¤ Allumer la mèche ¤

Je me rappellerai toujours de cette lumière qui prenait de plus en plus d'ampleur dans la pièce, plus forte que le fragment d'or que trimbalait Léto. Elle m'aveuglait, me réchauffait la peau, et le cœur aussi. J'avais l'étrange sentiment qu'un nouvel espoir naissait sous mes yeux, et que cette personne allait régler tous mes problèmes. C'est étrange ce qu'avait pu m'inspirer Léto à cet instant… Je pense que ce sentiment avait atteint son apogée lorsque la magie ambiante s'était dissipée et que ce bleu-cyan s'était fondu dans ses yeux. Ils brillaient de mille feux et nous fixaient tous les deux, Galick et moi. L'air de Léto – si je pouvais encore affirmer que c'était Léto étant donné le principe-même de la fusion – était grave, elle semblait s'habituer petit à petit à cet état. Elle quitta son immobilisme au bout d'un certain temps, jeta un regard autour d'elle. La lumière bleutée de ses pupilles suivaient le mouvement, c'est ce qui me fascinait le plus sur le moment.

Et puis soudainement, tout parti à vau-l'eau. Personne au monde n'aurait pu imaginer un tel retournement de situation. J'aurai pu mourir si, par réflexe, je ne m'étais pas changée en brume alors que Léto fonçait sur moi, la rage se lisant sur son visage. Elle me traversa dans sa charge, s'emmêlant les pieds dans sa course. Je m'étais vivement retournée en sa direction tandis que Galick s'assurait que j'aille bien. Cette femme qui se ruait partout, frappant tout sur son passage à s'en saigner les phalanges, ce n'était pas Léto. Elle perdait clairement le contrôle, elle ne criait pas mais souffrait. De multiples voix agonisaient au fond de sa gorge, se plaignant de son état. Mon corps trembla, j'avais la juste intuition de constater que je venais de perdre mon amie sous mes yeux. Galick n'eut d'autres choix que de l'attirer à lui, pour qu'elle s'acharne sur lui, qu'elle s'épuise afin de la raisonner. Mais comment agir sur un esprit qui dévorait celui de Léto ? Nous n'étions pas chamans et le seul chaman qu'on connaissait était trop loin d'ici pour qu'on puisse le prévenir à temps. Tout ce que je pouvais faire, c'était rester là, immobile, regarder mes proches connaissances s'entretuer. Léto avait un net avantage et je n'osais pas m'interposer au risque de la blesser elle plutôt que lui. Choisir entre Galick et Léto, c'était une affaire de justice que je ne pouvais résoudre en l'instant, car j'étais trop bercée par mes émotions.

En fin de compte, outre le fait qu'il soit horriblement amoché, Galick était parvenu à tenir jusqu'au bout. Puisqu'il n'avait rien pu faire pour la calmer, la fusion s'était juste dissipée tout d'un coup. La lumière bleue s'était éteinte et Léto était par terre, à essayer de reprendre sa respiration, comme si on l'avait noyée. Je n'avais pas mesuré le temps que cela avait duré, plus j'y pensais et plus je me convainquais que cela faisait une éternité que le sang coulait. Je vis apparaître alors le fameux esprit avec lequel elle avait fusionné : comme Galick se complaisait à le répéter, il faisait effectivement peine à voir, cette morbide personne. Je ne m'y attardai pas plus que ça, à quoi bon me lamenter sur le défunt plutôt que sur les vivants ? Je m'occupai du géant et de la grande, moi qui me croyais servie en longues jambes, j'étais dépassée avec ces deux là…

Le plus dur de la journée se termina ainsi : Galick pansée et Léto secouée. Elle se coltinait maintenant cet élémental qui me faisait froid dans le dos, quoique sa sombre attitude ne fût en rien comparable à ces yeux enflammés dans mon esprit, d'un bleu si pur de domination… Je ne souhaitais aucunement revoir cette "chose".

¤ Bleue pour toujours ¤

Cette fois, nous avons pris le risque d'entrer de force en contact avec cette Latone. Je ne pouvais pas encore me satisfaire du ressenti de mon élève et des témoignages extérieurs ; surtout depuis que l'un de ces derniers nous a appris que le corps de Léto se serait "égaré" loin de Vigilante, le bleu aux yeux. Léto avait tenté une fois de discuter avec elle, elle avait écrit un mot à son adresse… pour toute réponse, Latone avait déchiré le parchemin sans même le lire. Alors nous avons décidé d'y aller franchement : mon élève a accepté de se faire attacher et de fusionner avec son esprit-compagnon, afin de contraindre Latone à nous parler.

