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Le temps m'était devenu une notion abstraite. Il n'avait plus la moindre emprise sur moi, son poids ne m'écrasait plus. Perdue dans les limbes éthérés de mes songes, je voguais sur les mers, tantôt tranquilles tantôt tumultueuses, de mes pensées, mes rêves et mes idées. J'ignorai depuis combien de temps je sommeillais. A vrai dire, je ne m'en préoccupais pas. Loin d'être l'un de ses Djinns enchainés à ses obligations, j'étais puissante, même crainte à une époque. Je pouvais sortir à ma guise de mon habitacle. Je n'en avais simplement pas envie. C'était un choix, presque une promesse, que je tenais depuis des décénies, peut-être même un siècle. J'ignorai tout de mon absence, si ce n'est qu'elle durait à mon plus grand plaisir.  Dans cet infini rien où je me plaisais à rêver, je purgeais mes peines et mes fautes. Seulement, je devais bien avouer que cette situation me contentait. Je préférais ces cauchemars envoutants à la terne vérité d'un espace délimité. En ces lieux oniriques, plus rien ne comptait. Je me souvenais à peine du passé, de ce que j'étais autrefois. Je parvenais vaguement à me rappeler du nom sous lequel on me connaissait auparavant. Quant au vérritable, bien étrangement, il s'était perdu avec les âges et mon esprit, égaré dans sa propre folie. Je ne le regrettais pas. Rien n'avait d'importance. La lueur pâle et vacillante qui brillait dans les tréfonds n'attira guère mon attention. Du moins, pas de suite. Puis je me rendis compte qu'un imprudent s'évertuait à me sortir de cet univers qui n'appartenait qu'à moi. Je soupirais. Qui était assez sot pour me tirer de mon lit ? Il me fallait sortir et cela m'agaçait au plus haut point. De mauvaise grace, j'apparus en face d'une impudente qui eu la bétise de me demander si j'étais un Génie. Avais-je l'air d'une Elfe, d'un Nain ou d'un Troll ? J'en doutais très fortement et si jamais un maudit lutin osait surgir d'un habitacle frotté, j'irai lui toucher deux mots au plus vite pour régler l'affaire à ma manière. « Question on ne peut plus pertinente. » relevais-je avec sarcasme, tout en haussant les sourcils.

Je n'avais même pas fais attention à mon apparence avant d'apparaitre. Je m'étais ainsi dévoilée sous ma forme originelle, celle que je possédais il y a des siècles de ça, alors que je n'étais encore qu'une humaine peureuse et traquée par des créatures magiques. Je n'étais pas vraiment belle. Cependant, j'étais loin d'être laide. Elegante, je connaissais les forces de ma prestance, des envoutements que je causais. Mes cheveux étaient longs et noirs, couleur sombres de mes yeux en amande. Avec mon teint de lys et mes traits typés, j'avais un petit quelque chose d'exotique et de merveilleux qui rappelait les belles demoiselles de Maelith. Dans ma longue robe de voiles blancs et orangés, je me mis à tourner autour de l'Elemental qui m'avait appelé, la dévisageant avec une sévérité que je n'essayais même pas de dissimuler. « Hum hum. Voilà donc celle qui m'a invoqué. Qu'as-tu à dire pour ta défense, vivante ? Crois-tu que l'on peut troubler ainsi le sommeil des éternels ? » De ma voix claire et chantante, je murmurais lentement ses quelques mots sur un ton grave et lugubre. Contraste d'autant plus effrayant, je devais faire peur à l'Elemental. C'était le but. Je n'appréciais pas être contrainte de revenir sur les terres du yin et du yang. D'un regard las, je contemplais les environs. Tout était si morbide. Si triste. Je détestais la morne réalité. J'aspirais à rêver, aujourd'hui et à jamais. Dans un soupire, je me concentrais à nouveau sur la fille, toujours aussi agacée. Je l'observais, le regard plissé dans la feinte de l'intérêt ou quelque chose qui s'en rapprochait. « Qu'est-ce que pourrait bien souhaiter une Esprit Elementaire, hein ? Faites attention à vos mots je ne vous conseille pas d'user de ce verbe si cher aux miens. Cela pourrait vous être largement préjudiciable en cet instant. Mieux vaut analyser l'ennemi avant de lui taper la discute ! Car non, nous ne sommes pas amies, ne comptez pas ressortir d'ici main dans la main avec moi, une paquerette à la bouche. Cependant, je serai curieuse d'entendre les longues plaintes et les vilains maux d'une personne si pauvre et démunie. Vous avez forcément des voeux. Ne dites rien surtout, ne dites rien. Vous pourriez le regretter. Je sais que vous aspirez à certaines choses. Ceux qui ne désirent rien ne tombent pas "par hasard" sur un habitacle.  »

Cela faisait longtemps que je n'avais pas parlé. Non, cela ne m'avait pas manqué. A peine sortie, j'étais déjà irritiée par tout et rien. Impatiente et soupirante, j'attendis que l'autre daigne me répondre.

