Aaliah avait décidé de s'arrêter pour la nuit dans une auberge perdu dans un chemin tout aussi perdu. L'Ombre n'avait pas réellement sommeil, elle n'avait d'ailleurs jamais besoin de dormir, même s'il lui arrivait de s'étendre sur un lit et fermer les yeux pour y faire croire. En fait, l'arrêter nourriture et dodo, c'était surtout pour ceux qui l'accompagnait. Les dragons étaient résistants, mais encore jeune et souvent affamé. Sa fillette ne disait rien, mais l'Ombre devinait aisément sa fatigue naissante. Elle due payer un supplément pour loger ses dragons dans la taverne, mais la menace d'une mort précoce lui permis toutefois de faire dormir Loth et Leonith dans une chambre et non dans la grange mitoyenne. Les modalités réglées, l'Ombre monta dans sa chambre suivit de sa petite troupe qui avait tendance à se faire encombrant dans des espaces étroits. Aaliah avait fini par s'habituer à la présence de tout ce petit monde dans son sillon, mais cela commençait à lui coûter cher en alimentation. Les dragons mangeaient énormément, sa louve tout autant, Lisseth était la moins gourmande de tous, mais rééquilibraient les dépenses en vêtements. Et l'Ombre ne pouvait pas se permettre d'emporter l'âme des commerçants pour tenter des économies. Cela ferait mauvais genre et puis, elle menaçait plus qu'elle n’exécutait réellement ses paroles.

Ce ne fut que lorsque toute sa petite famille fut endormie qu'elle se permit de se dégourdir les jambes en allant observer les gens de passages qui se contentait de boire ou de jouer entre amis. Elle les regarda d'un air absent tout en se rapprochant d'un mur couvert d'annonce diverse. Des parchemins ci et là, parfois calligraphié d'une plume maîtrise pour demande de l'aide dans un travail ou dans la recherche d'un animal perdu. Dans le tas, il y avait même une annonce de recherche pour un dangereux criminel où sa description lui rappela un individu.. Mort noyé à cause d'une barque percée. L'Ombre s'était interrogée sur les raisons qui avait poussé le malheureux à se précipiter à bord sans vérifier l'étanchéité de la vieille barquette qui avait déjà une apparence peu enclin à la confiance aveugle. Elle avait désormais peut-être un début de réponse. Son regard fut intrigué par un parchemin portant le symbole reconnaissable de Draguial. Aaliah attrapa l'offre et l'étudia plus attentivement. Le domaine Draguial recherchait des gens pour travailler et offrait plusieurs possibilité. L'Ombre avait déjà eu l’occasion de visiter ce lieu, qui n'avait pas déplu à sa fille pour la beauté féerique du paysage.

Toute la nuit, la jeune femme avait ressassé l'offre, hésitant à s'y présenter. Travailler à proximité de dragons, pourquoi pas? Après tout, elle préférait la compagnie des animaux plutôt que les Hommes. Elle avait fait des progrès en dialogue, mais sa nature d'Ombre ne permettait pas non plus des liens amitiés très confiant. Etre gardienne d'un domaine de la mort, c'était plutôt complexe pour se faire des amis hors du peuple des Ombres, ce qui ne la dérangeait toutefois pas vraiment. Aussi, quelle serait la réaction de la propriétaire des lieux en voyant une Ombre proposer ses services? Celle-ci risquerait de penser qu'elle ferait fuir les amateurs de dragons. Elle soupira un instant et ce fut le visage endormi de sa fille qui lui fit prendre sa décision. Avoir une activité autre que la mort, cela pouvait la changer du quotidien. Lisseth méritait bien de voir sa mère faire autre chose. Bien sûr l'élémental n'avait jamais reprocher ses activités à l'Ombre, mais elle n'était pas sûr que d'assister à tant de fin tragique fût très sain pour la petite.

Pourtant, lorsqu'elle se retrouva face à l'impression grille du domaine, l'Ombre ne put s'empêcher de faire un mouvement de recul. Elle avait délaissé son long capuchon noir pour éviter de paraître trop effrayant, mais ses longs cheveux noirs et sa visage découvert la mettait quelque peu mal à l'aise. L'Ombre avait l'impression que son aura était d'autant plus visible et qu'il provoquerait directement son échec face à l'engagement. La main de sa fillette qui tirait le bout de sa robe pour l'inviter à regarder dans le ciel les dragons lui donnait toutefois la force d'avancer. D'une main, elle récupéra un exemplaire de l'offre que le tavernier lui avait confié et lu une dernière fois les lignes comme pour se confirmer que c'était une mauvaise idée.