Par précaution, plusieurs Marcheurs étaient postés autour d'elle, armés jusqu'aux dents. Une décision qui s'était avérée utile : Latone était incontrôlable au début, elle hurlait, se débattait pour rompre les cordes et défaire les chaînes. Quand je dis qu'elle hurlait, déjà ce n'était pas à moitié car pour une raison qui m'échappe sa voix est dédoublée, ou plus encore, comme si elle parlait littéralement au nom d'une armée ; et aussi, parce qu'elle avait l'insulte facile. Je me préparais déjà à un échec cuisant comme pourparler…

Finalement, elle sembla enfin se résigner à accepter la situation et m'a lâché un singulier : " Qu'est-ce que tu me veux, vieil homme ? " Puis elle cracha sur un Marcheur qui avait voulu la titiller un peu avec sa lame. Je restais assis en face d'elle, un interrogatoire comme on n'en faisait plus. Cela me peinait de voir Léto ainsi, mais elle avait eu une tendance à accepter facilement cette solution radicale, elle me surprendrait toujours… Enfin bref, c'était à Latone de m'impressionner à présent, ainsi je lui proposais juste de lui parler, de lui poser des questions. Elle se laissa faire, prétextant qu'on lui avait arraché son libre-arbitre.

Une conclusion indéniable me vint en tête au bout de quelques réponses : cette entité était réellement vivante, dans le sens qu'elle était une personne à part entière. Elle ressemblait à Léto mais demeurait quelqu'un d'autre. Cela explique son désir de porter son propre nom. Physiquement parlant, elle est évidemment identique puisque c'est le principe de la fusion des esprits, mais elle se manifeste par l'apparition de yeux bleus, très brillants et s’apparentant à des flammes lorsque sa magie s'emballe un peu ; ce phénomène n'est néanmoins pas uniquement propre à Latone, car la mord'th m'a confié que Léto semblait contrôler la situation la première fois, alors que le bleu était apparu dès le début. Malgré tout, Latone a son propre caractère, ses avis, ses goûts, même si la plupart se retrouve chez son hôte, de près ou de loin. Déjà son étrange haine envers les hommes, elle s'amuse à les rabaisser verbalement et cela ne m'étonnerait pas qu'elle en fasse de même physiquement ; Léto m'avait confié son passé, son infériorité ressenti à leur égard, sûrement cette colère venait de là. Elle adore l'alcool, un vice que Léto aurait entretenu modérément par le passé ; une piste pour expliquer sa tendance à la violence ? Par ailleurs, elle est apparemment attirée par les "feux d'artifice", sous ce terme elle regroupe les actions "énormes" comme elle dit, qui attirent l'œil et font grande impression ; une envie d'attirer l'attention, peut-être un manque de reconnaissance ? Dans ce cas de figure, elle assume totalement son statut d'arme lorsqu'on fait appel à elle. Sa liberté aussi, Latone fait ce qu'elle veut, quand elle veut, comme si la barrière du corps la protégeait. C'est une notion qui lui tenait très à cœur, elle n'hésiterait pas à se blesser pour elle, soi-disant parce que son existence est si ténue qu'elle se doit d'en profiter au maximum. Une justification qui avait du sens, cependant pouvait-elle justifier toutes les atrocités dont elle était capable ?

C'est à partir de là que nous découvrions une Latone étrangement sensible. " De quoi ils rigolent ces deux là ? " Avait-elle lâché soudainement, en remarquant deux Marcheurs qui se marraient entre eux, en retrait. J'avais insisté pour qu'ils lâchent le morceau et ce fut une simple blague hors contexte qui fit rire quelques uns d'entre nous, sauf Latone qui souriait mais seulement. Je remarquais une sorte de dépit chez elle, un peu plus et j'aurais même eu l'impression qu'elle voulait pleurer. " C'était drôle, ils doivent être amis ! " Le dernier mot semblait si étranger dans son langage, cette phrase reflétait une grosse importance : elle se sentait seule, elle voulait vivre sa propre vie. L'idée d'instaurer un pacte pouvait être une option… mais je préférais en parler avec Léto avant. Ainsi, je demandais à juste titre si Latone comptait posséder définitivement ce corps un jour. Ce à quoi elle répondit par un sourire moitié-provocateur, moitié-blessé.

