Dans les yeux de Lilith se reflétaient les silhouettes des bateaux gigantesques. Accoudée sur une balustrade, elle se reposait en regardant l'horizon, en pensant à ce que sa vie serait dans les jours à venir. L'ange rêvait d'un monde meilleur mais il ne lui avait pas fallu atteindre cet état angélique pour y songer. C'était en tant que génie qu'elle avait commencé à parcourir le monde à la recherche de personnes si malheureuses qu'elles n'osaient plus demander de l'aide, l'aide que beaucoup avaient osé leur refuser. Lilith était une main tendue, un sourire mais elle était loin d'être naïve. Elle savait parfaitement que son rêve était hors de portée, qu'à chaque fois qu'elle s'évertuait à faire le bien, une autre personne s'évertuait à faire le mal. Elle n'était pas l'une de ces anges naïves, gentilles et idiotes, ce genre de femmes qu'elle ne supportait guère. Le monde était injuste, cruel et il fallait s'y faire. Néanmoins, tout en connaissant la réalité, elle avait choisi sa voie et pour rien au monde elle n'aurait vendu son âme. La jeune femme vivait modestement, dans une ferme où elle aidait les criminels, les incompris et les handicapés, ceux qui, parfois, se faisaient traiter de monstres par les individus incultes. Mais en regardant dans les yeux de ces derniers, elle voyait cette étincelle d'humanité, elle voyait que rien n'était perdu et qu'ils pourraient s'intégrer quelque part ou de nouveau pour ceux qui avaient perdu la confiance de leurs proches. Elle pensait que les assassins étaient des individus comme les autres, qu'ils avaient simplement omis de suivre la bonne voie en choisissant de détruire leur vie. Quelque part, tuer relevait d'un mal être profond, sauf lorsque l'on faisait partie des peuples maléfiques. Pourtant, la jeune femme savait que malgré toute l'aide qu'elle pouvait leur apporter, ils étaient seuls maîtres de leur futur.

« Dis madame, t'aurais pas une pièce pour moi ? ». Un enfant venait de faire apparition aux côtés de la jeune femme. Elle avait passé la journée à nourrir les plus défavorisés, portant sur son dos de lourds sacs de provisions. Elle n'était pas payée pour le faire, elle ne demandait pas à l'être. Elle le faisait parce que c'était ce qu'elle devait faire, parce qu'il s'agissait du chemin qu'elle avait choisi. Aussi, l'ange se baissa pour ramasser le sac en toile qu'elle avait laissé choir à ses pieds. L'ouvrant, elle en sortit quelques pommes et un morceau de pain. Il ne restait plus grand chose de toute façon... Elle finit par remettre le tout dans le sac avant de le lui tendre avec un simple sourire. Elle lui aurait certes parlé des protecteurs du bonheur ou de Libertas, mais elle était trop fatiguée, exténuée de sa journée. Il partit après l'avoir remercié. Tous ne le faisaient pas. Puis, après quelques minutes où la jeune femme resta immobile à observer l'horizon, elle se remit en route, passant dans les ruelles du port qu'elle connaissait par cœur à force de s'y rendre.

Seulement, alors qu'elle songeait à ce que serait la journée de demain, elle aperçut une scène qui éveilla en elle une sorte de peur mêlée à de la révolte. Par réflexe, elle se cacha contre un mur, derrière une haute caisse en bois. Elle inspira doucement puis expira. Il ne faisait aucun doute que cet homme était un vampire. Elle ne devait pas intervenir car c'était de la sorte que les êtres de son peuple se nourrissaient mais... Elle ferma les yeux un moment, essayant de chasser ses pensées. Oh oui, elle pensait qu'ils n'avaient guère besoin de tuer pour se nourrir, qu'il leur suffisait de laisser assez de sang dans les veines de leurs victimes pour qu'elles puissent vivre tout en étant rassasié. Voilà ce qu'elle pensait. Que tuer dans ce cas n'était que gratuité idiote. Néanmoins, elle aurait accepté d'en rester là si ce dernier n'avait pas senti sa présence, sa voix s'élevant dans la ruelle comme promesse d'un avenir complexe. Pourtant, elle ne lui ferait pas le plaisir de se laisser trouver. Les vampires aimaient la chasse, quand la victime s'enfuyait ou se laissait prendre sans même s'apercevoir de leur présence, ou de façon trop tardive. Elle n'était pas une proie. Lilith sortit de sa cachette, répondant par là même au prince de la nuit par une autre question : « Feriez vous un peu d'exhibitionnisme en cette douce soirée ? ». Elle le fixa un instant, ayant du mal à trop le détailler dans l'obscurité ambiante. Néanmoins, par réflexe, elle remonta les bretelles de son haut blanc sur ses épaules, un haut bien trop grand pour elle et qui, surtout, avait souffert d'un coup de couteau dans la journée. Heureusement, elle n'avait subit qu'une égratignure bénigne, mais un trou de quelques centimètres laissait apparaître son ventre blanc. Elle n'était sans doute pas aussi pâle que lui mais n'en était pas loin. Pantalon bouffant, chaussures fermés, cheveux attachés en queue de cheval, elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas provoquer les pulsions sexuelles des hommes qu'elle essayait d'aider. Elle ne pouvait se permettre de jouer les duchesses. Elle devait être le moins féminine possible afin que tout se passe sans problèmes. Restant debout, droite, elle décida de ne pas perdre de vue le vampire. Il venait de se nourrir, elle doutait que sa soif ne soit point étanchée, mais on ne savait jamais.

