Un concours à petite échelle avait été organisé au club de jeux. Jezeṃiās, aussi peu assidu en activités annexes qu'en cours, n'en fut informé qu'en arrivant. Il lâcha son sac quelque part et fut aussitôt harponné par un garçon dont il avait oublié le nom. « Jezz ! T'arrives à point nommé pour le premier tour ! » « Ok. Cool. » accepta simplement le Démon sans se formaliser de cette entrée en matière ou du surnom. Il avait toujours été Jezz, à Liluvel ou ailleurs. Jezeṃiās faisait trop sérieux à son goût et il encourageait tout le monde à employer le diminutif. Curieusement, Jezz paraissait plus amical à autrui et il aimait bien être entouré. « On n'a qu'à le mettre face à Faust ? Démon contre Démon, ça peut être drôle. » « C'est parfait, bonne idée. » répondit-il à la place du garçon. Il lui était arrivé d'entendre parler de Faust, mais n'avait jamais mit de visage sur le nom. Quand il s'installa à la table carrée face à l'adolescent, il aboya de rire. « Mais c'est toi ! » s'exclama-t-il, aussi enchanté que s'il venait de découvrir être le fils héritier de l'Œil en personne. La vérité était un tantinet moins glorieuse, mais il savait trouver du bonheur dans les petites choses. « Y a une fille qui en pince sacrément sur toi, je me demandais justement si c'était quelqu'un qui existait. Tu permets ? » Il avança sa main entre eux et s'empara de son menton pour le forcer à tourner la tête. « Ouais, exactement le même profil. » confirma-t-il gaiement avant de le lâcher. « L'autre jour au club de peinture, j'ai découvert par hasard ton portrait reproduit des dizaines de fois. » En fait, il avait fouillé dans ses affaires quand elle était partie aux toilettes, un défaut qu'il ne cherchait pas à gommer. Parfois, il volait aussi, mais là il n'en avait pas vu l'intérêt. Il la trouvait bizarre et ce qu'il avait trouvé l'était tout autant. La violette gardait dans ses affaires plusieurs portraits du même individu, et Jezeṃiās savait reconnaître une obsession quand il en voyait une. C'était d'autant plus croustillant qu'il rencontrait le concerné. « J'sais pas si tu la connais, une maigrichonne pâlotte, avec des cheveux violets un peu bouclés ? Ils lui arrivent là environ. » Il montrait sa propre épaule. « Quelle chance d'avoir des admiratrices. » Il employait le pluriel sans savoir si la violette avait des copines. « Enfin bref. C'est chouette de pas être le seul Démon dans cette école. Tu viens de quel coin, toi ? Moi je traîne à Sēneya, mais j'y ai pas grandi, j'y travaille surtout. Au fait, je m'appelle Jezeṃiās mais tu peux m'appeler Jezz. »
Message I | 470 mots
Kitoe ~ Démon ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 1704 ◈ YinYanisé(e) le : 09/11/2016
Faust ne se rendait pas souvent au club de jeux. Même s’il appréciait les après-midis où il s’y rendait, il trouvait souvent une excuse pour éviter cette étape. Il n’était pas toujours dans le bon esprit pour jouer à ces parties à table, autour de règles bien, voire trop définies. Mais aujourd’hui, il n’avait rien à faire et s’était dit que se pointer ne ferait de mal à personne. Il avait entendu parler du tournoi qui y était organisé. Concours ou pas, cela ne lui faisait rien, alors il avait simplement accepté de participer.
Il ne connaissait pas son premier adversaire. Faust mélangeait le paquet de cartes aux motifs rouges et noirs quand celui-ci arriva et s’écria en le reconnaissant. Le premier réflexe du Démon fut de se pétrifier sur place alors qu’il pensait encore avoir affaire à l’un de ces abrutis qui allait lui faire une réflexion par rapport à Gustave. Le garçon leva donc un regard ennuyé vers son interlocuteur. Il n’avait jamais vu ce garçon auparavant. Un nouveau ?
-Hein ?
La surprise se lut aussitôt sur ses traits. Ce n’était pas pour le conte qu’il le reconnaissait, mais à cause d’une fille ? Une sorte de panique dû à l’incompréhension s’empara de lui, d’autant plus lorsque son interlocuteur toucha son visage. Il réalisa à l’odeur que celui-ci était sale.