« Vous restez près de moi vous deux! lança-t-elle à ses dragons qui étaient déjà prêt à courir partout. Et vous restez sage » insista-t-ele d'une voix ferme, sachant qu'ils aimaient jouer au chat et à la souris.

Elle devait bien souvent les remettre à leur place, le dragon naturel aimant surprendre la dragonne pour lui faire une léchouille tandis que cette dernière avait tendance à s'électrifier pour un rien. Elle regarda à tour de rôle et sembla satisfaite. Elle était parvenu à maîtriser le son de sa voix pour se faire obéir des garnements écailles. Son astuce étant d'user également de son contrôle des émotions pour les rendre beaucoup plus obéissant à ses propos. Cela ne marchait pas toujours, mais elle était parvenu à les rendre assez heureux pour qu'ils ne satisfassent de cette sensation de béatitude et ne voulussent s'en défaire dans l'immédiat en cherchant ailleurs de l’amusement. Lorsqu'elle détourna les yeux de ses dragons, elle vit que sa fille admirait déjà les jeunes dragons. L'Ombre posa une main sur son épaule et regarda avec elle le spectacle. Au moins, n'avait-elle déjà pas fait le chemin pour rien, sa fille était ravie d'avoir pu revoir le domaine de Draguial et ses magnifiques créatures.

Depuis qu'Alyska a accouché, son énergie vitale a fortement diminuée. Il fallait absolument qu'elle se repose, de plus elle ne mangeait pas beaucoup. Si elle continue comme cela, elle n'aura plus aucune force ! J'avais peur pour elle, même si je ne le montrais pas extérieurement. Cependant, je lui avais promit que je veillerai sur Draguial et les dragons de l'élevage. Lorsque je me baladais tranquillement dans Draguial, je m'apercevais qu'il avait énormément changé. Il avait changé dans le bon sens du terme ! Il s'était tellement agrandi et j'avais même vu sur un parchemin officiel de Draguial, qu'il y avait des offres d'emploi. J'avais eu raison de former et de léguer ce lieu si particulier à la récente Esprit Élémentaire de la Foudre. Tellement de chose se sont passées et transformées depuis que je me suis suicidée. D'ailleurs, depuis ce jour là, je n'ai plus aucune notion du temps. Je n'avais ni besoin de manger, ni véritable besoin de dormir. La seule chose, c'est que je m'habillais très souvent en noir. Comme aujourd'hui, je m'étais vêtue d'une longue jupe noire avec un simple tissu noir autour de ma poitrine. La noirceur de ma longue chevelure n'arrangeait pas les choses, ni le gris foncé de mes lèvres. Mes yeux, de couleur grise claire, apportaient un peu de lumière sur mon apparence funeste.

Dans la plus haute tour du château, se dresser la bibliothèque. De là haut je pus voir une petite troupe constituée de deux personnes et de deux dragons. Elle arrivait en direction de l'immense domaine. Je pris l'apparence d'une brume sombre, puis je me déplaçais ainsi jusqu'en bas. Je repris ma forme normale seulement lorsque je fus devant la grande porte en bois massif et en fer forgé. J'ouvris délicatement la porte, de loin je ne la reconnu pas tout de suite, mais au fur et à mesure que j'avançais je m'aperçus que c'était l'Ombre qui m'avait poussée à me suicider. Je ne réagissais pas la moindre fois extérieurement. Je m'avançais comme si de rien n'était, je me disais que j'allais l'accueillir comme une invitée normale. « Bonjour et Bienvenue à Draguial. Je suis Luane Mirsaälak, je suis chargée de veiller sur Draguial durant l'absence de la maîtresse des lieux.  Je leur souriais avant de leur dire. « Vous venez pour un emploi ? Suivez moi je vous pris. » J'avais vu le parchemin officiel proposant des emplois à Draguial, je l'avais vu dans sa main. Je leur fis signe de me suivre. Je les emmenais dans le grand salon. Je vis Sierra, l'elfe, nous amener un grand plateau avec diverses sortes de boissons et de gâteaux en tout genre. « Je vous en pris, faite comme chez vous ! » Je leur indiquais le plateau avant de me servir un petit whisky pur. J'en bu une petite gorgée avant de prendre une nouvelle fois la parole. « Donc vous êtes là pour un métier. Quel métier aimeriez-vous exercer ? »

