Alors voilà, c'était le moment fatidique. La guerre anges/démons qui était au cœur des conversations depuis de nombreux mois se concrétisait enfin. Après toutes ces réunions ennuyeuses, ces missions sans queues ni têtes et les discours pittoresques des dirigeants, le monde se décidait enfin à passer à l'action. Ce n’était pas trop tôt. Zane attendait ça depuis le premier jour où il était démon, en aucun cas parce qu'il vouait une haine aux anges, qui d'après les dires de certaines étaient les opposants naturels des démons, mais uniquement par désir de participer à une guerre. Les batailles épiques comme celles-ci étaient idéales pour l'estime de soi. Elles rendaient les hommes plus forts et permettaient principalement de devenir quelqu'un, de se sentir vivre. Malgré la grande animosité qui liait les démons aux anges, le ténébreux ne partageait pourtant pas leur point de vue. Par ailleurs, il n'avait jamais jugé une personne par son appartenance à une race, puisque tout être est différent. Il avait fait face à de nombreux démons qui ne partageaient pas le point de vue général, et inversement, certains anges démontraient une tendance à s'orienter vers le mal, d'où la présence des déchus, preuve concrète d'un basculement fréquent dans le camp adverse. Pour sûr, leur avis n'octroyait aucune importance à son choix puisque c'est justement parce qu'il les considérait comme tels qu'il voulait absolument joindre ses forces au mal. Qu'il s'agisse d'un humain, d'un démon, d'un hamster, Zane s’occuperait de qui bon lui semble. Cela dit, la présence de la reine l’empêcherait assurément de jouer les rebelles, il ne pouvait pas se permettre de se la mettre à dos pour le moment, par conséquent il agirait en soldat idéal. Chérubins ou hommes seraient les seuls individus à teindre sa lame de rouge.

L'énorme remue-ménage qui se déroulait à l'extérieur rassemblait tous les démons susceptibles de se joindre au carnage. La souveraine, présente, ne laissait filtrer aucune panique. Elle avait l'âme d'un leader incontesté, personne ne pouvait le nier. Sa puissance pesait lourd parmi les faibles comme lui, il était même laborieux de maintenir l'assurance qu'il s'efforçait pourtant de préserver. Cela lui fit prendre conscience qu'il n'était encore qu'une vulgaire fourmi dans une tanière de lions. Qui sait, l'avenir pouvait cependant lui réserver quelques bonnes surprises. Pour en revenir à la convocation générale, la démone expliqua en détail les différentes étapes de son plan. Pour faire court, selon le choix que les fils de Satan faisaient, ils pouvaient se farcir de l'ange directement, ou bien passer par la case humain pour éteindre en grande partie leurs groupes. Le choix était tout trouvé pour Zane. En attendant la fin des clarifications, le ténébreux s'exposait à se faire quelques alliés. Deux ou trois subalternes devaient suffire, le besoin inconsidéré de se sentir enrobé de toute armée ne lui plaisait guère plus que ça. En tant qu'assassin, il avait fait ses preuves, ses compétences étant justement taillées pour la sobriété. Finalement, la reine se tut, encourageant ses soldats à s'orienter dans les portails qu'elle venait tout juste de faire apparaître. Enfin, ce n’était pas trop tôt. En aucun cas le démon à la mèche n’était forgé pour écouter les trop longs discours, à moins que ceux-ci soient encadrés d'une éloquence singulièrement envoûtante. Les innombrables immortels présents lors de ce rassemblement ne se faisaient pas prier pour partir expressément. Le tumulte assourdissant assemblé aux cris de guerre des diables exprimait pleinement la passion de chacun pour la guerre. Zane agissait avec beaucoup plus de recul, s'il aimait effectivement tuer par plaisir, son intelligence supérieure l’empêchait de se réjouir pour si peu. Sa rationalité prenait le pas sur ses pulsions meurtrières, c'est pourquoi il se comportait dissemblablement des autres.

Cette attente interminable lui avait toutefois permis de faire ami-ami avec quelques faiblards de son camp. Le Quatuor se dirigea donc unilatéralement vers le portail qui menait à l'entrée du désert, celui-ci permettrait d’intercepter les humains qui jetteraient leur dévolu sur les refuges voisins. Le choix s'offrait à tous, opter pour la violence extrême en massacrant tout ce qui passait dans leur champ de vision ou bien se saisir d'un recours éventuellement moins brutal, mais tout aussi optimal. Sabre en main, Zane donna des directives à ceux qui avaient bien voulu le suivre. Son oratoire maîtrisé avait eu raison de leur psychisme fragile. Dans ces conditions, la facilité d'en faire des sacrifices lui accorderait de nombreux bénéfices. De l'autre côté du portail, la mise en scène qu'il s'était imaginé n'aurait pu être plus identique. Les effusions de sang avaient déjà débuté, la plupart des humains souffrant de leurs vulnérabilités. Malgré tout, les rares humains qui savaient se défendre s'avéraient en théorie plus puissants que la plupart des démons. Les hauts gradés n'avaient effectivement aucun souci à se faire, mais pour ce qui est du reste...

