Kevne rangeait des dossiers sur un bureau déjà très organisé. Il cacheta des lettres du sceau royal, rédigea quelques missives, et se rendit dans le bureau d'un Esprit pour avoir confirmation de certaines informations.
L'élémental de la terre n'avait pas assisté physiquement au conseil d'Aeden, mais il savait parfaitement tout ce qui s'y était passé. Les autres Esprits avaient échoué dans leur mission. L'eau n'avait pas été capable de mener à bien le conseil des chefs, et avait retourné les autres peuples contre le leur, de même, la Foudre était gravement malade, et elle eu du mal à tenir le rythme soutenu de la conférence. Les autres, mis à part le Feu, évidemment, étaient resté assez passif. Non par leur incompétences mais par leur inaction criante. La Nature était pleine de bonne volonté, mais très utopiste sur la chose, la Glace n'avait rien dit qui tenait la route, et pour le reste, ils étaient passés tout aussi inaperçu.
Sortant de là, Kevne avait bien saisis le désarrois de la Reine. Il l'avait observé, dans l'encadrement de la double porte de réunion, se prendre la tête face à ses sujets plus qu'obsolètes. Ce n'était pas un gouvernement qu'elle avait là, elle devait le reconnaître dès à présent.

Kevne n'avait pas eu la prétention d'aller à sa rencontre, et au contraire, retourna à ses fonctions. Mais ses collègues étaient furieux. Déçus, en colère, révoltés… Etrangement, l'Esprit se dirigea vers son homonyme et fidèle compagnon : le Feu.
Poussant la porte de son bureau, il vit cet homme, dans une puissante colère. Quelque chose d'étouffant, qui envahissait la pièce « Thélios... », « Sors d'ici ! Je ne suis pas d'humeur à supporter tes morales ! », « Je ne suis pas ici pour te blâmer. J'ai vu le conseil, je sais ce qu'il s'est passé. », « Ils sont… Raah ! » Il poussa un meuble le faisant tomber au sol « Thélios ! Calme toi ! Tu sais que tu ne peux pas te permettre ce genre d'attitude ici ! », « Ah ouais ? Et tu vas m'en empêcher peut être ? Je ne te crains pas si tu veux tout savoir ! », « Je ne vais pas me battre avec toi. Dis moi ce que tu penses de cette réunion. », « Viens ici ! » Thélios fit un bond en avant et essaya de brûler Kevne. La Terre se décala rapidement, anticipant déjà le prochain coup. Son corps se fit dur comme la terre sèche et rèche de trente jours, et son corps était dorénavant indestructible. Thélios avait déjà envoyé son poing droit dans l'abdomen de Kevne, mais celui-ci ne fit que s'y ouvrir la main. De rage, il le frappa encore et encore, et le puissant ne bougea pas, statufié par son état élémentaire. Dès que Thélios se calma, posant un genoux à terre, Kevne revint à la normale, épousseta et ses bras en disant « Tu as fini ? Nous pouvons parler comme des adultes maintenant ? »

Le Feu ne s'assit pas, restant devant la fenêtre. Le Conseiller royal prit place dans son fauteuil à lui, et se tourna vers son collègue « On est assez mal positionnés. Quelque chose de grave arrive, et même les Dieux en ont peur. Je dois te dire que rien de tout cela me plait, et le Conseil des chefs fut, comme d'accoutumé, un désastre. Cependant, nous ne pourrons pas lutter sur deux fronts. », « Deux fronts ? », « Le chaos, et les autres armées. Va voir avec la reine. Ces abrutits ont parlé de l'obtention des plantes médicinales, d'une alliance avec les magiciens, de... » Kevne s'étouffa « Quoi ?! Mais les plantes médicinales sont aux Sirènes ! Et une alliance avec les magiciens ? Ont-ils perdu la tête ma parole ? », « Hé, pourquoi tu t'étonne, je croyais que tu avais suivis le conseil… ? » La Terre le regarda « Je le croyais aussi... » A ce moment là, un domestique entra dans le bureau de Thélios après avoir frappé, et annonça « Monsieur, l'Impératrice vous demande. » Kevne se leva et posa sa main sur l'épaule de son collègue « Va te défouler, je te dirai ce qu'il en est tout à l'heure. ». Le Feu ne répondit pas et l'homme sortit de là.
Traversant les couloirs, il réfléchit à vive allure. Il n'avait pas compris pour l'alliance, pour les plantes, pour d'autres choses aussi… Comment se faisait-il ? Fallait-il que Takias lui explique plus explicitement ?
Entrant dans la grande salle de réunion, il ferma les doubles portes « Mes hommages, Impératrice. Vous m'avez appelé ? »

