Save them before they kill us...

      Humaine... Voilà ce que j'étais redevenue... Une simple humaine, fragile, mortelle... Je n'avais absolument rien vu venir, ce changement m'avait frappé comme une révélation divine. Certes, je sentais depuis quelque temps qu'il m'arrivait quelque chose d'anormal... Redevenir une petite boule de fumée m'étais beaucoup plus difficile qu'avant, tout comme le fait de voyager à travers les ombres, qui me demandais de plus en plus de concentration alors que je le faisais avant naturellement. Mais j'avais simplement cru à une baisse d'énergie magique de ma part... jusqu'au jour où je ne pu plus utiliser une once de ma magie.. et jamais je n'aurais pu imaginer ce qui venait de m'arriver. De tous nous arriver.

      Les rumeurs allaient bon train en ville. Tous parlaient avidement de ce fléau qui nous assaillait. La magie disparaissait, c'était un fait. Alors on cherchait à savoir ce qui se passait, et bien vite la nature des hommes était fait tel que des accusations furent portés. Tantôt l'on accusait une race, tantôt une autre. Les avis divergeaient mais tout s'accordaient sur un point. Une race était à l'origine de ce chaos. Personne n'avait donc pensé que cela puisse être tout simplement un phénomène naturel ? Comme le monde évolue sans cesse, créant d'autres espèces, d'autres sources d'énergies, et en faisait disparaitre d'autre... la disparition de la magie ne pouvait pas être une simple évolution ? Que personne n'aurait pus envisager et prévoir ? Après tout, l'échelle du temps était différente pour toutes les races. Certaines ne vivaient pas plus de 100 ans alors que d'autres étaient âgées de plusieurs siècles.

      Mais non, il leur faut un coupable, incapable de simplement accepter ce changement, se rebellant contre on ne sait quoi, peut être contre la nature elle même. Ainsi, je ne me sentais plus en sécurité parmi la foule des passants. J'avais constamment l'impression que l'on m'observait... et la peur que quelqu'un devine que je suis une ombre et s'en prenne à moi me tiraillait l'intérieur. En effet, mon peuple, bien que se devant de rester neutre et étant assez secret, était logiquement en haut de la liste des coupables. Après tout, notre rôle concernait la mort, nous étions maudits aux yeux du peu de gens qui en savaient un peu sur notre race. Et cela ne me laissais pas l'esprit tranquille. Alors je marchais rapidement, évitant de croiser les regards, mais écoutant attentivement ce que les habitants racontaient. Vulgairement parlant, l'on pouvait dire que ça chauffait sur le continent du matin calme... et je craignais qu'une guerre civile au cœur de la rue commerçante et des rues marchandes n'éclate. De plus en plus, je songeais à retourner au Royaume des Abîmes...

      Cela faisait d'ailleurs quelques temps que je n'étais pas retournée voir Melody. Qui sait quels changements l'absence de magie avait pu causer chez elle ? Rien que de l'imaginer, j'en frissonnait. Désormais, j'avais un corps de mortelle, qu'il était facile de faire souffrir physiquement... et je savais pertinemment que si elle ajoutais ces douleurs aux ruinent de mon mental qu'elle s'amusait à bâtir, je ne le supporterais pas. D'autant plus que je n'avais désormais plus aucun moyen de la fuir... C'était un cauchemars. J'avais donc décidée de me cacher en ville et de tenter de comprendre ce qu'il arrivait au monde. Mais bien vite, les esprits s'échauffèrent... Beaucoup de créatures de races différentes se côtoyaient ici... et les attaques avaient commencés. Partout l'on entendait parler d'un déchu qui avait été tabassé ou d'un sorcier que l'on avait retrouvé mort. J'avais peur... et je décidais de fuir avant d'être la prochaine victime de cette folie destructrice naissante.

