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 Désinhibez-les ! — ft. SHAMS || DJINSHEE

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Jeu 14 Avr 2016, 17:08



  Mihael allongea le bras sur le dossier de la banquette sur laquelle il était assis. Rejetant calmement sa tête en arrière, il serra les dents tout en inspirant profondément.

« C’est quoi ton problème l'insecte ? T'aimes pas c't'endroit ? Ou p't'être bien que j'te dérange ? Faut me l'dire, j'aimerais pas déranger mademoiselle »

  A ces mots, le jeune réprouvé releva brusquement la tête et fusilla Cole du regard. Ce dernier se mit à rire grassement, avant d’avaler de nombreuses lampées de son breuvage dans un bruit répugnant. Mihael choisit de ne pas répondre à cet imbécile de démon grossier qui le harcelait depuis qu'il avait mis les pieds dans cette taverne.
  Cela faisait maintenant quelques jours que le jeune homme était arrivé à Stenfek. La ville avait beaucoup changé depuis sa dernière visite qui, elle, remontait déjà à plusieurs années. Sans compter les travaux de grande envergure qui avaient ostensiblement valorisé les endroits comme les places et les grands bâtiments, Mihael avait remarqué l’amélioration manifeste du niveau de vie du peuple Réprouvé. Des auberges et des foyers s’étaient érigés dans chacun des cercles bien distincts de la ville ; la pauvreté et la criminalité semblaient avoir reculé.
  Il eut un regard sombre et plongea le bleu-acier de ses prunelles dans les couleurs mordorées de son verre. Il ne pensait pas que ce changement pouvait avoir autant d’impact sur son humeur. En passant les portes de la ville, son côté maléfique espérait secrètement retrouver la vie trépidante des ruelles sombres, de la criminalité, et des réseaux qu’il affectionnait tant. Et pour cause, c’était la seule et unique chose qu’il savait faire : agir dans l’ombre afin de voir cet engrenage se complexifier et prospérer. Pourtant, la toile de l’araignée, si bien ficelée jadis, semblait avoir été démantelée jusque dans ses fondements les plus secrets.

« A croire qu’il n’y a plus qu’à Sceptelinôst que je trouverais quelque chose… » murmura-t-il entre ses dents.

  Cole se redressa pour demander une autre chope de ce liquide dont l’odeur écœurante semblait se diffuser dans toute la pièce. Il alluma une cigarette et se mit à exhaler toute sa fumée sur Mihael.

« Qu’est-ce que tu racontes, petit ? »

  Le réprouvé chassa l’air vicié par le souffle du démon.

« Une chance que cette auberge tienne encore debout, je disais » répondit-il en empoignant son verre.

  Il le vida d’un trait et se mit à toiser le dénommé Cole, soudainement amusé. Il faut dire qu'il la connaissait bien, cette auberge. N'ayant pas pris le moindre coup de vieux, c'était presque l'unique endroit qui était resté à sa place sans changement aucun.

« C’est vrai que toi, tu n’es que de passage. Stenfek, c’est pas vraiment ton rayon, pas vrai ? » demanda Mihael en souriant, pernicieux.

« Bah, fais pas l’malin avec moi, p’tit. J’en connais d’belles, moi, de Stenfek, des trucs que du haut d’tes vingt ans d’princesse, tu pourrais même pas imaginer »

  Un éclair de malice passa dans les yeux de Mihael. Il y avait erreur sur son âge, mais ils étaient au moins d’accord sur une chose : jadis, Stenfek avait été la maîtresse du vice. Et contrairement à Sceptelinôst, ses vices à elle demeuraient cachés, ce qui permettait aux réseaux de pulluler en secret et de manière presque plus efficace.

« Si tu le dis, Cole… si tu le dis. »

  Le réprouvé commençait à s’ennuyer, pour preuve, il n'avait même plus envie de répliquer.
  Cole s’était assis à la table de Mihael dès son premier jour passé ici. « J’peux m’asseoir » qu’il avait dit sans attendre de réponse. S’était ensuivit un long discours concernant le voyage de Cole sur les terres de Yin et du Yang. Il était soi-disant à la recherche des fragments du Cristal maître. « J’crois qu’tu peux pas comprendre, ils m’appellent ces bougres. J’pense être dans la bonne direction tu vois, regarde, là... » Cole avait déplié une carte sous les yeux amusés de Mihael qui trouvait le vieux fou plaisantin.

  Mais aujourd’hui, il était lassé.
  Comme il ne parlait jamais de lui et de sa condition de réprouvé afin d’éviter toute forme de rejet supplémentaire, il écoutait beaucoup ceux qu’il rencontrait. Et cette façon de se protéger ne l’avait pas quitté en entrant à Stenfek. Bien qu’elle appartienne clairement aux territoires des Réprouvés, Mihael avait sciemment dissimulé ses ailes dans son dos et s’était emmitouflé dans un grand manteau dont le capuchon était toujours rabattu lorsqu’il était dehors. Cacher sa condition aux autres, c’était aussi se la cacher à lui-même.

« Bah alors ? Eh, oh ? Tu rêvais princesse ? »

  Le jeune homme reprit ses esprits.

« Je vais nous chercher un verre digne de ce nom, Cole » fit-il en se levant.

  Il se dirigea calmement vers le comptoir où l’aubergiste nettoyait un verre, visiblement concentré dans sa tâche.

« Je vais vous prendre deux verres de cette liqueur que vous m’avez conseillée l’autre jour » dit-il en posant le coude sur le rebord de la desserte afin de signifier sa présence.
« Je vois qu’elle ne vous a pas laissé indifférent » constata l’homme, ravi de son potentiel de vendeur. « Je vous apporte ça tout de suite »

  Mihael acquiesça lentement et promena son regard sur l’étendue de la pièce. Les clients étaient pour la plupart rassemblés en groupe de trois ou quatre personnes, et dans l’attente de sa commande, le réprouvé se mit secrètement à les envier.



MOTS : 898  ||  Cole - #000033

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Ven 15 Avr 2016, 18:04

   Shams marchait dans les rues de Stenfek, la tête baissée, regardant à peine devant lui, ses yeux rivés sur le vide. Il ne pensait à rien, pas même à là où il allait. Pourtant, il était revenu en ville pour une chose bien précise : se reposer. Ces derniers évènements étaient éprouvants, et il était touché, comme la quasi-totalité des populations de ce monde. Il n’était qu’un pion parmi les autres. Il s’était retrouvé au cœur de conflits sans le vouloir, sans rien avoir demandé à personne. Tout ce qu’il voulait, c’était être tranquille. Mais non, beaucoup voulaient la guerre. Il ne comprenait pas. Il n’était pas sûr de vouloir comprendre. Toujours était-il qu’il n’aimait pas ces personnes, qui ne se levaient que pour faire violence, sous prétexte qu’ils avaient des principes à défendre. Ils pouvaient tout aussi bien rester chez eux et laisser les autres tranquilles… Non ?

   De temps en temps, il levait les yeux, lorsqu’un passant se retrouvait dans son champ de vision, mais il se ravisait tout de suite après, de peur qu’on le prenne mal. De peur qu’on le remarque, lui et ses ailes. Il n’avait pas pris la peine de les cacher. Il n’arrivait pas à mettre une cape correctement avec, de toute façon. Et puis, les cacher pour quoi ? Ne pas assumer ? Se sentir « mieux » ? Il était Réprouvé, peu fier de l’être, mais il était persuadé que c’était de sa faute. Enfin, il se persuadait. Il ne portait qu’une ample chemise, dont le blanc avait un peu jauni avec le temps ainsi qu’un pantalon noir. Rien de plus. Il n’aimait pas les choses compliquées. Parce qu’il l’était lui-même, il n’allait pas empirer son cas.

   Il s’arrêta en plein milieu de la rue que ses jambes avaient entrepris de traverser. Une question venait de lui traverser l’esprit : où allait-il ? Il osa enfin regarder devant lui, les gens, les façades des différents bâtiments. Il n’avait aucune idée d’où est-ce qu’il avait atterri. Il n’était jamais allé ici. Il s’était perdu…

   « Bravo ! S’esclaffa le Démon dans sa tête, avant de se mettre à applaudir bruyamment. L’Ange lui lança un regard inquisiteur. »

   Il commençait à avoir faim. Il était vraiment temps qu’il trouve une auberge…
   Le hasard décida pour une fois d’être clément avec lui. Il y en avait une à quelques mètres. Il se dirigea vers la porte avec de petits pas rapides et silencieux, comme s’il avait peur de déranger qui que ce soit.

   Il fut accueilli par la chaleur du lieu. Il se détendit.

   -Bonjour… Je voudrais une chambre… Dit-il d’une voix faible après s’être approché du guichet, derrière lequel se trouvait celui qui semblait être le maître des lieux.

   -Bien sûr, pour combien de temps ?

   -Une nuit, ça ira…

   L’homme pivota pour lui donner l’une des clefs restantes.

   -La numéro neuf, à l’étage. Vous voulez autre chose ? Un repas ?

   -Je ne sais pas si j’ai assez… Je voudrais bien de l’eau sinon, s’il vous plaît…

   Il vida les pauvres poches de son pantalon et posa les pièces sur le comptoir.

   -Hm… Dit l’homme en comptant. Ca devrait le faire.

   Shams leva la tête, étonné. Vraiment ?

   -Pour le repas ?

   -Au moins pour l’eau. Pour un repas, il faudra voir. On peut s’arranger.

   -Ah… L’eau, ça ira…

   Un jour de plus ou de moins sans manger, personne ne verrait la différence. Le jeune homme soupira et tourna la tête à sa droite. On était en train de servir quelqu’un d’autre, de deux verres contenant un liquide qui était loin d’être de l’eau. Son regard se perdit dedans et il retomba dans sa rêverie habituelle.

   Le choc entre son verre et le bois le fit sursauter. Il regarda le serveur, puis l’eau, puis le verre de l’autre homme, plus loin. Il se rendit alors compte qu’il avait fixé ce dernier pendant de longues secondes, si ça n’avait pas été des minutes.

   -… Euh… Merci.


   Il but aussitôt une gorgée, comme si cela allait dissuader les clients de faire attention à lui, ou même de faire remonter le temps. Il reposa son verre et se retînt de lâcher une insulte destinée à lui-même. Il était bête. C’était un idiot de première. Que croyait-il, exactement ? Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu’il soit bizarre ? Pourquoi ne faisait-il pas un effort, de temps à autres, pour paraître normal ? Il regarda ses pieds. Il avait juste envie de se cogner la tête contre un mur. Mais bon, c’était bizarre, alors il n’allait pas le faire.