" Je ne suis pas un monstre. "

¤ Caprice sans fond ¤

Comme d'habitude, la tâche de surveiller Latone me fut incombé. En temps normal, je la repérais très facilement lors de ses escapades nocturnes – assister au somnambulisme de Léto en tenue légère était par ailleurs un spectacle inattendu – et je m'assurais de loin que le monstre créé par l'esprit dont j'étais le clone ne commettait pas l'irréparable. Mais cette fois, Latone m'attrapa bien vite et me somma d'organiser une soirée de beuverie sur-le-champ. Malgré la difficulté de l'ordre, je parvins à réunir les individus ayant sympathisé avec elle par le passé afin de lui offrir cette fête dont elle rêvassait, apparemment, depuis son arrivée à Ciel-Ouvert.

On prit réunion tous devant la taverne la plus réputée du quartier Aria. Elle n'avait pas de nom, on lui en prêtait beaucoup en retour, le tavernier était égocentrique au point de se justifier de ce choix : c'était pour inspirer un puissant sentiment de liberté auprès de ses clients, qui pouvaient appeler ce petit coin de paradis avec les meilleurs noms tirés de leur imagination. Ce à quoi Latone avait répondu une fois : " Le Trou Perdu ! La voilà mon imagination ! " Ainsi donc, on s'attabla en cercle au Trou Perdu.

On était tous de caractère différent, chacun prit un verre différent. Ce qui était néanmoins communément admis, c'est que c'était Latone qui allait mettre l'ambiance, et nous autres nous peineront à suivre. Pour dire à quel point j'ai eu du mal, je n'ai retenu que les surnoms débiles qu'elle nous a tous collé – de la part d'une fille qui se fait appeler la Descente, c'était ironique – tout en lui collant celui qu'on a adopté, et je compte me servir de cet arsenal de sobriquets à présent pour caricaturer davantage la scène. On a tout d'abord porté un toast pour… rien, Nain de Jardin voulait qu'on porte un toast, on a tous beuglé "Ciel-Ouvert !" pour combler le vide du ridicule. Pour démarrer en bonne et due forme, Tatouée nous régala d'une anecdote ; elle avait toujours une anecdote vu qu'elle traînait souvent au sentier Air, là où les étrangers sont les plus exquis. En outre, elle nous raconta l'entrée théâtrale d'un vagabond bien sapé, qui calait sa tête dans l'angle pile du vent afin que ses cheveux se balancent à son rythme. Les Marcheurs l'observaient faire son beau, le torse bombé, la main sur son fourreau, jusqu'au moment où son sourire fit la rencontre d'une plaque de givre, lorsqu'il glissa soudainement sur celle-ci. Tatouée précisa bien évidemment que la partie la plus hilarante fut lorsqu'il se releva et que les ricanements assourdissants des Marcheurs le firent fuir loin de la Plaine Givrée. Blondasse – Latone donc –  hurla de rire un bon coup et nous ne tardons pas à suivre la cadence. " Avait-il l'air fort ? " Tenta-t-elle tout de même, toujours à la recherche d'un défi, la déception la gagna lorsque Tatouée lui assura qu'il n'avait l'air que d'un péquenaud qui ne pète pas plus haut que son cul.

Lors de la seconde tournée, Lynx nous proposa un jeu de cartes, qui s'appelle "l'Escalier". C'était amusant au début, cela faisait appel à notre capacité d'estimation… Mais on avait notamment affaire à Balourd et Blondasse, du coup la partie fut très vite écourtée ; pour ces deux là bien sûr. Nous continuons donc dans notre coin, jusqu'à que Blondasse termine sa chope. Là, impatiente, elle frappa du poing la table pour exiger une nouvelle tournée, la brutalité du geste ayant fait vaciller les cartes un peu partout. Entre deux reproches, on lui demanda comment elle faisait pour picoler aussi aisément, ce à quoi elle rétorqua : " C'est parce que je bois pour deux ! " L'atmosphère fut immédiatement détendue lorsque tous les invités comprirent la vanne.