      Voyager sous cette forme jusqu'au continent dévasté me fut extrêmement difficile... De partout, je voyais des hommes et des femmes de toutes races fuir à la recherche d'un abris. Bientôt, le monde serait à feu et à sang pensais-je. Il m'avais fallut me cacher dans la cale d'un bateau puis de me faufiler parmi la marée d'exilés. Une cape foncée sur les épaules, j'avais marché des semaines durant, me cachant de toute personne que j'avais pu croiser. Et c'était partout le même refrain... Des accusations portés à tord et à travers, toutes ayant des arguments plus ou moins recevables... Cependant, plus j'approchais de l'Allée des Brumes et plus les voyageurs se faisaient rares. Au moins, même sans magie, ce lieu était encore suffisamment dangereux pour que l'on ose s'y aventurer. Et j'espérais qu'il ne le soit pas devenu autant pour moi dans ce corps d'humain... Mais une pensée me saisit à la gorge... et si d'autres races parvenaient à entrer dans le Royaume ? Non, non, je ne devais pas y penser... Ce serait une bien trop grande catastrophe.

      Mais alors que je n'étais plus qu'à quelques kilomètres de l'entrée de mon pays, j'entendis une voix s'élever non loin de là... "- Ce sont elles ! Ce sont les Ombres !", disait une voix d'homme qui me semblait assez âgés, des murmures d'approbation venant d'un petit groupe répondirent à ses dires. Mon cœur se serra, se mettant à battre plus fort... Ce que je redoutais était en train d'arriver... L'on nous accusait... Je décidais donc de me rapprocher afin d'entre d'avantages ce que cet homme avait à dire... et surtout savoir ce que lui et ses compagnons comptaient faire... Car si des êtres armés se dirigeaient vers le royaume... il était de mon devoir d'en avertir mes frères et mes sœurs... de les protéger... La guerre avait bel et bien commencé et moi qui ne cherchais qu'à la fuir, me voilà plongé en plein milieu. Mais je me jurais intérieurement que jamais au grand jamais ces hommes ne pénétreraient nos terres.

Save them before they kill us...

Cacher derrière le tronc d’un arbre biscornue, je m’étais dangereusement rapproché du groupe d’homme et de leur prophète. Leurs intentions n’étaient clairement pas bénéfiques envers mes frères et sœurs et si une attaque se préparait, il était de mon devoir d’en avertir le Royaume. Alors, tout en me retenant de jeter un coup d’œil sur le côté afin de voir à quoi ils ressemblaient, je tendis l’oreille… Et ce que j’entendis était loin de me plaire… J’avais crains que l’on n’accuse les Ombres des catastrophes qui secouaient le pays… tout en me disant que nous étions peut être assez secrets pour échapper à tout soupçon… Même si la politique d’ouverture du pays ait pu laisser échapper quelques informations… Mais c’est homme là…

« Pourquoi les ombres ? Simplement parce qu'elles sont maudites ! », dit-il avec conviction. Des murmures d’étonnements puis d’approbations s‘élevèrent parmi ses disciples. « Les ombres sont maudites ! ». L’homme insista puis continua, je pouvais entendre une pointe de haine dans sa voix… Pourquoi ? Pourquoi s’en prendre à nous alors que nous régissions l’équilibre entre la vie et la mort ? « Elles sont enfermées dans une dépression sans nom ! Leur vie n'est que souffrance, que noirceur. Jour après jour, elles doivent se rendre au lit des morts pour que le cycle continue, condamnées de par leurs actes à ne jamais trouver le repos des esprits ! ». Ses paroles, bien que justes, étaient prononcés d’une telle façon qu’elles me révulsaient. Comment pouvait-il en savoir autant sur nous ? Nos informations censées rester secrètes avaient-elles autant filtrés ?