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Sam 16 Avr 2016, 02:47



  Le tintement familier de la petite clochette fixée au-dessus de la porte de l’auberge se fit entendre de manière très distincte. Semblant rouillée depuis toujours, elle avait malgré tout un son très léger et facilement reconnaissable. A cette résonance familière, Mihael réagit comme un pantin qu’on anime. Littéralement arraché à l’examen minutieux qu’il opérait sur les clients de l’auberge, le jeune homme suivit l’origine du bruit, les sens en alerte.
  Il fut très intrigué de voir débarquer dans sa taverne de prédilection un très jeune Réprouvé qui n’avait visiblement pas l’air à l’aise dans son corps. Outre le fait qu’il appartenait au peuple le plus rejeté des terres du Yin et du Yang, une indécision latente se faisait sentir chez le garçon. Indécision qui le porta jusqu’au comptoir, non loin de lui.
  Le patron échangea quelques mots avec lui. Mihael reporta son attention sur les clients de l’arrière-salle tout en laissant traîner volontairement ses oreilles. On ne perdait pas en un claquement de doigt les bonnes vieilles habitudes d’une demi-vie de criminel de l'ombre. Observer, écouter, prévoir, appréhender. C’était monnaie courante.
  Et à propos d’argent… le garçon n’en avait manifestement pas beaucoup. L’aubergiste lui avait accordé une chambre pour la nuit, mais le repas était apparemment en cours de négociation.

« Propose-lui quelque chose. Ouvre-lui ton cœur ! » souffla une voix mélodieuse dans sa tête.

  Le jeune homme tourna la tête vers son potentiel interlocuteur. Il allait prononcer quelques mots mais se ravisa lorsqu’il constata que ce dernier fixait étrangement les verres que le patron venait de poser sur le comptoir. Quoi ? Était-ce la couleur violine de la liqueur qui le fascinait à ce point ? Ou bien venait-il de sentir de très loin les arômes tout à fait grisants qui s’échappaient des deux récipients ?
  Mihael plissa légèrement les yeux tandis que le garçon se faisait servir un verre d’eau.

« Un verre d’eau ? C’est absolument déprimant. Ce garçon n’a pas compris le principe de venir dans une auberge, c’est affligeant » commenta une autre voix, méprisante et hautaine.

  Mihael eut un soupir agacé et secoua la tête. Ce n’était clairement pas le moment que les voix recommencent à lui jouer des tours.
  Dans un élan de dissociation bâclée, le Réprouvé se griffa maladroitement les bras dans un tremblement imperceptible. La légère petite douleur redonna libre court à ses mouvements. La phase de dédoublement convulsive et involontaire venait de passer, et ce, dans le plus grand secret.
  Le sourire en coin, à présent joueur quoiqu’un peu calculateur et malsain, il fit glisser l’un des deux verres en direction du garçon. Le verre, plein à ras bord, subit l’impulsion exercée par le jeune Réprouvé et s’entrechoqua au verre d’eau du garçon, dans un bruit éclatant. Quelques gouttes avaient été dispersées dans son sillage et retraçaient l’itinéraire de l’objet vers son propriétaire initial.

« C’est ça que tu veux ? » lança Mihael. « Faut pas hésiter, tu sais. Comment tu t’appelles ? »

« Moi c’est Mihael. Enchanté. » Il venait de se souvenir des paroles d’Helena, et à cette pensée d’avoir convenablement respecté ses volontés à elle, son sourire s’élargit. A défaut d’être naturellement sympathique, peut-être que ce garçon allait penser qu’il l’était bel et bien, surtout à en juger la mine réjouie que le jeune homme arborait à présent.

« Tu dois pas être habitué à ce genre de choses. » concéda Mihael en faisant un petit signe de tête en direction de la liqueur puis du verre d’eau. « Considère ça comme un cocktail de bienvenue, et bien sûr, c’est un verre qui ne se refuse pas » ajouta-t-il en lui faisant un clin d’œil.

  Il vida le sien de moitié en savourant les délices de ces parfums enivrants descendre le long de sa gorge, et dont l’essence, unique, lui remontait jusque dans les parois les plus intimes du cerveau.

« Y a pas à dire. C’est clairement le meilleur de la région. Tu as goûté ? »

  L’avantage de ce petit délice résidait dans sa consommation qui, elle, se devait d'être modérée. Un verre de trop et le plus enjoué des ivrognes pouvait très vite se retrouver à terre, dans un état d’inconscience profonde où la barrière entre la réalité et les rêves demeurait mince. Pour le jeune Réprouvé, ce petit bijou faisait office de calmant, une arme contre ces voix grandissantes qui avaient pris place dans sa tête en même temps que l’affirmation grandissante de sa condition raciale. Mais le revers de la médaille était bel et bien présent. Or, ce soir, il avait décidé de ne pas y faire attention, à ses risques et périls.
  Emporté par la fougue des dernières gorgées du verre qu’il venait de « savourer », il sauta par-dessus la banquette qui faisait dos au comptoir et rejoignit Cole. Après un moment, il posa de nouveau son bras sur le dossier et se retourna vers le garçon :

« Alors, tu viens ? Je te présente Cole, c’est lui qui régale ce soir. »




MOTS : 820  ||  Cole - #000033

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Lun 18 Avr 2016, 20:23

   Shams avait, comme il ne le souhaitait pas, attiré l’attention de l’homme sur lui, bien plus qu’il n’aurait pu le croire, puisqu’il fit glisser l’un de ses deux verres jusqu’à lui. Il en suivit la trajectoire, resta immobile quelques secondes. Il… le lui offrait ? Il sourit timidement. Il avait de la peine à y croire.

   -Merci…

   A vrai dire, ce n’était pas vraiment ça qu’il voulait. Il n’avait fait que fixer ce que ses yeux avaient trouvé à fixer, sans chercher à savoir de quoi il s’agissait. Il avait plus faim qu’autre chose et il ne portait pas l’alcool dans son cœur… Mais il se voyait mal refuser. Surtout à lui, qui aurait pu l’ignorer comme tout le monde, et ça ne serait pas allé plus loin. Il lui demanda son nom.

   -…Shams. Enchanté aussi.

   Mihael… Il l’aimait bien… pour l’instant. Il était amical et gentil. Ses yeux descendirent d’instinct vers le sol.

   -Non, je ne suis pas vraiment habitué.

   Evidemment, puisqu’il était seul. Il n’y avait jamais personne pour l’inciter à boire ni à trinquer.
   Il le remercia encore. Son sourire s’élargit et il porta le liquide inconnu à ses lèvres. Un seul contact lui suffit à comprendre qu’il n’avait pas affaire à une petite boisson de beuverie pour débutants. Manquant de s’étouffer tant l’alcool était fort, il toussa violemment. Quelques larmes lui montèrent aux yeux. Et il allait devoir boire tout ça ?! La coupe lui devenait immense. Comment allait-il… ?

   -Pardon.

   S’excuser était plus fort que lui. Il n’aimait pas le goût. Mais il ne dit rien, de peur de vexer son interlocuteur. Il prétendait que ce devait être la meilleure boisson des environs. Cela voulait donc dire que les autres étaient… pires.

   Il l’invita justement à venir à sa table, qu’il partageait déjà avec quelqu’un d’autre, un dénommé Cole. Son geste lui faisait plaisir. Il se sentait apprécié. Il ne se sentait pas de trop. Etait-ce un début d’amitié ? Pourquoi faisait-il cela ? Il ne le savait pas, c’était bizarre. Il se sentait mieux. Cependant…

   -Je ne voudrais pas vous déranger… Vous n’êtes pas obligés…

   … La partie sombre et triste, celle qui lui rappelait qu’il n’était qu’un détestable microbe en ce monde, revenait toujours pour le tirer vers le bas. La joie qui commençait tout juste à emplir son cœur se dissipa lentement. Après hésitation – il n’avait aucune excuse, son emploi du temps étant, comme d’habitude, habité par le Néant – il s’approcha enfin et s’assit en face de Mihael, près de Cole. Ce dernier l’impressionnait, pourtant il n’arrivait pas à déterminer pourquoi exactement. Il voulut sortir un « bonjour ». Ses cordes vocales étaient comme paralysées. Il considéra son visage, puis baissa encore une fois la tête. Il était gêné, un peu craintif. A ces deux personnes, il n’avait rien à offrir en échange de leur générosité. Il avait plus l’impression d’être un pique-assiette qu’un invité. Enfin, pique-assiette restait un bien grand mot, puisqu’il doutait de pouvoir terminer son premier verre. Mais l’idée était la même. Et qu’allait-il dire ? Il n’était pas du genre à imposer un sujet, mais plutôt à le subir. Il n’avait rien d’extraordinaire à dire. S’il tel avait été le cas, il n’aurait rien fait ; il n’aimait pas se montrer prétentieux. Il reprit une gorgée de la liqueur étrange. Son visage se crispa. Sa gorge le brûlait, et la chaleur prenait possession de son corps. Il devait l’avouer, ça avait un côté agréable. Le problème résidait dans le goût, qui lui restait immonde.


   Pour qui allaient-ils le prendre ? Mihael avait descendu une bonne partie de son verre. Lui, on ne voyait même pas qu’il y avait touché. Shams se mettait seul une pression pour un détail futile. Il se demandait ce qu’il faisait là. Il se souvînt soudain qu’on lui avait confié une clef pour sa chambre. Dans un geste précipité, il fouilla ses poches. Ouf… Il l’avait. Il laissa retomber ses mains, qui attrapèrent un pan de sa chemise, pour le triturer nerveusement. Il n’avait plus qu’une envie : s’enfuir dans sa bulle et qu’on l’y laisse.

~682 mots~ 
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Jeu 21 Avr 2016, 03:03


  L’armoire à glace qu’était Cole fit un petit signe de tête, encourageant le dénommé Shams à les rejoindre.

« Bah, tu nous déranges pas gamin » fit-il en le jaugeant calmement. « Un ami à toi Mihael ? Tu me présentes ? »
« Cole, je te présente Shams. Je l’ai pêché au comptoir, et comme il avait l’air seul, je me suis souvenu du proverbe : « plus on est de fous, plus on rit ». Ne crois-tu pas, mon cher Cole ? »
« Ah ! » répondit-il en riant grassement. « Mais ceci dit, princesse, on ne « pêche » pas les gens, on les « encourage » à venir »

  Une ombre passa dans les prunelles du Réprouvé qui se renfrogna légèrement.

« Qui est-il pour te parler comme ça ? Ton père ? Envoie-le à l’échafaud ! »

  Mihael se ressaisit de justesse tout en serrant le poing sous la table. Il décida d’ignorer Cole encore une fois, son attention se reportant naturellement vers Shams.