Troisième verre, on discuta un peu tout et de rien, le simple flot d'ivrognes. Balourd et Nain de Jardin ont voulu faire cul-sec, le second a fini écroulé sur la table. Blondasse et Tatouée avaient beau le taper plusieurs fois sur le dos, il avait rejoint les profondeurs oniriques pour ce soir ; vu qu'il était tout petit, on supposait que l'alcool se diffusait plus rapidement dans son corps que chez nous. Avec un concurrent en moins, Lynx tenta de faire la cour aux deux jeunes filles de la table, Tatouée était plus réceptive que Blondasse, c'était sûr. Il avait beau suggérer que j'avais mes chances avec elle, la concernée était radicale : " A choisir entre un lynx et un piaf, je préfère ma main droite ! " C'était bien évidemment moi Piaf, mon masque ne pouvait pas être aux goûts de tout le monde. Mais cette conversation anodine me fit demander comment Blondasse comptait arranger sa vie sentimentale ; après tout, elle ne comptait pas lâcher le morceau tant qu'elle n'aura pas profité de toutes les facettes d'une existence. A cela, je me mis à parier qu'elle allait probablement finir dans les bras d'une autre femme, ou c'était l'alcool qui m'embrouillait l'esprit. Mais je n'en pensais pas moins que Blondasse pouvait trouver quelqu'un à son goût, elle avait l'avantage d'être charismatique.

On en vint au quatrième service… on était tous au point mort, sauf Blondasse évidemment. Lynx avait rejoint Nain de Jardin, ratant donc son opportunité avec Tatouée. Ennuyée, notre mascotte tenta un bras-de-fer avec Balourd. C'était une très mauvaise idée avec leur force respective, mais on était trop saoulés pour s'y opposer. Le duel était serré et le verdict fut rendu par la table au moment où Blondasse écrasa la main de Balourd sur le bois : elle cassa – la table, pas la main – et nos deux compères endormis se réveillèrent en sursaut. Sur ce final théâtral, nous décidions de sortir du Trou Perdu ; Nain de Jardin et Lynx en eurent pour leur argent, car ils étaient assez manipulables pour nous afin qu'ils payent l'ensemble des verres et remboursent la table. On repartit chacun de notre côté, sous ce ciel peu étoilé, tous crevés ; sauf le sourire de Blondasse qui était intarissable : " C'était génial, bande de faibles ! " J'appris le lendemain que la chamane dut lutter contre la gueule-de-bois.

J'en viens à une conclusion troublante : tout le long de la soirée, j'avais l'impression d'avoir bu en compagnie de Léto, à la différence qu'elle résistait beaucoup trop bien à l'alcool. Latone, Léto, ce ne sont peut-être que des noms, les gens sont peut-être juste aveugles. Mais de la part d'un type comme moi qui porte un masque, la crédibilité en prenait un coup.

¤ Ton sourire ¤

Je me sens seule. Pourquoi ai-je cet étrange sentiment de vide depuis qu'il est si loin ? Je n'aurais pas dû le chasser, je le regrette tant. Je me sens si faible. Pourtant, toi, tu es toujours là…

Évidemment, espèce de blonde attardée. Si tu es là, je suis là. Sans toi, je n'existerais pas. Sans lui aussi non plus en fait, mais ça ne sert à rien qu'il reste à tes côtés : je puiserais toujours en lui pour respirer, pour vivre.

[froissement du papier]

C'est la première fois que tu me réponds quand je t'écris !

C'est parce que tu commençais à me faire pitié, puis on est tous les deux présentes là : ce soir, en cet instant que je suppose relativement court, nous sommes en phase. Il y a ton œil gauche uniquement qui bleuit. Tu vas avoir mais tellement mal au crâne après ! Et pourquoi t'écris mieux que moi ?!

Je ne sais pas, j'ai toujours écrit comme ça. Tu écris de la main gauche aussi, ce n'est pas difficile pour toi ?

Non, je suis gauchère. Ça t'en bouche un coin, pas vrai ? Il ne faut pas qu'un péquenaud rentre subitement dans la chambre, où il retiendra de toi que tu t'écris à toi toute seule ; hop, j'écris bien de la main droite, et la plume file dans la gauche pour tracer un bouilli de lettres, et rebelote !

Merci Latone, ça me fait plaisir de pouvoir enfin te parler ! Pas en face à face, mais c'est mieux que rien, j'imagine. Alors… comment vas-tu ?

