Résumé:

"Mon premier maintient la tête,
Mon deuxième se mange sans faim,
Mon troisième peut être sauté par un cheval.
Mon tout t'attend sur la table."

Syarine n'avait compris que l'essentiel, à savoir que quelque chose à son attention devait être sur la table. Il s'y dirigea donc et y trouva un courrier à son nom. Oui, c'était donc ça... On repassera pour la charade, j'avais déjà fait mieux. Peu habitué à recevoir des lettres, l'adolescent l'ouvrit sans tarder, curieux de ce qu'il allait y découvrir.

Citation :

Au discret Syarine Rhisnur,

J'ai l'honneur de vous inviter dans ma demeure à la prochaine lune. Elle se trouve à l'ouest de Caelum, sur une île que j'ai moi-même appelée l'Antre des Secrets. N'hésitez pas à accepter l'invitation, vous pourrez vous fondre dans la masse sans aucun problème.  Je ne puis vous confier mon nom dans cette missive, mais dès votre arrivée on me reconnaîtra sans tarder. La vérité doit éclater et les mystères être révélés.

M.

C'était aussi clair que mes énigmes. Forcément, le Magicien ne comprit que le plus important une fois de plus : il était invité sur une île.

"Inconnu... On ? Vérité, mystère... M ?"

Les hypothèses fusaient dans l'esprit du garçon, sans véritablement parvenir à identifier qui pouvait être derrière cette étrange missive. Naturellement, il en vint à me questionner.

"On... Peut-être toi ? M... Il aime, ou initiale. Tant de mystères, tant de vérités. Liste longue."

"Se pourrait-il qu'il s'agisse de Mael ?"

Syarine ne pouvait pas comprendre à qui je faisais allusion, il s'agissait d'une lointaine connaissance, datant d'une époque où j'étais encore en vie. Trop éloignée pour que cet individu soit encore vivant. Pourtant, cette lettre m'intriguait. La vérité et les mystères pouvaient me concerner. L'utilisation du "on" pouvait me désigner. Il y avait trop de coïncidences pour les ignorer.

"Qu'y a-t-il à perdre ?"

L'adolescent restait libre de son choix, mais pour une fois j'espérais secrètement qu'il aille dans la direction que je souhaitais. Je prenais rarement partie, guidant au mieux selon des faits qui me semblaient objectifs. Plus rien ne me liait à ce monde, facilitant mon détachement. Si Mael était de retour en revanche, un lien oublié depuis longtemps pourrait refaire surface. Il ne devrait pas changer ma nature pour autant toutefois, cela faisait trop longtemps que j'étais devenue simple spectatrice. Mais apprendre la vérité pour Syarine pourrait lui être bénéfique. Heureusement celui-ci accepta, se mettant en route le moment venu.

En effet, l'île était relativement petite. Après avoir traversé une forêt tout aussi peu grande, Syarine se retrouva face à la seule bâtisse des lieux. C'était obligatoirement ici qu'on lui avait donné rendez-vous. Evidemment j'y étais aussi, j'accompagnais toujours le Magicien partout, même si je n'y étais pas invitée. De toute façon personne d'autre ne pouvait me voir ni m'entendre, puis ce "on" dans la lettre pouvait presque être pris comme une invitation.
Le garçon ne fut pas surpris, il y avait d'autres invités également. C'était facile à déduire dès lors qu'on le rassurait en lui disant qu'il pourrait se fondre dans la masse. En revanche, il ne s'attendait pas spécialement à ne trouver que des Magiciens, ce qui était pourtant le cas. Devait-on en conclure que l'hôte appartenait à cette même ethnie ? Il fallait l'espérer, car il pouvait tout aussi bien être d'une race ennemie... Cependant cela ne traversa pas l'esprit de l'adolescent pour le moment, qui tentait plus de faire profil bas qu'autre chose, observant sans trop participer, attendant patiemment que ce mystérieux M se montre et lui donne des réponses par rapport à la lettre reçue.
Le temps passait, mais toujours rien. Les invités semblaient être au complet, tandis qu'une impressionnante tempête s'était levée. Certains prétendaient qu'ils étaient bloqués ici et qu'ils n'avaient aucun moyen de partir tant que le vent soufflerait, pas même par magie. Ce qui n'inquiéta pas outre mesure Syarine, dont le seul pouvoir de téléportation à sa disposition ne lui permettait pas de couvrir de si grandes distances de toute façon. Pourtant, quelques-uns déjà se méfiaient, trouvant étrange toutes ces circonstances et coïncidences soi-disant totalement dues au hasard.