Explications:

Takias sortit plus désespérée que jamais du Conseil d'Aeden. Les discussions avaient tourné en rond pendant plus de deux heures, aucun Conseiller n'avait été apte à clore la discussion et chacun avait voulut renchérir sur l'autre. Thélios s'était enflammé au point que la jeune Souveraine avait failli lui rentrer dedans et Kemma avait provoqué Loki de façon outrageante. Loki s'était rarement énervé de la sorte, bien sûr, personne ne s'en était rendu compte mis à part Kemma et Takias, car le maître bourreau avait une maîtrise de soi extrême mais cela avait suffit au fils de la Terre. Il avait percé le Métal. Sinon, Lysis et Morvan s'était jeté à la figure leur problème d'amitié et Anwen et Emerancia s'était considérés comme pacifiste en parlant d'alliance avec des Magiciens ou des Sorciers. Bref, cela avait été plaisant, calme et très constructif pour Aeden.

Takias ferma la porte de ses appartements quelques secondes seulement après, elle hurla et chaque objet autour d'elle s'enflamma. Elle passa ses mains sur son visage brûlant: ça n'était pas une vie de devoir gérer autant de chose, ça n'était pas sa vie. Takias était une guerrière, une aventurière, une survivante. Pas une princesse et encore moins une politicienne. Une Reine, elle avait cru l'être. Aujourd'hui, le doute la menaçait. Elle ouvrit avec violence la grande porte fenêtre qui menait à un balcon. Le verre se brisa sous l'impulsion de la chaleur émanant de ses main. Elle fit craquer les morceaux sous ses bottes de cuir et posa ses deux mains sur la balustrade. Son regard se perdit dans les paysages luxuriants d'Aeden, passant des lacs au volcan, des forêts aux plaines. Il fallut que l'Impératrice passe devant son miroir pour se rendre compte que sa chevelure et ses poings s'étaient enflammés. Elle prit une inspiration et se laissa glisser sur son lit. Elle avait fait en sorte de semer Kolio en sortant du Conseil, mais elle savait que le lion n'allait pas tarder à revenir. Il leur faudrait alors parler des différents incidents même si elle n'en avait pas l'envie. Le bruit d'une porte qui s'ouvre indiqua à l'Elémentale du Feu que Kolio était arrivé. Le grand lion s'approcha de Takias et posa son imposante tête sur son épaule.

"Je n'en peux plus... j'avais l'impression d'être dans une cour de récréation à gérer des querelles futiles. Mais le pire c'est que je ne suis pas mieux qu'eux, je ne savais même pas que les plantes médicinales était le monopole des Ondins! Quel genre de Reine peut ignorer ça?"

Elle laissa tomber sa tête en arrière contre le lit et un des oreillers prit feu.

"Je n'arrive même plus à me contrôler complètement, je pensais avoir appris un peu la patience."

Le rire de Kolio fut immédiat:

"Tu n'as jamais appris la patience! Nous avons tous nos qualités et nos défauts, il ne sert à rien d'aller contre ta nature. De toute façon ce qui est fait est fait. Tu devrais appeler Kevnes, il a toujours été de bon conseil et je pense qu'il serait avisé de lui faire un petit compte de rendu du grand Conseil, si on peut appeler ça un Conseil..."