L’Ombre admirait le vol des dragons en oubliant son but premier lorsqu’une silhouette s’approcha d’elle. Elle soupira un instant pour ne pas perdre son courage de rester là. Sa nature d’Ombre indisposait bien souvent les gens qui pensaient toujours que sa présence signifiait une mort imminente. Ce n’était pas faux dans certains cas, mais il arrivait de plus en plus souvent que la jeune femme se mêle à la plèbe des Terres du Yin et du Yang juste pour tenter de communiquer et d’agrandir son cercle de connaissance bien maigrichon. Une entreprise dans laquelle elle échouait bien souvent. La communication et la création de lien, ce n’était franchement pas son domaine… Les seules personnes avaient qui elle parvenait à discuter aimablement restaient les vieillards sur le lit de mort qui l’accueillait à bras ouvert, ravi de sa présence. Avoir une activité sociale autre que la mort lui ferait peut-être du bien. Enfin principalement à sa besace et à son unique fille. Elle n’était pas sûre qu’il fût très sain pour la petite élémentale d’avoir comme unique référence : maman tue les gens. Et puis, le domaine étant la propriété d’une élémentale, cela ne pourrait que lui permet de connaître un peu mieux la race de ses origines. Ce n’était pas le plus mauvaise de ses choix dans son longue vie d’Ombre et hasarda un sourire à la nouvelle venue pour paraître poli, mais il se perdit aussitôt dans un froncement de sourcil.

La jeune femme qui venait de l’accueillir était elle aussi une Ombre ! Cela aurait dû la rassurer, elle ne serait pas la seule Ombre à travailler dans le domaine, mais son physique était troublant. Sa longue chevelure sombre, son allure funeste… Elle lui ressemblait d’une certaine manière et pouvait même être une sœur. En se suicidant, Aaliah avait laissé derrière elle une famille éplorée. Des parents, des frères et des sœurs. Elle avait bien sûr, depuis le temps, construit deux familles de substitution en se hissant sur les plus hautes marches de la hiérarchie des Ombres et en acceptant l’amitié de dragons et l’amour d’une fillette. Cependant, plus troublant encore, le visage lui était un peu trop familier. Aaliah la connaissait, elle en était certaine et ce fut lorsque la jeune femme se présenta qu’elle comprit alors son trouble profond. Ce prénom ne lui était pas inconnu et il ne lui fallut guère longtemps pour se rappeler où elle l’avait déjà lu. C’était il y a longtemps, sur un morceau de parchemin. La liste funeste d’un grand faucheur. La jeune femme s’était appliquée à poser ses faibles êtres au suicide pour rejoindre le monde damné des Ombres. Elle n’avait eu à l’époque aucune réelle compassion pour ses âmes car la douleur de son nouveau statut l’aveuglait. La souffrance vécue la poussait à faire connaître aux autres cette même errance, cette même erreur fatale. Le temps passant, elle avait abandonné son funeste rôle pour devenir celle qui listait les futurs suicides, puis celle qui gérait le large domaine des morts naturels. Elle avait depuis compris l’importance du suicide pour agrandir la famille des Ombres et de temps en temps, quand nul ne le voyait pas, elle regardait par-delà l’horizon et se demandait ce que devenait ceux qu’elle avait emporté dans le royaume des Ombres. Elle n’avait jamais vraiment osé se présenter à eux, ignorant la réaction que ces derniers pourraient avoir à son égard. Après tout, qu’aurait-elle fait si elle avait un jour croisé le regard de celle qui l’avait posait au suicide ? Elle l’aurait probablement haïe en lui demandant pourquoi. C’était à une époque la principale question qu’elle se posait sans cesse.

