La pièce était poussiéreuse, des toiles d’araignées pendaient à l'image de décorations de fortune le long de poutres en bois dévorées par les mites. Elle semblait si petite, mais pourtant elle contenait une quantité astronomique d’instruments en tous genre, du clavecin en passant par la lyre, ou encore la harpe. Ces derniers était incroyablement bien entretenus, et leur bois brillant contrastait avec la couleur terne des murs décrépis. L’homme qui tenait cette échoppe connaissait ses priorités. Sur un petit établi, on pouvait apercevoir plusieurs outils qui servaient à réparer, accorder ou nettoyer les précieux instruments cités plus tôt. Derrière tous ces biens matériels de trouvait une ombre humaine, d’où un air doux et mélodieux parvenait aux oreilles de quiconque passait la porte de cette minuscule bâtisse.

Korra avait entendu parler de lui depuis bien longtemps. Lorsqu’elle avait reçu sa première flûte à l’âge de huit ans, sa mère lui avait compté l’histoire de l’homme qui l’avait fabriqué. Ce dernier était un vieux magicien, tellement vieux que sa barbe elle-même semblait couverte de poussière. Il était, disait-elle, le plus grand musicien qu’elle n’ait jamais connue. Il comprenait la musique d'une façon particulière qui relevait du sensoriel. Il avait notamment composé de nombreux opéras, mais très peu connaissait leur véritable auteur. Avec le temps ce genre de chose se perdait.

Aujourd'hui, l’Alfar était venue le rencontrer en personne. Pas seulement pour se tenir face à l’un des êtres qu'elle admirait le plus, mais aussi pour lui demander de lui enseigner son art. Korra avait toujours aimé la musique. On pouvait dire tellement plus avec quelques notes qu’avec une tirade monotone. La jeune femme aimait ressentir, et certaines mélodies avaient le don de lui procurer des sentiments profonds, plus encore que ceux provoqués par les autre. La tristesse, la mélancolie, la joie. L'espace d'un instant, plus rien n'avait d’importance. On pouvait fermer les yeux, et laisser son corps absorber les notes et les harmonies pour en retirer une essence vitale. Sans cela, Korra n'était rien.

Elle toqua timidement contre la porte ouvert. L'endroit semblait désert. Pourtant, après un peu d'insistance, l’homme apparut sur le pas de la porte, sortant de l'ombre qui baignait la pièce derrière lui. Korra fut frappée par la jeunesse de son regard. Des yeux bleus, des cheveux blanc immaculé. L’ancêtre gentil et bon vivant par excellence. « Bonjour » dit-il avec un sourire bienveillant.  « Que souhaitez vous ? » L’Alfar voulut lui répondre, mais aucun son ne voulut sortir de sa bouche. Elle n'avait pas imaginé que cela serait aussi difficile pour elle. Voilà qu'elle devenait timide. « Je peux entrer » fini-t-elle par demander à mi-voix. « Bien sur, ne faites pas attention au bazar, je n'ai jamais était quelqu'un de méticuleux » répondit-il en l’invitant à entrer. Une odeur de bois mélangée avec celle de fleurs desséchées monta au nez de Korra. Elle posa les yeux sur une magnifique harpe argentée, aux cordes fine et transparentes. Directement, elle eut envie de la posséder. C'était l’un des problèmes à avoir grandit dans un milieu aisé, on avait tendance à vouloir toujours plus.

« Alors, dites moi tout. Pourquoi êtes vous venu voir un vieillard à moitié gâteux dans un lieu qui semble loin de chez vous ? ». De nouveau, Korra hésita. « Je... Je tenais d'abord à vous dire combien je vous admire, et à quel point je trouve vos oeuvres extraordinaires. » Il sourit pendant quelques instants avant de devenir soudain froid et distant. Il fixait les oreilles pointues de la jeune femme. « Oh, je vois, vous êtes une Alfar » « Oui.» Repondit-elle simplement, en sachant très bien qu'il ne devait pas porter sa race dans son cœur. « Allez droit au but, pourquoi êtes vous ici ? » Korra se mordit la lèvre inférieure, puis prit une grande inspiration. Il fallait qu'elle y arrive. Elle allait y arriver. « J'aimerais devenir une grande musicienne moi aussi. Je ne connais pas grand chose, je sais juste jouer quelques instruments. » « Et ? » « Et j'aimerais que vous m'enseignez votre discipline. J'ai ouïe dire que vous avez pris sous votre aile de nombreux débutants, et les avez transformés en prodige.»