Ce n'était que le premier jour, mais il fut déjà mouvementé. Alors que tout le monde était là, à s'interroger mutuellement pour tenter de comprendre ce qui se passait, un cri se fit entendre. Rapidement l'agitation s'empara de toute la maison : un corps avait été découvert, c'était un meurtre. Syarine n'avait pas pu observer la scène du crime, il avait juste entendu dire qu'un dénommé Colin s'était fait poignardé au cœur avant d'écrire un message sur son assassin. Aussitôt, son esprit logique y trouva une contradiction, peut-être un indice qui pourrait conduire au meurtrier. Un coup au cœur devrait tuer instantanément non ? Comment diable aurait-il pu écrire ce message par la suite dès lors ? C'était probablement le tueur qui s'amusait avec leurs nerfs... Il se garda bien d'en faire part à quiconque toutefois, non pas par méfiance mais parce qu'il n'avait jamais été du genre à se confier à autrui. Il mènerait l'enquête de son côté, en toute discrétion, comme il l'avait toujours fait.
Le deuxième jour fut encore plus étrange. Il y avait soi-disant un nouveau venu. Syarine ne se souvenait pas encore de tous les visages, mais cela lui parut très étrange. N'étaient-ils pas tous bloqués ici depuis la veille ? Sans que quiconque puisse quitter les lieux ou y pénétrer ? Il n'y croyait pas pour sa part. En revanche, il y avait bien d'autres explications possibles : cet homme pouvait être ce fameux M, ou A pour d'autres ; il était peut-être dérangé aussi, trop choqué par le crime d'hier pour garder la tête sur les épaules ; ou il pouvait également juste jouer aux intéressants pour être le centre de l'attention. Vu qu'il prétendait avoir découvert l'identité du tueur, c'était l'hypothèse qui lui semblait la plus probable. Malheureusement personne ne pourrait bénéficier de ses incroyables talents de déduction, un nouveau meurtre ayant lieu tandis que l'assemblée était plongée dans une chaotique pénombre. Une dénommée Souh cette fois, traversée de part en part d'une épée ornementale. Encore une lame ? Leur meurtrier n'était pas très créatif... Cela allait peut-être réduire le champ des suspects possibles.
Au troisième jour, ils étaient toujours dans la même situation, sans issue apparente. Pour sa part, Syarine continuait de tenter d'en apprendre davantage dans son coin.

"Vous aussi vous menez votre petite enquête de votre côté on dirait. Tout comme moi."

Syarine se retourna vers son interlocutrice à l'étrange chevelure bipolaire et au fort accent. Elle le regardait profondément tandis qu'elle portait à la bouche cet étrange objet qui fumait, inhalant de la fumée avant de la recracher. Elle le détaillait de la tête aux pieds alors qu'elle lui parlait.

"Je m'appelle Irène, je vous vois enchanté de me connaître. Tout comme moi. Je vous observe tous depuis deux jours, je dois dire que vous vous démarquez des autres. Tout comme moi. Quelque chose me dit que vous avez l'esprit logique pour élucider cette affaire. Tout comme moi. Unissons nos efforts et nos connaissances, vous voulez bien ?"

Tout comme moi ? Ah non, ça ne voulait rien dire cette fois-ci. Cette personne puait l'orgueil à plein nez, bien plus que son tabac. Si seulement elle savait réellement à qui elle s'adressait... Syarine avait peut-être les facultés pour trouver le coupable selon elle, d'autant plus si la liste des suspects continuait de se réduire de la sorte, mais pour ce qui était de collaborer dans une enquête... C'était une tout autre histoire ! Elle allait l'apprendre bien assez vite...

"Moi c'est Syarine d'accord mais je n'ai pas trop d'idées enfin un peu quand même mais pas beaucoup juste qu'il faut mettre en oeuvre un plan pour les vérifier, j'ai ce qu'il faut mais pas tout, le temps entre autres et l'espace, tranquille surtout mais vous pouvez peut-être m'aider je dois chanter et je verrai si je ne suis pas dérangé même si je ne sais pas quoi, peut-être rien mais il faut. OK ?"