La fille du Feu prit une nouvelle inspiration avant de se redresser:

"Tu as raison, fais le convoquer dans la salle de réunion, ensuite j'irais forger un peu j'ai besoin de penser à autre chose."

Kolio acquiesça et se releva, il repartit de sa démarche féline et laissa Takias au milieu de sa chambre en feu. Il y avait des débris de verre et de récipient à onguent et à parfum partout par terre. Certains des rideaux se consumaient encore et il ne valait mieux pas parler du lit et des couvertures. La jeune femme se releva subitement et les flammes disparurent, laissant des trainées de fumée et de cendre. Elle épousseta sa chemise blanche aux broderies oranges et rouges et serra de nouveau ses poings en quittant sa chambre.

Elle se retrouva dans sa salle de réunion quelques instants plus tard et la vue de tous les papiers et des lettres soigneusement classées sur des étagères lui donnèrent la nausée: qu'était-elle devenue? Où était l'Elémentale libre et intrépide? La forgeronne fière et passionnée qui ne dormait ni ne mangeait tant qu'elle n'avait pas obtenu satisfaction dans son travail. Etait-ce vraiment l'existence qu'elle avait choisi, elle, Takias? Elle serra les dents en sentant malgré elle les objets de métal trembler. Les dérèglements magiques n'étaient pas vraiment pour l'aider à se maîtriser quand ses accès de colère reprenaient le dessus. La salle de réunion, là où s'était déroulé le grand Conseil. Y penser la mettait dans un état de fureur devant le piteux résultat de leur rencontre et devant sa propre incompétence. Elle réceptionna de justesse sa hache posée dans le fond de la salle et qui s'était collé à elle comme à un aimant. Vint ensuite son porte plume, l'une de ses bagues, son sceau, plusieurs sièges et un livre cadenassé. La table de métal s'agitait et des marques de coups s'imprégnaient sur sa surface, répondant aux humeurs de la maîtresse des lieux.  La course d'un ouvre-lettre fut interrompue par les deux portes battantes qui s'ouvrirent. Takias desserra son poing avec célérité et chaque objet rejoignit son emplacement, les sièges générant un léger courant d'air qui agitèrent les longues mèches de la Souveraine.

« Mes hommages, Impératrice. Vous m'avez appelé ? »

Le Conseiller Kevnes venait de refermer les deux portes de la grande salle et attendait une réponse. Takias s'efforça de prendre une voix calme, elle savait qu'il n'y était pour rien et l'avait appelé pour l'aider, pas pour passer ses nerfs sur lui. Elle ne fut pas surprise de l'absence de Kolio malgré le fait que c'était lui qui lui avait dit d'appeler le fils de la Terre.

"En effet. Je ne vais pas tourner autour du pot. Avez-vous eu les retours du Conseil avec exactitude? Qu'en pensez-vous?"

Elle savait que sa voix cassée n'était pas aussi sympathique qu'elle le voulait mais c'était ainsi qu'elle demandait de l'aide et elle espérait que l'Elémental de la Terre était apte à la lui donner.