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« Han han. » soupirais-je, au comble insoupçonnable de l'ennui. Un brin rêveuse, je me mis à me questionner intérieurement sur l'étrange créature, sorte de monstre d'esprit, que j'avais en face de moi. La mignonne petite demoiselle cherchait à rapprocher son peuple de celui des Magiciens. C'était touchant, mais assez désolant. Que faisont-on des Sorciers dans cette histoire ? Quel racisme déplorable ! Je n'osais presque songer aux différends éternels de ces nations qui ne sauraient s'entendre. Les idéalistes étaient des êtres tendres. Je les méprisais. Il me répugnait. « Si votre vie est parfaite, ma douce, vous n'avez pas besoin de moi. Du moins, si vous avez la naiveté de croire que vous êtes une femme accomplie à tout point sans souhait ni espérance, je ne peux rien pour vous. Je suis une marchande de rêves, pas une docteur en médecine ! » Je tournais les talons, désinvolte. « Trouvez une falaise et sautez donc. » Je secouais doucement la tête, moqueuse et sarcastique. « Est-ce que j'ai senti l'envie de formulation d'un voeu ... » marmonnais-je. J'avais oublié ce petit détail. Je n'avais jamais été de bonne compagnie, acide comme le poison. Mortel, même. « Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! M'aurait-on pris pour une omnisciente ? Peut-être devrais-je être comblée qu'on me présume les forces des Dieux. » Mains dans les poches, je me mis à déambuler dans les parages, à taper sur les cailloux en chantonnant. Après quelques instants, je relevais les yeux sur l'Elemental. « Toujours là. » feignais-je de remarquer, avec une certaine ironie. Lentement, je m'approchais d'elle. « Au moins, je sais que vous serez plus prudente à l'avenir. Veillez à ne pas troubler le repos de ceux qui ne veulent pas se réveiller. » Mes yeux noirs vagabondèrent quelques instants sur les paysages nauséabonds des alentours. L'Antre des Marais. Quelle contrée détestable. « Ces Terres sont égales à elle-même, à ce que je vois. Elles demeurent laides. Pourries de l'intérieur. » Je n'avais vraiment pas changé. Etrangement, cela me satisfaisait. « Pourquoi suis-je ici ... » répétais-je sans quitter des yeux la brune. « Parce que vous avez frotté mon habitacle, petite sotte, et que mon essence est de servir la volonté du maître. » Je reculais des quelques pas, les bras tendus sur les côtés. « Ainsi se traduit la malédiction des Djinns, condamnés à satisfaire les trois lubies délirantes de celui qui tiendrait entre ses mains le moyens de les soumettre. » Je penchais la tête. « La situation est simple. Lâchez l'habitacle et laissez moi, ou tâchez d'éveiller vos désirs et de me faire les réaliser. C'est un premier choix, que vous devez faire. Ce que je peux vous promettre, c'est que votre destin s'en verra boulverser, d'une bonne ou d'une mauvaise manière selon le chemin que vous emprunterez. Certaines décisions font peur, en ce sens qu'elle nécessite une prise en main de sa personne. Nul appui. Nul conseil. Juste vous, face à votre avenir brumeux qu'il serait bon de contrôler au lieu de simplement se laisser emporter par des vagues qui ne sont pas votres. »

Je souriais, à présent muette et grave. L'atmosphère était lourde et électrique. Puis je me mis à rire. « Par tous les Aetheri qu'est-ce que je suis bavarde ! Les siècles de mutisme se répercutent sur vous. » J'étais très certainement en train de faire naître une haine visérale pour les miens à travers mon comportement envers cette femme. Je n'arrivais même pas à éprouver une once de remords. Dans une ronde, je disparus en poussières noires pour réapparaitre dans un battement de cils sur un arbre non loin. Perchée sur la bras, je balançais mes jambes dans le vide en secouant la tête en rythme. « Alors. » enchainais-je sur le ton de la conclusion. « Où en sommes nous ma chère ? Génie ou pas Génie ? Souhait ou pas pas souhait ? J'exauce tout vous savez ! Enfin pas tout à fait mais n'entrons pas dans les petites lignes, à moins que vous me demandiez de reconstituer votre grand-mère avec ses cendres calcinées et éparpillées sur les terres d'émeraude, ça devrait aller. Commencez par un petit voeu, peut-être pour voir. Je suis comme une drogue, un bon verre de vin, la meilleure bavette de  la taverne du coin : il faut me tester pour juger de la qualité. Ceci dit, contrairement à l'opium ou à un steack, j'ai des jambes et je peux courrir, ou m'en retourner bouder dans mon habitacle. En tout cas ma patience n'est pas équivalente à la durée de mon exil. Alors vite.»