[tâche d'encre]

Par Ezechyel, tu peux enfin taper la causette avec moi, et tout ce que tu as à me demander c'est comment je me porte ?! Ne perdons pas de temps, tu sais bien que ça ne durera pas. Alors posons les questions existentielles. Je commence ! Si j'existais, si j'avais mon propre corps, à quoi est-ce que je ressemblerais, selon toi ?

C'est en effet une excellente question ! Pour moi, tu me ressemblerais beaucoup, mais tu aurais un regard plus sombre, toujours souriante malgré tout. Et tu aurais les cheveux longs et bleus, parce que tu aimes beaucoup cette couleur, on dirait. Et tes yeux aussi, ils seraient bleus très brillants. Enfin, je pense que tu aurais les oreilles pointues, comme Oberon !

Donc, je serais une sorte d'alfar à ton image… Ça se tient. Et ça me plaît. Mais bon, je dois me contenter de ton corps d'orishaman. Magnifique cela dit, les formes et les muscles là où il faut. Je suis plutôt bien tombée. [cœur]

Merci, c'est gentil ! [cœur] A moi la question ! [plusieurs débuts de questions rayés] Tu crois qu'un jour on trouvera un moyen de se voir en face ?

Impossible. Je pourrais me contenter de te répondre que tu es moi et que je suis toi, donc autant te mater dans un miroir… Mais ce n'est pas si simple, et tu le sais, tu le sens, comme moi. Je ne sais pas ce que je suis, ce que nous sommes. Oh on va voir un mal de tête plus tôt que prévu si tu commences à nous embrouiller comme ça ! Donc à moi : ça ne te dérange vraiment pas que je sois née ?

Non, je pense même que je ne serais pas aussi forte sans toi. Tu nous as sauvés dans les montagnes, la fois où la Marche Terne est tombée dans une embuscade.

On les a sauvés. Nous sommes la Descente. Tu sais, sans ta force et ta magie, je n'aurais rien pu faire. Disons que tu es les muscles et moi le cerveau. A nous deux, on forme la guerrière parfaite, où il faut, quand il faut ! Mais ne prends pas la grosse tête pour autant, on a un énorme problème d'équilibre depuis, et je ne pense pas que ce soit lié uniquement à l'exil du ténébreux. Et je tiens à te le dire : je ne contrôle pas toujours mes apparitions, donc tu m'excuseras.

Je te crois, ne t'inquiète pas. J'ai même souvent l'impression de savoir lorsque tu plaisantes et lorsque tu es sincère. C'est vrai que tu es de plus en plus là depuis qu'Oberon est parti, mais après ce qu'il a fait à Anita… Je refuse de le revoir, à moins qu'il arrive à se faire pardonner, mais je ne vois pas comment, et je ne pense pas que c'est son genre. Pour ce qu'il y ait de notre "problème", j'en ai discuté avec mon maître-chaman. Selon lui, et je suis d'accord, il n'y a qu'une seule solution : je dois fusionner avec un nouvel esprit-compagnon.

[long temps d'attente entre les deux réponses]

Un jour, l'une de nous deux disparaîtra. C'est inévitable : j'ai de plus en plus d'influence sur toi, ton esprit se détériore petit à petit. Je ne veux pas te tuer, tout comme je n'ai pas envie de mourir ne plus exister. Si ça ne marche pas ton plan, tu dois trouver un autre moyen.

Je t'en fais la promesse, nous ne mourrons pas. [dessin d'un sourire]

[dessin maladroit d'un sourire exagéré]

¤ Antagoniste Héroïque ¤

Je suis partie plus tôt cette fois, d'habitude j'espionne les conseils des Guides jusqu'au bout, mais là c'était ennuyeux à en mourir… Surtout qu'ils tournaient toujours autour du pot, ils n'arrivaient pas accepter qu'il y avait maintenant une Léto et une Latone. Et je n'aime pas qu'ils parlent d'elles dans leur dos…

Je suis alors allée voir Léto, on a un peu discuté, puis elle m'a passé des livres qu'elle avait trouvés lors d'un de ses voyages. Il y en avait un en particulier qu'elle connaissait déjà, c'était un conte qu'on lui avait lu étant petite. J'ai trouvé l'histoire très intéressante !

« Il était une fois un jeune homme qui vivait avec sa famille très nombreuse. Ils étaient quatorze frères et dix-sept sœurs ; puisqu'il était le dernier de la fratrie, on appelait ce garçon "le Cadet". Ils habitaient une chaumière immense, tout en haut d'une colline, et étaient très heureux.