-Persy ?
Le nom franchit ses lèvres à peine la description de la fille terminée. Il se surprit à sourire bêtement. Il n’était même pas au courant que celle-ci peignait – il ne lui avait jamais posé la question – encore moins qu’elle tirait son portrait des dizaines de fois. Il ne savait définir si c’était attentionné ou flippant. Est-ce qu’elle dessinait bien ?
-C’est ma meuf.
Il ne l’avait pas dit à beaucoup de monde – inutile au vu de la vitesse à laquelle circulaient les rumeurs sur cette île, alors ça lui faisait bizarre de l’annoncer. Mais il aimait bien. Il était assez fier d’être en couple parce qu’ainsi, il s’assurait de ne pas être considéré comme un éternel célibataire parmi ses camarades de classe.
-T’es un Démon toi aussi ?
Il s’était presque exclamé. Cette information lui plaisait. Beaucoup. Il y en avait d’autres à l’école, mais c’était tous des cons. Voir cette nouvelle tête lui donnait l’espoir de se créer des bonnes relations avant sa première visite de l’Enfer, dont il rêvait depuis tant d’années.
-Moi c’est Faust. J’suis des Terres Arides.
Il n’était pas question de lui avouer qu’il n’avait jamais mis un seul orteil en territoire démoniaque. Trop de gens étaient déjà au courant qu’il n’était pas un “vrai démon”. Jezemias ne sentait peut-être pas très bon, mais il était sa chance de changer la donne à son égard.
-Comment ça t’y travaille ? Tu viens d’où à la base ?
Il distribua les cartes, qui les avaient déjà trop attendus. Il déposa le reste de la pioche au milieu de la table et tira une première carte pour indiquer la couleur.
« Persy ? » répéta Jezeṃiās comme un perroquet. Il avait du mal à se souvenir des noms de ses camarades, mais il essaierait de faire un effort avec Faust. Il n'était pas d'usage de s'entraider entre Démons, sauf à Basphel. Il venait d'inventer cette nouvelle règle. « Mais non ? Dingue ! » Il rigola. Il ne savait pas ce qu'il préférait, entre cette fille qui bavait sur son nouveau pote, ou Faust qui sortait avec ses admiratrices. « J'sais pas ce que tu lui a fait à cette nana mais continue, t'as visiblement tout compris ! » Il lui en tapa cinq et lui fit un clin d'oeil entendu. C'était bien un Démon. Il n'y avait vraiment qu'eux, et éventuellement les Déchus même s'il estimait qu'ils étaient quand même moins bons, pour entortiller autrui autour de leurs cornes. Ils étaient les meilleurs, même si l'Histoire tendait à démentir son opinion.
« Ouais. » confirma-t-il. Ça se sentait, non ? « Cool ! » C'était vaste, les Terres Arides, mais ce n'est pas comme si Jezeṃiās avait prévu d'aller sonner à sa porte. Ou peut-être que si. S'ils devenaient amis, ils pourraient même emménager ensemble plus tard et grignoter des abats bien sanglants en matant des rediffusions de Jeux. Il avait bien aimé ceux de Sahōdara. « Et elle a des copines à me présenter Persy ? Ou tu pourrais me la prêter un de ces jours. » C'est ce que faisaient les vrais bons amis.
« Je suis en stage là-bas, si on peut dire ça comme ça. Stagiaire égal esclave. » Il avait tracé dans l'air le symbole pour souligner son propos. « Je nettoie les arènes après les combats, je décharge les sacs de sable, je m'occupe des bestioles et des prisonniers aussi, et voilà. Je fais surtout ça pour l'expérience. J'ai grandi à Liluvel, mais c'est pas là-bas qu'ils allaient m'apprendre à être en accord avec ma nature, tu vois ce que je veux dire. J'ai voulu me barrer assez rapidement, c'est un peu déprimant je trouve là-bas. Les gosses ont soit perdu leurs parents, soit ont été abandonnés, t'imagines l'ambiance ? Bref, je voulais me casser en Enfer mais apparemment, l'orphelinat a un truc avec Basphel, on m'a fait passer des tests et on m'a offert une place. Il paraît que c'est stylé Basphel, mondialement, je veux dire. Mais je veux pas être à la ramasse comme Démon alors je me suis fait embauché à mi-temps. Comme ça, je serais doublement stylé ! » En théorie. Parce qu'au final, quand il avait commencé à se vanter de Basphel là-bas, ils lui avaient craché à la figure. Il avait conclu qu'ils devaient être jaloux. Les crachats étaient généralement un bon indice.