Le souffle court, j’avais peur… Peur de la suite des évènements… D’autant plus qu’il ne laissait pas le temps à son assemblé de réfléchir et enchaina de suite « Les ères précédentes ont montré aux Ombres qu'elles pouvaient se détacher de leur fardeau. Qui aurait pu vouloir que la magie baisse ? Qui aurait pu vouloir redevenir humain si ce n'est ceux qui sont maudits depuis des siècles et des siècles ? », dit-il, suivis par des tonnerres d’approbation de la foule qui s’amassait à ses pieds. En écoutant le brouhaha qu’ils créent, je parviens à deviner qu’ils étaient peut être une vingtaine ou bien une trentaine. Beaucoup trop nombreux… Je devais avouer que ses arguments, bien que simples, étaient recevables… Il suffisait d’entendre la vague de colère qui s’élevait de son groupe d’adorateurs idiots. Mais il avait tord. Nous n’y étions pour rien. Et surtout, nous n’étions fait que de magie, et je savais que bon nombre de jeunes ombres avaient disparus… Notre peuple souffrait autant que les autres de la perte de magie…

Je me demandais comment avait-il pu convaincre autant de personnes de le rejoindre et de le suivre au cœur de l’Allée des Brumes, qui était pourtant réputé comme une endroit extrêmement dangereux, et à raison, même avec la diminution de magie. Finalement, prenant mon courage à deux mains, je me risquais à jeter un regard sur l’assemblée. J’y reconnue des hommes que j’avais croisés en arrivant au port. Ils avaient tous l’air fort et armés… mais ce fut le regard de haine dans leurs yeux qui me glaça. Achevant son discours de propagande, leur leadeur les invita à ce que je craignais le plus… « Puisque le Royaume des Abîmes souhaite nous accueillir en son sein, allons donc le visiter et demander des comptes à ses habitants ! », cria-t-il. Je les vis alors tous lever le poing, leurs armes à la main, et pousser un cri de ralliement, prouvant leur approbation…

J’étais tétanisé par la peur… Je devais vite rejoindre le Royaume et prévenir les miens ! Si jamais ils parvenaient à y entrer… Ce serait une catastrophe… Je devais empêcher cela. Un homme, peut être un peu plus intelligent que les autres, posa toute fois une question qui allait me faire gagner du temps… « Mais… Vous savez où elle est l’entrée du Royaume ? », dit-il d’un air un peu simplet. A cela, leur gourou parut un peu ennuyé, avant de reprendre avec conviction « Elle ne dois pas être bien loin ! Cherchez là ! », ordonna-t-il. Parfait, j’allais pouvoir rejoindre mon pays avant qu’ils ne se mettent en chemin… Je vis alors les hommes s’éparpiller aux quatre coins… Grave erreur… Les créatures qui rodaient se feront une joie d’en faire leur festin. J’avais un peu de peine pour eux, tandis que je recommençais à courir, slalomant entre les arbres.

Il ne fallut pas bien longtemps avant que des cris d’effroi et d’agonie, ainsi que des ordres aboyés à la vas vite, s’élevèrent dans les airs. Ils se faisaient attaquer, dévoré… Parler aussi fort avait du attirer bon nombre de monstres… Je me mis à espérer qu’ils soient tous dévorés et ne trouve jamais le Royaume… Cruelle pensée qui ne me ressemblait pas, mais je voulais sauver mon peuple avant tout. Ce peuple qui m’avait accueillit et donné une deuxième famille. Oui, les Ombres étaient condamnés à la souffrance et au désespoir, mais cela ne nous empêchait pas de nous entraider et de nous aimer les uns les autres… Nous étions un peuple, solidaire, et lié dans le secret. Voilà la vision que j’avais des Ombres, et je voulais protéger cela.

Le Royaume s’étendait enfin sous mes yeux. Je fus soulager de voir que personne n’y avait mis les pieds… C’est alors que m’apparut une femme, magnifique, en robe noir et aux cheveux sombres laissés libres au vent… Je m’arrêtais net alors que je la vis ouvrir ses délicates lèvres pourpres… et entonner le Requiem.

Save them before they kill us...

