Tu marches lentement, silencieusement, évoluant dans la longue salle du temple. Tes yeux restent fixés sur le sol de marbre, et le souvenir d’une enfant s’amusant à sauter d’une case à l’autre du damier te revient, fragment de ton enfance. Ceci n’est pas ta première visite au temple de Drejtësi, loin de là. Et pour cause, en tant que Mord’th, tu as reçu l’éducation stricte et rigoureuse que suit chaque jeune fille de ton espèce, où une unique notion règne en maitresse : « Justice ». Ainsi, tes instructrices t’ont, en de nombreuses reprises, emmenée en ce lieu pour y vénérer votre Æther, puissance suprême parmi tous les puissants. Pourtant, le temps n’a en rien changé cette impression de grandeur, ce sentiment de n’être qu’un insecte face à cet idéal que vous défendez, vous, ses humbles partisans, et tu restes toujours cette enfant impressionnée face à tant de grandeur.

Tu as abandonné tes longues robes ornementées, pour vêtir une tenue plus modeste, sans fanfreluche ni autre accessoire inutile au culte. Tu te serais sentie bien ridicule, en venant ici habillée comme une Dame, alors que la maison de la Justice te fait prendre conscience de la place que tu occupes dans ce monde, l’inexistence de ta personne dans le cosmos… Tu te sens à la fois vulnérable et protégée, entre ces quatre murs. Petite et fragile sous ce haut plafond, pourtant tu sais que dehors, justice sera toujours rendue pour ceux qui possèdent la foi, ceux qui persistent à garder intacte leur conviction.

Le cœur palpitant comme à chacune de tes visites en ce lieu majestueux, tu t’avances vers le centre de la bâtisse, te mettant à l’abri des regards derrière l’une des grandes colonnes, comme pour dissimuler un élan de pudeur. Et une fois sûre que personne n’épiera indiscrètement ta prière silencieuse, tu adoptes la même allure que les autres fidèles : doucement, tu t’accroupies face au mur, et les mains jointes devant toi, tu adresses à Drejtësi des mots inaudibles aux mortels. Un vœu encore inexaucé, le souhait d’être débarrassée de tes tourments…

Voilà bientôt une année que tu as quitté ta vie paisible et recluse dans le désert. Tu as ainsi eut tout le loisir de visiter les terres sur lesquelles tu vis, de voir le monde qui t’entoure. Tu as observé bien des merveilles que la nature a créée. Oh oui, de sublimes créatures, des lieux enchanteurs, et d’autres choses encore que tu ne saurais décrire. Mais tu as découvert tout autant d’horreurs, ce que la cupidité de l’homme a détruit, des crimes abominables, des maux ravageant les peuples, et, fardeau des plus insupportables, des injustices que tu ne pouvais résoudre seule. La plus simple des injustices que tu côtoies jour après jour dans ton travail auprès des Protecteurs du Bonheur, n’est autre que de voir de pauvres êtres innocents séparés de leur famille, arrachés aux personnes qui les chérissaient plus que tout autre… Tu viens donc implorer aujourd’hui l’Æther, non pas pour qu’elle t’accorde un quelconque privilège, mais pour qu’elle te donne assez de courage, de force pour lutter contre ce genre de fléau. Pour que tu puisse honorer cette idéologie à laquelle tu tiens tant.

Tandis que tu formules ton vœu, tes oreilles sont alors engourdies, encombrée d’une sorte de bourdonnement envahissant. Un murmure sourd qui grossi, et submerge peu à peu ton esprit, tes pensées, jusqu’à ce que tu ne puisses plus te concentrer sur autre chose que ce bruit oppressant… Résignée, tu te détourne de ta prière, et décides de faire quelques pas de plus avant de t’y remettre… Peut-être n’es-tu tout simplement pas encore prête pour formuler ton souhait auprès de la puissante ? Tu reprends donc ta marche. Cette fois, tu prêtes plus attention à ce qui se trouve autour de toi. Tes yeux bleus se posent alors sur la balance à plateau, occupant le centre du temple. Tu te sens comme attirée par le symbole, et suivant ton instinct, tu t’en approches lentement.

Tu jettes un regard circulaire autour de toi. Le personnel ecclésiastique se trouve autour de toi, ainsi que d’autres fidèles à Drejtësi, mais personne ne te prête attention. Alors tu reportes ton attention sur l’objet imposant. Tu t’agenouilles devant lui, et te sens de nouveau appelée par lui, envahie par une envie inexplicable de te confier sur ce qui pèse dans ton cœur. Tu doutes qu’Elle entende tes mots, mais tu ne rates rien à lui témoigner ton allégeance. Alors tu laisses le flot de paroles dépasser tes lèvres dans un murmure pour ne pas déranger les autres croyants.

« Je ne sais pas si vous m’écoutez mais… Si c’est le cas, j’ai besoin de vous. Partout où je vais, je peux apercevoir ce que vous combattez avec ardeur. Et j’aimerais tellement pouvoir vous aider dans votre lutte pour éradiquer les odieux qui ne respectent pas les lois que vous édictez… » Tu soupires bruyamment, en te rendant compte que ton combat n’a rien donné jusque-là. Tu sens le besoin de te justifier et continues donc : « Mais la force me manque pour arrêter les malfrats, et la connaissance rigoureuse des lois ne me permet en rien de les stopper, car je ne suis pas assez connue. La trop maigre maîtrise de mes dons m’handicape dans votre croisade, et je n’ai pas assez d’influence pour régner dans l’ombre. Tout ce qu’il me reste, ce sont des mots, un message à faire passer, pour raisonner les hérétiques. Mais cela ne me mène nulle part non plus, car ma voix semble ne pas réussir à toucher les cœurs, qui restent sourds à mes tirades. » Tu marques une pause dans ton monologue. « Mais si vous me donniez les ressources nécessaire pour étendre votre message… Je jure de mettre un terme aux actions des moins honnêtes, qui profitent des pauvres gens, d’empêcher que le mal soit commis sans être punis… Je donnerais une seconde chance aux méritants et condamnerais ceux qu’il est trop tard pour raisonner… »

Et voilà, tu as finis. Une fois cette confidence terminée, tu te sens alors libérée, et un calme serein t’habite. Tu te sens bien, en quelques mots. Comme si tu avais gardé ce fardeau trop longtemps pour toi, et que le partager à la divinité t’avait lavé de tous les troubles qui te hantaient. Le cœur léger, tu esquisses un mouvement pour te redresser, lorsqu’un collier apparu de nulle part tombe sur le sol, provoquant un bruit mat qui raisonne dans le temple. Tu l’observes attentivement… C’est un ras le cou, uniquement fait de pierres précieuses –des diamants et des saphirs, à première vue. Il représente un okae, oiseau sacré symbole de l’ Æther, déployant deux grandes ailes pour s’accrocher autour de la nuque, et tenant en son bec une larme bleue.

Une fois encore, tu es prise d’un pressentiment que tu ne sais pas expliquer. Tu as la certitude que le bijou t’est destiné, qu’il est apparu ici pour toi. Alors, sans demander ton reste, tu prends délicatement le collier, et le plonge dans l’une de tes poches, avant de te remettre debout et de te diriger vers la sortie. Sans te douter un seul instant de l’immense honneur que vient de te faire Drejtësi.