Et il fallait qu’il se mette à pleuvoir ! Ce jour-ci, à cet instant exact, où Djinshee était dehors ! Elle était partie pour la journée avec Enderah, histoire de s’entraîner à contrôler sa magie. Pour l’instant, elle considérait surtout son pouvoir comme un inconvénient : elle n’aimait pas l’eau et elle risquait toujours de tout brûler. Comment pouvait-elle vivre normalement, ainsi ? Heureusement, Enderah était un atout pour elle. Elle était la seule chose en laquelle elle avait réellement confiance, et elle était d’une aide considérable pour les entraînements.
   Djinshee s’abrita sous l’arbre le plus proche. Son cœur battait à toute allure et sa respiration était saccadée. « Quelle idiote ! Quelle idiote !... » Le ciel bleu du matin l’avait trompée, et elle n’avait pas pensé à prendre une cape pour se couvrir. Elle s’en voulait à présent pour ne pas avoir été plus prudente. De grosses gouttes d’eau tombaient une à une sur la peau nue de ses bras, crispant à chaque fois un peu plus ses muscles. La sensation lui était insupportable. Elle avait la terrible impression que sa peau brûlait, bien que ce ne soit pas le cas. Ses sandales n’avaient évidemment pas empêché l’eau de mouiller ses pieds et ses cheveux roux étaient à moitié mouillés. L’Elémentale serrait les dents. Elle essayait en vain de se calmer. Ce n’était pourtant pas si compliqué ! De l’eau ! Qui donc sur ces terres avait peur de l’eau ? C’était stupide, elle le savait, et pourtant… C’était plus fort qu’elle. C’était bien trop désagréable.
   Enderah l’observait de ses yeux jaunes. Eux seuls contrastaient avec le bleu-gris dans lequel le paysage avait été plongé.
   -Ok Ende’… Serais-tu capable de repérer le bâtiment le plus proche ?
   Djinshee observa un instant la panthère puis soupira. Evidemment qu’elle ne comprenait pas un mot de ce qu’elle racontait… La jeune femme soupira. Elle n’allait pas rester ici jusqu’à ce que la pluie cesse… Elle n’avait donc plus qu’à courir… Sous la pluie. Elle frissonna. « On y va à trois… Un… Deux… »
   -TROIS !!!
   Sans réfléchir d’avantage, elle fonça. La pluie frappait son visage, mouillait ses habits et ses cheveux. Elle ne voyait presque rien dans la grisaille. Enderah courait juste derrière elle.
   Sa course paraissait durer une éternité. Elle n’en voyait pas le bout. Pourtant, ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’une première lueur apparut. Djinshee redoubla d’effort. Son seul et unique objectif était maintenant de rentrer dans ce bâtiment, peu importe ce qu’elle y trouverait une fois à l’intérieur. Lorsque l’Elémentale l’atteignit enfin, elle remarqua qu’il s’agissait d’une taverne. De l’extérieur, elle entendait déjà des rires et des cris. L’entrée était couverte, probablement pour protéger les montures du mauvais temps. Il y avait d’ailleurs quelques chevaux, tous attachés à une poutre. Djinshee était totalement trempée. Ses cheveux s’enflammèrent d’eux même. Surprise, elle passa ses mains sur sa tête, comme pour éteindre le feu, mais rien n’y fit. Les chevaux sursautèrent et se mirent à pousser des hennissements, mais l’Elémentale réussit finalement à l’éteindre. Elle ordonna à Enderah de rester à l’extérieur et elle rentra.
   La taverne était pleine. Enfin, presque. Il ne restait plus qu’une table vide. Djinshee s’y assit. Autour d’elle, personne ne se souciait du temps. Au contraire, la plupart riait de bon cœur, une chope de bière à la main. Dans cette ambiance festive, la jeune femme était probablement la seule à être tendue. Ses vêtements étaient toujours trempés, et elle sentait que son corps n’avait qu’une seule envie : prendre feu pour se sécher. Elle ferma les yeux et se concentra. Elle savait qu’elle n’allait pas tenir longtemps.
   Elle ne tint en effet que peu de temps. Etant consciente qu’elle allait se transformer en brasier dans quelques secondes, elle courut à l’extérieur.