L'homme ne dit rien. Il regardait le vide, penseur. Puis, il se tourna vers son établi, et entreprit la réparation d'une flûte en bois. Korra n'existait plus. Cette dernière fronça les sourcils, et sortit de sa poche une bourse qui tinta lorsqu'elle la secoua devant les yeux du vieillard. « J'ai de quoi payer » dit-elle, la mâchoire serrée. Il ne pouvait pas lui dire non. Ce n'était pas une réponse envisageable. Les autres n'était pas aussi bon que lui, elle ne voulait pas d'autres professeurs.

« Garde ton argent, je n'en ai pas besoin. Crois-tu vraiment que j'ai du temps à perdre avec une gamine égocentrique et qui pense que tout s'achète? Travailler avec toi va être une horreur... Mais c'est d'accord » « Mais vous venez de dire qu- » « Je sais ce que je dis. Et aujourd'hui je dis oui en retour d'une faveur que l'on m'a fait il y a longtemps » « Comment? » « Ta mère m'a aidé par le passé. Je lui dois bien ça. Je ne t'avais pas reconnu au début, mais vous avez exactement le même air lorsque vous n'obtenez pas ce que vous voulez.» Korra sourit en pensant à sa génitrice. Elle n'était pas tendre, mais elle était juste et loyale. Elle jouait du violon comme personne. La jeune femme se jeta au coup du magicien et lui fit une brève étreinte « Merci, merci mille fois! Je ne vous decevrait pas. » L'homme se dégagea, et plaça la flûte qu'il venait de réparer dans les mains de Korra. « Joue, montre moi ce que tu sais faire. » Lentement, elle s'exécuta, en faisant attention à ne pas faire tomber l'instrument tant elle tremblait. Elle plaça le bec entre ses deux lèvres carmin et souffla avec puissance. Ses doigts couraient le long des trous, couvraient certains, en libéraient d'autres. Une mélodie simple mais entêtant envahit bientôt la pièce, se répercuta contre la pierre froide.

Lorsque le morceau fut fini, elle déposa  le cylindre de bois sur la table où il était plus tôt. « C'est très moyen. Mais il y a de quoi faire, tu semble plutôt à l'aise avec l'instrument. As-tu fais du solfège? » Prenant son rôle d'élève à coeur, Korra ne déchanta pas face à cette première remarque. Elle savait qu'elle avait du chemin à faire pour atteindre le niveau qu'elle souhaitait, mais peu importait le travail qu'elle devait fournir. Elle irait jusqu'au bout. « J'ai étudié le solfège plus jeune, avec un professeur, comme de nombreux Alfars. » « Très bien. On commence dès maintenant. L'apprentissage débutera par la théorie avant de passer à la pratique. Je veux te voir au moins une fois par semaine, sinon tu ne progressera pas. J'espère que tu sais dans quoi tu t'engage, ce genre de métier artistique n'est pas le plus lucratif, mais je n'ai pas l'impression que l'argent soit un problème pour toi. Maintenant file, je t'ai assez vue pour aujourd'hui.» Korra ne répondit rien et se contenta d'hocher la tête avant de s'éclipser le plus vite possible. Dehors, elle ne put retenir une exclamation de joie. Enfin, elle allait pouvoir apprendre cet art qu'elle cherissait tant. Maintenant qu'elle était loin de Drosera, ses motivations étaient minces, chaque jour elle tournait un peu plus en rond. Mais désormais elle aurait un but, une quête sans fin à laquelle elle s'adonnerait sans rechigner. Korra ne souhaitait pas devenir juste bonne en musique, et arpenter les tavernes pour faire son petit numéro. Non, elle allait devenir la meilleur, et elle montrerait à ce monde rustre l'importance des arts et leur raffinement. Lorsqu'elle reprit son chemin, elle avait le cœur léger. Dans une petite cours, un air joyeux emplissait l'air. Korra, y vit un signe, et elle se mit, à son tour, à fredonner la mélodie à mesure qu'elle rejoignait son auberge.