Sur ces belles paroles, le garçon sortit sa lyre et se mit à jouer quelques notes avant de commencer à chantonner faiblement. Il n'eut pas le temps d'aller bien loin cependant, Irène se comportant étrangement. Elle semblait piquer une crise, comme si elle était agacée de n'avoir rien compris à ce qu'avait dit l'adolescent. Ca pourtant, il fallait s'y attendre, il y en avait pas beaucoup qui parvenaient à le déchiffrer rapidement. Beaucoup de gens rationnels pouvaient ressentir ce genre de colère à force de ne pas comprendre un seul mot de ce qu'il racontait. Sa réaction était un peu excessive toutefois, la jeune femme se frappant carrément la tête et la poitrine avant de se rouler au sol pour se débattre tel un enfant capricieux. A se demander qui était le plus dérangé des deux...
Doutant qu'il serait tranquille comme il l'espérait dans ces conditions, le Magicien abandonna son idée et s'éloigna de cette triste scène. Il se retourna cependant quand il entendit un nouveau cri : il y avait eu une nouvelle victime. Il découvrit rapidement de qui il s'agissait puisque de la bave coulait de ses lèvres tandis que ses yeux vitreux contemplaient les restes du tabac qui se consumaient dans sa main inerte. Irène. Rapidement le lien fut fait, d'autres Magiciens criant qu'elle avait été empoisonnée. Quand on comprit que le poison était sûrement dans le tabac, un petit effet de panique s'installa, de peur que la fumée qui se répandait encore dans l'air puisse être novice elle aussi. La pièce se vida en quelques instants, Syarine manquant de peu d'être piétinés alors qu'il était déjà bien éloigné.
Il fallut du temps pour que le calme revienne et pour que la plupart comprennent que si l'air avait été vicié, ils seraient probablement déjà tous morts, ou qu'ils auraient au moins déjà ressenti des effets. La peur pouvait faire perdre toute once de bon sens parfois. Quand enfin la panique s'estompa, Syarine pu enfin espérer retourner dans la pièce afin d'examiner la pauvre Irène. Il l'avait vu juste avant sa mort, techniquement il l'avait même vu en train de mourir même s'il ne l'avait pas compris sur le moment. Peut-être était-il le mieux placé pour découvrir un quelconque indice ! Malheureusement, il était trop tard. Le corps avait tout bonnement disparu, sans laisser la moindre trace, pas même une cendre issue de l'objet de sa mort ou un pli sur le tapis où elle avait rendu l'âme. C'était comme si Irène n'avait jamais existé.

Nombre de mots et gain:

