Javaah entendit parler d’eux bien avant d’avoir à faire à ces brigands. Ces derniers temps, les catastrophes ne cessaient de se multiplier. Ça avait commencé avec une rumeur étrange… Des murmures racontaient qu’un nouveau continent aurait refait surface, émergeant des flots… Et bien évidemment, ces terres amenaient avec elles leur lot de chamboulements. Ça n’aurait pas été amusant autrement ! On avait donc pu constater des tremblements dévastateurs sur le continent déjà bien malmené par la nature, ainsi que des créatures prises de folies qui envahissaient les océans, bloquant ainsi la voie des mers. Et un peu plus récemment, on déplorait des tremblements de terre sur le Continent du Matin Calme. Ces événements avaient donc plongé la population dans une atmosphère de terreur.

Lorsqu’on lui reporta l’apparition de ces bandits masqués, Javaah ne fut donc pas aussi surprise qu’elle aurait dû l’être en d’autres circonstances. Il semblait qu’on ne puisse être en sécurité nulle part, en ces temps sombres, et certainement pas là où la terre se mettait à bouger. Elle crut d’abord à de simples criminels qui, s’imposant par la force, maltraitaient les pauvres gens sans défense, pillant les maisons et faisant régner la peur, profitant lâchement des récents évènements pour se manifester. Mais leurs agissements finirent vite par lui faire changer d’avis.

Ces mystérieux personnages étaient bien trop nombreux pour qu’il s’agisse d’une prise de pouvoir improvisée, spontanée. De plus, ils semblaient très organisés, et leur accoutrement identique –de longues tuniques colorées et le visage masqué, dissimulé par un sourire doré et froid- laissait penser à de longues préparations avant l’assaut. Sans parler du langage incompréhensible qu’ils employaient pour communiquer entre eux ! Personne à la connaissance de Javaah n’avait réussi à décrypter ne serait-ce qu’un mot de leur charabia. Alors, après tout, peut-être que les caprices de mère nature n’avait été qu’une heureuse opportunité pour passer à l’action ? Suite au temps passé dans l’ombre, le chaos engendré par l’effondrement des terres et la folie des eaux semblait être le bon moment pour attaquer. Douce coïncidence… A moins qu’ils n’aient également orchestré toute cette mascarade ?

Tous ces indices semblaient indiquer une secte. Peut-être une religion païenne poussait-elle tous ces croyants à revendiquer des droits, ou une quelconque conviction ? Javaah n’en savait rien et, à vrai dire, même si elle réussissait à deviner ce qui poussait tous ces charlatans à traumatiser de pauvres innocents de la sorte, elle n’aurait rien pu faire pour changer la situation. Elle ne pouvait cependant s’empêcher d’essayer de trouver une explication à ces agissements, comme si cela pourrait lui apporter un peu de sérénité. Mais elle ne comprenait toujours pas leurs revendications, leur motivation…

Mais les Aetheri semblaient lui accorder une certaine chance. Jusqu’à peu, la mord’th n’avait jamais croisé la route de l’un de ces illuminés. Oh bien sûr, elle les avait aperçu ici et là, rodant dans les ruelles, la main serrée sur la poignée de leur épée, mais elle s’était toujours arrangée pour s’éloigner avant de s’attirer des ennuis. Malheureusement, ces temps troublés n’étaient pas bons pour le commerce, et la jeune femme dû bientôt fermer boutique. Ce fut ce jour-là qu’elle finit par vraiment regretter la venue de ces hommes.

La mine triste, Javaah remballait sa marchandise, empaquetant ses affaires, et accrochant les lourds sacs sur le dos de sa monture. L’esprit ailleurs –une connaissance lui avait rapporté un peu plus tôt dans la matinée la perte d’un de ses enfants- la blonde fut brusquement tirée de ses pensées par des cris aigus. Levant le nez vers leur provenance, elle vit que les autres commerçants et les rares clients sortis jusqu’ici avaient eux aussi tournés la tête vers la source des hurlements déchirants. Mais personne ne bougea pour secourir la pauvre innocente. Pire encore, après avoir ignoré les appels au secours, certains se permettaient de critiquer la victime. « Quelle idiote ! Elle aurait dû courir plus vite » Ses voisins rirent dans le silence sinistre qui s’était abattu dans la ruelle, seulement troublé par la détresse d’une jeune femme.