Zane interpella ses "hommes" d'une voix obscure, leur indiquant la marche à suivre pour atteindre les humains les plus forts. Pour ce genre d'ennemis, il était beaucoup plus pratique d'opter pour la finesse. Sa force actuelle ne lui autorisait pas des folies non plus, restreignant ses choix physiques. Les consignes étaient simples, se déguiser en tant qu'humain pour intégrer un groupe et ainsi atteindre les leaders de chaque unité. Le démon à la longue chevelure était un maître en la matière, il domptait la tromperie mieux que personne. Pour se fondre dans le décor à la perfection, le chef du petit groupe brossa ses cheveux d'une allure complètement différente, porta une paire de lentilles sur ses yeux et troqua l'apparence de ses vêtements avec quelque chose de plus consensuelle, cela via ses techniques d'illusions. Il modela également le ton de sa voix, lui donnant un aspect beaucoup plus juvénile. Pour jouer le rôle, il ne suffisait pas de porter les costumes, il fallait le vivre, c'est pourquoi Zane s'empressa de rejoindre un humain afin de prendre sa défense. Il porta un coup vertical avec sa lame, tranchant net le diablotin qui se tordit de douleur. En bon protecteur qu'il était, il maintenant une distance de sécurité avec les plus forts, se chargeant d'éliminer les plus défaillants de son espèce. De telles pertes n'impliqueraient aucune conséquence néfaste pour leur monde. À diverses reprises, il sauva donc une multitude d'humains, rejoint peu de temps après par ses nouveaux sujets. Ils avaient réalisé la même stratégie que lui, se fondant dans la masse avec brio. Entre les cris et les larmes des défunts, le tacticien s'en sortait plutôt bien. Au terme d'une bataille féroce contre plusieurs de ses semblables, il parvint à ouvrir une brèche dans le camp ennemi, permettant aux humains de s'y engouffrer pour prendre la fuite. « Allons y les gars ! Ne nous laissons pas faire par ces fichus monstres ».


La course folle s'enclencha alors, pendant que Zane se rangeait en tant que bouclier, sa nouvelle famille prenait de l'avance. Il déchaînait ses coups de sabre ici et là, tournoyant la lame entre ses doigts agiles sous une pluie d'attaques mortelles, il tua une flopée de démons sans aucun remords. À présent en dehors de tout danger, le manipulateur rejoignit les humains qui l'attendaient un peu plus loin, en contrebas d'un passage secret qui abritait de nombreux abris. La cachette en question avait dû être imprégnée d'une sorte de magie, puisqu’à part quelques anges gardiens, la présence de ses confrères était nulle. Le manipulateur avait vu juste dans la mesure où un plan de secours avait été mis en place au cas où les événements venaient à dégénérés. Deux de ses amis avaient réussi à le suivre, mais c'était encore trop peu pour inonder le désert d'un ravage de sang. Sa seule alternative consistait à prévenir les siens. Pour se faire, le démon traça discrètement un cercle d'incantation avec l'extrémité de son pied, à l'abri des regards indiscrets. Dans ce même cercle, il dessina d'autres motifs démoniaques, ceux-là mêmes qui lui donneraient l'occasion d'appeler du renfort. Alors qu'un humain pénétra dans sa zone de sûreté, Zane donna d'un mouvement de revers un coup d'épée dont la pointe craqua et crissa terriblement dans la mâchoire de l'individu. Celui-ci gargouilla encore avant de tomber comme une masse. Dans la panique générale, il s'empressa ainsi de conclure son rituel invocateur, transférant une dizaine de fils de Satan disséminés autour du cercle. Surpris de cette errance, il n'en restaient pas moins des bêtes cruelles, qui à la simple vision des ennemis s’empressèrent de hurler à l'unisson, brandissant leurs armes à la conquête du territoire. L'invocateur se joignit à eux aussitôt qu'il eut défait son déguisement avec sa main droite, crispant ses doigts à son visage devenu funeste. Non content d'avoir été un stratège hors pair, le personnage aussi narcissique que les dieux divulgua ses talents de bretteur. La lame d'acier qu'il maîtrisait coupait ses adversaires comme du beurre, les têtes s’arrachant de leur corps, trainant une guirlande de sang en plein vol. Par la puissance de ses jambes, il broyait les corps tombés à terre, les enlisant énergiquement dans le sable au plus profond de l'enfer. Ses yeux exorbités étaient vitreux de colère, bien qu'il subissait quelques assauts de temps en temps, sa danse meurtrière prit fin lorsqu’il planta la terminaison de son sabre dans le cœur du dernier archange présent.

Le constat était on ne peut plus maussade pour le clan du bien. La procédure avait été productive du début à la fin, et Zane n'était pas mécontent d'avoir misé une pièce sur la prévision d'une planque de secours. Réfléchir comme ses proies venait avec l'expérience de la chasse, le gibier se situant souvent là où l'attend le moins lorsqu’il est acculé. À l'exception des taches de sang auréolant les deux flèches plantées dans son torse, sa tenue était restée propre et neuve. Il enleva et brisa ces dernières, puis arracha un pan de sa chemise en la nouant autour de son buste, improvisant une reconstitution de dernière minute. Les doigts toujours bandés sur la garde de son arme blanche, le valeureux combattant posa ses fesses sur un dallage en marbre, admirant avec un sourire de fierté ce que lui et ses amis avaient effectué. Pour sa part, il avait accompli son rôle dans cette guerre en marquant un joli chapitre de son empreinte.