« Qu’est-ce qu’un Réprouvé comme toi vient faire dans ce repaire à testostérone ? »

  Le ton fut légèrement pinçant : la faute à Cole, qui l’avait un peu agacé. Ses prunelles bleu-acier détaillèrent le jeune garçon plus attentivement.
  Shams était plutôt bien bâti : grand, et assez large d’épaules, il était aussi très mince. Pourtant, on semblait deviner à travers sa chemise les muscles qui saillaient son corps de manière encore très discrète. Ses avant-bras, virevoltant autour de son verre toujours plein, témoignaient effectivement de sa musculature qu’on suggérait à chaque mouvement : derrière ses airs adolescents, il avait déjà la carrure d’un homme.
  Carrure qu’il semblait porter comme un fardeau. Car ses yeux trahissaient encore les préoccupations d’un enfant dont l’innocence est invariablement pure, et ici, enfermée dans un corps vigoureux qui semble impossible à contrôler.
  Le « comme toi » était donc venu de manière instinctive, puisque c’était son visage que Mihael avait observé en tout premier lieu. Son Ange intérieur était bloqué dans son propre corps.

« Je veux dire, tu m’as pas l’air de fréquenter ce genre de tanière à hormones. D’où est-ce que tu viens ? Tu habites à Stenfek ou tu viens faire un tour par ici, comme notre bon vieux Cole ? »

  Ce dernier eut un large sourire et s’apprêtait à raconter une nouvelle fois son grand voyage sur les terres du Yin et du Yang, à la recherche des fragments du Cristal Maître.
  Le Réprouvé l’arrêta cependant du regard : il souhaitait que Shams se détende un peu. C’était même une nécessité. Le jeune garçon avait une aura qui commençait sérieusement à titiller la capacité de Mihael à garder son sang froid. Et bien qu’il demeurât légèrement agacé –ce qui, somme toute, était assez chronique–, il souhaitait à tout prix éviter le moindre risque d’emportement. Qui plus est devant un public qu’il connaissait assez bien depuis quelques jours.

« Un conseil : bouche-toi le nez et avale-moi ça d’un coup » dit-il fermement. « Ensuite, nous passerons aux choses sérieuses… »

  Il regarda la pendule derrière le comptoir et reporta son attention sur le jeune garçon qui semblait résigné, désirant secrètement filer, et ce, bien loin d’ici.

« Corromps-le ! »

« Dans vingt minutes, après ça, si tu ne te sens toujours pas à ta place, tu pourras monter dans ta chambre et faire un bon gros dodo ; comme ce que le garçon bien respectable que tu es, devrait faire à son âge. Mais tu as choisi de venir ici. L’instinct ? Un appel démoniaque ? Peu importe, tu es là maintenant. »
Mihael inspira longuement avant de conclure : « Alors, porte un moment ces deux ailes de manière égale et ressens ta liberté d’action à l’heure où je te parle. Porte ta condition, ou abandonne toute chance de t’en sortir un jour. »

  Son côté Réprouvé qu’il tentait de masquer avait repris le dessus. Il avait sûrement laissé transparaître un peu de la haine qu’il avait de faire partie de cette race immonde qui était la sienne. Ses mots avaient soigneusement été choisis puisque ressentis amèrement à chaque instant où il prenait conscience de ce qu’il était.
  Il incitait Shams à relever un peu la tête, comme il aurait voulu qu’on relève la sienne aux moments les plus rudes de son existence.
  Ce n’était pas vraiment de la bonté de cœur, mais un rappel, à lui-même, de ne pas sombrer à son tour dans la culpabilité. La haine pour autrui avait remplacé la culpabilité qu'il avait gardée durant très longtemps au fond de lui. Il était temps que Shams trouve également une alternative à la culpabilité. Du moins, à cet instant précis.

« Aller gamin, contrarie pas la princesse, tu vois d’jà la gueule qu’y tire, ah ah ! » fit Cole d’une façon tout à fait joviale et désintéressée. Il commençait à être saoul. « Et puis, ‘faut pas que j’traine, j’ai à faire, moi, demain ! »

  Cole, en tout bon démon qu’il était, avait décidé d’ignorer le fait que Shams soit un Réprouvé. Il estimait probablement qu’une taverne était un lieu neutre, et qu’il n’y avait justement pas lieu de détester son prochain dans un endroit choisi pour son impartialité. Malgré l’air un peu contrit qu’il avait eu tout en voyant le garçon pour la première fois, son expression s’était radoucie au fur et à mesure.
  Mihael remarqua ce revirement et se sentit éprouver une certaine sympathie pour ce bon-vivant, bourru, bourré et quelque peu bourrin.

« En définitive, j'ai beau te chercher une excuse, je ne pense pas que tu aies le choix » murmura le Réprouvé à l’égard de Shams. « Accorde-toi vingt minutes. Qui ne tente rien... »
« ... N'a rien ! Saisis ta chance ! »

  Les démons étaient de sortie ce soir...




MOTS : 924  ||  Cole - #000033
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Sam 23 Avr 2016, 00:19

   Il ne réagit pas tout de suite lorsque Mihael lui posa la question. Seul le court silence qui suivit ses paroles le lui indiqua. Il se redressa, comme s’il venait tout juste de se réveiller. Inconsciemment, il passa son bras sur la table et fit tourner son verre. Encore un geste qui trahissait sa nervosité. Celle-ci ne s’améliorait pas, car maintenant qu’il en faisait allusion, il était vrai que cette auberge était un véritable repaire à testostérone. En tout cas, au vu des clients, ça avait l’air d’être le cas… L’un était déjà cuit, alors que la soirée ne faisait que commencer. Mais que faisait-il dans un endroit pareil ?

   -Je suis tombé dessus au hasard. Juste pour dormir…

   Et le voilà attablé avec des inconnus. Il avait un certain talent, en ce qui concernait les imprévus. Le blond n’en avait pas fini avec ses questions. A présent, il souhaitait savoir d’où il venait. D’où il venait ? Lui-même ne le savait pas vraiment. De nulle part, en fait. Il imaginait déjà l’un des deux hommes rire en entendant cette réponse. De quoi accentuer ce sentiment bizarre, entre gêne et solitude intérieure.

   -Je suis… de passage, simplement… Je reste aux Terres d’Emeraude, autrement, assez loin des villes…

   Il se trouvait ridicule, à dire cela. Ils allaient croire que sa vie était plate et sans intérêt, et ils auraient sûrement raison. Mais c’était ainsi qu’il la voulait. Il espérait encore qu’elle puisse un jour devenir calme. Vraiment. Ce n’était pas le cas pour lui. Chaque jour, la malchance s’abattait sur ses épaules. Pas grand-chose pour certains, un fardeau pour lui. Il n’osait alors imaginer ce qui pourrait lui arriver en dehors de ce territoire.

   Il ancra ses yeux bruns dans ceux de Mihael. Il devait vraiment tout boire ? Il n’avait pas le choix… Qu’entendait-il par « choses sérieuses » ? Il aurait aimé pouvoir faire machine arrière et ne pas entrer dans cette auberge. Il aurait dû prendre son mal en patience pour en trouver une autre, un peu plus loin… Il prit une inspiration et regarda sa boisson, qu’il faisait toujours tourner. Résigné, il leva le verre et bloqua sa respiration.

   Ca lui brûlait. Il avait pris une grosse gorgée pour faire plaisir à son hôte. Il regrettait. Il se concentrait sur les paroles de l’homme en face de lui. Il n’aimait pas la façon dont les choses tournaient. Mihael avait une façon de parler, qui, tout à coup, ne lui plaisait plus trop. Il le considérait comme un gamin. Il en était peut-être un, il n’avait que dix-sept ans. Mais ça l’irritait. Il reposa son verre. Le contact avec le bois fut plus violent que prévu. S’en échappa un claquement sec.

   -Ne parlez pas de Démon.

   Son ton avait changé. Plus froid, plus grave, plus tranchant. C’était paradoxal. Ce côté de sa personnalité se manifestait pour qu’on l’efface de la discussion. Shams haïssait sa part démoniaque. Il détestait qu’on en parle. Ca lui faisait le même effet que lorsqu’on mentionnait quelqu’un : cette personne finissait par s’inclure à la conversation, l’air de dire « Je me fais désirer ? ». Il parvenait la plupart du temps à la rejeter, lorsqu’il était seul surtout. Cependant, quand elle parvenait à se libérer des liens qu’il avait créé pour la paralyser, tout pouvait vite devenir catastrophique.

   Ces conseils qu’il venait de recevoir étaient inutiles. Il avait essayé, déjà, de laisser libre cours à ses deux facettes. En vain. Il avait failli en devenir fou, tant ce qu’il faisait était devenu insensé. Il préférait de loin piquer une crise de temps en temps, loin des regards, avant de revenir à peu près « normal » – aux yeux des autres.

   -Ma liberté d’action… A quel prix ?

   Il le trouvait bien mal placé pour parler ainsi. Personne ne pouvait comprendre. Personne ne comprenait un Réprouvé, même entre eux, c’était parfois difficile. Si sa colère avait été attisée plus tôt, il se serait sûrement levé pour lui dire sa façon de penser.

   -Vous pensez qu’il est possible de s’en sortir ?

   Cet homme était bien optimiste, pour rester poli… Il était impossible de s’en sortir. Un Réprouvé est né pour souffrir. Ca ne se discute pas.

   Il tourna la tête vers Cole, le regard sévère. Il se surprit à boire une nouvelle gorgée – c’était vraiment horrible. Non… Cela signifiait que son diable s’était réveillé. Pour de bon. Sa prise d’assurance était… flagrante. Shams avait soudain très chaud, à cause de l’alcool. Celui-ci n’allait pas tarder à agir sur ses sens et son cerveau.

   -Vous allez regretter ma présence…

   Il allait la regretter. Il se laissa retomber sur le dossier de sa chaise et ferma les yeux.

   -De quelle chance parlez-vous ? … Demanda-t-il, pas sûr de saisir.

   La chance… Il soupira. S’il avait été seul, il se serait frappé la tête contre la table. Pas seulement à cause de cette histoire de « saisir sa chance ». Parce qu’il était stupide. Il n’aimait pas se voir avec cette attitude. Il n’était plus lui. Il se trouvait odieux, idiot. Il calma les battements de son cœur, qui, pour le coup, s’était un peu emporté. Cette liqueur affreuse agissait-elle déjà ? Il posa deux doigts sur sa tempe.

   -Pardon…

   Sa voix se radoucit. Ses traits aussi.