Javaah leur lança un regard qu’elle voulait glaçant, mais qu’ils ne remarquèrent même pas. Et, soudain prise d’une vague de courage –ou d’une témérité inconsciente- la mord’th décida d’agir. L’inaction ne lui convenait plus ! Alors, ne réfléchissant plus, elle se pressa dans la rue adjacente d’où s’échappaient les cris de douleurs et les supplications.

Javaah arriva pour l’exécution publique. L’épée s’enfonça dans la gorge de porcelaine, étouffant un cri naissant. La blonde se figea et, incapable de bouger, regarda la scène d’un œil vide. C’était la première fois qu’elle voyait ces monstres agir devant elle. La première fois qu’elle voyait quelqu’un se faire tuer, ou même mourir sous ses yeux. Le groupuscule qui avait, de sang-froid, assassiné cette pauvre jeune femme s’en alla tout en parlant audiblement dans ce dialecte mystérieux, que personne à part eux ne comprenait.

Javaah, elle, resta longtemps sans esquisser un geste, se laissant bousculer par quelques badauds, sans pour autant réagir. Les yeux rivés sur le corps inerte, sur cette jeune femme qui s’était noyé dans son propre sang. Les pensées troubles, Javaah se décida enfin à bouger pour aller vers l’inconnue. Pour quelle raison l’avaient-ils achevé ? Leur simple désir ? Ou avait-elle osé braver leur autorité ? Vu sa silhouette fluette, elle doutait grandement que cette gamine –à peine plus âgée d’une quinzaine d’années- ai pu représenter une quelconque menace. Alors peut être que dans un futur pas si éloigné, ce serait-elle qui succomberait à la folie meurtrière des arlequins…

Quelques jours après cet incident, la jeune femme entendit parler d’un rassemblement pour se lever contre ces crimes odieux. Un rassemblement qui voulait lutter contre ces hommes masqués. Et Javaah se ferait une joie de se joindre au combat.

L'injustice causée par ces drôles d'hommes anonymes, la colère en voyant les cadavres s'entasser derrière leur passage, la peur angoissante et paralysante à l'idée qu'elle pourrait être la prochaine sur leur liste... Javaah ne saurait dire exactement laquelle de ces trois raisons l'avait pousser à venir ici. Le mélange subtile des trois, sans doute, à tel point que cela avait créé en elle une crainte croissante qui ne la lâchait jamais, la suivait comme une ombre partout là où elle se déplaçait. On se retournait sans cesse par dessus son épaule pour s'assurer que personne ne nous suivait, on évitait soigneusement les Masques d'or et on taisait tout commentaire malveillant à leur sujet, de peur que l'un de leur partisant aille leur rapporter vos propos... Une paranoïa nous faisant douter les uns des autres.

Une bien triste façon de vivre dans laquelle les habitants du continent du matin calme avaient été plongé,  suite à l'arrivée de ces tyrans. Des conditions que la jeune femme ne pouvait d'ailleurs plus supporter ! Elle qui avait pour habitude de toujours dire haut et fort ce qui n'allait pas, ce qui la dérangeait,  se trouvait réduite au silence à cause du danger de mort qui planait au dessus des personnes trop téméraires qui osaient se lever contre eux... Et elle en avait assez de vivre comme cela, bridée par des hommes et des femmes qui n'avaient aucunement le droit de la traiter de la sorte et de la menacer, de quelque façon que ce soit. Bien vite, la blonde se rendit compte qu'elle serait prête à tout pour les arrêter,  pour participer à la révolte et les renverser. N'importe quel plan serait bon, et elle voulait à tout prix y participer.

