« Cours, petite bouffonne. » murmura une femme blonde qui tenait dans sa main un étrange bocal. Mitsuko Ludovika Taiji avait été, par le passé, un Djinn puissant. Aujourd'hui elle n'en était qu'un comme les autres. Pourtant, depuis quelques temps déjà, elle observait une femme qui se prenait visiblement pour une sorte de justicière. Cette femme, c'était Lilith. L'Ange avait eu la mauvaise idée de s'en prendre à un riche Démon de qui elle avait dérobé une partie du butin. Depuis, à chaque fois qu'elle mettait son costume coloré, elle se retrouvait toujours avec quelques êtres démoniaques sur le dos. Elle n'était pas dupe : ils avaient dû utiliser la magie pour pouvoir repérer facilement quiconque porterait ce style d'habit. L'argent qu'elle avait dérobé, elle l'avait usité afin de nourrir des malheureux. C'était sa vision es choses mais elle trouvait que les richesses n'étaient pas bien réparties. Ce Démon vivait en avare. Son argent ne lui servait à rien. Il se contentait de l'accumuler, de le cacher des regards curieux. Elle l'avait vu et avait sauté sur l'occasion. Lilith se demandait parfois ce que lui diraient ses supérieurs angéliques s'ils savaient. Il valait mieux qu'ils ne sachent rien. De toute façon, elle ne demandait rien à la Citadelle, et, de ce fait, espérait que la Citadelle ne lui demanderait rien non plus.

L'Ange s'arrêta un instant au pied d'un énorme édifice : le palais du Millénium. Elle hésita à entrer. Le bâtiment faisait partie de ceux qui n'étaient pas nés avant qu'elle ne meurt. A la place, avant, se trouvait le Château des Cavaliers Sans Tête. Qu'était-il advenu de ce dernier ? Elle n'en avait aucune idée. En attendant, une boule de feu, fonçant droit sur elle et touchant un rocher à quelques centimètres, l'aida à prendre une décision. Elle s'engouffra par la porte, entrant dans le monument. L'intérieur lui parut tout de suite grand et elle ne décela pas immédiatement la présence de la Génie. Rapidement, elle enleva son costume, le pliant avant de le mettre dans son sac. Ne restait que sur elle une combinaison très près du corps. Néanmoins, elle ne pensait pas les Démons stupides. Elle était seule dans l'enceinte du palais. Tout la désignait comme la coupable idéale. Elle se ferait sans doute tuer, ou blesser gravement si elle restait là. Du moins, ça, c'était sans l'intervention de Ludovika qui passa derrière elle, fermant le loquet de la grande porte dans un cliquetis de métal. « Attrapez ! » lui cria-t-elle en lançant son bocal. Cela n'en était pas vraiment un. En réalité, il y avait bien un poisson à l'intérieur mais il s'agissait en réalité d'une sphère qui n'avait aucune ouverture et qui était totalement remplie d'eau. De par le monde, il existait bien des objets étranges et celui-ci en faisait partie. Lilith ne s'aperçut que trop tard du piège qui lui était tendue. Par réflexe, elle attrapa la sphère, regrettant presque son geste par la suite. Cette femme était sans nul doute un Génie. Qui d'autre se comporterait de la sorte après tout ? « Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle. La blonde la fixa un moment avant de murmurer : « Je pense que vous avez plus urgente question. Tic tac, tic tac ! ». Elle avait raison. Deux choix s'offraient à elle : soit elle essayait de fuir par l'une des portes, soit elle faisait un vœu. Le problème c'est qu'elle ne pourrait de toute façon pas se débarrasser de cette femme sans souhaiter. Elle était prise au piège.

Beaucoup voyaient la présence d'un Djinn à leurs côtés comme un avantage. Lilith, elle, connaissait la vérité. Il était rare qu'un Génie s'évertue à exhausser son maître dans l'intérêt de ce dernier. Les rêveurs, de par leurs vœux, contribuaient surtout à rendre bien plus forts celui qu'ils pensaient dominer. Le seul à dominer était celui qui confiait son habitacle à l'autre. Un vœu modeste aurait bien moins de conséquences qu'un vœu complexe. L'Ange soupira. « Je compte sur vous pour vous présenter dans les formes une fois que j'aurai échappé à ces hommes... ». « Est-ce un souhait ? » la taquina la blonde. Lilith ne releva pas, préférant faire sa demande avant qu'il ne soit trop tard. « Je souhaite que des danseurs apparaissent partout dans ce château, de telle sorte qu'on ne puisse plus nous retrouver et que le lieu devienne un véritable dédale. ».