   « Pourquoi tu t’excuses ? S’écria le Démon. Pour que tu te taises. Retourne dans ta cage et n’en ressors plus jamais. »

   Il s’excusa encore. Il devait se reprendre. Il ne devait pas pencher du mauvais côté. Il pouvait le faire… Vingt minutes. Ce n’était pas si long, au fond… Si ? Une vague de stress l’assaillit. En même temps qu’il imaginait les minutes, aussi longues seraient-elles, passer, il venait de prendre pleinement conscience de tout ce qu’il venait de dire. Sa main revînt se cacher sous la table pour retrouver son activité première : triturer un pan de sa chemise. Il se sentait bizarre.

   -Désolé…

   Il prit une grande inspiration. Il n’osait plus parler.

   -Mais je ne voudrais pas que ça tourne au désastre…


   Ca valait autant pour l’alcool, dont il ressentait les premiers effets, que pour son côté démoniaque…

~1022 mots~
Allez, la prochaine, c'est la bonne x)
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Mer 11 Mai 2016, 15:29


  Il avait été plutôt amusant de décrypter l’intégralité du petit manège de Shams. Des mots lancés dans le vent, des réponses évasives et, en définitive, très peu d’alcool ingurgité. Face au verre à moitié plein du jeune garçon, Mihael leva les yeux au ciel en marmonnant dans sa barbe –comme à l’accoutumée, lorsqu’il était passablement contrarié–.
  Cole donna un petit coup de coude à Shams en chuchotant :

« ça y est, tu l’as chagriné » fit-il en riant légèrement. « oh aller, même pas une p’tite gorgée ? T’as fait l’plus gros du ch’min, j’te garantis qu’moi non plus, j’suis pas très friand d’ce genre de chose. » Il baissa la voix davantage. « Y’m’l’avait fait goûter y a quelques jours, j’ai détesté, si tu savais. J’suis rentré à quatre pattes, mais tu vois, j’suis toujours bien vivant » clama-t-il bien haut en se frappant le torse. « Peut-être que tu voudrais goûter aut’chose ? Ma boisson par exemple ? »

  Il tendit son verre au jeune réprouvé, un sourire compatissant suspendu aux lèvres.

« Laisse tomber, Cole. » trancha Mihael avec un regard mauvais. « Tu vois bien qu’il n’a aucune envie d’être ici. Tiens, passe-moi une cigarette et laisse-le tranquille, qu’on en finisse »

  Aussitôt dit, il piocha dans l’étui à cigarettes de Cole et se servit sans demander son reste. Le démon ne broncha pas le moins du monde et resta de marbre.
  Après avoir tiré quelques bouffées rapides, il exhala toute sa fumée sur Shams dans une langueur sans nom, dirigeant les nombreuses volutes droit sur son visage. L’intégralité des spirales de fumée blanche entendaient caresser la moindre parcelle de sa figure chaste.
  Une petite étincelle amusée pétilla dans le regard du Réprouvé qui ressentait un malin plaisir à molester son charmant petit congénère.

« De toute façon, c’est un Réprouvé, ces gens-là n’ont rien à faire, où qu’ils soient » décréta-t-il, enfonçant une nouvelle fois le couteau dans la plaie. « Toi, Cole, qui fait partie de la communauté démoniaque, à quoi donc te fait penser Shams ? Est-ce que tu n’éprouves pas une forme de dégoût suprême pour cet être dont la moitié de son corps, de son esprit et de son âme appartient aux tiens sans tout à fait en être ? N’es-tu pas écœuré le moins du monde par son autre part, angélique, pure et saine qui transparaît dans le moindre de ces gestes, et de sa petite gueule de premier de la classe ? » Il ponctua sa logorrhée assassine en tirant une nouvelle bouffée sur sa cigarette. « Les Réprouvés, en voilà une bien belle infamie. »

  Mihael s’était perdu dans ses pensées les plus noires et les plus profondes. Shams l’avait agacé. Et tout en lui rebutait ce petit malin qu’il avait pourtant pris le soin de ramener à sa table. A présent, cet énergumène faisait ressortir en lui toute la haine qu’il avait à l’égard de sa condition, et plus largement à l’égard de lui-même. Et ces mots, dits tout haut, n’étaient qu’une réflexion de plus à ajouter aux limbes éternels de son cerveau malade.
  Cole s’était légèrement raidi. On ne savait pas bien s’il réfléchissait aux mots de Mihael ou s’il avait bien décidé, dans son for intérieur, de lui en mettre une pour de bon. L’effet de l’alcool commençait à agir sur chacun d’eux, et les instincts primaires remontaient à la surface.
  Le Réprouvé écrasa la cigarette à moitié terminée et se rapprocha de Shams en glissant sur la banquette. Il n’était plus qu’à quelques centimètres de son visage lorsqu'il décida de le fixer droit dans les yeux, exprimant à travers eux son côté joueur et malsain.

« Bon, princesse, j’comprends pas bien c’qui s’passe, mais détends-toi un peu. Qu’est-c’qui t’arrives ? Jamais j’t’ai vu comme ça depuis qu’on se connaît ! »

« Fais-le taire, une bonne fois pour toute ! »

  L’œil gauche de Mihael cligna de manière incontrôlée tandis qu’il se maîtrisait pour ne pas imploser et hurler comme un fou dans l’auberge. Un rictus étrange se dessina sur ses lèvres tandis que sa cicatrice, déformée par ce mouvement oculaire singulier, lui donnait un air horrifique.
  S’étant rapproché de Shams, il chuchota, en décortiquant chacun de ses mots de sorte à les faire résonner de manière plus fiévreuse :

« Tu-n’es-qu’un-vulgaire-Démon-qui-ne-s’assume-pas, Shams. »

  Il lui décocha un sourire en coin, haïssable. Et, tout en restant les yeux fixés sur ceux de son interlocuteur, il prit le verre de Shams et le but dans son intégralité.

« Contente-toi donc d’un breuvage de Démon en acceptant le verre de Cole ; monte dans ta chambre ; ne reviens plus jamais... Qu'importe. »

  Mihael se leva, ne le quittant toujours pas des yeux. Dédaigneux, il soupira légèrement avant de repartir en direction du comptoir dans la ferme intention de noyer toute sa haine dans sa liqueur de prédilection.
  Cole, ayant assisté aux moindres détails de la scène serrait les poings, tentant de se contenir.



MOTS :  834 || Cole - #000033
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Ven 13 Mai 2016, 17:53

   Shams était un garçon timide qui se laissait généralement marcher sur les pieds, trop gentil pour reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit. Mais ce que les gens ne comprenaient pas, ou ne semblaient pas comprendre, c’était qu’il avait des limites. Même un Ange pouvait perdre patience. Ce n’était pas pour autant qu’il sombrait dans le péché.

   Mihael avait pris une cigarette. Le Réprouvé l’avait regardé porter celle-ci à sa bouche, immobile. Son regard s’était quelque peu vidé. Il réfléchissait. A quoi ? Aucune idée. Il savait juste qu’il réfléchissait. Cependant, la fumée l’extrait de sa méditation. Il ne fit rien les premières secondes, persuadé par son côté trop sage et trop soumis qu’il n’avait pas fait exprès. Mais il comprit rapidement que ce n’était pas le cas.

   -Arrête…

   Il étouffa le « s’il-te-plait », qui ne méritait pas d’exister. Il leva les yeux vers le blond. Ce dernier avait apparemment trouvé une nouvelle occupation : le provoquer et l’humilier. Il n’aimait pas la façon dont il parlait des Réprouvés. S’il avait pu, il aurait choisi son camp. Mais non, il avait fallu que le hasardeux malheur tombe sur lui et qu’il le coince entre deux mondes que tout séparait. Deux mondes, qui ne pouvaient que le dévisager, le considérer avec dégoût pour ce qu’il n’avait, tout autant qu’eux, pas voulu.

   Il tressaillit juste après et tourna doucement la tête vers Cole, sans pour autant regarder son visage. Cet homme était… un Démon ? Son cœur palpita. Et il était près de lui depuis le début ?! Il se détourna et se concentra de nouveau sur les paroles acerbes que pouvait lancer le jeune homme en face. Shams baissa la tête. Les traits de son visage se crispèrent pour laisser transparaître de la haine. Une haine qu’il s’efforçait de contenir.

   A son grand étonnement, Cole prenait… du recul. Il ne comprenait pas les agissements de son ami. Mais ce dernier ne l’écoutait décidément pas. Il s’était approché de Shams. Il s’était approché, vraiment très près.

   « Tu-n’es-qu’un-vulgaire-Démon-qui-ne-s’assume-pas, Shams. »

   A ces moments, il ancra ses yeux dans ceux de son interlocuteur. S’ils étaient devenus noirs, ou rouges, il voulait bien le croire. Ses ongles étaient plantés dans le bois de sous la table et le grattaient frénétiquement. Il le laissa boire son verre avant qu’il ne quitte la table.

   Lorsqu’il fut parti, le Réprouvé prit une profonde inspiration, dans l’espoir de dissiper sa colère. Mais cela ne fit que l’aviver, comme du feu à la recherche d’oxygène. Il respirait par grandes bouffées, et Cole devait le trouver complètement taré. Il fixait cet arrogant qui avait osé l’insulter de la sorte. Il attrapa le verre du Démon, non pas pour en boire le contenu, mais pour faire claquer l’objet contre la table. Une manière – comme une autre – de se défouler. Alors, il se leva d’un bond et se dirigea à grands pas vers Mihael, les dents et les poings serrés. Il lui prit l’épaule et tira pour le retourner.

   -Et toi, alors ? Qui es-tu ? Il haussa d’un coup la voix pour hurler. Qui es-tu pour dire des choses pareilles ? Hein ?

   Il fit signe au serveur de lui servir un verre de ce truc dégueulasse que cet être dégueulasse aimait tant, et le but d’un trait. Une fois vide, il le reposa – cogna – sur le comptoir. Il n’avait pas quitté Mihael des yeux. On pouvait lire la colère immense qui se calmait dans ses yeux.

   -J’ai pas de fric, je sais pas combien ça coûte et j’en ai rien à foutre, parce que c’est toi qui la payes. Tu invites, tu assumes, et estimes-toi heureux que je te souffle pas de la fumée à la gueule, parce que p*tain, tu la mérites amplement.

   Il inspira profondément. Encore. Cela n’avait cette fois pas de but particulier. Pas même celui de se calmer. Il n’avait plus envie de se calmer. Pourtant, la tension retombait.

   -Je vais te frapper, tu le sais, ça ?

   Il resta là encore quelques secondes, son visage se détendant un peu, puis il tourna les talons. Mihael voulait qu’il les laisse en montant dans sa chambre ? Juste pour le faire chier, il n’allait pas le faire. Il retrouva sa place, près de Cole, posa ses coudes sur la table et son front dans ses mains. Il ferma les yeux et soupira. L’alcool… La bouffée de chaleur lui était assez impressionnante.