« J’aimerai seulement … partir. » articula doucement la Magicienne d’une petite voix basse et fragile. « Je sais. Malheureusement cette tempête … » - « Bien sûr. Je comprends. C’est juste que … » Elle ne termina pas sa phrase, se bornant à secouer la tête d’une mine contrariée. Elle se sentait si sotte et lamentable d’avoir pu croire que le « U », cette signature énigmatique apposée à la fin de sa lettre, venait de la main de la Reine. Depuis déjà cinq jours, Tomoe avait quitté le château de son époux et de sa famille, pour filer en catimini sur l’île où elle était conviée, cette Antre des Secrets. La déception avait été à la hauteur des espérances et les assassinats, tous plus monstrueux les uns que les autres, paraissaient suivre un rythme régulier et journalier. Le cœur en effroi, elle en venait presque à regretter sa condition, proche de l’esclave, au domaine des Borgia. Plus personne n’osait lever la main sur elle, depuis qu’ils savaient qu’elle portait l’héritier de la lignée. Peut-être ne seraient-ils pas trop sévères, lorsqu’ils récupèreraient l’évadée. Dans un soupir, la jeune femme croisa les bras sur son ventre, qui s’arrondissait tendrement. « Avez-vous besoin de quoique ce soit, Tonia ? » Elle avait préféré taire sa véritable identité, peu désireuse d’être épinglée comme la pupille sorcière d’un Archimage. Cependant, certains avaient murmuré reconnaître ce visage familier, sans parvenir à mettre un nom sur les traits délicats de Tomoe. « Non merci, Ehrian. » Elle était certaine qu’il n’était pas dupe mais il était assez courtois pour ne pas relever le mensonge. « Vous devriez manger quelque chose. Vous n’avez presque rien avalé depuis votre arrivée. Ce n’est pas bon, dans votre situation. » Elle haussa les épaules. A vrai dire, elle avait l’estomac trop noué pour songer à un quelconque coup de fourchette. D’autant qu’elle était inquiète. C’était si égoïste … Malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de penser que personne n’était mort, en ce cinquième jour, et elle craignait pour sa propre vie. Pire, elle tremblait à l’idée de perdre son bébé. Quelqu’un avait été empoisonné. Qui que soit le meurtrier, il pouvait recommencer. « Vraiment, j’insiste. Restez ici, je vais vous chercher un plat en cuisine. » - « Ehrian … » - « Ce n’est pas négociable, Tonia. » Son ton avait été brute, plus qu’il ne l’aurait voulu. Il reprit avec plus de douceur : « J’essaie simplement de prendre soin de vous. J’aime ces moments que vous me permettez de passer à vos côtés. Vous êtes quelqu’un … de gentil. » Il sourit, avant d’abandonner une Tomoe troublée qui s’en voulait d’avoir donné un faux nom. Il aurait pu l’aider à clamer la vérité. De ses doigts froids, la jeune femme ajusta la petite couverture qu’elle avait sur les genoux, pour s’enrouler dedans. Si elle était nerveuse en présence d’étrangers, elle l’était encore plus une fois seule. Les hurlements du vent qui tambourinaient aux volets lui devenaient insupportables. Elle avait l’impression d’avoir perpétuellement le cœur au bord des lèvres. Cela n’avait rien à voir avec les nausées de la grossesse. C’était une angoisse dans sa forme la plus crue qui s’était emparée de la moindre parcelle de son corps. Elle pouvait craquer à tout instant.

Les minutes s’écoulaient et Ehrian ne revenait pas. Les pires scénarios s’insinuaient dans l’esprit de Tomoe, qui faisait de son mieux pour les chasser sans parvenir à s’enlever l’idée qu’il pouvait lui être arrivé quelque chose. Elle aimait bien cet homme. C’était quelqu’un de bienveillant, d’agréable. Elle s’était surprise à l’épier lorsqu’il lisait pendant la journée, qu’il ne savait même pas qu’elle était là. Elle aurait presque pu croire qu’elle tombait amoureuse de lui. Amoureuse … Elle ne pouvait pas l’être. Bercée par l’horripilant tic-tac de la vieille horloge du salon, elle attendit encore un peu, avant de prendre son courage à deux mains. Elle n’avait jamais été téméraire. Avait-elle le choix ? L’attente avait une saveur monstrueuse. A pas de loup, d’une démarche chancelante, elle sortit dans le couloir. « Ehrian ? » appela-t-elle en vain. Recroquevillée et tendue, elle se dirigea lentement vers les cuisines. Il était tard et il n’y avait pas un bruit, du moins rien d’autres que les cris de la tempête. « Ehrian ? » souffla-t-elle en poussant les portes d’où s’échappait un drôle de fumet. Toujours personne. Il faisait sombre. Les seules lumières provenaient du grand four et de ses flammes qui léchaient un grand plat. La Magicienne s’approcha lentement des fourneaux. Elle marcha dans une flaque qui eut le don de la faire frémir de tout son long. Pensant qu’elle était idiote, qu’une flaque d’eau dans des cuisines n’était pas une première, elle se força à la mesure mais baissa tout de même les yeux. Le liquide était un peu trop poisseux et foncé pour être simplement de l’eau. Le sang glacé, elle commença à reculer, non sans jeter un coup d’œil au four. Quelques morceaux de viande découpés avec soin cuisaient. Le parfum était étrange. Elle regarda de l’autre côté. Malgré une bouche grande ouverte, elle n’arriva pas à crier, mais ne put s’empêcher de cracher tout ce que son estomac contenait. Avec précipitation, elle quitta les cuisines. Cette vision insoutenable resterait sûrement graver dans sa mémoire, éternellement. Sur le plan de travail, la carcasse ensanglantée d’Ehrian, dont il ne restait plus que les os et quelques viscères. La tête coupée, la bouche béante, posée près du squelette, tandis que sa chair cuisait à feu vif dans le four.  

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