Quelques sanglots étouffés dans le silence de la nuit, pour ne pas réveiller l’époux endormi qui s’agacerait de ses pleurs. Assise et recroquevillée dans un petit coin du lit, Tomoe essuyait ses larmes. D’un geste lent et tremblant, elle tira les draps pour recouvrir son corps nu. L’une de ses mains s’attarda sur les rondeurs naissantes de son ventre. La famille Borgia avait réussi. Elle attendait le dernier descendant du clan. Cette grossesse inespérée lui avait valu un sort meilleur. Plus personne n’osait lever la main sur elle, de peur de risquer de blesser le bébé. Cependant, la jeune femme était surveillée avec d’autant plus de soin et elle savait qu’on lui arracherait son enfant des bras pour qu’elle ne l’influence pas avec sa magie bleue. Cette trêve n’annonçait que des tourments futurs. Tomoe releva lentement les yeux, laissant le bleu de ses iris se perdre dans la pâle lueur des rayons de lune qui perçaient à travers les épais rideaux des fenêtres. Parfois, elle avait l’impression qu’il serait tellement facile de s’enfuir, de trouver protection et de mener une existence tranquille, loin de ses Sorciers. Ses rêves se brisaient dans une pluie acide lorsque le souvenir de ses précédentes tentatives lui revenait à l’esprit. Tomoe soupira et se laissa tomber sur le matelas. Un bras dans le vide, elle caressait du bout des doigts la petite panthère qui sommeillait à ses pieds. Elle ferma les yeux. Il fallait qu’elle dorme. Dans ses songes, elle était libre et le temps passé était délicat. Peu à peu, elle sombra dans l’univers chimérique, bercée par ses idéaux et le murmure du vent, porteur de miracles et de châtiments.

Sur une colline de sable dorée, de grands escaliers se dessinaient lentement, comme crayonnés par la plume fragile d’un artiste inspiré. Quelques colonnes s’élevèrent tranquillement, puis des arches et un toit large et majestueux. Des plantes exotiques se mirent à pousser, fleurs colorées et parfums boisés. Le ciel était d’un bleu pur, limpide et sans tâche, qu’un astre brûlant surplombait. Tomoe contemplait sans comprendre cette architecture qui se traçait sous ses yeux. Curieuse, elle le scrutait, l’épiait. Elle n’avait jamais rien vu de pareil et se sentait irrémédiablement attirée par ce Temple. Longuement, elle hésita, pesant le pour et le contre. Elle finit par grimper les marches, trop intriguée par ce qu’elle pourrait trouver au bout du voyage. Elle discernait des ombres sans visage qui courraient près d’elle, pressées d’arriver en haut. Parfois, elle distinguait d’eux un détail : des taches de rousseur, des yeux verts ou un nez en trompette. De temps à autre, elle croyait apercevoir, fière et droite sur les marches, qui l’observait dans un sourire, une femme vêtue de plumes blanches. « Où suis-je ? » avait-elle demandé, une fois. Le mirage s’était envolé. Tomoe ne savait plus quoi penser. Etait-elle réellement endormie ? Elle n’en était pas certaine. Les pieds endoloris et la tête secouée, elle ressentait les affres des efforts. Elle ne connaissait même pas les raisons qui la poussaient à continuer cette ascension. Pourtant, elle se mit à rire lorsqu’elle arriva près du Temple, qu’elle se mit à longer, ravie. Souriante, elle entra dans le Temple. Tout était tellement gigantesque, impressionnant et majestueux. La pièce semblait interminable, achevée par un immense trône et une balance. « Le chemin a été long. Vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais vous êtes déjà venu plusieurs fois. Vous n’étiez pas prête. Vous rebroussiez chemin. » Tomoe chercha son interlocuteur. Elle ne voyait personne. « Aujourd’hui, vous l’êtes. » Un tintement métallique attira son attention. Comme posé à ses pieds avec une infinie précaution, un bijou patientait. Tomoe le prit comme si c’était l’objet le plus précieux de toute sa vie. La chaîne était longue au point qu’il faudrait l’entourer plusieurs fois autour du cou pour qu’elle atteigne une taille raisonnable. Un médaillon rond gravé d’un oiseau se balançait au bout de l’argent. « Drejtësi Karizëm. » souffla la voix. « Pardon ? » Tout s’effondra.

Tomoe rouvrit brusquement les yeux, surprise par la brutalité de ce réveil. Doucement, elle se frotta les yeux. D’un coup d’œil à la fenêtre, elle vit que c’était l’aube. Les lèvres tordues en une moue contrariée, la Magicienne se leva sans bruit. Malgré les heures de sommeil, elle était fatiguée. Dans un étirement, ses doigts effleurèrent le médaillon qui reposait tranquillement dans le creux de ses seins. Tomoe blêmit. Elle n’avait pas rêvé. Cela l’effrayait. Pourtant, elle souriait. « Tomoe, dépêche-toi. » la réprimanda une voix basse par la porte entrouverte. « Ne réveille pas Elias. Viens. » S’impatienta Antigone, chargée de veiller au bon déroulement de la grossesse de la Magicienne. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda-t-elle sur le ton morne qui la caractérisait. Elle avait pris dans les mains le médaillon. « Une babiole à moi. » Elle ne s’y intéressa pas outre mesure. Elle avait eu tort.

+ de 820 mots