Ne sachant que dire et laissée perplexe par le sourire de l’Ombre, Aaliah la suivit juste à un grand salon, plus propice à la discussion. La jeune femme ignorait si Luane était au courant de son identité et elle se sentait étrangement mal à l’aise. Il n’y avait pas que le fait qu’elle fût à l’origine de sa mort, mais également cette ressemblance qui lui donnait presque envie de l’appeler sœur. Aaliah posa le regard sur le plateau fraîchement apporté pour éviter de devoir poser les yeux plus longuement sur la jeune Luane. Elle était pourtant habituée à dévisager les gens et son rang de gardien du sceau aurait dû lui permettre de se sentir plus sereine. La jeune femme la questionna sur le métier qu’elle désirait exercer au sein du domaine Draguial, obligeant ainsi Aaliah à ouvrir la bouche. Elle redressa la tête, mais ne put parler de suite. Elle avait dans la gorge comme une étrange boule gênante qui n'était pas la faute du biscuit grignoter à la hâte pour éviter d'avoir à parler trop vite et pour paraître polie en consommant la nourriture apportée puisqu'elle n'avait pas réellement  besoin de se sustenter pour vivre. Elle s'accorda quelque instant pour contempler l'Ombre qui lui faisait face et ne cessait de la troubler. Luane lui paraissait faible, comme si elle n’avait jamais cherché à évoluer au sein de la grande famille des Ombres, comme si elle n’avait pas trouvé sa voie ou un but à suivre. Il faut dire qu’Aaliah aussi avait eu du mal à trouver un chemin et celui qu’elle avait fini par emprunter n’avait pas été des plus plaisir. Elle avait sombré dans une profonde tristesse qui l’avait posait à haïr la majorité des gens et à poursuivre le meurtrier de celui qui aurait dû être son mari. Les blessures de son cœur meurtri n’étaient pas entièrement apaisées, mais au mois, elle était parvenue à vivre plus sereinement avec ses cicatrices. Aussi, la question qui lui trottait dans la tête, c’était de savoir si Luane vivait plutôt bien sa nature d’Ombre. Elle n’avait pas l’air profondément triste, mais Aaliah savait que les Ombres n’étaient jamais complètement heureuses. Cependant, elle ne pouvait décemment pas l’interroger sur sa vie. Elle croisa le regard interrogateur de sa fille et l’Ombre se rappela qu’on l’avait questionné.

« Ah oui, le métier… dit-elle pour briser le silence. Euh… (Elle regarda rapidement le parchemin froissé pour retrouver la ligne qui l’avait intéressée), là… régisseur de dragons, je ne crains pas les dragons et je peux apaiser leur peur ou leur colère afin qu’ils puissent vivre en harmonie au sein de Draguial, puis parce que la question lui démangeait le bout des lèvres, elle rajouta sans préambule : Luane, savez-vous qui je suis ? »

Elle évita toutefois de préciser : outre la gardienne du sceau de la nature, préférant rester vague dans sa demande. Cependant, à peine entendit-elle sa question raisonner dans le salon qu’elle réalisa que ce n’était peut-être une bonne idée. Elle ne pouvait guère revenir en arrière et lui dire d’oublier sa question. Elle attendit une réponse tout en prenant un biscuit pour masquer ses doigts tremblants, mais celui-ci se brisa en deux sous la pression. Aussi, elle distribua les moitiés à ses dragons pour les félicités de leur sagesse et pour éviter de montrer trop clairement son angoisse. L'Ombre avait une certaine fierté et elle craignait une réponse cinglante emplie de reproche. Aaliah se connaissait assez pour savoir qu'elle serait capable de s'emporter et de s'offusquer alors que Luane avait tout à fait le droit de la haïr. Pour avoir un métier au sein du domaine, elle n'était plus vraiment en position de force. Et si Luane la mettait dehors? Il lui faudrait alors partir à la recherche d'une autre activité, pourtant elle appréciait la compagnie des dragons. C'était étrange comme son caractère pouvait être changeant. Devant la grille de Draguial, elle hésitait encore à exercer ce métier et maintenant qu'elle se persuadait de le perdre, elle s'attristait déjà de son échec...  