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Ludovika blêmit. Elle n'aurait jamais pensé que l'Ange aurait profité du chaos qu'elle avait engendré pour lui fausser compagnie. Son habitacle au sol, Lilith s'en était débarrassée de la même façon qu'elle aurait jeté un déchet à la poubelle. La Taiji se mordilla la lèvre inférieure, se demandant ce que cette étrange femme voulait lui signaler par ce geste idiot. Il lui restait encore deux souhaits à formuler et la Djinn n'avait pas l'intention de partir sans les avoir exhaussé. Seulement voilà, à présent que des danseurs gesticulaient dans tous les sens et que le château avait pris les traits d'un labyrinthe, elle doutait qu'elle retrouverait l'emplumée aussi facilement. La jeune femme passa une main dans ses cheveux, réajustant sa coiffure. La vie de Génie était si compliquée parfois. Elle sourit, avant de rire. Non, cette existence, elle la voyait comme une liberté. Ne plus avoir à manger, à dormir, à transpirer, voilà qui l'arrangeait. C'était un statut maudit, certes, mais elle s'amusait tellement. Légèrement sadique, elle se plaisait dans le clan de ceux qui exhaussaient les rêveurs. Le seul problème c'est que sa faiblesse l'ennuyait fortement. Puissante, elle aurait pu réaliser un nombre incalculable de choses. A l'heure actuelle, elle devait se contenter de faire apparaître des hommes et des femmes de papier, dansant de manière totalement désaccordée. Et son dédale, il faisait peine à observer, rien à voir avec ceux qu'elle façonnait jadis. Soupirant, elle prit partie de visiter l'endroit. Après tout, rien ne servait de courir après l'Ange. Si le Destin le souhaitait, leurs routes se recroiseraient.

Couloir après couloir, Ludovika découvrait un lieu étrange. Elle ne se rappelait pas de l'avoir un jour observé. Pourtant, il était la fusion entre deux palais qui jadis appartenaient à sa famille. Entrant dans une pièce, elle tomba nez à nez avec un enfant. Celui-ci la fixa, se mettant sur ses gardes. Le petit avait dû apprendre quelques notions d'un art martial quelconque car ses petits poings étaient serrés, l'un à la taille, l'autre en défense de ses parties. « Ne te fatigue pas, je ne suis pas de ces ennemis que tu peux à ta guise défier dans un combat singulier. Mon domaine à moi, c'est la magie, alors à moins que tu ne sois Humain, il vaut mieux que tu ranges tes poings. ». L'enfant sembla troublé de l'apprendre. Il demanda alors : « Qui... qui êtes vous ? ». « Il vaut mieux que tu ne le saches pas. Et toi, qui es-tu ? Que fais-tu là ? On ne t'a jamais dit que ce lieu était dangereux ? ». « Si mais... dehors c'est pire ! Il y a plein de Masques d'Or qui veulent du mal aux gens... Mes parents nous ont dit de nous cacher là... ». La Génie remarqua le nous tout de suite mais elle préféra ne pas en parler. Les dires du gamin la faisaient rire. « Les Masques d'Or hein ? ». « Vous... vous ne savez pas ce que c'est ? ». « Oh si, mais cela fait des jours et des jours qu'ils ont été terrassés. Ne t'informes-tu pas ? ». L'enfant se gratta la tête. Il ne savait pas s'il devait croire cette étrangère aux rouges à lèvre éclatant et aux paupières étrangement vertes. C'est vrai que Ludovika avait l'air légèrement folle ou, plutôt, excentrique. Elle avait toujours aimé les couleurs et, heureusement, elle les voyait à peu près toutes, sauf le jaune. Mais ce n'était pas une très grande perte de son point de vue. « Vous êtes sûre ? » demanda l'enfant. « Est-ce que j'ai une tête à plaisanter. Tu sais, tu ne devrais pas remettre en doute la parole des grandes personnes. C'est très impoli. ». « Ma mère elle dit qu'il faut toujours se poser des questions, même sur les choses qui paraissent simples. ». « Oui c'est ainsi que se nourrit l'esprit bla bla bla. Dis moi, c'est que tu pourrais devenir un érudit. A quel peuple appartiens-tu ? ». « Je ne sais pas trop... ». « Comment ça tu ne sais pas trop ? ». Cela paraissait sortir des compétences de Ludovika. Devant la moue de l'enfant, elle préféra passer à autre chose. C'est que, dans le fond, ça ne l'intéressait pas vraiment. « Bon, et ils sont où les autres ? ». « Je ne sais pas si je peux vous le dire... ». « Tu veux rentrer chez toi ou pas ? ».