Une chope à la main la sorcière riait à gorge déployée tout en restant un semblant féminine. Ses yeux azurés se posèrent sur quelques hommes qui étaient présents dans la même taverne. Elle fit grincer ses ongles contre le bois vieillit de la table à laquelle elle était assise. Dès que sa chope fut terminée, un ivrogne leva la main afin de s'écrier: « Et une autre pour cette jolie demoiselle! » Cybélia n'était pas une femme ayant encore un grand charisme. Bien loin de là. Elle ne pourrait pas faire lever les foules, mais elle avait un charme naturel et flamboyant avec ses cheveux de couleur sang. Son regard contrastait parfaitement avec la couleur de cette longue chevelure. Elle déposa un ongle contre sa lèvre inférieure et avisa un moment l'ivrogne qui lui avait payé cette nouvelle chope. Elle lui fit un simple clin d'oeil pour aviver sa flamme intérieure. Il croyait avoir des chances maintenant. Bonne chance. Malgré qu'elle appréciait la compagnie des hommes, Cybélia n'était pas une fille de joie et elle n'allait pas s'abaisser à ramasser un homme comme lui qui atteignait les bas-fonds. Elle le faisait jouer dans ses manières. Il était bien trop stupide pour voir la supercherie qu'elle lui tendait à bras ouverts. Elle ne pouvait être plus claire dans ses propos. Malgré ses expériences dans sa vie, la jeune femme ne s'était pas encore découvert un grand talent pour la manipulation. Elle avait encore du chemin à faire, elle le savait. L'un des hommes s'était alors levé pour s'approcher de la rouquine. Elle resta immobile afin de voir ce qu'il allait oser faire. L'ivrogne lui empoigna simplement le visage pour avaler sa bouche avec la tienne. Franchement cette homme puait l'alcool à lui lever le coeur. La sorcière fit un mouvement brusque de la main. Cela suffit à faire raisonner la gifle dans toute la taverne. « Mon coeur, on ne me touche pas sans mon accord, est-ce clair? » Le ton de la jeune femme était autoritaire. L'homme, visiblement humilié par sa défaite décida de tourner le dos à tous les gens de la table et de sortir en titubant.

Elle lui adressa un dernier regard lorsqu'il franchit les portes de la taverne. Dès que l'homme ivre était sorti, une femme pénétra en ces lieux. Cybélia la jugea quelques secondes du regard en la détaillant au maximum de ses yeux céruléens. La sorcière bougea un peu sur son siège. Elle remarqua le changement dans les cheveux de cette inconnue et devina par son air paniqué qu'elle ne maîtrisait pas ses pouvoirs. Malgré sa race, la jeune femme avait préféré ne pas avoir de pouvoirs pour le moment. Elle ne maîtrisait aucune des siens et ignorait même si elle en possédait. La seule chose a laquelle elle s'intéressait vraiment pour le moment c'était les potions. Les différentes potions de ce monde. Leurs différents effets. C'est tout de même fou comment une simple petite fiole peut suffire à tuer un être humain. La jeune femme déposa sa main en poing en-dessous de son menton et fixa son regard bleutée sur cette nouvelle arrivante. Elle vit son regard. Elle devina tout de suite à ses vêtements qu'elle se sentait inconfortable de toute cette eau sur elle. Cybélia se leva tranquillement de son siège. Sa main glissa contre la table, laissant ses ongles griffer quelque peu le matériel. Elle s'approcha de l'étrangère. Toutefois, elle se dépêcha de se lever et de courir à l'extérieur. La sorcière la suivit du regard avant de la suivre. Elle ne fit que s'accoter contre la porte à l'extérieur sous le toit de la taverne afin d'être protégée de la pluie. Un petit sourire s'affichait sur son visage. « Eh bien, voyons ce que nous avons là. Dis-moi, ma pauvre, tu ne contrôle pas ta magie? » Le ton de la sorcière était légère moqueur. C'était tout de même drôle pour elle de voir quelqu'un s'enflammer par accident directement sous ses yeux et encore plus si l'opération était douloureuse.