Elle se tenait là, face à moi, l’air digne. J’étais subjugué par sa beauté et sa prestance. Je ne l’avais jamais vu auparavant, mais cela n’était guère étonnant puisque je ne m’aventurais que rarement dans les ailes du château, hormis les cuisines. Et elle chantait. Son timbre de voix cristallin et pur était un enchantement pour quiconque pouvait l’entendre… Je la fixais de mes grands yeux verts émerveillés et peinais à reprendre le court de mes pensées. Le requiem… Je ne l’avais jamais entendu de ma vie d’Ombre… Ce long chant mortel que seul les gardiens du sceau pouvaient chanter… Mais je savais également que cela impliquait le sacrifice d’un passeur, qui était un grand honneur et une récompense. Alors les Gardiens avaient décidés de défendre le Royaume par notre arme funeste la plus radicale… Je soupirais de soulagement et observait la chanteuse interpréter l’Introitus. Mais seul, ce chant ne pouvait conduire au trépas. Toutes les gardiennes devaient chanter leurs parties afin que la magie opère…

La magie ? Alors toutes traces de magie n’avaient pas totalement disparus ? Peut être que les être puissants en possédait suffisamment pour en garder une partie en eux. Nous étions donc sauvés. Tout le Royaume allait être sauvé. Je m’approchais tout de même de ma supérieure. Bien que je me doutais que si elle avait entamé le Requiem, c’est qu’elle devait se douter d’une attaque imminente, je devais lui rapporter ce que j’avais vu et entendu. Bien sûre, je savais qu’elle ne pourrait me répondre que d’un simple hochement de tête, mais je m’étais donné une mission, et je la mènerais à bien. Je m’avançais donc, humble, la tête basse et les mains jointes devant moi. J’éprouvais une grande admiration et un grand respect pour les Gardiens et je considérais comme un immense honneur d’en rencontrer un… Alors, d’une voix claire, je lui racontais ce que j’avais vu et entendue : « - Des hommes se trouvent dans l’Allée des Brumes et sont à la recherche de l’entrée du Royaume. Ils sont guidés par un homme qui semble connaître beaucoup de nos secrets et les a monté contre nous. Ils sont armés et pleins de haine. ». Je retenais un tremblement en me remémorant leurs regards noircis par leurs sentiments mauvais… Si par malheur ils pénétraient ici… des Ombres innocentes mouraient.

L’Ombre me regarda, sans interrompre son chant, et elle inclina simplement la tête en signe de remerciement. Elle me fit signe de partir et de rejoindre le château d’un signe de la main. Mais je pivotais ma tête de droite à gauche en signe de négation. Je voulais rester, m’assurer que ces hommes ne feront pas de mal… Bien sûre, ce n’étais pas mon rôle, je n’étais qu’une ombre de bas niveau, mais je ressentais comme une certaine responsabilité à être celle qui les a vu arriver. Alors, je m’assis sur une pierre et fermais les yeux pour mieux apprécier ce chant funeste. La Gardienne continua alors avec un autre chant, probablement le Kirie. Je n’avais que de faibles connaissances en musique, mais j’avais appris les noms des différentes parties du Requiem et connaissait la procédure qui permettait de le rendre mortel. Chaque partie devait être chanté, sinon l’auditoire serait épargné.

Et comme pour répondre à mes connaissances, une autre Ombre, une Gardienne, assurément, arriva. Elle salua sa consœur et se plaça à ses côté, aussi digne qu’elle. Apercevant ma présence, elle me sourit et je ne pu m’empêcher de baisser les yeux et de rougir, ce qui l’amusa. Mais alors que je jouissais d’une pause bien méritée dans toutes les horreurs et l’angoisse que j’avais pu subir ces derniers jours, mes états d’âme refaisaient surface… Étais-ce bien de laisser mourir autant d’humain, même avec un cœur assombri ? Méritaient-ils la mort pour avoir simplement suivis un homme habile de la parole ? Ne devrais-je pas tenter de les arrêter ? De les empêcher de venir entendre ce chant funeste ? Après tout, eux aussi n’étaient que des victimes… Et ils n’avaient rien fait de mal pour le moment… Ils devaient se sentir effrayés, perdus face à la perte de magie… et c’était humain que de vouloir trouver un remède à ce fléau, de rejeter la faute sur quelqu’un, de rationaliser ce qui se passait… Les paroles de leur chef résonnaient en moi… L’aurais-je cru et suivit si je n’avais pas été une Ombre ? Peut être…