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Si Ludovika s'occupait de ces enfants, ce n'était pas pour rien mais la chose devint bien plus intéressante par la suite. Au début, elle pensait jouer les samaritaines en espérant croiser Lilith. L'Ange verrait alors qu'elle pouvait lui faire confiance et les deux femmes repartiraient sur un bon pied, la brune formulant ses deux derniers souhaits. Néanmoins, il s'avéra que la discussion dépasse ce qu'elle aurait imaginé. « Bon mais... D'accord. ». L'enfant était spécial. Elle ne l'avait pas remarqué auparavant pour la simple et bonne raison que son handicap ne se voyait pas à l’œil nu. Il se déplaça dans la pièce, allant chercher un deuxième garçon, totalement identique à lui. Il n'y avait qu'un détail : il était aveugle. Il avança vers un autre point, afin de tirer à lui un troisième garçon qui sursauta quand il vit la Génie. Il y en avait encore deux autres. Ils étaient tous les cinq identiques : des quintuplés. « En fait, c'est compliqué... » commença l'enfant. « Pour ton frère aveugle ? ». « Non, ce n'est pas ça. Shin est aveugle, Jin est sourd, Tin est insensible, Min n'a pas de goût et, quant à moi, je ne sens pas les odeurs. ». « Intéressant... Vos parents ont dû être ravis... ». « Oui assez. En fait, ce ne sont pas vraiment nos parents. Tous les cinq, nous avons été fabriqués. ». « Fabriqués ? Ah oui vraiment ? ». « Ça fait des siècles mais nous sommes restés longtemps en phase de sommeil. Notre mère nous a raconté qu'un jour, une femme blonde, un peu comme vous, était venue la voir, elle et notre père, afin de lui proposer de nous élever contre une grosse somme d'argent qui la mettrait à l'abri des besoins pour des siècles. ». Ludovika commençait à saisir. Cela sentait Mitsuko Edelwyn Taiji à plein né. Pourquoi fallait-il qu'elle ait semé des enfants partout sur les Terres du Yin et du Yang ? « Intéressant... » répéta-t-elle en attendant la suite comme si elle n'avait pas déjà compris. Elle n'était pas très rapide à faire les liens mais, là, c'était presque évident. Personne ne s'amusait à créer des individus, surtout pas cinq frères à qui il manquait un sens chacun. Ça sentait trop l'envie d'expérience. Quelle cruelle femme que cette Déesse. « Nous connaissons notre nom de famille mais nous avons choisi de prendre celui de nos parents... Enfin, ceux qui nous élèvent. ». « Oh je serai toi, je ne renoncerai pas à un cadeau empoisonné pareil. ». « Hein ? ». « Non rien. » sourit-elle. « Bon, j'ai une idée. Je vais vous accompagner à Libertas, vous y serez en sécurité le temps que vos parents viennent vous chercher. Je vous aurai bien amené au Sanctuaire mais... je crois que c'est encore la folie là bas. ». La dernière fois qu'elle avait eu des nouvelles du lieu, il croulait sous les demandes. Les médecins étaient débordés et les blessés et malades s'accumulaient encore et encore. Il restait beaucoup de gens à soigner et beaucoup de cœurs à guérir. Libertas semblait tout recommandé, plus à l'écart, plus vaste. Et puis, Ludovika n'en oubliait pas ce besoin qu'elle avait de taquiner Lilith. « Mais vous êtes sûre que l'on peut sortir ? ». « Puisque je te dis que oui. Les Masques d'Or ont été mis sur des bûchers. L'acier dans lequel ils étaient faits a totalement fondu. Et puis, il n'y a plus de secousses ni de vagues violentes qui sèment la terreur. ». Les Génies n'avaient que faire des considérations physiques. La seule chose qui pouvait éventuellement être embêtante pour eux touchait leur habitacle. C'était pour cette raison que Ludovika le gardait précieusement à ses côtés. « Et... c'est tout ? ». « Quoi c'est tout ? ». « Ça se finit comme ça ? Et le coupable ? ». « Je ne sais pas tu vois. Je sais qui c'est, mais je n'ai aucune idée de ce que la dame est devenue. De toute façon, c'est toujours pareil. Il y a un méchant qui terrorise le monde, les gens arrivent à s'en sortir, et puis, quelques lunes plus tard, l'individu peut se pavaner en public sans que personne ne dise rien. Et c'est bien normal, qu'y aurait-il à dire ? Bonjour, c'est vous alors qui avait tué des milliers de gens ? Ça va, vous le vivez bien ? Ridicule non ? ». « Vous me faites un peu peur... ». « Crois moi, si tu as peur de moi, tu n'as pas finis d'avoir peur. Allez, on discutera en chemin. En route ! ».