   -Je vous avais dit, que vous alliez le regretter… Marmonna-t-il d’une voix grave.

   Il se sentait bizarre. Plus vraiment en forme. Un peu mou. Il gémit.

   -Bordel… c’est vraiment dégueulasse, comment il peut boire une chose pareille ? …

   Le goût lui restait dans la bouche, acide et amer à la fois. Il avait rarement eu une sensation aussi désagréable. Il leva un peu la tête pour regarder la boisson que le Démon lui avait proposée plus tôt. Un air renfrogné, il la repoussa.

   -J’en veux pas, c’est dégueulasse.
   Cole ne put retenir un sourire amusé et moqueur. Shams ne lui lança pas le moindre regard. Il enfouit tout de suite son visage dans ses bras. Il ne se sentait pas très bien…

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Dim 15 Mai 2016, 04:42


  Mihael sentit une poigne de fer l’agripper à l’épaule et le retourner de manière vigoureuse, dos au comptoir. Il fit face à un Shams, dont les traits déformés par la colère, rendaient tout à coup visibles ses muscles contractés sous la blancheur de sa chemise. Légèrement étonné sans toutefois se sentir déstabilisé, le Réprouvé lui jeta un regard provocateur afin de lui répondre. Shams se mit à élever la voix, provoquant la stupeur des quelques buveurs encore en lice à l’intérieur de l’auberge.

« Oh, mais que voilà, un jeune homme dans la force de l’âge ! » clama-t-il en se marrant, les yeux exorbités.

  Le garçon menaçait de le frapper. Et il y avait de quoi. Après mûre réflexion, Mihael y était peut-être allé un peu fort tout à l’heure. Mais actuellement, il s’en fichait royalement, la démence soudaine du jeune Réprouvé face à lui demeurant mille fois plus divertissante. Il venait de descendre un verre de la liqueur que Mihael affectionnait tant.

« Eh bien, il était temps… »

« Je paierai pour ton biberon du soir, mon loupiot, ne t’en fais pas. » murmura-t-il de manière suave, le sourire en coin. « Enfin, c’est Cole qui régale, comme je te l’ai dit. N’est-ce pas, Cole ? » lança-t-il au Démon toujours bloqué à sa place.

  Shams l’avait relâché avant de lui lancer un dernier regard empli de haine, bien que l’intégralité de son corps soit à présent plus disposé à se calmer.
  Mihael essuya d’un revers de main la commissure de ses lèvres minces qui s’étiraient encore en un large sourire. Il interpella une nouvelle fois l’aubergiste, dorénavant sur le qui-vive au regard de ce qui s’était passé.

« Un petit coup d’énervement, rien de grave » chuchota-t-il à son égard de manière assurée. « Je vais vous en prendre deux autres. Et rajoutez-moi trois verres de l’autre boisson d’hier, s’il-vous-plaît. »

« La plus sucrée ? Bon, bon. Elle est plus douce mais beaucoup plus ravageuse à l’intérieur » signifia-t-il en tapotant sur son crâne. « Vous allez quand même pas me faire d’histoires, hein ? Sinon, c’est dehors. Vous m’avez bien compris. »

« Vous en faites pas. On maîtrise la situation. »

  Le Réprouvé reporta son attention sur Cole qui le fixait déjà depuis un bon moment en serrant la mâchoire. Mihael lui fit un clin d’œil.
  Son insolence puérile avait été titillée de près. Dorénavant, il ne pouvait plus faire marche arrière. Et d’ailleurs, il trouvait cette situation bien plus exaltante que lorsqu’il se contrôlait.

« Attention Mihael… » Mais déjà, la voix de l’Ange s’annihilait, laissant place à son revers démoniaque. « Tu vois, quand tu le souhaites vraiment… Ne trouves-tu donc pas cela plus trépidant de voir les gens sortir de leurs gonds ? »

  Il acquiesça intérieurement, muselant définitivement l’Ange intérieur. Il était tout à fait jouissif de voir ce que les gens cachaient au fond d’eux-mêmes, et s’il fallait se battre pour le faire comprendre, il allait persister, et signer.
  S’armant du plateau que l’aubergiste lui confiait, Mihael se dirigea vers la table et le déposa près de ses deux convives, tout sourire.

« Relève-toi, morveux. » asséna-t-il. Puis, de manière plus douce tout en restant ferme : « C’est plus doux, plus sucré au niveau du goût. Incomparable à ce que tu as pu goûter juste avant. »

« Princesse, arrête. Tu vois bien qu’il est pas en forme. »

« La prochaine fois que tu m’appelles « princesse », Cole, je te fais bouffer le bitume. » trancha-t-il à nouveau.

  Il ignora le Démon, ne voyant pas à quel point ce dernier tentait de le raisonner avant d'avoir l’occasion ultime de frapper. Cole bouillonnait de l’intérieur. Récemment détaché de la communauté démoniaque –ce qui bien évidemment était de son chef–, l’armoire à glace avait tenté de trouver le chemin de la rédemption, rejetant petit à petit sa nature maléfique, bien que tous l'ignoraient encore.
  Malheureusement, il suffisait de moments tels que ceux-ci pour le faire revenir du côté du Mal, et malgré sa récente décision à trouver la mesure en toutes choses, ce jeune freluquet faisait ressortir en lui des instincts qu’il avait depuis longtemps oubliés. La rage n’en était que plus forte.

« De toute façon, c’est pas comme si t’allais le boire, hein ? » pesta-t-il à l’égard de Shams. « Un petit énervement et tout est remis à l’endroit, chez toi, n’est-ce pas ? Peut-être bien que tu voudrais qu’on te raconte une histoire, Shams, non ? »

  Il but l’intégralité de son autre verre à la liqueur ambrée. La tête lui tourna légèrement, mais le goût, plus suave et plus sucré, lui rappela les essences d’un sirop qu’on donnait aux gosses à l’orphelinat. Ce dernier avait été confectionné pour donner aux enfants l’impression d’avaler une friandise, alors que les effets de somnolence extrême se faisaient sentir tout juste quelques instants après la prise.

« De belles enflures, ces gars-là » marmonna-t-il en laissant la nouvelle liqueur lui dévorer le cerveau. « Alors, Cole ? Shams t’a vidé ton verre sur la table ? Faut dire, tu lui avais bien proposé quelques gorgées. Qu’est-ce que tu peux être empoté pour un Démon, c’est navrant… »

  Ces mots dits, Cole vira au rouge pivoine, de colère à son tour. Il se leva d’un bon et fit tomber le tabouret sur lequel il était assis quelques secondes auparavant, dominant la table de toute sa hauteur de géant.

« Tu commences à nous les briser, bon sang » gronda-t-il à l’égard de Mihael. « Qu’est-c’que tu crois, qu’après deux verres, tu peux t’sentir en m’sure de faire le mariole ? »

« Ecoute, assieds-toi Cole, tu… » commença le Réprouvé en se redressant.

« Non, maintenant, c’est toi qui va m’écouter ! » hurla-t-il. « Ça fait des plombes que j’te dis de t’calmer, regarde un peu c'que tu fais depuis tout à l’heure. Maîtrise toi, bordel ! »

« C'est à moi de me maîtriser ? Tu es tellement stupide. » lâcha Mihael en haussant les sourcils. « Ah il est bien beau le Démon, lui aussi, complètement fumé, et qui décide en plus de cela, de me faire la morale. Même pas capable d’assumer ce que vous êtes, vous n’êtes que des bons à rien. »

  C’en fut trop, Cole contourna la table autour de laquelle ils étaient tous les trois assis et saisit Mihael par le col de son haut. Il lui décocha un coup de poing magistral qui l’envoya face contre terre, le visage ensanglanté.
  Le Réprouvé se releva tant bien que mal, sentant ses ailes se débattre derrière son dos, dans le douleur du coup porté. Il se mit à rire à gorge déployée tout en se mettant à fixer Shams du regard :

« Tu vois, morveux, c’est justement ce que tu n’as pas réussi à faire tout à l’heure. Cole a plus de cran que toi, il serait temps que tu remettes tes priorités au goût du jour. »

  Le Démon fulminait, et après une certaine hésitation, il se mit à charger droit sur Mihael, dans l’intention de le plaquer plus loin, contre le comptoir. Les sens quelque peu dérangés, le Réprouvé saisit au dernier moment son Nagaïka et l’envoya valser en direction de Cole qui le reçut en plein sur les bras, lacérant sa chair à l’aide des morceaux de verre incrustés dans la corde de son fouet.
  Il hurla de douleur avant de grogner légèrement pour se remettre à charger de plus belle.
  L’alcool avait désinhibé l’intégralité de leur esprit à tous les deux. Et si personne ne les arrêtait, les dégâts seraient à suivre, sans commune mesure.



MOTS : 1234 || Cole - #000033

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Dim 15 Mai 2016, 18:30

   Le bruit du plateau déposé sur la table ne lui fit même pas lever la tête. En fait, il s’était mis dans l’esprit qu’il allait dormir. Il avait presque oublié sa chambre, tant il avait la flemme de bouger. Monter des escaliers ? Pour un lit, alors qu’ici, il avait des bras, une chaise et une table, dont les fonctions étaient bien plus diverses ? Sa colère dissipée, s’était installée la paresse, comme si la première l’avait vidé de toutes ses forces. La voix de Mihael ne lui fit pas beaucoup plus d’effet.


   -Tais-toi… Marmonna-t-il sans faire l’effort de relever la tête, si bien que ça ne devait pas être compréhensible.

   Et effectivement, ça ne devait pas l’être, car malgré le soutien du Démon, il continua avec des menaces.

   -On t’a demandé de fermer ta gueule ! Dit-il un peu plus fort.

   Il n’aurait jamais dû boire ce verre… Encore moins cul sec. Son cerveau avait été frappé par l’enclume de l’alcool. Ses sens s’étaient amoindris, et il n’arrivait pas à déterminer s’il aimait ou non. Ca le perturbait énormément, mais la bouffée de chaleur s’était calmée, et c’était devenu agréable. Ses membres pesaient des tonnes, ou étaient cloués à la table, il ne savait pas trop.

   -Racontes toujours…

   Il ne répondit pas aux deux premières questions. Qu’aurait-il pu dire ? Non, il n’avait pas envie de boire, et non, il n’était plus en colère. Et alors, qu’est-ce que ça pouvait lui faire, à cet abruti ? Depuis quand c’était mal ? Il ne comprenait pas ses motivations, et à vrai dire, il n’en avait rien à faire pour le moment.

