Aaliah ne parvenait toujours pas à réaliser le drame qu’elle n’avait su déjouer : Luuna, sa fidèle louve, n’était plus. Depuis si longtemps déjà, l’animal la suivait en silence, intervenant lorsque la situation tournait mal afin de l’aider. Sa louve ne l’avait jamais déçue dans le choix de ses actions ; calme et réfléchie, bien plus qu’elle ne le sera jamais. Bien sûr, les années passant, la louve devenait moins présente, se reposant lors de trop longues errances. Cependant, il ne s’agissait là que d’une absence temporaire et l’Ombre savait qu’elle la retrouverait à son retour. Silencieuse, mais toujours bienveillante à son égard. Elle n’avait jamais eu de reproche à lui faire, acceptant avec facilité la venue de nouveaux compagnons au sein de leur si solide duo. Lorsqu’elle avait perdu son aimé et basculer dans le monde des Ombre en peine, elle était apparue. Même si elle n’avait jamais usé de ce terme pour la définir, Luuna avait été une amie. Il fallait malheureusement qu’elle disparût pour que l’Ombre réalisât à quel point elle faisait partie de sa vie si routinière. Désormais, comme son aimé, elle avait quitté la surface des Terres du Yin et du Yang. Du moins, sa vie s’en était allée… Son corps inerte lui, était resté pour lui rappeler la souffrance de perdre un être. Était-elle autant meurtrie qu’à la mort de son aimé ? Elle l’ignorait… Peut-être, mais elle avait plus d’expérience dans le domaine de la mort aujourd’hui pour supporter cela avec plus de maturité. Toutefois, le devenir des animaux après leur mort lui était inconnu. Qu’arrivait-il à leur âme ? Que devenaient ceux que l’on tuait si impitoyablement ? Il y avait-il un cycle de l’âme pour eux aussi ? Il y avait-il une justice pour protéger les plus faibles de la méchanceté de certaines races Yinoises ? Tant de  questions qui lui brûlaient les lèvres et qui la poussaient à se relever de ce désastre pour y trouver des réponses. Elle ne pouvait pas se permettre de sombrer dans un second deuil. Cette fois-ci, elle lutterait et trouverait les réponses, car ce n’était pas une quête personnelle. Cette fois-ci, ce serait au nom de tout un peuple, celui des animaux.

Cependant, un simple mortel ne pourrait lui fournir les réponses désirées. Elle devait s’adresser à plus haut, se tourner vers les Aetheri… Ce qui n’était guère aisé à faire. D’une part, parce que l’Ombre avait cessée petit à petit discuter avec ces derniers et d’autre part, parce que les Aetheri étaient quelque peu difficile à faire sortir de leur divine tanière. Toutefois, ce n’était pas ce qu’il ferait reculer la jeune femme. Le temps n’était pas un souci et elle saurait marcher et marteler des prières à en user la divine ouïe des Aetheri pour qui lui accordassent ne serait-ce qu’un court instant de leur temps si précieux. La pire des choses qui pouvait lui arriver, finalement, serait qu’un Aether la foudroyât pour retrouver le calme, mais cela n’effrayait pas l’Ombre. Si elle ne pouvait avoir de réponse, alors, mourir de la main d’un Aether, ma foi… Ne serait-ce pas là une belle mort ? Une délivrance en définitive pour celle condamnée par ces mêmes divinités après qu’elle eut commis l’acte abject de s’ôter la vie qu’ils lui avaient donnée. Ceux-ci visiblement n’avaient pas envie d’alléger son lourd fardeau d’Ombre, car nul foudre ne s’était encore abattu sur elle ! Et la jeune femme avait continué son chemin sans faillir, cherchant des lieux propices à ses réflexions.

Aaliah avait opté pour le temple de Drejtësi, dédié à la justice, certaines de trouver réponse à l’une de ses nombreuses questions et aussi, parce qu'elle ressentait comme un appel. Les fidèles de cette Aether disaient qu’Elle était l’unique à faire régner la justice sur les Terres du Yin et du  Yang. L’Ombre voulait donc discuter avait la mystérieuse divinité afin de savoir si sa justice si appréciée s’étendait sur le royaume des animaux. Le visage masqué par son large capuchon, autant par respect pour la Déesse que par discrétion, elle gravit l’escalier du temple, bien décidé à ne pas lâcher son but. Sa détermination était d’ailleurs sans fin, tout comme les marches qui défilaient sous ses pieds… Cependant, l’Ombre ne ressentait ni la soif, ni la faim, ni même la fatigue, aussi, il était hors de question de s’arrêter. Elle finirait bien par entrer dans ce temple... Sauf si elle avait raté l’entrée, bien évidement. Irréfléchie comme elle l’était, elle n’avait pas examiné en détail les lieux en contre-bas et avait gravit l’imposant escalier qui semblait, en apparent tout du moins, être le seul moyen de pénétrer dans ce lieu sacré. L’Ombre n’aimait cependant guère faire demi-tour et comptait sur son envie de rendre justice pour recevoir la clémence de la Déesse afin qu’elle lui ouvrît les portes de sa demeure. Sa ténacité fut finalement récompensée, car par un mystérieux tour de passe-passe, elle se retrouva à l’intérieur sans même comprendre à quel moment les marches s’étaient arrêtées.