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Il fallut longtemps à celui qui n'avait pas d'odorat pour être à l'aise. Ludovika ne connaissait pas son prénom mais, en vue de ce qu'elle savait déjà sur les quatre autres, elle se doutait que ça se terminait en « in ». C'était curieux tout de même, cette similarité de nom. Enfin, elle se dit que cela ne devait être que la marque d'un manque d'imagination flagrant des parents adoptifs de ces enfants. Peut-être étaient-ils morts d'ailleurs ? La Génie avait entendu dire qu'Aria avait vendu le Manoir Taiji. A vrai dire, elle s'en fichait bien mais, si l'idée d'accompagner ces petits là bas avait germé dans son esprit un moment, elle l'avait vite abandonné. Elle ne savait pas qui avait acheté les lieux alors... Et puis, rien ne servait de penser au malheur. Ces gens étaient sans doute bel et bien vivants. Une fois qu'ils accostèrent sur le Continent du Matin Calme, l'enfant reprit la parole. « Je crois que t'avais raison du coup... ». « A propos de ? ». « Du fait qu'il n'y ait plus rien à craindre. ». La Djinn rit. Qu'il était naïf celui-là. « Ah parce que tu crois que le monde est de nouveau en paix ? Je pense qu'il ne l'a jamais été. Tu ferais bien de faire attention parce que tu n'es jamais à l'abri d'une mauvaise rencontre. ». « Mais... ». « Il n'y a pas de mais. ». Elle garda un instant le silence avant de reprendre. « Si tu m'avais connu jadis, je t'aurai sans doute enfermé dans un labyrinthe si difficile que tu serais mort en essayant d'en sortir. Pourquoi ? Sans raison particulière, juste pour le jeu, juste pour prendre des notes sur le comportement humain. Alors, est-ce que tu crois toujours que le monde est sans dangers et qu'il n'y a plus rien à craindre ? ». Elle lança son habitacle en l'air, accélérant le pas comme si de rien n'était. La sphère l'amusait toujours, malmener les gamins aussi, bien qu'ils soient un peu trop naïf à son goût. Non, ce qu'elle aimait vraiment, c'était s'en prendre aux adultes. Malheureusement, elle mettrait un certain temps avant de pouvoir le faire de nouveau. Il y avait trop de risques pour le moment.

Le voyage fut long. Plusieurs fois la petite troupe dut s'arrêter dans une auberge pour y passer la nuit. Ludovika n'avait pas ce besoin, ni aucun besoin véritable, mais les enfants, eux, oui. Elle élimina au fur et à mesure plusieurs races. Ils ne semblaient pas avoir d'ailes, ils avaient des besoins, ils ne semblaient pas spécialement maléfiques, même plutôt bénéfiques. Quoi que, elle ne savait pas trop, il y en avait qu'un qui lui parlait véritablement, les autres se contentant de l'observer. Mais elle se demandait s'ils n'avaient pas un don spécial, un don qui les liait et qui leur permettait de communiquer entre eux. Un vrai mystère.

« C'est ça Libertas là bas ? ». « Oui, exact. ». « C'est assez proche de chez les Déchus, non ? ». « Assez. ». C'était drôle. Lilith était une Ange et, pourtant, elle avait choisi de s'installer près de ceux qui avaient péché. Était-ce un signe ? Un signe pour dire que même si elle conservait son blanc plumage, elle n'était pas toute pure non plus ? Ludovika en doutait. Cela dit, elle n'avait jamais vu un Ange se prêter à des activités comme le vol. Et puis, c'est qu'elle semblait avoir un certain caractère. Elle n'était ni soumise ni naïve. En même temps, quel âge avait-elle au juste ? Hum... « Nous y serons bientôt. Ne... ». Les enfants étaient partis en courant, même celui qui ne voyait rien, guidé par l'un des ses frères. Celui qui ne pouvait sentir courait étrangement mais il s'en sortait plutôt bien. La vision et l'ouïe devaient l'aider. « … courez pas. » finit-elle plus bas. Ce qui était drôle, finalement, c'est qu'elle avait fait une bonne action. Combien de sévices devrait-elle infliger aux individus avant que cette dernière ne soit entièrement effacée de sa vie ? Cela dit, elle n'avait pas aidé n'importe qui. Elle avait aidé des Taiji, des petits qui seraient sans doute rois un jour ou l'autre. Ce qui manquait à chacun était une véritable force pour le groupe. Ils avaient dû apprendre à se soutenir mutuellement et, cinq diminués étaient toujours plus puissant qu'un entier.

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