Aussi, lorsque le bruit courut qu'un rassemblement aurait lieu au parc dans quelques jours, précisément pour mettre un terme au règne illégitime de ces criminels, Javaah se précipita sur l'occasion et se mit à réfléchir, de son côté, à un plan d'action. Le temps lui parut bien long tant l'impatience lui faussait la perception des heures qui s'écoulaient. Et finalement, le jour si farouchement attendu vint enfin. La mord'th se mit en route et arriva au point de rendez-vous (le parc, un lieu très fréquenté habituellement, un rassemblement pourrait y passer inaperçu ici mieux que partout ailleurs) une heure avant l'heure prévue. Elle jeta un regard circulaire autour d'elle. Plusieurs groupuscules s'étaient former ici et là,  près de l'arbre noueux qui indiquait l'emplacement de cette réunion.

Javaah se contenta de s'assoir à même le sol, sur l'herbe fraîche et douce du parc. Elle patienta tranquillement pendant l'heure suivante, observant les nouveaux arrivants qui se regroupaient par connaissance, ou suivant du regard les habitants qui n'étaient que de passage et qui continuaient leurs routes sans se douter de ce qu'il se passerait ici, dans très peu de temps. Il était en effet difficile de s'imaginer qu'un tel rassemblement aurait lieu dans un endroit comme celui-ci, dans ce lieux apaisant et calme, paisible, où rien ne semblait pouvoir déranger ce silence rêveur. Et pourtant, on voyait sur les visages féroces la rage, l'envie de vengeance, des expressions haineuses qui détonnaient avec les sourires des visiteurs. Javaah, elle qui n'avait ni perdu de proche ni été touché directement par les actes de barbarie, mais qui se joignait à la cause dans un souci préventif, affichait un visage neutre, mais qui semblait tout de même serin... Elle profitait des rayons solaires sur sa peu pâle, du chant des oiseaux et de l'atmosphère du parc...

"Ça devrait bientôt commencer non ?" La mord'th tourna la tête si rapidement qu'elle se fit mal au cou. Grimacante, elle regarda le garçon qui était apparu à ses côtés, et qui s'était assis à quelques centimètres de la belle. Celle-ci arrêta de jouer avec les brins d'herbes autour de ses pieds, suspicieuse, et n'osa pas le lacher du regard avant qu'il ne reprenne la parole : "Tu es bien là pour ca, non ?" Sans lui laisser le temps de répondre il continua : "Oui bien sûr, tu es assise ici depuis bien trop longtemps. Je suis Gus. Et toi  ?" Après une seconde d'hésitation, Javaah se décida à serrer la main qu'il lui tendait. "Javaah, enchantée." Elle l'observa un instant, posant son regard émeraude, aussi froid que de la glace sur sa silhouette, puis remarquant son jeune âge, elle ne put s'empêcher de demander "Qu'est ce que tu fais la ? Tu n'es pas un peu jeune pour participer à ce rendez-vous ?  - Vous seriez surprise d'apprendre que je suis probablement beaucoup plus vieux que vous..." Il accompagna sa réponse d'un sourire malicieux. Il est vrai que l'apparence physique était souvent trompeuse, dans ce monde... elle en avait la preuve tous les jours que Drejtësi créait, avec Babelda qui, malgré son air de vingtinaire, approchait en réalité des cent ans.

Avant qu'elle ne puisse continuer cette conversation, elle fut interrompue par l'arrivée d'une nouvelle personne. Un vieillard venait d'apparaître sous le chêne marqué des initiales "J" et "A". Il était vêtu d'une longue robe pourpe de magicien, ornée de symboles diverses et dorés, tels que des croissants de l'une ou bien des soleils, des animaux, des plantes... Cet homme semblait indéniablement puissant, très charismatique, et avant même qu'il ne s'adresse à la foule, Javaah était certaine qu'il s'agissait de le tête pensante de ce rassemblement. Et en effet, après qu'il ait posé son regard chaleureux sur la foule, sa voix s'élèva dans les airs. "Je vous remercie d'être venu aussi nombreux, je ne m'attendais pas à ce qu'autant de braves personnes ne se montrent ici, à visage découvert. Mais trêve de bavardage ! Il est temps de discuter des choses sérieuses !" La lutte contre mes masques d'or pouvait enfin commencer.

Le vieillard continuait son discours, de sa voix grave et pourtant chaleureuse. Son regard protecteur se posait sur les volontaires qui, tout autour de lui, s'étaient regroupés en arc de cercle, formant une marée noire pour pouvoir entendre distinctement ses paroles. Tous semblaient hypnotisés par celles-ci. Comme s'il délivrait un message divin. Et s'il pouvait les libérer de leur cauchemar, ce ne serait pas si éloigné de la réalité, il les délivrerait d'un fléau et deviendrait au moins une légende dans le coeur de ses partisans.

Javaah et Gus ne faisaient pas exception à la règle et tout deux s'étaient approchés pour mieux entendre le message d'encouragement et les ordres qu'il leur donnait. "Ces malfrats sont très bien organisés, et très dangereux. Mais je ne vous apprends rien n'est ce pas ? Toute fois, malgré ce danger, nous ne pouvons rester muet face à cette menace ! Il nous faut agir, et vite, avant que notre belle ville ne soit totalement détruite. Je m'en serais bien occupé mais un vieil homme comme moi ne peut point se débarrasser d'une armée à lui seul..." Il rit à sa blague puis continua.

Son charisme était grand, à tel point que Javaah en oublia tout ce qui se trouvait autour d'elle. Des passants au groupe à ses côtés. Son attention était entièrement rivée sur la silhouette osseuse du puissant magicien. Peut être est ce pour cela qu'elle ne remarqua pas  tout de suite la présence néfastes d'individus non désirés. Le silence qui s'agitait, les passants qui se hataient de fuir... Et les Masques qui se mélangeaient à la foule, tels des fantômes traversant les corps pour émerger au centre de l'assemblée. Ce ne fut que lorsque l'un d'eux apparut au côté du magicien, plaçant sous sa gorge une longue lame aiguisée pour le faire taire, que la mord’th remarqua leur intrusion.

Comme si un voile de brume se dissipait sous ses yeux, une dizaine de silhouettes qu'elle n'avait jusque là pas repéré se matérialisèrent. Le chef de la brigade, qui tenait en otage leur propre dirigeant, laissa entendre sa voix cruelle sous le masque qui le rendait anonyme. A la grande surprise des spectateurs, il s'adressa à eux dans la langue commune, pour s'assurer que chacun comprenne. "Ceux qui se dressent contre nous périront" Et sans trembler, la lame trancha la gorge du vieillard.

Frappée par l'horreur, Javaah poussa un cri aigu, et eut un mouvement de recul. Mais elle ne put aller bien loin car elle buta contre quelqu'un derrière elle. Tournant le visage pour savoir qui l'empêchait de partir, le cauchemar ne fit qu'empirer : il s'agissait de l'un de ses ennemis, qui venait de resserrer ses mains sur les épaules de la blonde, la privant de tout espoir de fuite. C'était la fin, ils l'avaient, et ils ne seraient pas plus clément qu'ils ne l'avaient été avec le magicien ou avec la pauvre femme de l'autre jour... Paralysée par la terreur, Javaah n'essaya même pas de se débattre pour se délivrer de son emprise.

Son tortionnaire dégaina son arme et s'apprêtait à l'exécuter lorsque l'impensable se produisit. Il disparu, s'évaporant en une épaisse fumée noire. Encore sous le choc, Javaah ne compris pas ce qu'il venait de se passer. Toute tremblante, chancelante, elle regarda l'endroit où, une seconde auparavant, se tenait encore l'homme masqué. Mais Gus ne lui laissa pas le loisir de rêvasser : l'aggrpant par le poignet, il l'entrain dans une course folle. Obéissante, elle le suivit sans rien dire, se laissant guider.

Plusieurs dizaine de mètres plus loin, Javaah s'emmêla les pieds dans sa longue robe et chuta douloureusement. "Vous allez bien ?" La question à ne pas poser... La concernée explosa en sanglot, regardant derrière elle. Le groupe s'était disloqué. De partout, des gens courraient, affolés, tentant d'échapper à leur sentance, poursuivis par les tyrans. "C'est... c'est vous qui m'avez sauvé ? Vous l'avez tué ?" Elle regarda l'épée qu'il tenait dans sa main, ensanglantée jusqu'à la garde. "Non la blessure n'était pas mortelle. Je l'ai juste blessé. Mais c'est étrange, il est parti en fumé dès que ma lame l'a transpercé..." Javaah se moquait des détails. L'important était qu'elle venait d'échapper de peu à la mort. Elle était toujours vivante !

"Venez, nous devons partir" continua Gus, tout en l'aidant à se redresser. A bout de souffle, Javaah ne put courir derrière son sauveur, qui se contenta d'une marche rapide. Un des agresseurs les rattrapa et leva haut son épée,  prêt à l'abattre sur la tête de ses cibles. Gus poussa Javaah à terre pour la faire dévier de la trajectoire mortelle, et se lança dans un duel à mort. La blonde, quand à elle, oublia bien vite la dette qu'elle avait envers lui : la seule chose qui lui importait, s'était de fuir, de s'éloigner le plus loin possible des sons des combats et des cris d'agonie. Elle remparts donc, misérable insecte, essayant de se diriger vers une sortie. Une paire de pied l'arêta. Elle n'eut pas besoin de relever la tête pour savoir qu'il s'agissait de l'un des hommes masqués.

Et voilà qu'encore une fois, elle se retrouvait face à la mort. Elle qui n'avait jamais rien affronté de plus dangereux qu'un client de mauvais poil -quoi qu'en fait, il lui était arrivé de rechercher un bélua monstre fort peu sympathique, une fois- valsait avec la  faucheuse pour la seconde fois dans la même journée. Pire, en moins d'une heure ! Javaah n'aurait jamais cru cela possible et très franchement, elle aurait préféré ne jamais remettre en cause cette théorie. Pourtant voilà,  quelque chose l'avait poussé à agir, et donc à se fourrer dans le pétrin. C'était dans ce genre de situation que sa vie de nomade du désert lui manquait le plus. Mais désormais, il était trop tard pour pleurer le temps passé, la demoiselle se trouvait face à un danger imminent qu'elle se devait de prendre avec le plus grand sérieux.

Fermant les yeux, elle s'en remit entièrement à son instinct, cette petite voix apparaissant dans les moments de détresse extrême comme celui-ci. Alors, abandonnant toute pensée rationnelle qui lui crirait de réfléchir à un plan, elle se laissa tomber à plat ventre et tourna sur elle même, faisant plusieurs roulés-boulé avant de s'arrêter quelques mètres plus loin. Elle entendit vaguement le bruit d'une hache que l'on enfonce dans la terre, et ce bruit ne la rassura pas le moins du monde. Sans reprendre son souffle, elle sauta sur ses pieds, pour faire face à l'ennemi,  qui venait de délivrer son impressionnante arme de l'emprise du sol. Nul doute qu'il savait la manier avec habileté, s'il parvenait à la toucher avec ça, la blessure serait fatale. Ses yeux rivés sur la lame aiguisée, elle essaya de reprendre ses esprits et de se concentrer. Elle luttait pour résister à l'envie de prendre ses jambes à son cou, comme le lui hurlait chaque cellule de son petit corps chétif. Plus elle le voyait avancer, plus elle paniquait,  et moins elle parvenait à se concentrer...

Pourtant, bien qu'elle ne put s'empêcher de reculer de quelques pas maladroits, elle réussit à maîtriser son don. Une fumée légère, grisâtre, s'échappa de ses doigts, et alla envelopper le corps de son ennemi. Malheureusement, elle ne parvint pas à produire suffisamment de poison, et la fumée, qui s'infiltra dans le corps de sa cible, ne fit que la ralentir. Et cela sembla énerver l'homme masqué, qui redoubla d'effort pour avancer vers la fuillarde. Il arriva bientôt à sa hauteur et lui assena un violent coup de point sur le nez, qui engendra un craquement sinistre et le hurlement de sa victime. Cependant, ce petit numéro donna suffisamment de temps à un groupe d'inconnus pour qu'ils viennent secourir la demoiselle en détresse,  qui s'était mise à hurler à plein poumons, réclamant de l'aide.