Mais un jour, le père ne revint pas de sa chasse quotidienne. Ce n'est que le soir venu qu'un immense ogre se présenta à la famille et leur dit : "J'ai enlevé votre père, il est enfermé chez moi, tout en haut de la montagne. Si vous souhaitez le libérer, l'un d'entre vous devra venir m'affronter et me vaincre. Sinon, je vous mangerai tous." Et il repartit, laissant la mère et ses enfants apeurés devant le monstre et sa carrure colossale.

Le jour suivant, l'aîné s'arma jusqu'aux dents et partit sauver leur père. Au bout d'une semaine, c'est l'ogre qui revint et qui dit : "Votre frère a échoué. Amenez le suivant demain, sinon je les mangerai." Et il repartir. L'aîné suivant s'arma donc aussi et partit affronter l'ogre. Mais une semaine plus tard, l'ogre annonça aussi sa défaite. Tous les frères de Cadet subirent le même destin. Ils avaient bien tenté une fois d'embusquer l'ogre à sa venue, mais ils n'osèrent lever leur lame face à ce monstre gigantesque. Toutes les femmes de la chaumière avaient peurs, et Cadet aussi avait peur. C'était son tour, mais au lieu de partir, il dit à sa mère et frangines : "Je ne vais pas y aller, cette histoire est déjà toute écrite. A quoi bon lutter ?" Et il quitta son foyer.

Il rallia une ville fortifiée et fut accueilli en personne par le seigneur local. Il lui raconta l'histoire de l'ogre et le noble lui dit : "Ne vous en faites pas, Cadet, nous avons l'armée la plus puissante de la région. Ce monstre ne sera plus une menace sous peu." Cadet ne crut pas au discours du seigneur, mais le laissa toutefois rassembler son armée et partir chasser l'ogre.

Des mois passèrent et Cadet croisa la route de l'ogre, un jour où il s'aventura en dehors de la cité. L'ogre lui dit : "J'ai enlevé ta mère et tes sœurs, et j'ai écrasé toute l'armée du seigneur. Si tu veux les sauver, viens me battre demain, sinon je les mangerai." Le géant partit et Cadet haussa les épaules. Plusieurs années s'écoulèrent, où le seigneur fut destitué pour sa lourde défaite et qu'un autre prit sa place. Cadet se maria à une ravissante bergère, ils s'installèrent en ville où elle devint tisserande. Après trois ans de vie conjugale, ils eurent leur premier enfant : Petiot. (Je suis sûr que c'est juste pour ce passage que Léto m'a fait lire ce bouquin.)

Un jour, Cadet partit à la pêche, loin de la ville. Et lorsqu'il revint, il découvrit la cité saccagé, à feu et à sang. Il n'y avait plus aucun survivant et l'ogre se tenait sur son ancien domicile, avec une cage où étaient emprisonnés sa bien-aimée et Petiote. L'ogre lui dit : "J'ai enlevé ta famille, massacré l'armée de ton protecteur, détruit ta maison et ta ville, et maintenant j'ai ta femme et ton fils entre mes griffes. Je vais tous les mangés, mais tu n'es quand même pas venu. Pourquoi ?"

Et Cadet, ricaneur, lui répondit : "Parce que je ne suis qu'un personnage de conte, parce que nous sommes au dernier chapitre de cette histoire. Je n'ai pas d'avenir, ce récit n'a pas de suite, tout ne dépend que de la volonté d'une tierce personne, qui décide, seule, de ce qu'il adviendra de ses créations. Chouchouter, glorifier, détruire, tant de pouvoirs effrayants que je n'ose imaginer. J'ai accepté depuis longtemps ce que je suis, j'ai abandonné l'idée de pouvoir changer, car je sais que c'est impossible. Si je t'affronte, je vais mourir, c'est ainsi qu'en a décidé l'auteur, c'est ainsi que ça doit se terminer."  »

C'est une fin troublante, mais fascinante. Je ne pensais pas que quelqu'un oserait casser les codes de la littérature des contes. Léto m'a dit, qu'à l'époque, elle n'avait pas compris la fin, et sa mère lui avait répondu qu'elle devait simplement retenir que Cadet avait vécu heureux durant un temps, et qu'elle comprendra plus tard. Maintenant, au jour d'aujourd'hui, elle adore ce livre. Quant à Latone : " J'adorais ce Cadet. "