L’Ombre n’était pas la seul dans le temple, il y avait probablement des membres ecclésiastiques au vu de leur habit et des pèlerins, ces derniers priant la Déesse pour une justice qu’ils étaient venu chercher, de très loin parfois. Aaliah grimaça quelque peu sous sa cape, elle aurait préféré être seule pour monologuer avec l’Aether des lieux. Aussi, elle promena son regard sur la décoration, détaillant les tableaux qui devait représenter la Déesse et admirant l’étrange fontaine et l’étonnante balance. Elle remarqua aussi que certains étaient venus les mains pleines d’offrandes. L’Ombre, elle, était venu les mains vides et espérait vraiment que la Déesse ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle avait peu de connaissance sur son culte, même si le long chemin parcouru pour atteindre le temple lui avait largement laissé le temps de se renseigner plus. Elle avança vers la fontaine, intriguée par l’eau qu’elle contenait, la faisant ondulée sous ses fines mains qu’elle passa à sa surface. L’Ombre n’avait ni l’envie, ni la soif pour y goûter et n’était pas certaine de répercussion que cela pouvait avoir. Dans un autre coin de la pièce, elle remarqua la présence d’un piano presque masqué par les colonnes et surmonté d’un immense tableau. Quelque peu curieuse, elle glissa ses doigts agiles sur les touches et fit raisonner une mélodie à travers la pièce. Aaliah ne pensait pas avoir appuyé aussi fort et se retourna vivement en espérant ne pas avoir déranger les gens présents. Cependant, la jeune femme constata alors qu’elle était seule dans le temple ! Elle écarquilla les yeux, suspicieuse. Elle ne les avait ni vu, ni entendu partir, mais préféra ne pas s’interroger sur le comment pour profiter de cet instant de solitude. Mimant les pèlerins avant elle, elle s’agenouilla au centre du temple et joignit les mains pour prier. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus fait cela et se sentait maladroite. Elle n’était pas bavarde et lorsqu’elle parlait, elle usait rarement des mots justes. Pourtant, il ne faudrait pas froisser l’Aether dans son propre temple !

« Drejtësi, Grande Aether de la Justice, je te demande de me pardonner pour mes mots qui seront, assurément, abruptes. L’art des discours n’est pas un domaine dans lequel j’excelle. Elle se tut un instant, hésitante sur le choix des mots pour exprimer la raison de sa venue, même si au fond d’elle, quelque chose lui disait que la Déesse était déjà au courant. Il est dit de vous, que vous rendez justice, mieux encore que les souverains. Par-delà bien des frontières, j’ai entendu parler de votre justice, mais elle ne concerne souvent que celle des hommes. L’injustice subie par les animaux ne peut rester sans jugement. La mort de Luuna m’a ouvert les yeux sur ce point. Tous les animaux ne sont pas égaux, certains ne peuvent parler, d’autre sont invisibles car insignifiants au regard des Hommes. Trop nombreux sont ceux qui ne peuvent réclamer un jugement pourtant mérité… La jeune femme se tut une nouvelle fois. Un jour, son père lui avait dit que pour prier un Dieu, aucune phrase ne pouvait commencer par « je » car il était malvenu de parler de soi en priorité lorsqu’on s’adressait à une divinité. Une règle qu’elle tentait donc d’appliquer, mais la formulation pour exprimer sa volonté de rendre justice en Son Nom pour les animaux lui posait problème. Drejtësi, reprit-elle. Les animaux ont besoin d’une personne qui saura défendre leurs droits et réclamer justice en leur nom… offrez-moi la possibilité d’être cette personne et je saurai me montrer fidèle à vos valeurs. »

Le silence régna une nouvelle fois au sein du temple et l’Ombre ne sut pas tout de suite si la Déesse de la Justice avait pris ses paroles en considération. Aaliah avait fait du mieux qu’elle pouvait pour choisir ses mots et décida donc de se relever. Ce fut alors que des bruits métalliques attirèrent son attention. Ce n’était pas le son d’armes qui s’entrecroisèrent, plutôt comme des bracelets qui tintèrent. L’Ombre s’attendit à voir une femme au bras couvert de bijoux, mais elle réalisa lors d’un second mouvement, que c’était elle l’unique responsable. Au-dessus de sa sombre robe, un imposant bijou avait pris place, ornant ses épaules, son torse et descendant bien plus bas que ses hanches. Les nombreuses pierres qui le couvraient, brillaient intensément. La jeune femme resta incrédule quelques instant. Était-ce un signe de la Déesse récemment priée ? Si tel était le cas, la Drejtësi n’était pas plus bavarde qu’elle, car elle ne lui offrit aucun autre signe. Aussi, l’Ombres s’empressa de quitter le temple avant que les ecclésiastiques ou que les fidèles de la déesse ne refissent leur apparition et la prissent pour une voleuse. Il lui faudrait probablement revenir une autre fois pour en savoir un peu plus sur ce mystérieux objet…


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Le bijou: