Tout vient un jour à changer. Le monde, ces habitants, leurs destins… Je n'ai jamais cherché quel était le mien, tout comme je n'ai jamais vraiment eut de but auquel je tenais tout particulièrement. Tout ce temps, je me suis contenté de répondre aux attentes de mes proches et de ma hiérarchie, sans plus me poser de question... Pousser au suicide tel ou tel personne ? Je m'exécutais. Partir à la recherche d'une tête disparue ? Je le faisais. Mais aujourd'hui, j'assistais à l'évolution de toute ma race, de tout notre Royaume… et je ne pouvais encore pressentir à quel point mon rôle y serait important… Shiro était partit depuis un temps qui me semblait affreusement long... et je souffrais de son absence, elle qui fut ma première véritable confidente. Pourtant, les décisions d'Agnus Dei me semblaient toutes justes, nécessaires à notre sécurité et surtout à la protection de notre Secret. J'approuvais son choix de refermer l'accès à notre monde aux membres des autres races, car il était ce qu'il y avait de plus logique, de plus naturel. Pourtant, je comprenais aussi le désir de notre précédente Reine, qui voulait faire de nous un véritable peuple au même titre que n'importe quel autre, un peuple "vivant" avec ses us et coutumes. Elle ne voulait que notre bien et ses intensions fussent louables… mais sa quête était malheureusement vouée à l'échec. Comment rendre plus joyeux et accueillant, une terre où les morts atteints de dépression chronique régnaient en maîtres absolus ? Les Ombres, et cela je l'avais compris et accepté, devaient souffrir pour leur acte impardonnable… Tenter de les soulager revenait à s'opposer à la volonté des Aetheri. Une pure folie que je ne parvenais pourtant pas à blâmer.

Tout ce que l'on pouvait créer de notre Royaume était un endroit inatteignable aux autres races, un lieu de protection pour le Fleuve des âmes ainsi que toutes celles en attente de réincarnation. Et tout ce que l'on pouvait offrir aux Ombres était un endroit serein où elles pourraient se poser, s'arrêter, souffrir et faire leur deuil, en paix, loin de l'agitation des vivants. Voilà ce à quoi j'aspirais désormais pour mes frères et mes sœurs ! Et pourtant, je peinais, pour une fois, à comprendre exactement ce qui avait poussé le Gardien du Sceau de la Trahison à nous donner un tel ordre de mission… Détruire tout le Royaume des Abimes ? Le Château, Ormeos et même la Grotte des Âmes ? Voulait-il donc détruire tout ce que nos deux précédentes Reines s'étaient forcés de construire ? J'étais effectivement prête à le croire… mais delà à l'accepter ? Probablement que oui. Car même si cela me coûtait de devoir effacer de notre Royaume dans lieux dans lesquels j'ai été amenée me construire des souvenirs, je me devais avant tout d'obéir aux ordres de mes supérieurs. Agnus Dei avait prit la régence de notre peuple, avec assurément l'accord des autres Gardiens, en attendant que le successeur de Shiro soit décidé. J'avais confiance en ses décisions, tout comme j'approuvais sa politique. Et je détruirais donc tout ce que ma précédente Reine aura mit en place, bien que la culpabilité viendra à me ronger. Je n'étais qu'un instrument, et cela je ne pouvais le réfuter.