   Décidément, il n’allait jamais arrêter. Mihael ne se lassait pas de le provoquer. La colère avait disparu ? Pas sûr, finalement… Des enflures, il allait lui en foutre, des enflures ! Son cerveau recommençait à bouillonner. Se contenir, se contenir… Il sursauta et leva les yeux. Cole venait de se lever. Il était furieux. Sans bouger, Shams passait de l’un à l’autre. Ca allait mal finir, mais il ne faisait rien. Il ne fit rien non-plus lorsque Cole mit son « ami » à terre. Il se contenta de lever un sourcil face aux éternelles piqûres que ce dernier lui lança. S’il n’avait pas eu assez de cran pour le frapper ? Bien sûr que si. Seulement, il ne se souvenait avoir précisé quand est-ce qu’il le frapperait. Un léger sourire étira le coin de ses lèvres. Il allait le lui foutre, son poing dans sa gueule, mais se serait d’autant plus plaisant avec l’effet de surprise…

   A la vue de la baston qui éclatait, il aurait pu réagir. Il se plaisait en spectateur. Le tenancier s’était précipité sur les deux alcooliques et avait reçu l’aide de quelques buveurs pour les intercepter. Ils étaient trois à tenir Cole, et deux sur Mihael. L’un lui arracha son fouet des mains.

   -Dehors, maintenant ! Vociféra le maître des lieux.

   Il pointa la porte du doigt, et ils furent entraînés de force vers celle-ci. Cole protesta, mais ne fut pas entendu. Il lança un regard sévère à Shams. Le tenancier remarqua ce détail et s’adressa au jeune homme.

   -Et toi, fais gaffe, ou tu seras le prochain à dégager !

   Devait-il intervenir, ou « faire gaffe » ? Il n’avait pas envie de sortir, ni de se lever, en fait. Que ces deux-là partent, et il serait tranquille. Il pourrait dormir. Et il avait vraiment envie de dormir. Mais… Que faisait-il ici, du coup ? N’était-il pas de trop ? Alors qu’il se réveillait de sa lourde torpeur, il commençait à ressentir du stress. Le tenancier était en train de gueuler, car il n’avait pas pu faire payer les deux qu’il venait de virer.

   Et lui, Shams ? Il n’avait pas les moyens de payer. Si, il était de trop… Il soupira et se leva. Il se dirigea vers la sortie.

   -Qu’est c’tu fous là, gamin ? Fit une voix, une fois qu’il fut à l’extérieur.

   Shams regarda Cole, puis haussa les épaules. L’aubergiste surgit derrière lui.

   -Et te barre pas avec la clef, toi ! Et vous deux, cassez-vous, vous allez me faire de la mauvaise pub ! Allez !

   Le Réprouvé fouilla ses poches et en sortit la clef de la chambre qu’il avait loué.

   -J’aimerais bien que vous me rendiez mon argent, par contre.

   Sous son regard insistant, il céda, comprenant qu’il ne bougerait pas avant d’avoir récupéré son dû. Shams le remercia et rendit la clef à son propriétaire. La porte claqua. Silence. Le jeune homme s’approcha de Mihael, donc le visage était déjà couvert de sang. Il resta immobile face à lui pendant quelques secondes. Son visage avait une expression neutre. Il lui asséna un coup de poing.

   -Je te l’avais dit, que je te frapperais. T’as autre chose à me reprocher, maintenant, sale crevard ?

   Ah ! Ca lui apprendrait, à ne pas le prendre au sérieux.

   Sur ce, les mains dans les poches, il tourna les talons et s’éloigna dans la rue.

   -Eh, tu vas où, gamin ?


   -Chercher une auberge…

~846 mots~
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Lun 16 Mai 2016, 16:18


« Dehors maintenant ! »

  L’aubergiste et plusieurs hommes étaient venus s’interposer entre les deux bagarreurs. Jusqu’ici, Mihael avait encaissé la violence des coups, faisant reposer la majeure partie de leurs effets sur ses capacités mentales. L’alcool aidant, son corps avait ressenti le choc de l’instant, mais rapidement, la douleur était devenue diffuse pour disparaître, petit à petit. Il avait éclaté de rire, comme un fou, une nouvelle fois, jusqu’au moment où son Nagaïka lui fut retiré. Etrangement, il ne trouvait plus cette situation hilarante, et le Démon intérieur vit rouge également.

« Rendez-moi ça tout de suite » gueula-t-il, le visage déformé par la colère.

« On te le rendra quand tu sortiras d’ici. Maintenant, tes amis et toi, vous allez dégager le plancher, et plus vite que ça ! » répondit l’un des hommes.

  Mihael le regarda méchamment, une envie de le voir s’étaler face contre le sol venant titiller son esprit.

« Ah tout de suite c’est moins drôle quand on lui enlève son jouet, hein ? »

  Le Réprouvé était encore très puéril dans sa façon de réagir aux insultes et à ce qui lui appartenait. Ou, d’ailleurs, à ce qui « semblait » lui appartenir. Car, rien n’appartenait aux Réprouvés. Un événement, comme la seule célébration de leur naissance, avait directement été entaché par leur condition d’hybride répugnant ; et même un objet ne méritait pas d’avoir un propriétaire comme eux. Quant au sentiment de possession que l’on peut éprouver à l’égard d’une personne, aussi bien aimée qu’aimante, cela leur était purement et simplement interdit. Les Réprouvés désiraient et désirer posséder, sans pourtant jamais en avoir la capacité. Là demeurait le poids de leur fardeau.
  Malgré tout, Mihael se maîtrisa. Autant qu’il le put.
  Un des hommes tenta de lui attraper le bras pour le pousser vers la sortie, mais il évita tout contact qui l’eusse échauffé davantage, se dégageant in extremis.

« Ça va, je me casse. » lâcha-t-il en arrachant son fouet des mains de l’homme.

  D’un air profondément enragé, il prit les verres encore pleins sur le plateau et parti en direction de la sortie en les buvant, l’un à la suite des autres. S’appuyant sur le petit muret non loin de l’auberge, –puisqu’il étaient non seulement jetés à l’extérieur, mais aussi rejetés des alentours de ce lieu de malheur–, il enroula son Nagaïka et le raccrocha à sa ceinture. Là, il se sentit apaisé. Enfin. La boucle était bouclée, tout semblait se remettre en ordre.
  Sa vision devint floue et son esprit se mit à lentement divaguer vers d’autres contrées, quand soudain, un énième choc, étrangement plus violent que les précédents le heurta en plein dans le ventre. Il s’effondra sur le sol, distinguant petit à petit les traits de Shams et son ton de voix reconnaissable. C’était un flot d’insultes dont il n’entendait seulement que quelques bribes, mais dont il comprenait l’essence.
  Il sut, à cet instant que tout son corps l’avait lâché, le laissant lui et son esprit dérangé.

« Eh, tu vas où, gamin ? » perçut Mihael. C’était Cole.

Le jeune Réprouvé partait, écœuré de cette rencontre.

« Attends, gamin ! » continua Cole. « Pars pas comme ça, tu trouveras rien par là-bas. »

  Mihael l’entendit inspirer profondément, comme si, intérieurement, le Démon avait choisi de faire une concession entre son énervement et son désir lointain de rédemption.

« Excuse-le. Et excuse-moi. » lâcha-t-il finalement. « C’est probablement à cause de c’te boisson d’malheur. Cet abruti est un égoïste fini, mais au fond, il est pas si méchant. » Cole avait plus envie d’y croire qu’il ne l’avait constaté, cela se précisait dans sa voix. « Honnêtement, il m’a jamais fait d’coups foireux, ou rien. J’devrais le laisser crever sur le bitume, mais j’pense avoir plus d’honneur que ça. »

  « Même si j’suis qu’un Démon, après tout » avait-il rajouté en chuchotant.

« Viens m’aider à l’foutre dans une auberge, et ensuite, on t’embêtera plus, j’te l’promets. »

  Mihael étouffa légèrement, incapable de parler, incapable de voir quoi que ce soit si ce n’est les dalles qui pavaient la rue commerçante. Il tenta de positionner sa tête sur le côté pour respirer plus allègrement, mais ressentit à nouveau une douleur insupportable qui lui fit cracher un jet de sang par terre.

« Voilà dans quel état tu t’mets, imbécile. Tu l’as mérité. »

  Il sentit Cole le soulever doucement.

« Aller gamin, viens m’aider. J’nous paierai un r’pas digne de c’nom et on r’partira sur de bonnes bases. Au moins toi et moi »

  Le Réprouvé sentit qu’on lui enlevait sa cape.

« Tiens, il respir’ra mieux comme ça. Toujours avec cette couche de vêtement, c’ui-là… » maugréa-t-il.

  Il eut un sentiment d’horreur intense à l’idée qu’ils découvrent enfin ses deux ailes antagoniques. Impossible. Personne ne devait les voir, et encore moins les découvrir. Comment allaient-ils réagir ? C’était certain, ils allaient le laisser crever sur le bitume sans jamais se retourner.
  Dans une tentative inespérée de se dégager, il ne put que grogner mollement avant que ne se révèle, à la clarté de la lune, le symbole ultime de sa condition.




MOTS : 832 || Cole - #000033
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Lun 16 Mai 2016, 22:09

   Tu trouveras rien là-bas… Quoi, là-bas ? Quoi, rien ? Qu’est-ce qu’il y avait à trouver, dans une auberge, si ce n’était un lit ? A moins qu’il y eut des auberges sans lit ? Shams n’en avait encore jamais vu. Ce devait être… fascinant. En fait, si Cole n’avait rien dit d’autre, s’il n’avait pas noté le ton alarmé dans sa voix, il aurait continué son chemin en méditant sur ce sujet pour le moins incroyable, dans son esprit à moitié enfumé par l’alcool. Il aurait peut-être même été déçu de découvrir que toutes les auberges avaient des chambres au moins meublées par un lit.

   Il s’arrêta. Il regarda ses pieds, puis le ciel, où le soleil disparaissait derrière les maisons. Il fixa la ligne bleu pâle violacée, entre la bleu plus foncé de la nuit qui tombait et la fine ligne verte. Elle était étonnante, cette ligne, dans le ciel. Malgré le violet, qui tendait à réchauffer la teinte, elle n’en restait pas moins glacée. Et c’était également de la faute de ce violet. Et de ce bleu pâle. Il écoutait Cole sans vraiment l’écouter, un peu dans le vague. Non, en fait, on pouvait dire qu’il ne l’écoutait pas. Il était plus concentré sur son ton, et sur cette ligne bleue. Il ne regarda par-dessus son épaule que quand il entendit le mot « r’pas ». Il sourit un peu. En fait, il n’avait plus faim. Il ne savait pas à quoi c’était dû, au fait d’avoir bu, à la fatigue ou à quelque chose d’autre. Un peu de tout, probablement.

   Cole était-il réellement un Démon ? Il se posait la question, parce qu’il le trouvait étonnement gentil, pour quelqu’un de tel. Il ne le craignait même pas.