Alors je me levais et repartais en direction de l’Allée des Brumes. Oui, je devais tenter de les raisonner, tenter de les empêcher de commettre cette lourde erreur. Je ne me retournais pas pour observer les regards des deux gardiennes, peut être avaient-elles compris mes intentions, mais elles ne pouvaient me juger mal pour cela, même si nous étions censé rester neutre… Neutre… Difficile pour moi de laisser courir à leur perte des innocents bernés… J’étais loin d’être l’Ombre parfaite qui se contentait de suivre le chemin que l’on lui traçait. Si je pouvais agir, je le ferais. Et puis je n’avais aucun post important au sein de la hiérarchie qui pourrait mettre en péril l’ordre des choses par mes actes. En y réfléchissant bien, les Gardiennes elles-mêmes avaient choisis de défendre le Royaume… Elles agissaient. Alors moi aussi j’agirais.

« - C’est une Ombre ! Tuez là ! », hurla un homme. Je courus en sa direction, et eut juste le temps d’apercevoir le corps d’un enfant, transpercé par une lame en plein cœur, retomber au sol tel une chiffe molle… Tué… Du sang… Ils… avaient... tué… un enfant ! Quelque chose se brisa en moi. De puissant, de dévastateur. Une haine démentielle qui me consumait. J’avais chaud, mon sang bouillait dans mes veines. Ils avaient tué. Tué un innocent. Monstres ! MONSTRES ! Ils devaient mourir. Ils n’étaient plus innocents. Ils devaient payer pour leurs crimes affreux. Ils allaient payer. Mourir. Alors, d’une voix teinté d’émotions que je ne me connaissais pas, j’hurlais à mon tours « - BANDES DE FILS DE P*TES ! », avant de courir en sens inverse, tout droit vers le Royaume. « - Suivez-la ! Attrapez la ! », cria leur chef. Oui, c’est ça… suivez moi… suivez moi à votre perte… Vous allez tous mourir. Tous.

Save them before they kill us...

Je courais, sans le retourner, à perdre haleine. J’entendais les cris et le son de leurs chaussures sur le sentier de terre et de pierres. Tuer un enfant… Mon cœur était serré et mon sang pulsait fort dans mes veines. Si j’avais pu tous les tuer de mes propres mains, je l’aurais fait, sans aucun remord. C’est fou comme se sentiment pouvait nous donner l’impression d’être puissant, invincible, capable de tout, au dessus des lois. Oui, les tuer violemment comme ils l’avaient fait à cette pauvre petite Ombre ne m’aurait posé aucun problème moral. Mais il me restait encore assez de lucidité pour comprendre que je n’étais pas de taille à tous les assassiner de sang froid. Alors je courais en direction du royaume, en direction des Gardiennes qui chantaient le Requiem. Elles les tueraient, elles défendraient le Royaume, puisque je ne pouvais le faire.

« - Rattrapez moi cette fille bandes d’incapables ! Ne la laissez pas disparaître ! C’est une Ombre ! Un monstre ! Regardez comme elle nous a insulté », aboya cet humain perfide. Le seul monstre que je voyais ici, c’était lui, et l’envie de mettre moi-même fin à ses jours était bien plus que tentant… Je sentais mon couteau attaché à ma cuisse, que ma robe rouge cachait. Oui… ce ne serait que justice. Une mort effroyable pour une autre. Œil pour œil, dents pour dents. Imaginer mon arme s’enfoncer entre ses côtes et déchirer son cœur me donna des frissons. Je ne m’étais jamais sentie comme cela. J’avais vu beaucoup de gens mourir pourtant. Des hommes tuant d’autres hommes, pour toutes les raisons du monde. Et je m’étais sentie mal, oui… Mais je ressentais alors une profonde tristesse. Pas cette haine qui me consumait en ce moment même et que je ne m’expliquais que mal.