Je fixais toujours l'Ombre qui m'avait poussée à me suicider, mon cœur battait à vive allure. Je ne savais pas du tout pourquoi il réagissait comme cela, mais depuis que je l'avais revu, j'avais sentit un certain lien se créer entre nous, mais je ne savais pas du tout quoi. De plus, elle mettait un certain moment à me répondre. Je sentais son regard insistant sur moi, cela me troublait fortement. Je relevais la tête dès qu'elle éleva sa voix pour parler du métier qu'elle vouait faire, régisseuse de dragons. Un point fort déjà, elle ne craignait pas les dragons et elle pouvait apaiser leur peur ou leur colère. Je pensais vraiment qu'elle pourrait être un fort atout à Draguial ! Mais mon cœur ne fit qu'un bond lorsqu'elle me demanda si je savais qui elle était. Je fermais les yeux en soupirant silencieusement, bizarrement j'attendais cette question. Je n'aurais jamais pu lui en parler, j'avais tant essayer de me faire une raison et de trouver un but dans ma nouvelle vie d'Ombre. Malheureusement, je ne savais pas ce que je devais faire. Je ne comprenais pas pourquoi je suis revenue en tant qu'Ombre sur ces terres. J'avais tellement fait de mal à Alyska, sans compter que je lui en avais également fait en réapparaissant devant elle. Me remémorer tout cela faisait ressortir toutes mes faiblesses d'esprit y comprit physique. Je n'avais plus qu'un pouvoir, j'avais perdue le contact que j'avais eu avec l'Air.

Après un petit moment, je finis par trouver la force de lui répondre « Je me souviens très bien de vous. » J'essayais de respirer calmement afin de ne pas faire paraître mon mal être. « Vous êtes la personne m'ayant dit que le suicide sera mieux vu aux yeux de Markamensis pour qu'il arrête de s'en prendre à Alyska. Mais je vois que cela n'a rien changé, il s'attaque toujours à elle. » Je soufflais une nouvelle fois, je ne savais plus du tout quoi faire. Dans un élan de curiosité afin de continuer sur le sujet de départ, je demandais à l'Ombre. « Quel est votre nom ? Et aussi, j'aimerai connaître vos motivations pour le métier de Régisseur de Dragons. » Je lui souriais gentiment tout en m'amusant, entre guillemets, à prendre en partie une apparence de brume sombre au niveau de mes pieds et par moment, au niveau de mes mains. Je dois avouer que ce pouvoir est pas mal, mais je regrette vraiment de m'être suicidée. J'aurai tant voulu garder mon affinité avec l'air ! Je me sentais bien avec lui, c'était mon compagnon. Peut être qu'un jour je pourrais récupérer le lien que j'avais avec lui, il me suffirait peut être d'aller voir l'Esprit Elémentaire de l'Air pour voir s, malgré mon état actuel, l'Air acceptera de se manifester de nouveau en moi. Mon regard gris clair finit par se reposer sur l'Ombre. Dans un élan de sympathie, je lui annonçais. « Vous pouvez me tutoyer si vous le souhaitez. »

A sa question, l’Ombre ferma les yeux et sembla réfléchir à la réponse à lui fournir. Aaliah sut dès cet instant que la jeune femme savait très bien qui elle était. Ce qu’elle ignorait en revanche, c’était la nature des premiers qui seraient capables de franchir ses lèvres. La gardienne craignait de la voir exploser sans prévenir et de lui hurler dessus. Etre une Ombre, c’était avant tout être une âme maudite, condamnée à errer sur le monde sans trouver le repos éternel. Ce n’était guère évident à accepter. Pourtant Luane parvint à lui répondre sur un ton relativement calme qu’elle était l’Ombre qui lui avait susurré l’idée du suicide comme solution et que cela n’avait pas résolu son problème. Une révélation qui n’avait rien d’étonnant, Aaliah n’avait jamais vraiment cherché à l’aider à l’époque. Elle devait provoquer son suicide et avait profité de cette faiblesse de vouloir aider son amie pour la convaincre de jouer jusqu’au bout la mise en scène de sa propre mort. C’était rusé, mais surtout extrêmement mesquin. Lorsqu’elle était qu’une simple Ombre parmi tant d’autre, toute cette histoire ne l’intéressait guère et ne voyait que le résultat final : la venue d’une nouvelle Ombre. Une nouvelle personne condamnée à porter le même fardeau. Elle avait apprécié la facilité avec laquelle elle avait su convaincre la jeune et naïve Luane. Maintenant, se retrouver là, en face à face, après tous ce qu’elle avait vécu pour se hisser au rang de gardienne, elle en était un peu moins fière de cette réussite…