« Bon alors. » Il examina ses cartes et reconnu le jeu. Il y jouait souvent l'orphelinat. D'entrée de jeu, il envoya la carte qui doublerait le nombre de cartes que possédait Faust. « Allez bim ! » Tout en attendant que le brun joue à son tour, Jezeṃiās se fourra un doigt dans la bouche pour fouailler dans le fond jusqu'à trouver un morceau moelleux collé sous la dent qui le gênait depuis tout à l'heure. Avec un peut « Ah ! » de soulagement, il le délogea et s'en débarrassa en s'essuyant le doigt sur la table. Il décocha un sourire ravi à son adversaire.
Message II | 580 mots
Kitoe ~ Démon ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 1704 ◈ YinYanisé(e) le : 09/11/2016
Il passa sa main dans ses cheveux comme une sorte de réflexe nerveux et garda les yeux rivés sur son jeu de cartes. Il n’avait rien fait pour charmer Persy. Il avait presque envie de dire qu’il avait tout fait sauf la charmer, mais cela aurait remis en cause toute sa crédibilité. Ça s’était fait tout seul entre eux, il ne comprenait pas vraiment comment.
-Je crois pas.
Il ne connaissait aucune amie à Perséphone. En fait, il ne l’avait jamais vue autrement accompagnée que par la solitude. Les camarades de classe n’étaient qu’un joli décorum qui encadraient de temps en temps sa personne. Imaginer une version de Persy entourée de filles avec qui s’amuser lui paraissait bizarre. Faust rigola, mais ce n’était pas parce que c’était marrant ; c’était pour faire genre. S’il voulait faire partie de la même cour que ceux qui fréquentaient l’Enfer, alors il devait se caler au même niveau que Jezemias.
-On verra.
Il n’avait pas envie de prêter Persy. Déjà, parce que Jezz n’arriverait à rien avec elle. Lui-même avait pris du temps à entrer dans sa bulle et il ne la cernait toujours pas aujourd’hui. Il n’était pas question de la confier à qui que ce fut d’autre. C’était trop tôt… - comment ça, trop tôt ?
Faust secoua la tête. Il ne voulait pas penser à ça.
-Oh.
Il fit l’air d’être intéressé, mais son boulot en Enfer était minable. Peut-être que ça expliquait l’odeur, cela dit. Soudain, il tressaillit. Lulivel ? Pourquoi ça lui disait quelque chose sans lui parler plus que ça ? Une boule d’angoisse remonta dans sa gorge, sans qu’il n’en comprît tout à fait l’origine. “Être en accord avec sa nature”. En voilà une réflexion qui ressemblait maintenant à une tache d’huile fermement incrustée dans le tissu de son esprit.
-Ouais, stylé. Lâcha-t-il avec moins de conviction.
Il gardait son attention sur les cartes dans sa main, qu’il triait par ordre croissant et par couleur. La carte noire posée entre eux mit un terme à son classement méticuleux.
-Putain, enculé.
Il attrapa rageusement plusieurs cartes dans la pioche.
-Quelle couleur ? Grogna-t-il.
Lorsque Jezz annonça, Faust posa un cercle barré sur la pile, puis enchaîna avec un second. Enfin, il conclut avec une carte imposant à son adversaire de piocher deux cartes. Il échangea avec lui un regard plein défi. Si ce petit nouveau pensait qu’il allait le surpasser aussi facilement, il se mettait le doigt dans l'œil. Faust restait le plus expérimenté des deux.
-C’est rare des Démons qui grandissent à l’étranger. Tes parents n’en étaient pas ? C’était pas trop la merde d’arriver en Enfer ?