C'est ainsi qu'après une missive de la part d'Agnus Dei, je m'étais rendue sur la place principale d'Ormeos. Et je n'étais pas la seule à avoir répondue à l'appel de notre régent. Tous les Gardiens s'étaient rassemblés dans ce même lieu, au centre duquel trônait une fontaine décorative; mais aussi quelques Passeurs, ceux-là même qui avaient été mandaté pour rencontrer les Chamans, il y a seulement quelques lunes. Des privilégiés, ceux qui avaient sus gagné la confiance du conseil… des Ombres comme moi. Les rumeurs allaient bon train. Certains allaient même jusqu'à imaginer qu'il n'y aurait aucun autre royaume de reconstruit après cette destruction, ce que je ne pouvais pourtant croire. Mais bien vite, l'apparition d'Agnus Dei devant le geyser d'eau glacée mit fin à toutes les discussions et le silence s'installa dans l'assemblée. Il prit alors la parole, majestueux, royal… Il aurait fait un bon Esprit de la Mort et il me paraissait soudain étrange qu'il n'ait finalement pas endossé le rôle. Les Gardiens n'auraient-ils pas le pouvoir de choisir leur souverain ? Mais dans ce cas, à qui incombait cette tâche plus qu'importante ? Aux Aetheri ? Mais comme toujours, l'écoulement du temps ne me laissa pas l'occasion de me pencher plus amplement sur la question et le discours de notre chef commença. « Gardien ! Passeurs ! Aujourd'hui, nous nous rassemblons afin de tirer un trait sur notre passé ! Une époque dangereuse où les vivants pouvaient déambuler librement dans notre monde, mettant en péril le Secret de la Vie et de la Mort ! Mais ce temps est révolu. Bientôt, une nouvelle ère basée sur la Sécurité et le Secret naîtra. Une ère où les Ombres pourront exercer leur rôle sans crainte et se repentir de leur acte maudit dans un lieu où nul autre ne pourra poser le pied ! Les Aetheri nous ont offert l'anonymat, à nous de le préserver désormais. » Il fit une pause alors qu'aucun n'osait dire mot. Ses paroles pénétraient chacun d'entre nous dans notre fort intérieur. En tant que Passeuse, je n'aspirais pas à une vie de vivant. Tout ce que je désirais maintenant était de tenir mon rôle du mieux que je le pouvais, sans que rien ne vienne perturber mon travail. Nous étions privé de nos émotions positives, alors comment imaginer qu'il en soit autrement ?

Il reprit ensuite son discours, nous donnant à tous quelques directives. « Et chaque nouvelle ère est synonyme de changements. Vous le savez tous, je désire détruire ce que nos souverains passés ont construit, et qui a amené notre Royaume à s'ouvrir. C'est pourquoi je vous demande à chacun ici présent de nous porter main forte. Chaque infrastructure doit disparaître, bien que je ne vous demanderai pas pour autant de détruire vos maisons. Vous serez supervisé par un Gardien, qui vous prêtera ses pouvoirs au besoin. Quand à moi, c'est le symbole même de notre pouvoir que je vais aider à renaître de ses cendres, car je m'occuperais personnellement du Château. Allez ! Et faites de ce Royaume votre Royaume ! » Et Agnus Dei détruisit la fontaine sur laquelle il s'était installé, ouvrant le bal de la renaissance. Puis il s'en alla, marchant droit vers ce qui fut autre fois un "lieu de vie", une vaste comédie où chacun faisait semblant de prendre son repas, de se détendre, de cuisiner. Nous vivions dans un vaste mensonge, avec la promesse d'un lendemain plus heureux… Mais ceci allait prendre fin, aujourd'hui et maintenant. Petit à petit, des groupes se formèrent autour des Gardiens, qui nous emmenaient aux différents endroits à détruire. Pour ma part, je ne pus m'empêcher de suivre Kirie, qui restait un modèle pour moi, bien que sa grandeur m'empêchait de rassembler mon courage afin de lui parler… Elle était si mystérieuse ! Et ce fut par l'auberge que nous avons commencée. « Regardez bien cet endroit. Il fut bâtit afin d'accueillir les voyageurs de toute horizon. Et c'est pourquoi nous devons le détruire. Que ce soit par les flammes, par la force ou par les ombres, n'ayez aucun regrets, car ce qui le remplacera vous sera bien plus utile désormais. »

Nous étions quatre. Quatre Passeurs chacun hésitants à toucher au bâtiment. Mais finalement, l'un d'entre nous entama le dur labeur qui allait être le nôtre, utilisant une capacité à laquelle je n'aurais moi-même jamais pensé. Je m'étais toujours servis de mon affinité avec les ombres afin de me fondre en elle, de me déplacer rapidement, silencieusement, mais jamais je n'aurais imaginer m'en servir comme d'une matière, que je pouvais malaxer à mon grès, solidifier, et en faire un redoutable fouet comme venait de le faire mon frère de race. D'autres l'imitèrent, frappant les murs de bois qui se brisaient peu à peu sous leurs assauts. Et je fis de même, me créant des sortes d'extensions de mes bras sombres, et tranchantes. La manipulation était délicate, quoi qu'intéressante. Il me semblait alors que je maitrisais encore mal mes pouvoirs… et que j'avais encore beaucoup à apprendre de mes pairs. Peu à peu, la vieille auberge finit par tomber en ruine, en un tas de petit bois qui ne demandait plus qu'à brûler, ce que fit la fée élémentaire de l'un d'entre nous. Il me paraissait étrange que ce compagnon soit habiliter à rester parmi nous, mais il me semblait également que je ne m'étais jamais véritablement interrogée sur la question. Peut-être qu'aucune de nos lois ne stipule que nos proches ne peuvent pénétrer dans le Royaume ? Et si c'était le cas, Agnus Dei comptait-il leur en interdire l'accès une fois que tout ce qu'il désirait mettre en place le sera ? Trop de questions me restaient sans réponses, et je ne pouvais qu'attendre patiemment que les choses se fassent d'elles-mêmes…