L'ange regarda sa main blanche se faire enlever par le vampire, qui y déposa ses lèvres. Plissant légèrement les yeux, Lilith se dit qu'il n'avait en aucun cas, du moins, pour le moment, l'envie de planter ses crocs dans sa chair. Reprenant ce qui lui appartenait, elle resta silencieuse un instant avant de croiser les bras, son visage étrangement neutre. Les vampires. Elle ne les aimait déjà pas beaucoup en tant que génie pour les manigances de leur reine quant à sa fille Violette et le peuple des humains, mais à présent qu'elle représentait une proie des plus appétissantes, leur statut ne s'était en aucun cas amélioré à ses yeux. Répondant à sa remarque précédente qui avait faillis lui faire lâcher un petit rire, son regard ne quitta pourtant pas le prince de la nuit : « Et pourquoi aurai-je besoin d'attirer les hommes ? Cela me convient de ne pas être l'une de ses femmes égocentriques à se pavaner en tenue de soirée excentrique accompagnée de leur personnel. ». Elle marqua une simple pause, juste de quoi donner l'occasion au vent de se glisser entre eux deux. « Je n'ai pas besoin de lire la satisfaction dans votre regard quand vous le posez sur moi et puisque vous êtes toujours là, je suis désolée mais, selon moi, ça ne fonctionne pas assez bien. ». S'il s'était attendu à trouver une ange sans le moindre répondant, il se trompait totalement. De plus, elle connaissait trop le mal pour qu'il puisse encore l'étonner. Femme du monarque démoniaque qui avait précédé le règne de Lukas Von Stadtfield, elle avait côtoyé l'Enfer et y avait vécu un certain nombre d'années. De plus, le précédent Mârid avait jugé qu'elle avait les épaules pour commander son armée et bien que celle-ci soit restreinte du fait que les génies en eux-mêmes étaient plus faits pour les plans stratégiques que pour attaquer, le rôle était tout de même des plus importants. Alors oui, elle avait perdu de sa puissance d’antan, oui, elle n'était pas sûre de pouvoir lutter contre un vampire de son gabarie mais non, elle n'avait en aucun cas l'intention de se laisser faire par des paroles prononcées gratuitement et sans fondement. Voulait-il la voir nue aussi pour juger de sa beauté pendant qu'il y était ? « Quant à votre invitation, puisque votre acte s'est déroulé sur une voie publique, ne pensez-vous pas qu'elle est légèrement tacite ? ». Elle soupira, levant un instant les yeux au ciel avant de prononcer plus doucement. « Enfin, qu'importe. ».

Elle était quelque peu lasse de sa journée et n'avait en aucun cas envie de lutter contre le sens exact de l'exhibition, qui n'avait en aucun cas besoin d'un quelconque spectateur pour être qualifiée selon elle. Le plus étonnant, et ce qui retint son attention davantage fut la voix du vampire lui demandant si elle était ici pour le remettre dans le droit chemin, celui de la rédemption. Elle doutait que ce fut possible mais puisqu'il demandait si gentiment, avec une voix si appréciable, autant lui donner satisfaction. Néanmoins, bien qu'à peu près sûre qu'il ne se jetterait guère sur elle comme une bête sauvage, elle préféra limiter le risque, détachant sa queue de cheval en faisant glisser l'élastique qui retenait ses cheveux doucement afin d'éviter qu'il pense qu'elle avait l'intention de l'attaquer. Sa chevelure libre, elle prit le temps de la placer de chaque côté de son visage afin qu'elle recouvre presque son cou en totalité avant de reprendre la parole, remontant ses yeux vers lui. « Écoutez, je suis consciente de la nécessité qu'ont les vampires de se nourrir de sang. Néanmoins, vous n'êtes pas tenu à celle de tuer votre nourriture. De plus, puisque vous êtes des chasseurs dans l'âme, je ne comprend pas très bien l'utilité de tuer une femme et de la laisser au beau milieu de la route. Les chasseurs aiment, en général, exhiber leurs trophées, ou, tout du moins, que le monde sache ô combien ils sont compétents. Pourquoi ne pas l'avoir laissé en vie ? Après tout, en lui donnant simplement votre nom, elle aurait pu, en racontant partout son histoire, vous faire une réputation bien plus étendue que celle de votre reine elle-même. ». L'ange s'approcha. « Ne pensez-vous pas qu'il est plus du dessein des êtres bénéfiques d'être redoutables dans l'ombre que de celui des êtres maléfiques ? ». Puis, elle finit par le lâcher du regard, marchant vers la jeune femme qui n'était guère plus animée par un quelconque souffle de vie. « Mais soit, après tout, peut-être n'avez-vous aucune ambition et aucune envie de succès. ». Elle s'accroupit à ses côtés, posant sa main sur son cou afin d'effacer toute trace physique de la morsure du vampire. Elle ne serait qu'une femme, morte par on ne sait quel maux.