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Djinshee prit subitement feu. Elle avançait lentement vers la pluie, apaisée. Cette chaleur la réconfortait. Elle avait l’impression d’être dans une bulle régénératrice. Une bulle qui lui redonnait ses forces, sa vitalité, sa forme et qui absorbait sa fatigue, ses peurs. Cette bulle était en quelque sorte une armure impénétrable qu’elle seule était en capacité de porter. Un pas de plus et un léger sourire apparaissait lentement sur son visage. Elle ferma les yeux, se laissant transporter par le léger son que produisaient les flammes. Un son si doux, si léger… Un son qui laissait imaginer la souplesse, l’agilité, mais aussi la puissance de son élément.
   La jeune femme s’arrêta net lorsqu’elle entendit cette voix provoquante juste derrière elle. Qu’avait-elle dit ? Djinshee serrait doucement ses poings. Qu’avait-elle dit ?! Elle fit volte-face et dévisagea son interlocutrice. Les cheveux roux et longs, les yeux bleus, le visage fin. Son regard était tout aussi provoquant que sa voix. Elle n’avait jamais vu cette femme. Elle en était presque certaine. Et celle-ci osa tout de même se moquer d’elle ? L’Elémentale sentait la rage bouillonner dans ses veines. La seule chose qui la trahissait étaient ses poings, presque serrés au point de percer sa peau. Dans ses orbites en feu, il était encore possible de discerner son regard noir. Djinshee resta silencieuse pendant de longues secondes. Enderah s’était placée à ses côtés, menaçante.
   Ma pauvre. Ma pauvre ! Par quel droit cette fille osait-elle l’appeler ainsi ?! Elles ne se connaissaient pas, elles ne s’étaient jamais vues, ni parler, et voilà qu’elle venait l’insulter ! La jeune femme ne comprenait pas vraiment ce que sa rivale désirait en disant cela. Faire brûler la taverne, peut-être ? Djinshee trouvait la situation dénuée de sens.
   Aussi doucement qu’elle s’était approchée de la pluie, elle marcha vers la femme, laissant son regard encré dans le sien.
   -De quoi te mêles-tu ?

   Elle était consciente qu’un duel ne servirait à rien, étant donné qu’elle n’était pas encore assez entraînée pour cela. Mais la lâcheté ne la connaissait pas et elle n’avait pas l’intention de se faire ridiculiser. De plus, ce n’était sûrement pas le bon jour. L’eau était peut-être une chose, les moqueries en étaient une autre, bien pire. Pour mettre fin à ce sourire sarcastique particulièrement énervant, Djinshee, toujours aussi brûlante, décida donc d’attraper son poignet.

La sorcière avait sûrement offensé cette pauvre femme à la chevelure de flamme qu'elle ne connaissait pas. Passant doucement son index contre sa lèvre supérieure, elle mit un pas devant l'autre pour sortir de sous le toit et s'approcher de celle qui avait sûrement l'intention de se battre contre elle. « De quoi je me mêle? Je me mêle d'un problème qui peut perturber la vie de ces pauvres âmes à l'intérieur de cet endroit. » Cybélia n'en avait strictement rien à faire en fait de ces gens. Même si cette inconnue brûlait l'entier de cet endroit, elle les laisserait crever les uns après les autres s'il faudrait. Toutefois, elle n'avait pas du tout l'envie de se battre contre elle. Elle voulait simplement profiter de la soirée. « Tu peux te calmer, je ne suis pas ici pour me battre. » Elle avait bien vu les poings de l'inconnue. Elle était sur le point de bondir afin de l'attaquer. Les yeux céruléens de la sorcière se plantèrent dans le regard de la femme aux cheveux enflammés. « Ma belle, je ne sais pas pourquoi tu es dans cet état, mais c'est dangereux pour tout le monde. Je n'ai pas une approche facile et c'est ainsi. Je ne ferais pas exception pour une inconnue.» Elle espérait qu'elle comprenait ce qu'elle venait de dire. Elle était un danger sous cette apparence lorsque le feu apparaissait. Elle allait mettre le feu si elle ne se calmait pas immédiatement. Cybélia n'en avait rien à faire, du tout. La jeune femme avait seulement décidé de paraître un peu plus gentille afin d'éviter quelques ennuis potentiellement mortels. Elle n'était tout de même pas suicidaire à ce point.