Tout autour de nous s'élevait peu à peu des nuages de fumée, trace qui nous indiquaient que d'autres bâtiments avaient été détruits. Je surpris même certaines Ombres à brûler leur maison, peut-être en symbole d'acceptation du renouveau. Devais-je en faire de même ? Alors que tant de mes souvenirs s'y trouvaient ? Je ne pouvais m'y résoudre… et pourtant… Quel plus grand signe d'allégeance pouvais-je démontrer que celui-ci ? D'autres pensèrent peut-être comme moi, car notre petit groupe s'éparpilla dans les rues d'Ormeos. Je me tenais maintenant face à ma demeure, dans laquelle je fis la connaissance de tant d'Ombres, dans laquelle se trouvaient entassés tant de vestiges de mon passé. Un passé sur lequel il était grand temps que je tire un trait. Pénétrant rapidement à l'intérieur, j'y récupérais mes quelques objets de valeur, ainsi que Sweety et Saïko, qui étaient paisiblement endormis. Et une fois à l'extérieur, j'entrepris de détruire ce que j'avais bâtis. Les Ombres allaient souffrir de ce renfermement, je me devais de souffrir avec elle. Mon journal se trouvait à l'intérieur, celui-là même qui contenait ma mémoire, mes souvenirs. Pendant longtemps, j'avais espéré retrouver ce que j'avais perdu à ma mort, mais peut-être n'étais-ce là qu'une autre facette de ma malédiction… Les flammes s'élevaient haut dans le ciel, léchant les maisons des autres habitants de la ville. Bientôt, tout Ormeos se retrouva rongé par un feu dévorant, qui détruisait les vestiges d'une ère révolue. Tout renaitra par les cendres…

Soudain, deux violentes explosions retentirent, secouant tout le sol du Royaume. Au loin, deux nuages de poussières vinrent rejoindre la fumée de nos feux. Le Château venait de s'écrouler dans un violent fracas de pierres et de verre. Plus de salle de réception, plus ce chambres pour d'hypothétiques invités, plus de salle du trône, plus de bibliothèque. Rien d'autre que de la poussière et un nouveau monde à bâtir. Même la Grotte des Âmes n'avait pas échappé à notre révolution, s'écroulant sur elle-même, à jamais scellée. Bientôt, toutes les Ombres se retrouvèrent dans un immense champ de ruines où rien n'avait subsisté. Mais le changement ne s'arrêta pas là… Car le sol se mit à trembler bien plus violemment, à se soulever, s'écarter, se morceler… Des cris s'élevèrent de toute part… Nous étions avalé par la Terre ! Mais je ne pouvais rien faire. Nous avions beau ne pas pouvoir mourir, la peur et nos instincts parlaient pour la plupart d'entre nous. Bientôt, le Royaume entier tomba dans les ténèbres ! Je ne voyais plus rien, n'entendait plus rien, tout se mouvait autour de moi… Puis ce fut le silence. Les Gardiens s’affairèrent à tous nous rassembler, nous poussèrent au centre de ce nouveau monde. Nous nous trouvions désormais dans une sorte de gigantesque grotte illuminée par d'étranges cristaux, le sol s'était refermé sur nous tous. Agnus Dei s'éleva au dessus de notre assemblée, et parla au nom de notre Renaissance. « Voici le nouveau Royaume des Ombres ! Un lieu protéger, sous terre, inaccessible. A vous désormais de bâtir cet endroit pour en faire votre sanctuaire ! Vous toutes, Ombres maudites, n'aurez plus jamais à craindre d'être découvert. Je vous en fait le serment » Il posa une main à l'emplacement de son cœur et nous salua. Tous, nous nous sommes mit à genoux devant lui. Il y avait tant de choses à faire désormais ! Pour un nouveau Royaume, pour notre chez-nous, pour les âmes, pour le grand Cycle de la Vie ! Et tout cela ne faisait que commencer…

+2000 mots