Elle n’avait jamais cherché à retrouver ceux qu’elle avait poussé au suicide, ni même cherché à son tour celle qui l’avait condamnée ; une certaine crainte, probablement, du résultat d’une telle rencontre. Et voilà que le destin s’amusait à lui mettre devant son nez l’une de ses victimes, qui pour une raison déconcertante, lui ressemblait vaguement au point de pouvoir assurer le rôle d’une petite sœur. Aaliah, quelque peu mal à l’aise face à cette situation étonnante, mit un certain temps à recouvrer ses esprits et ce fut sa fille qui lui donna un léger coup de coude au creux des reins qui lui permit d’échapper aux vieux souvenirs. La gardienne dévisagea Lisseth qui lui articula silencieusement le mot « ton prénom » afin qu’elle pût le lire sur ses lèvres sans paraître pour une simple d’esprit qui aurait oublié son identité.

« Je me nomme Aaliah Z’Odra… parvint-elle à prononcer tout en attrapant un biscuit qu’elle tendit à sa fille afin de faire passer son geste pour une demande de nourriture. Quant à mes motivations… »

La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, concentrée et ennuyée. Déjà qu’elle était peu doué pour tenir une conversation, alors vendre ses qualités et motivations… D'ailleurs, pourquoi voulait-elle encore ce métier? Avec Luane en face d'elle, Aaliah devait bien admettre qu'elle éprouvait quelques difficultés à trouver ses mots. D'ordinaire, elle n'aurait rien laissé paraître, froide et distance, comme elle le faisait bien souvent. Cependant, face à la jeune Ombre, la gardienne du sceau ne parvint pas à rester de marbre. Ce qui la déstabilisait, c'était principalement le calme de celui-ci qui lui permettait de la tutoyer et la fragilité qui émanait d'elle. D'une certaine manière, Aaliah était responsable de son état.

« J'ai appris à apprécier la compagnie des dragons et j'aimerais...» l'Ombre hésita sur les mots à mettre sur ses pensées.

Il était difficile pour elle de montrer sa véritable nature et si elle avait eu une autre personne en vis-à-vis, peut-être qu'elle lui aurait fait remarquer sur un ton un peu abrupt que... Que quoi d'ailleurs? Qu'elle était faite pour ce métier et que si quelqu'un d'autre prenait sa place et s'assurait de son trépas prochain? Finalement, c'était peut-être mieux de laisser tomber un peu ses murs de glaces pour se montrer plus aimable. La convivialité du salon et l'intimité restreinte l'aidant à se sentir moins oppressée. Loth posa sa tête sur les genoux de l'Ombre, la frottant contre le tissu sombre pour la rassurer plus encore. Aaliah le remercia d'un grattement d'écaille du bout des doigts avant de reprendre:

« être utile quelque part et travailler avec les dragons à Draguial me plait assez. Je suis déjà venue ici et Leonith que voici (elle présenta d'un geste de la main la jeune dragonne aux écailles sombres) vient également d'ici. Les dragons semblent plutôt m'apprécier et je peux les aider à apprendre à vivre ensemble dans un lieu qui compte de nombreux espèces aussi variée tant par la taille que par le caractère de ses résidents.»

Une question cependant ne cessait de tourner dans la tête de la gardienne qui ne put s'empêcher de dévisager la jeune femme. Son regard s'attarda sur son visage, ses longues mèches sombres qui encadraient ses joues, ses lèvres sombres, son apparence fragile. Elle ne savait pas pourquoi, mais quelque chose lui intimait l'ordre de lui venir en aide. Aaliah ne pouvait de toute façon pas faire comme si elle n'existait pas. Elle était là, l'une de celles qu'elle avait emmené sur le chemin maudit des Ombres. Et Aaliah n'était plus la jeune Ombre qui errait avec une vengeance ancrée au fond du coeur, elle avait appris à voir autrement ce monde qu'elle avait tant haï. C'était peut-être à son tour de guider une Ombre vers le chemin ardu qu'était celui du royaume des Ombres.

« Luane, permettez... permets-moi de paraître curieuse, mais... pourquoi n'as-tu pas chercher à évoluer parmi les Ombres?»  