« Pourquoi tu es dans cet état? » demanda-t-elle d'une voix calme. Être aussi gentille l'énervait. Si la rouquine avait eu l'envie de se battre, elle aurait simplement rabaissée l'inconnue et elle aurait montré son arme. Seulement, la sorcière était fatiguée et surtout elle n'avait pas toutes ses capacités. Jouant donc le jeu de la prudence, elle avait opté pour la comédie, la subtilité. Elle joua doucement avec l'une de ses longues mèches rouges. Ses yeux azurés scrutaient toujours son visage, comme si elle cherchait quelque chose. Pourtant, la belle ne cherchait rien. La sorcière voulait en quelque sorte tester comment elle était puisqu'elle ne la connaissait pas. « Je suis Cybélia, si tu souhaites connaître mon nom. » Elle n'avait jamais eu la crainte de dire son nom à qui que ce soit. Cybélia était née magicienne, tout le contraire de son père. Au cours de sa vie, la jeune femme avait noircit et son essence avait changé. Elle avait fait du mal à des innocents en les tuant, en volant, en pillant. La sorcière n'avait eu aucun regret dans ce qu'elle avait fait. La seule chose qui s'était améliorée dans sa vie c'était sa relation avec sa mère. Lors de son règne auprès des fées, la jeune femme et elle ne s'entendaient pas du tout et la rouquine avait même tentée de tué celle qui l'avait mise au monde. Heureusement, depuis son changement de race en créature de la nuit, Cybélia s'entendait mieux avec sa mère et elles se voyaient de plus en plus souvent même si quelques fois elles avaient envie de s'arracher les cheveux l'une de l'autre.

621 mots

L’inconnue ordonna à Djinshee de se calmer et enchaîna avec des menaces. Elle n’avait pas envie de se battre non-plus, mais la colère était toujours plus forte qu’elle. Elle ne pouvait s’empêcher de répondre à l’attaque par une autre attaque. Sachant qu’elle n’avait probablement aucune chance, l’Elémentale fit un pas en arrière. Elle sentait le souffle d’Enderah sur ses mollets. Elle continuait de fixer l’insolente de ses yeux ardents. Yeux que cette dernière ne pouvait qu’à peine voir. Son ton était toujours le même. Djinshee serra ses poings du plus fort qu’elle ne pouvait pour éviter de lui en mettre une. Elle sentait ses ongles rentrer dans sa chair, mais peu importait. Sans fermer les yeux pour tenir tête à sa rivale, elle tenta d’éteindre le brasier. La chaleur ne commença à s’évanouir qu’un peu plus tard. Il lui était difficile de se concentrer en regardant quelqu’un. Elle prit une profonde inspiration pour se détendre un peu. Avec ses vêtements et ses cheveux secs, elle était beaucoup plus à l’aise. Il ne restait plus qu’à se débarrasser de cette femme qui lui posa d’ailleurs une question. Djinshee resta un instant impassible. Elle n’était pas encore une bonne menteuse, mais donner des informations sur elle avait toujours été un problème. Du moins, depuis sa renaissance, comme elle l’appelait. Elle finit tout de même par céder.
   -Parce qu’il pleut.
   Au fond, elle avait honte de sa crainte. L’eau. C’était la clef de la vie, l’eau, et pourtant… Le simple fait de boire un verre d’eau la mettait dans un profond malaise, si bien qu’elle avait adopté un régime de vie très spécial. Les autres boissons étaient déjà plus supportables. Quant aux bains… La jeune femme passait toujours un très mauvais moment. Elle n’avait qu’à espérer s’habituer un jour à cet élément.
   Après un court silence, l’inconnue prit l’initiative de se présenter. Cybélia. Djinshee n’avait pas vraiment souhaité connaître son nom, surtout parce qu’elle ne comptait pas donner le sien. Elle avait déjà suffisamment donné d’informations à son sujet avec « parce qu’il pleut ». Elle garda donc le silence. Elle ne savait pas à quoi s’attendre, avec elle et cela la déstabilisait un peu. Son regard ne trahissait pas la moindre émotion.
   Derrière, Enderah grondait toujours un peu. L’Elémentale passa la main sur sa tête pour qu’elle se taise. Il n’y avait plus que le battement régulier de la pluie et les rires atténués à l’intérieur de la taverne. Djinshee décida qu’il était temps de briser de nouveau le silence. Elle chercha une façon polie de dire les choses, tout en continuant de fixer la femme. C’était énervant et frustrant de ne pas pouvoir parler de façon spontanée. Mais elle n’avait pas le choix, si elle voulait éviter de nouvelles menaces qui ne feraient que la faire exploser pour de bon.
   -Au fait, pourquoi t’intéresses-tu à moi ? Sortir d’une taverne t’as paru… Suspect ?

   Elle se demanda si elle avait le don de lire dans les pensées, ou autre chose du genre. Ca ne l’aurait pas vraiment étonnée – Cybélia la scrutait comme si elle la sonda depuis un moment maintenant, mais elle espérait se tromper : le savoir ne ferait que la stresser encore plus. Bref, ça finirait mal.