   Il se retourna, sûrement dans l’optique de lui apporter son aide. En fait, il n’avait pas trop songé à ses supplications. Ses yeux se posèrent sur les deux hommes. Cole défaisait son ami d’une couche de vêtements. Son sourire se dissipa lentement. Il fit quelques pas en leur direction. Voyait-il correctement ? Non, c’était l’alcool, il était bourré… Il s’approcha encore, jusqu’à avoir Mihael à ses pieds. Il le fixa de longues secondes en silence. Il était… Sa tête s’était vidée d’un coup. Elle se re-remplissait doucement, et remettait ses idées dans l’ordre.

   -Tu-n’es-qu’un-vulgaire-Démon-qui-ne-s’assume-pas, Shams… Répéta-t-il à voix basse.

   Le silence se réinstalla. Un court instant. Il semblait en pleine réflexion.

   -Tu-n’es-qu’un-vulgaire-Démon-qui-ne-s’assume-pas… Il séparait chaque mots les uns des autres, pesait leur sens, leur sonorité.

   Il serra les poings.

   -C’est toi qui dis ça, hein.

   Sa voix tremblait un peu. Sa respiration se fit plus forte. Il attrapa le Réprouvé par le col. Sa force s’était comme décuplée.

   -C’EST TOI QUI DIS CA ?

   -Oh, calme…

   -TA G*EULE !

   Shams ventilait. Il avait subitement trop chaud. Il était furieux, il vociférait à en montrer les dents.

   -C’EST QUI, QUI ASSUME, LA ? HEIN ?

   Il approcha son visage du sien – comme s’il n’était pas assez près.

   -Tu noies ta nature dans l’alcool, siffla-t-il, tu te noies dans l’alcool et tu te permets tout, c’est ça ? Tu crois que ça va arranger tes problèmes ? MAIS REPONDS, BORDEL !

   Il le secoua, puis arma son poing.

   -Ca suffit, arrête ! Il est d’jà assez mal comme ça !

   Cole le prit par les bras et le tira avec lui, en arrière. Shams se débattit.

   -Lâche-moi ! LÂCHE-MOI !

   Il parvînt à dégager un bras et saisit de nouveau Mihael.

   -Tu crois que c’est en te prenant pour un autre, que tu vas réussir ta vie ? Tu crois que c’est en nous humiliant, que tu seras quelqu’un d’autre ? Le Démon se déchaînait en lui comme un fauve affamé. REPONDS ! DIS-MOI QUE TU ASSUMES PAS ! Qu’est-ce que tu fous là, alors, hein ? HEIN ? QU’EST-CE QUE TU FOUS DANS CETTE VILLE, REMPLIE DE CES FILS DE P*TES QUE NOUS SOMMES ? QU’EST-CE QUE TU FOUS DANS CETTE VILLE, QUI TE FOUS LA GERBE ? MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS ? POURQUOI TU RESTES LA ? POURQUOI TU T’ES PAS ENCORE BUTTE ?

   Cette dernière phrase, on aurait pu la lui poser, à lui aussi. Mais il n’était plus en mesure de réfléchir. Cole l’éloigna de nouveau. Shams hurlait. Son visage cramoisi était trempé de larmes. Il avait déployé ses ailes pour se dégager de l’étreinte du Démon, en vain. Alors, il s’attaqua à lui. Il l’attrapa par la gorge. Ses ongles se plantèrent dans sa chair. Pour toute réponse, il reçut un coup de poing dans le ventre. Le souffle coupé, la tête qui lui tournait. Il tenait bon et gardait son emprise. Mais le deuxième coup fut décisif. Il eut un haut-le-cœur. Ses muscles lâchèrent. Ses paupières se fermèrent malgré lui.


   -Désolé, gamin, mais tu me laisses pas le choix…

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Mar 17 Mai 2016, 04:27


  Comme prévu, la nouvelle arriva dans un grand fracas. A la vue de son acolyte, Cole se raidit en écarquillant les yeux. Le Réprouvé ouvrit l’œil gauche, difficilement, tirant sur les traits de son visage pour tenter d’esquisser un léger sourire. « Étonné ? » semblait-il dire. Mais le Démon ne réagit pas.
  A contrario, la réaction de Shams fut beaucoup plus violente que celle imaginée par Mihael. Après un effort surhumain, et alors qu’il venait tout juste de reprendre un semblant de contrôle sur son corps, le garçon s’était jeté sur lui.
  Il lui attrapa le col, lui coupant par la même le souffle qu’il avait tenté de reprendre quelques secondes auparavant. Shams hurlait, rapprochant son visage du sien dangereusement, sa voix résonnant à présent bruyamment dans les moindres recoins de son crâne. Deux voix lui suffisaient déjà à l’intérieur de sa tête. Et ce bruit supplémentaire commençait à lui être proprement insupportable. Mais il l’avait mérité. De fait, il ne trouva rien d’autre à redire, si ce n’est :

« Sois pas… si… lourd… mor-…veux… » expira-t-il péniblement, se voulant toujours aussi taquin que d’habitude.

  Et dans un élan inexpliqué, Mihael lui saisit le menton entre le pouce et l’index de manière suffisamment ferme pour l’arrêter un moment. Il avait ouvert ses deux yeux, à présent éteints, et contemplait Shams de si près qu’il en eut à nouveau le souffle coupé.
  Le Réprouvé sentit son corps se faire secouer brutalement, juste avant que Shams n’arme son poing droit sur son visage. Un autre coup du genre et il sentait bien qu’il allait certainement y passer.
  Cole s’était interposé à son tour, tentant de maîtriser la rage soudaine qui s’était éprise du corps du jeune garçon. De nouveau à terre, Mihael inspira longuement avant de se relever légèrement et tant bien que mal.
  Le Démon venait de frapper Shams qui, lui-même, menaçait de tomber à son tour après les coups qu’on venait de lui porter.

« Trop… de… questions… » suffoqua Mihael sans achever sa phrase.

  Il cracha de nouveau par terre, maquillant le bitume de ce liquide épais, rouge et brûlant comme l’intérieur de son corps. D’un revers de main, il essuya la commissure de ses lèvres où perlaient encore quelques gouttes de sang.

« Tu poses… trop… de questions… » finit-il par dire après un moment.

« Eh ben r’gardez moi ça… Regardez-vous bien. Vous faites une belle brochette d’abrutis, tiens. »

  Cole s’était appuyé contre le muret à son tour. Il venait de sortir une cigarette de son étui et s’apprêtait à l’allumer, restant malgré tout dans l'expectative, au cas où Shams réitérerait son assaut.
  Mihael se retourna sur le dos et inspira l’air frais qui vint chatouiller ses narines. Quelques instants passèrent tandis que sa respiration reprenait son cours habituel. Il se perdit un court moment dans la contemplation du ciel, des étoiles, et de ce monde céleste où une partie de lui appartenait bel et bien. Il pensa finalement à Helena et en eut les larmes aux yeux, sans pour autant être démonstratif.

« Bon. Relève-toi, et barrons-nous d’ici. Si vous voulez vous battre, faites ça ailleurs. Même les plus grands champions ont b’soin d’faire une petite pause ! »

  Ces mots dits, il eut un petit rire et jeta sa cigarette inachevée au loin.

« Shams… » commença Mihael, toujours allongé par terre. « Je dois… m’excuser… »

« Bah alors, princesse, quels progrès tu fais ! »

  Le Réprouvé, qui avait un peu repris ses esprits, se releva, titubant un peu lorsqu’il fut mis sur pieds. Il ferma les poings l’un après l’autre afin de remettre son corps en marche. Les effets de l’alcool ne s’étant pas encore tout à fait dissipés, la douleur des coups récents n’était pas encore portée à son apogée, mais déjà, elle commençait à se faire ressentir. Ce serait dans quelques heures que son corps s’en rendrait pleinement compte.

« Néanmoins… »

  Il décocha un coup de poing au jeune garçon avant de poursuivre, de nouveau titubant :

« Je rends… toujours… les coups que l’on me donne* » acheva-t-il.

  Cole s’était précipité entre eux, alarmé de nouveau, sur le qui-vive.

« C’est pas vrai ! T’es quand même pas sérieux, imbécile ! »

« Ça va, Cole… Je lui ai pas… abîmé… sa petite gueule… d’ange… »

  Mihael ramassa ses affaires et remit sa cape de manière un peu laborieuse. Il se doutait bien que Shams n'allait pas réussir à passer l'éponge d'un coup d'un seul –ce qui, somme toute, était parfaitement compréhensible–, et il savait bien que ce dernier le méprisait au plus haut point. Mais parfois, déposer les armes un temps, après avoir joué les plus beaux atouts de sa manche, était probablement la meilleure façon d'avancer. Et si les hostilités devaient reprendre, ce serait en connaissant l'identité réelle de l'adversaire qu'on avait face à soi, le masque, dorénavant à terre.
  C'est ainsi qu'il murmura :

« J’ai faim… Allons trouver un endroit ouvert… Et je répondrais à toutes tes questions… Ensuite, quand j’aurais repris des forces… tu pourras continuer… à me défoncer la figure… »

  Il esquissa un petit sourire à l’égard de Shams, qui, sans nul doute, devait encore être passablement énervé.

« Te fais pas désirer… Sinon, je serai encore obligé… de te provoquer… »

  Mihael réitéra son sourire, à présent plus sincère. Il était métamorphosé, et malgré sa dégaine ensanglantée, sale et désordonnée, l’Ange intérieur avait réussi à reprendre ses quartiers.




MOTS : 901 || Cole - #000033
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Jeu 19 Mai 2016, 22:24

   Shams tomba à genoux, haletant. Il bascula en avant. Ses mains se plaquèrent contre le sol pour éviter que sa tête ne s’y fracasse. Elle s’y écrasa tout de même. Le froid du dallage traversa son corps comme un éclair. Sa mâchoire se crispa. Il prit une violente inspiration. Il toussa. Il n’arrivait pas à se calmer. Pourtant, ce n’était pas la volonté qui manquait. De nouvelles larmes montèrent à ses yeux. Un nœud se forma dans sa gorge. Il ne devait pas pleurer… Surtout pas devant eux. Il se redressa, doucement, tandis qu’il reprenait le plein contrôle de ses bras. Il se mit à genoux. Un choc dans la mâchoire rendit inutile tous ses efforts. Il lâcha un râle. Son crâne cogna la pierre.