Bien sûr, à ses débuts, Aaliah n'ont plus n'avait pas vraiment chercher à évoluer parmi ses congénères. Solitaire, elle avait surtout cherché à atteindre un but vain qu'elle n'avait jamais pu réaliser. Cependant, à courir après les réponses, et avait appris bien des choses et trouver d'autre but dans sa vie d'errance, notamment s'occuper d'une bien étrange famille composée d'une élémentale et d'animaux variés. Mais Luane ne semblait pas avoir chercher à suivre son propre chemin et devenir plus forte. La gardienne craignait toutefois la réponse à sa question. A l'époque où celle-ci était vivante, elle avait mis au point un stratège pour qu'un individu cessât d'ennuyer la propriétaire de Draguial. Son suicide n'ayant rien changer, peut-être avait-elle choisir de rester au côté de l'élémental pour l'aider, mais celle-ci avait-elle encore réellement besoin d'une aide si proche?

J'étais perdue, je ne savais pas du tout comment réagir. J'avais peur de faire quelque chose de travers, de ne pas être assez à la hauteur … depuis que je suis devenue une Ombre, je n'arrêtais pas de me remettre en question. Je perdais confiance en moi et je réagissais plutôt instinctivement que de réfléchir. Tout avait changé en moi, seul mon désir de revoir ma très chère sœur Takias animait mon corps. Je n'ai plus qu'une misérable vie maudite à vivre. Je repris mes esprits, seulement quand l'Ombre qui m'avait poussé à me suicider me donna son nom. Je passais ma main nerveusement dans mes cheveux sombres en écoutant les motivations d'Aaliah. Elle disait aimer la compagnie des dragons, je pouvais voir qu'elle en avait deux à ses côtés. L'un deux posa sa grosse tête sur les genoux de sa maîtresse, je pouvais ainsi remarqué qu'ils étaient liés tous les deux. Pour en revenir aux motivations de l'Ombre, elle disait qu'elle voulait être utile quelque part et surtout pouvoir travailler avec les dragons. Elle m'expliqua aussi que son dragon venait du domaine, je voyais souvent des possesseurs de dragons venant de Draguial revenir pour se reposer ici, avoir un métier, donner des nouvelles du ou des dragons. C'était tout simplement fabuleux !

Je lui souriais, heureuse qu'elle m'ait dit tout cela en toute sincérité. Mais je fus gênais lorsqu'elle me détaillait en long, en large et en travers. Je ne savais pas du tout à quoi elle pensait, c'était assez stressant. Je baissais la tête, honte de ce que je suis et ce que j'ai perdue. Je sursautais à moitié lorsqu'elle m'interpellait de nouveau. Elle me demandait pourquoi je n'ai pas cherché à m'élever dans la hiérarchie des Ombres. La tristesse et le désarroi m'envahir, je suis devenue bien plu faible que dans les débuts de ma vie l'élémentale. Quand je me suis suicidée, j'avais perdue ma véritable identité. Je n'étais plus la même, je voyais les choses différemment. J'étais une âme errante et totalement perdue, ne sachant pas où aller. « Je … je ne sais pas. Tout a changé, je ne suis plus la même … Par moment j'ai l'impression que si je n'étais pas là, ça serait la même chose. J'ai l'impression d'être une âme errante que tout le monde cherche à tout prit éviter ... » Sierra me regardait d'un air assassin afin de me dire qu'elle n'était pas du tout d'accord avec ce que je disais. Mais, je pense qu'elle ne sait pas ce que je ressens au fond de moi. Seule une personne étant de ma nouvelle race sentirait mon grand désarroi et entendrait mon appel au secours. J'avais laissé tellement de choses derrière moi en me suicidant, comme Alyska ou ma sœur … d'ailleurs, je ne sais même pas comment elle réagira en me voyant. J'avais honte ...