Un homme robuste, à la chevelure flamboyante et à la barbe toute aussi rousse, arriva par derrière et assomma l'agresseur de Javaah d'un coup de massue. "Ça va, vous n'êtes pas blessée ?" Pour toute réponse, Javaah le regarda de ses yeux larmoyants, la main sur son nez ruisselant de sang. "Vous devez b'aider !" essaya-t-elle d'articuler. "Bon abi a besoin  d'aide, il, il... -Oui, ma fille est allé l'aider. Aller, debout, on doit filler fissa. Vous pouvez courir ?" Javaah fit non de la tête. Si elle parvenait à se redresser, ça tiendrait déjà du miracle. "Bon, alors tenez vous à mon cou." Il se baissa pour l'attraper dans ses grands bras, et la souleva de terre comme si elle ne pesait pas plus lourd qu'une plume.

Il courut se réfugier un peu plus loin, ne ménageant pas la blessée qui gémit de plus belle sous la douleur. Sa tête semblait être sur le point d'exploser, et elle cru tomber dans les pommes au moins deux fois sur le trajet. Du coin de l'oeil, elle aperçut le carnage que ces odieux criminels avaient laissé derrière eux. Des corps étalés sur le sol teintaient la prairie d'une couleur pourpre, chargeant le lieu d'une histoire lugubre. Le combat faisait encore rage et de nombreux combattants résistaient aux assauts des masques d'or, qui semblaient pourtant peu à peu prendre le dessus. Javaah et son porteur traversèrent un pont derrière lequel un rideau de pluie les accueillit. "Ze croyait qu'il de pleuvait zabais dans le parc ! -Il arrive que cette partie échappe à la règle." Sans plus donner d'explication à sa protégé, l'homme l'installa au pied d'un arbre et la força à lâcher son nez pour l'examiner. "On dirait bien que c'est cassé. -Sans blague z'avais pas rebargué !" répliqua la mord’th avec hargne. Ignorant la remarque, il continua l'inspection, avant de conclure qu'à part un nez douloureux qu'il faudrait arranger, aucune de ses blessure n'était grave.

Une dizaine de minutes plus tard, deux nouvelles silhouettes apparurent à travers le rideau de pluie. L'inconnu qui l'avait aidé se redressa, massue à la main, prêt à en découdre si quelqu'un essayait de les attaquer. Mais il ne s'agissait que de Gus et de la jeune fille qui était allé lui prêter main forte. L'épaule de Gus était sévèrement amochée, transpercée par un coup d'épée, et il avait lui même du mal à garder la sienne entre ses mains. Les quatre camarades s'assirent donc à l'abri de la tempête, sous le feuillage de l'arbre, et entamèrent une discussion, en attendant que les choses se calment.

Gus et Javaah découvrir ainsi que leur deux alliés s'appelaient Conor et Lucrecia. Ils étaient tous deux venus participer à la rébellion pour se venger, suite au meurtre de la mère de Lucrecia. Lorsque le combat avait commencé, ils avaient pu s'échapper rapidement, avant de devoir combattre l'un de ces hommes. "C'était étrange... j'ai réussi à le tuer mais lorsque j'ai essayé de lui arraché son masque, pour voir qui se cachait derrière, j'ai ressentie une vive brûlure et le corps est partit en fumée. - C'est la première fois que j'entends parler de quelque chose comme ça. Peut être que l'un d'eux les... anéanti, pour s'assurer que l'on ne découvre jamais leur identité... -Ce qui leur arrive lorsqu'ils sont mort m'intéresse peu. Ce qui m'inquiète d'avantage, c'est comment ont - ils fait pour nous retrouver aussi facilement ? Ce vieux n'avait pas l'air idiot, il a dû faire en sorte que le message reste secret, et protéger les lieux avant de venir... non ?" La discussion continua un bon moment, soulevant de nouvelles questions sans jamais apporter aucune réponse.

Finalement, ils décidèrent que le chemin était libre, et les deux étrangers proposèrent de les conduire au sanctuaire, pour que les Protecteurs du Bonheur puissent leur prodiguer les soins nécessaire pour leur rétablissement.