   Migraine. L’impression que sa tête était compressée, mais qu’elle allait exploser. Du sang coulait de son nez. La moitié de son visage était brûlante et douloureuse. Il ouvrit péniblement les yeux, regarda autour de lui. Cole. Mihael. Et lui, tout en bas. Ils étaient devenus drôlement grands. Il ne se souvenait pas…

   Vomir. Il avait envie de vomir. Vomir ses tripes, se vider entièrement, se purger de ce mal de crâne, de ce poids en trop qu’il portait. Tremblant, il rampa vers le muret. Il retrouva petit-à-petit l’usage de ses jambes. Il se hissa, passa la moitié de son corps de l’autre côté de l’obstacle. La bile était insupportable. Son ventre se contractait. Mais rien, ou pas grand-chose ne sortait. Il crachait. Il gémit.

   -J’ai pas envie de te casser la gueule…

   Il ne voulait pas se battre. Il n’était pas fait pour ça. Il détestait ça. Et par ce simple fait, il perdait tout le temps.

   -Et je me fais désirer… si… je veux…

   Il ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’il disait. Il était dans une phase émotionnelle de transition, où son Ange reprenait, ou faisait ce qu’il pouvait pour reprendre le contrôle de son cerveau. Il revenait à la case départ. Bourré. Mihael aussi, avait repris du poil de la bête. Shams se releva. Il vacillait. Il s’agrippa à l’épaule de Cole.

   -La ferme… Il était un peu en retard sur les évènements. Son esprit était pire qu’un grenier abandonné et en bordel, dans lequel deux trolls bruyants pensaient être les rois du cache-cache et du rangement. T’es qu’une enflure…

   -Bon, vous avez fini, ou vous attendez demain matin pour trouver une auberge ? Tu peux marcher, gamin ?

   Shams posa une main sur son front. La migraine ne passait pas, et il avait toujours envie de vomir.

   -J’veux dormir… J’ai faim et j’ai froid…

   Ca ne répondait pas du tout à sa question.

   -Ma parole, j’pensais pas que ça serait possible, mais t’es plus bourré que moi…

   -Oui… Non ! J’suis pas… j’ai faim, j’ai froid… fatigué…

   -Tu viens d’le dire. Allez, on y va.

   Le Démon fit quelques pas avec lui, le temps qu’il prenne le rythme. Le Réprouvé relâcha son étreinte de lui-même. A peine eut-il levé le bras qu’il s’écroula comme un pantin. Il gronda. Il s’était fait mal… Cole soupira. Il le prit par les épaules, le souleva et le passa par-dessus la sienne.

   -T’avise pas à faire l’même coup, princesse, j’pourrai pas vous porter tous les deux.

   -J’ai froid…

   Il se serait endormi s’il n’avait pas été aussi malade. Le ballotement le rendait encore pire…

   -Lâche-moi…

   -Tu vas t’casser la gueule, gamin.

   Shams prit appui sur le dos de l’affranchi. Il espérait pouvoir lui glisser des bras, comme un savon.

   -Non, lâche-moi !

   Il fit des mouvements amples avec ses ailes. Cole dû céder. Le Réprouvé se laissa tomber par terre.

   -Alors lève-toi. Il soupira. Vous savez quoi ? Vous commencez à m’soûler.

   En les laissant là, il se dit qu’il pourrait rapidement trouver une auberge et aller les chercher après. Mais ces deux-là ne faisaient pas bon ménage, et ils risquaient fort de s’entre-tuer durant son absence.

   -C’est bon…

   Shams jeta un regard dédaigneux à Mihael, puis entreprit son ascension sur ses jambes. L’orgueil revenait le piquer. Il n’allait pas lui donner un nouveau prétexte pour l’insulter. Ultime concentration pour marcher droit, sans faillir. De sa main, il essuya le sang qui avait coulé sur son visage. Il s’arrêta quelques secondes sur la tache rouge qu’il laissa sur sa chemise. Un hématome commençait à se former sur sa joue.

   -T’es qu’un c*nnard…


   Impossible de retrouver un état stable. Il était dans une sorte de bulle, pas tout à fait dans la réalité. Ce n’était pas sa bulle, celle dans laquelle il aimait aller. Celle-ci était très différente. Ses parois le séparaient bel et bien du reste du monde, mais pas entièrement non-plus, tout était fait à moitié. Il entendait à moitié, il voyait à moitié, il sentait à moitié. Seules choses qu’il n’avait pas à moitié, parce que c’était toujours plus agréable, son envie de rendre et sa potentielle explosion-implosion crânienne. Il suivait Cole du mieux qu’il pouvait, tiraillé par la douleur. De temps en temps, de nouvelles apparaissaient, ou d’autres s’atténuaient sans trop qu’il sache pourquoi. Ils traversèrent plusieurs rues. Enfin, ils parvinrent devant un bâtiment qui ressemblait à ce qu’ils cherchaient. En entrant, Shams s’assit lourdement sur la première banquette libre qu’il vit et posa sa tête dans ses bras. La chaleur ambiante lui faisait du bien, beaucoup de bien. Mais quel bruit…

~892 mots~ 
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Ven 27 Mai 2016, 01:56


  Les trois compères s’étaient mis en quête d’une nouvelle taverne, et tandis que Shams et Cole tentaient d’avoir un semblant de dialogue, Mihael s’était détaché du groupe afin d’en prendre les rênes. Marchant calmement, les sens brouillés par le résultat de ce début de soirée, il écoutait derrière lui, et d’une oreille fort distraite, leurs quelques mots échangés sans logique aucune.
  Tout l’intérieur de son crâne était comprimé sous l’effet saisissant du breuvage. Le goût du sang dans sa bouche le répugnait tout en le fascinant.
  Avancer, toujours. Laisser nos pas mener la danse, refuser ce pénible et long tourment, tango d’agonie. Ne penser qu’à partir d’un point A pour rejoindre un point B.

« Eh princesse, tourne à la prochaine ruelle, je crois qu’il y a une auberge de c’côté-là ! » lança Cole au Réprouvé.

  Ce dernier obéit, bifurquant à la manière d’un pantin, de l’autre côté de la rue. Plus loin, il vit une lumière diffuse se refléter dans l’eau sur les pavés. Il attendit patiemment que Shams et Cole le rejoignent, en proie à une fatigue qui venait soudainement de s’abattre sur lui.

« Aller, entrons, bande de mauviettes »

  A l’intérieur, plusieurs personnes étaient attablées dans les moindres recoins de la grande pièce. « Pas mal de monde, pas mal de bruit. Des gens pouilleux, des gens sapés. Des filles jolies* ».
Ils s’installèrent sans bruit.
  Cole soupira. Il était visiblement ravi de voir son calvaire s’achever enfin. Et tandis qu’il faisait signe au patron, Shams avait enfoui sa tête entre ses bras.

« Retour à ta position initiale, à ce que je vois… » murmura Mihael, incapable de formuler sa phrase autrement.

  Ses paupières commençaient à frétiller devant ses prunelles, et rapidement, une chaleur étrange le saisit. A présent assis à côté de Shams et sans crier gare, il laissa reposer sa tête contre l’épaule de garçon. Le bruit alentour l’avait apaisé, car il n’y avait que dans le bourdonnement incessant de l’extérieur que ses propres voix semblaient se taire un peu. Dans la rue, elles avaient repris leur place, le laissant à bout de souffle, à bout de nerfs, à bout de tout.
  Cole était revenu avec un plateau chargé de victuailles et de trois grands verres de bière.

« Alors, on a fait la paix ? » Il s’assit, posant les verres et les assiettes en face des deux Réprouvés. « Mangez. Après les coups qu’vous vous êtes donnés, ‘faut reprendre des forces. »

  Mais Mihael était dans l’incapacité de bouger, ne serait-ce que le petit doigt. Il n’était ni tout à fait lui-même, ni tout à fait un autre. Comme si son corps l’avait quitté. Ou que son âme damnée s’était évaporée pour laisser place à un maelström d’émotions, trop lourdes à porter.
  Il bougea un peu la tête et plongea son nez dans les plis de la chemise de Shams.

« Mmh… Tu sens bon… »

  Il ne comprenait rien à ce qu’il disait. Les mots venaient se heurter contre la barrière de ses lèvres, et ressortaient de manière étrange, sa voix étant légèrement enrouée.

« On m’avait dit qu’les Réprouvés étaient parfois légèrement bipolaires, mais là, on en franchit de belles ! » fit Cole en croquant dans un morceau de pain.

« Eh Cole ! »

  Un homme venait de s’avancer en tapotant l’épaule du Démon.

« Dave ! Qu’est-ce que tu fous là ? » répondit Cole en souriant bêtement. Il avait l’air content de se dépatouiller des chaînes qu’on lui avait imposé, heureux de pouvoir convier quelqu’un d’autre au spectacle ahurissant qu’il vivait depuis des heures. « Je te présente des amis ? Bon, ils sont pas au top de leur forme, comme tu peux l’voir, mais c’est des gars plutôt sympas, au fond. »

  On sentait bien que ces mots lui avaient écorché les lèvres. Et quand il les regarda tous les deux avachis devant lui, il ne put s’empêcher d’étouffer un petit rire.

« On tient pas l’alcool messieurs ? Bah, reposez-vous donc. Ce soir c’est ma tournée, tu restes ? On va commencer un jeu dans un petit quart d’heure, ça va être un mouvement général, ce serait sympa si vous restiez. T’en dis quoi ? »

« Va pour le jeu, j’avais oublié qu’on faisait des soirées à thèmes par ici. Fallait que j'rentre, mais tu m’as convaincu. Tu m’connais, les jeux, l’alcool, les femmes… Je suis toujours partant ! En r’vanche, je sais pas bien si les deux autres vont pouvoir assumer. »

  Leur deux regards se tournèrent vers les deux Réprouvés.
  Mihael redressa la tête, les yeux un peu fermés. Il renifla légèrement :

« Moi, j’suis partant, Cole… Salut, Dave… J’veux jouer, moi aussi… »

  Le Réprouvé était un peu mal en point, et il semblait à présent avoir revêtu l’attitude bon enfant que lui avait réservé Cole depuis qu’ils se connaissaient.

« Dans un quart d’heure, hein ? Parfait… ! J’vais boire… pour me r’mettre sur pieds... »

Dave éclata de rire.

« C’est agréable, les bons vivants comme vous ! Tu viens Cole ? Je vais te présenter. En attendant, remettez-vous de votre cuite d’hier soir » Il leur fit un clin d’œil. « On vous laisse »

« Vous étripez pas les belles, j’reviens ! »

  Et il partit en compagnie de Dave, en direction d’une table, pleine de ses amis à lui. Mihael inspira longuement en clignant des yeux. La table chargée de victuailles venait de lui faire les yeux doux. Il sourit légèrement et saisit le grand verre afin de le porter à ses lèvres.




MOTS : 884 || Cole -  #000033
Dave - #006666


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Désinhibez-les ! — ft. SHAMS || DJINSHEE

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