle fois avec son ami. Avec le temps, il commençait à trouver ces conclusions vraiment familières. L’éternelle scène de leurs retrouvailles suivies de leur départ composait un cycle curieux, mais pas désagréable. « L’oubli est une absence de souvenirs. Je pense t’avoir donné le moyen de ne pas négliger cette journée. » Confia-t-il narquoisement à Callidora en désignant les plaies sur son ventre. Allez savoir si sa trahison vue de l’extérieur n’était pas l’intermédiaire le plus primitif pour elle de s’en rappeler. En ambulant ses larges ailes, Zane décolla de quelques centimètres du sol. « Un dernier mot ? Adieu, oignon, fesse… Hmm, j’ignore si un seul d’entre eux suffirait. » Prenant peu à peu de l’élévation, le démon lui concéda un sourire espiègle, après quoi il s’effaça à une vitesse foudroyante vers le chemin béant, réunissant une petite bourrasque sur les deux jeunes gens. Lors de son passage, une grande carte destinée aux jeux s’effondra aux pieds de la femme. Sur le morceau de carte en question, une silhouette féminine était représentée. Une épigraphe y était dressée, on pouvait distinctement y lire : "Souveraine des plaisirs charnels, à jamais" complétés par le symbole caractéristique d’un cœur. Au dos s’y trouvait l’inscription : "À la prochaine !"