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Un brin confuse et déconcertée, je scrutais avec une pointe d'insistance l'Elementale. Combien de temps avais-je dormi ? Qu'était-il arrivé à ce monde ? Etaient-ils tous ainsi où était-ce juste ... elle ? Je trouvais sa verbe navrante et cela me donnait la désagréable impression de discuter avec une enfant à peine sortie du berceau. Au moins pouvais-je me consoler dans l'idée que je faisais face à une proie facile. Je risquais de bien m'amuser avec cette fille, qui signerait en beauté mon retour sur les Terres du Yin et du Yang. « Bien. » murmurais-je au final dans un souffle, tandis qu'un maigre sourire aux notes sombres étirait mes lèvres blêmes. « Qu'il en soit ainsi. Retrouvons l'épée égarée, cher Maître. » Légèrement penchée en avant, j'esquissais une espèce de révérence, laissant mes mains glisser dans les airs. En un battement de cils, nous quitâmes l'Antre pour une région bien plus extrême. Il faisait lourd et chaud. La pièce était plongée dans la pénombre. Chancellante, vacillante, du sable s'écoulait lentement de petites brèches. A n'en pas douter, nous étions six pieds sous terre, dans un tombeau clos. « Tadam ! Voilà l'épée ! » Théatrale, et certainement encore soumise aux vapeurs d'opium qui me rendaient un tantinet euphorique, je sautais, les bras ouverts, pour présenter l'arme, presque incrustée dans le mur. « Très jolie lame ! Savez-vous qui l'a forgé ? Connaissez-vous son histoire ? En tout cas, il s'agit de la bonne nouvelle, l'épée n'est plus perdue ! » Une mine faussement boudeuse ou contrariée, je me mis à feindre la cogitation. « Malheureusement, il existe bel et bien une mauvaise nouvelle. » Je haussais doucement les épaules. « Il n'y a pas d'air ici. Je crains que, contrairement à moi, vous ayez besoin de respirer. » Je m'accroupis vers l'Elementale, en bien mauvaise posture. « Alors, cher Maître, comment vous sentez-vous ? » Elle était naïve. S'en était quasiment touchant. Ignorait-elle donc que mes semblables étaient mesquins ? Si elle le savait, peut-être aurait-elle eu la sagesse de reposer mon habitacle et de fuir en courant. A présent, elle devait me faire réaliser trois voeux et je lui ferai vivre un enfer si elle s'en abstenait. Elle n'avait plus le choix. De toute manière, si elle n'avait pas la force de me murmurer un souhait, elle allait mourir de la façon la plus idiote qu'il m'aurait été donné de voir.

« Peut-être ... » avançais-je avec une fausse prudence. « Que vous souhaitez que je vous sauve, que je vous sorte de là ? » Un hochement de tête me suffirait. Songueuse, je me demandais si elle allait se résigner à faire appel à moi ou, vexée, elle allait bouder ma présence. Cela relevait de son choix. Libre à elle de faire sa mauvaise tête et de mourir bêtement. Ses pouvoirs ne lui seraient d'aucune utilité, ici. Si elle avaitle pouvoir de créer de l'air, elle en était incapable, en cet instant. C'était une antre façonnée il y a des siècles par des Humains. Grand hasard, si je puis dire même si j'aurai préféré de mes calculs savants pour la faire tomber à cet endroit précis, Anwen était tombé dans un Temple d'anti-magie. Elle ne pouvait rien faire et si elle continuait, même vivre et respirer lui serait impossible. Pour ma part, j'avais tout mon temps. Tout en chantonnant, je m'assis sur le rebord de pierres recouvertes de sable. Sage et souriante, j'attendais simplement, prête à dégaigner mes dons pour ramener la jeune femme au lieu de notre rencontre. L'épée, quant à ellle, resterait tranquillement ici. Pensive, et impassible à l'égard de la situation délicate de ma maîtresse, je me mis à déméler mes longs cheveux noirs à l'aide de mes doigts, avant de les tresser. J'avais oublier ô combien il était délicieux de se moquer des mortels. Cette fille avait fait une grave et grossière erreur en me réveillant et en me faisant gouter aux petites joies du quotidien car, à présent, j'avais la ferme intention de rester et de retourner vacquer aux occupations favorites des Djinns. Elle avait libéré une véritable calamité. J'espèrais lui faire amèrement regretter. Elle devait prendre conscience des conséquences de ces actes et de la gravité de ce qu'elle faisait, de ce qu'elle disait. Petite sotte. Je savais à quoi elle aspirait secretement et j'étais à peu près certaine qu'elle finirait par formuler le souhait fatal. J'allais lui donner une bonne leçon.

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