Étais-ce parce que la victime était un enfant ? En sentais mon corps trembler, je compris que oui. Pourtant, même alors que je vivais chez mon mari et était encore une simple humaine, les enfants n’avaient jamais eu une place importante en mon cœur. Le désir d’enfanter, d’être mère, ne m’avait jamais habité, de ce que j’avais lu sur mon journal intime. C’était très étrange de se baser sur des écrits pour savoir la façon dont on agissait et ce que l’on ressentait, mais j’avais appris à faire de ces mots ce que je suis. Pourtant, beaucoup de choses avaient changer depuis… Mais ce n’était pas le moment de me pencher plus amplement sur la question. J’avais une armée d’hommes enragés aux fesses et malgré ma rapidité et mon aisance à me mouvoir dans ce lieu que je connaissais comme ma poche, le plus rapide d’entre eux me rattrapait. Je reconnaissais en lui un elfe, grâce à ses grandes oreilles. N’étaient-ils pas des créatures bénéfiques, de coutume ? Apparemment, la guerre changeait facilement les mentalités. Mais il s’approchait, de plus en plus… et j’avais beau forcé sur mes frêles jambes, rien n’y faisait. Dans quelques mètres, il serait sur moi.

Mais alors que je sentis ses doigts se refermer sur mon bras, dans un ultime réflexe de survie, je dégainais mon couteau et le lui enfonçait profondément dans le ventre. Il tomba au sol, crachant du sang, me lançant un regard horrifié qui me glaça jusqu’aux os. Et je ne lui répondis que par un regard tout aussi apeuré. Qu’avais-je fais ? Allait-il mourir ? Non ! Pas le temps pour ça ! C’était lui ou moi ! Alors, je le repoussais au sol d’un coup de pied dans l’épaule, pour être certaine qu’il ne tentera pas de me retenir, et repris ma course. J’entendis un cris d’agonie juste derrière moi… « - Regardez ce qu’elle a fait ! Les Ombres sont nos ennemis ! Elle doit payer pour ça ! », prononça-t-il comme une sentence. Non. C’est toi qui payeras pour avoir pervertit ces âmes. J’arrivais alors devant les Gardiennes, maintenant au nombre de trois. Le Sequenz était maintenant entamé, pensais-je. Je souriais, transpirante, et me retournais pour leur faire face. Ils allaient mourir ! Oh oui !

Les hommes arrivèrent à leurs tours et à peine les premières notes entendues, se figèrent, comme hypnotisés. Je me mis à rire, d’un rire nerveux qui me fit froid dans le dos. A ce moment, je ressemblais plus à un démon qu’à l’Ombre fragile et faible que j’étais. La mort d’un enfant m’avait bouleversé à ce point ? J’observais leurs regards, vides. Mais alors que je prêtais attention à la douce mélodie, un détail m’envoya une claque monumentale en plein visage. Il fallait entendre le chant en entier pour en mourir… Hors, les Gardiennes l’avaient commencé bien avant que ces hommes n’arrivent… Alors pourquoi ? Simplement pour les effrayer ? Pour les dissuader une fois le chant terminé d’avancer plus loin et de repartir ? Non ! Je refusais cela ! Ils avaient tué un enfant ! Ils devaient mourir ! Tous ! TOUS !

Alors, comme prise dans une folie meurtrière, je dégainais mon couteau et sans un bruit, le regard absent, je m’approchais des corps immobiles… Et entamais mon œuvre meurtrière. Leur sang se mêla bientôt à la couleur rouge de mes vêtements, tandis que leurs cadavres tombaient les uns après les autres. Les Gardiennes ne bougeaient pas, peut être toujours dans ce souci de neutralité. Si je voulais tuer ces hommes, tel était mon choix. Je m’approchais alors de leur chef et lentement, me penchant à son oreille, je prononçais les dernières paroles qu’il entendra… « - Longue vie à la Mort… », avant de lui enfoncer lentement, prenant tout mon temps, mon couteau dans son cœur. Mon massacre achevé, je lâchais mon couteau et tombais à genoux, baignant dans le sang de mes victimes. Et je me mis à pleurer, sans pouvoir m’arrêter. Ce monde était bien cruel. La violence amène la violence… Mais aujourd’hui, tandis que le Requiem continuait à s’élever dans les air, prévoyant probablement une autre attaque, une nouvelle page de ma vie d’Ombre venait de se tourner… Et plus jamais je n’hésiterais à tuer.