Aaliah écouta la fragile Ombre expliquer la raison de son apathie pour se hisser au sein de la hiérarchie. La réponse fut étrange, mais pas vraiment étonnante pour celle qui avait vécu le même dessein.  Luane ignorait les raisons pour lesquelles elle était restée en retrait parmi les Ombres. Elle se sentait différente, ce qui en soit n’était pas tout à fait erroné. Passé du stade Elémental à Ombre avait de quoi en perturber plus d’un. Surtout quand l’acte de départ était censé amener à la mort et non à une damnation éternelle. Aaliah baissa un instant les yeux en pensant à ce que la jeune femme avait pu vivre à ce moment. Il était loin le temps où elle avait été simple fantôme, mais elle ne pouvait oublier cette douleur atroce de vivre sans vraiment vivre. Luane expliqua ensuite qu’elle avait l’impression que sa présence ne changerait rien, comme si elle n’était qu’une âme errante que l’on cherchait à éviter… Elle n’était pas tout à fait loin de la vérité, mais il avait un moyen de voir les choses autrement. D’une manière plus positive, seulement, il fallait en être capable. Ce qui pour une Ombre n’était pas toujours évident, puisque la majorité des émotions positives lui était interdite.

« Je comprends », murmura la Gardienne lorsque Luana eut fini de parler.

Il était courant de prononcé ces mots, mais bien souvent, les gens ne comprenaient pas réellement. Ce n’était qu’une politesse sociale, mis en place depuis des lustres. Cependant, sa nature d’Ombre lui permettait de rendre en ce jour leur véritable sens à ces mots trop souvent répété en toute situation. Oui, elle comprenait. Comme toutes les Ombres qui avait connu ce désarroi et il en fallait du temps pour se défaire de ce sentiment. La maîtrise de l’illusion d’Edel permet bien des miracles, notamment celui de ressentir des émotions longtemps oubliées. Aussi, elle décida de rassurer la jeune femme sur sa situation actuelle.

« Ce que tu ressens est normale, toutes les Ombres vivent cela. J’ai subi moi aussi cette impression. Notre nature nous oblige la discrétion et au silence. mais c’est nous qui nous éloignons des autres, pas notre nature »

La Gardienne se tut un instant, pensive. Elle avait bel air à parler ainsi, elle qui ne parvenait pas vraiment à construire de relation avec autrui. Cependant, ce n’était pas vraiment sa nature d’Ombre le souci, plutôt son caractère un peu solitaire. Ce qui ne semblait pas être le cas de la jeune femme. Aaliah pouvait ressentir sa détresse et se sentait quelque peu coupable. Elle devait donc faire quelques choses pour Luane, même si elle n’était peut-être pas la personne la plus adéquate pour cela.

« Je ne suis certes pas le bon exemple, car je n’aime pas m’attacher aux autres, je suis solitaire… à quelques exceptions près», rajouta-t-elle devant le petit coup de museau de son ami Loth pour signifier sa présence.

Elle le gratifia d’une caresse sur le haut de sa tête avec de reprendre son discours, puis demanda à Lisseth d’aller promener dehors avec les dragons. C’était une excuse pour discuter plus intiment avec la jeune femme et la fillette le devina aisément. Aussi, elle ne dit rien, se contentant d’hocher la tête tout en prenant un dernier biscuit pour la route. Se promener avec Loth et Leonith ne la dérangeait pas, bien au contrait, elle pourrait encore observer le vol des dragons qui vivaient au sein de Draguial. Lorsque sa petite troupe fut partie, la Gardienne repris la parole.

« Pour le moment, tu te sens âme errante, mais tu peux être ce que tu veux, ta véritable nature ne doit pas être dévoilée, mais tu peux opter pour une autre. C’est ce que font certaines Ombres. Avec le temps et de la maîtrise, nous pouvons donner l’illusion du bonheur, nous pouvons faire comme si, même si rien n’est vrai… la jeune femme hésita un instant avant d’oser le pas. Si tu veux, je pourrais d’aider à mieux vivre avec le fardeau qui est le nôtre.»

L’Ombre n’était pas vraiment de ceux qui aidaient, du moins, pas de manière volontaire. La majorité du temps, si elle venait en aide à quelqu’un, c’était soit parce qu’elle avait quelques chose à y gagner, soit parce qu’elle n’avait pas d’autre. Aujourd’hui, c’était différent, Aaliah avait envie sincère d’aider Luana à améliorer son quotidien, ne serait-ce parce que c’était elle qui avait fait de la jeune femme ce qu’elle était désormais. Et si elle venait à travailler au sein du domaine Draguial, c’était une occasion pour mieux connaître la jeune Ombre et l’aider à accepter ce qu’elle était devenue.