Le jeune Démon avait des milliards de questions, des interrogations qu’il couvait depuis tout petit déjà et qui n’avaient jamais trouvé de réponse jusqu’ici. Le temps était-il venu de changer la donne ? Son cœur était rempli d’espoir. Il devait traîner avec Jezz.
Jezeṃiās ne tint pas rigueur à son adversaire son absence flagrante d'enthousiasme au sujet de Persy et ses potentielles copines. Il considérait que ces choses là viendraient en tout voulu, et il avait de toute façon du mal à trouver les filles de Basphel intéressantes. Selon lui, elles se ressemblaient toutes : propres, intelligentes, bien sanglées dans leur uniforme, cheveux volant au vent comme des fils de soie, qu'est-ce qu'il aurait bien pu vouloir leur trouver ? Elles étaient fades, et cette Persy, dans ses souvenirs, l'était encore plus. Certaines sortaient du lot, mais il leur trouvait toujours quelque chose de faux. La magie posait problème. Lui-même pouvait modifier son apparence si ça lui chantait, tout le monde pouvait le faire, et tout le monde en profitait pour se ressembler. Il revint soudain sur ses opinions, car une faisait exception. Il l'avait croisée, en de brèves, mais intenses, occasions. Elle était toujours précédée de son odeur, cette odeur terriblement excitante qui avait agréablement fait palpiter les ailes de ses narines, avant d'envahir son champ de vision. Son gabarit la rendait peu oubliable au milieu des autres fétus de paille et il la dévisageait avec avidité derrière sa frange sitôt qu'il avait le bonheur de la croiser. Il l'aborderait, un jour. Lui aussi voulait faire bonne impression. Quand il interrogeait les élèves autour de lui, la même grimace se peignait sur leurs visages. Muscarine n'inspirait pas les meilleurs sentiments à ses congénères, il trouvait ça merveilleux. Sa nature de Sorcière aurait dû suffire à générer ces sentiments, mais c'était le sujet de son apparence qui était évoqué en premier. À l'inverse, la malveillance pouvait-elle être oubliée par une séduisante figure en forme de coeur ? Mais ces réflexions commençaient à dépasser le potentiel intellectuel du Démon, d'autant plus qu'il devait se concentrer sur son jeu s'il voulait éclater Faust.
« Jaune ! » lança-t-il, ses doigts pianotant légèrement son jeu. « Oh ! » fit-il en découvrant la contre-attaque du brun. « Bah alors, on est rancunier ? » le taquina-t-il en prenant les cartes. Sa langue se coinça sur la jointure entre sa gencive et sa dent et un rot lui échappa avant qu'il ait le temps de le réprimer, bien qu'il ne se soit jamais retenu de sa vie. Il renifla. « J'sais pas, je connais pas mes parents. Si c'est des Démons, ils voulaient peut-être pas s'embêter avec un marmot, ça coûte du fric les gosses, et du temps, et de l'énergie. » Il haussa les épaules. Il ne leur en voulait pas vraiment. Il n'avait pas tant que ça détesté l'orphelinat, au final. Il ne se sentait pas malheureux. « Ou ils sont morts. » théorisa-t-il d'un ton léger. Ne les ayant jamais vus, qu'ils soient vivants ou non ne changeait pas grand chose à ses yeux. Il s'était débrouillé sans eux, et l'amour parental, c'était des fadaises bonnes à donner à becqueter aux idiots. « Ah ouais, si, mais bon, c'est l'Enfer, je ne m'attendais pas à autre chose que de la merde. Mais c'est mortel là-bas ! On s'y amuse bien. Les jours se ressemblent pas, les locaux sont horribles, et je te parle même pas des bestioles. S'tu veux, t'auras qu'à venir à mon boulot la prochaine fois, y en a une trop marrante. Enfin, j'espère qu'elle sera pas morte dans l'arène entre temps. Merde, mon jeu est vraiment pourri. » révéla-t-il. Depuis tout à l'heure, il ne jouait que de misérables chiffres, et devait en plus piocher car il ne possédait pas la bonne couleur lui permettant de rebondir dans leur partie. Quand Faust abattit sa dernière carte, Jezeṃiās lui jeta à la figure celles qui lui restaient et se mit à ricaner. « À charge de revanche ! La prochaine fois, je te défonce. »
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