L'impératrice était quelqu'un de très impulsif. A l'image d'un animal, à l'image de son élément, elle n'arrivait pas à se contrôler certaines fois. Sa patience ne résistait pas à la diplomatie et quand cela lui prenait, il n'était pas rare qu'elle envoie tout dans le mur, voire dans une autre dimension.
Calmement, Kevne s'avança, faisant rouler doucement ses muscles sous sa peau pour se glisser sur une chaise. Le feu ardent qui animait la belle femme, saurait se calmer à son contact. Bien qu'elle soit plus puissance que lui, la querelle des éléments ne tenait pas compte du niveau et de la force de chacun.
La pièce était à peu près normale, dans un état encore soft et sain.
La voix de l'Impératrice fut tranchante, comme une lame sur la nuque d'un malfrat. Les yeux bruns du Conseiller la regardèrent, la percèrent de leur mystère, comme si finalement, elle n'avait pas de secret pour lui. Sa voix rauque et calme, à l'égal d'une terre neutre et pourtant réchauffée par le soleil, retentit « J'ai effectivement eu vent d'une majeure partie du conseil, le reste m'ayant été rapporté par l'élément turbulent de la réunion. Je ne défendrai pas, ici, le cas de Thélios mais je crois en l'exactitude de ses propos envers moi. » Avant qu'elle ne dise quoi que ce soit sur cet homme qu'il assimilait grandement à Takias -d'où le fait qu'ils ne s'entendaient absolument pas- « Il est le Feu, tout comme vous, et j'estime qu'il a tout autant d'honnêteté malgré ses pulsions, que vous, envers nous. Et surtout envers moi. » Il enchaina immédiatement « Mais j'ai assisté au discours de l'envoyé au Sommet. Vous le savez. Vous avez pris des risques en fusionnant avec votre élément, à une époque où il aurait été meilleur de rester tranquille, et déléguer une royauté n'est pas chose aisée, loin de là. Morvan n'avait pas les épaules, et puisque vous désirez mon avis, la moitié de vos Esprits n'ont pas les épaules. » Sa phrase sonnait comme une sentence. Le glas de la mort dans cette salle lumineuse.

S'appuyant au dossier de sa chaise il rajusta sa chemise en disant « Vous vous êtes mal entourée. Votre désir d'aider les plus faibles à grimper à vos côtés est louable, mais il n'y a rien de pire que des fondations bancales. Et je parle bien de remaniement de gouvernement. » Sans parler d'elle, que non, il parlait des Esprits. Que ces hommes et femmes soient renvoyés chez eux, avec une récompense pour leur loyaux services et surtout, pour leur inaction criante « Que vous n'ayez pas su pour les plantes médicinales, ce n'était pas LE vrai problème. Des informations peuvent nous échapper, ça arrive à tout le monde. Vous vivez une vie rapide, sur le fil, où le temps est souvent compté. Eux en revanche, n'ont aucune de vos responsabilités, et il est étonnant de voir qu'ils en savent bien moins que vous. Ils ne sont pas fait pour vous épauler. La non connaissance qui les caractérise vous pénalise en chaque instant. Morvan par exemple, était un rustre, qui se prenait pour un intellectuel bien plus affuté que quiconque se trouvait dans cette salle, ou dans celle du conseil des chefs. Et il nous a démontré avec brio qu'il n'a, a aucun moment, fait mieux que les souverain au temple. Il s'est arrêté sur des provocations primitives, pour régler ses petits conflits de vie privée, qui n'avaient nullement leur place ici. Il est juste d'être sur de soi, mais une trop grande maitrise de son égo peut pousser à l'orgueil. Et Morvan puait l'orgueil. S'enticher d'un être comme lui, comme bras droit au Conseil des chefs, était un risque évident, et un échec on ne peut plus clair. Pour les avoir tous observer, l'attitude de celui-ci ne m'a que peu étonné. La seule chose m'ayant réellement percuté, était qu'il n'a, à aucun moment, pensé à vous et votre image. Aaah... L'Orgueil. » S'il paraissait cynique, il n'en n'était rien. Kevne était très franc. Il employait certains mots peut être plus forts que d'autres, pour justement que Takias prenne conscience, le remarque et remarque ses dires, comme un nouveau départ. Quelque chose dont elle doit se départir, pour tout réformer « A cette échelle là, les erreurs de votre gouvernement vous handicapera quoi que vous fassiez. Le monde est en train de subir une vague de peur, devant l'inconnu qui se profile et il n'y a pas de temps à perdre avec des personnes que vous jugerez inappropriées à vos côtés. » Il la regarda « Quand bien même vous les jugez inapte. Mais... Dire ouvertement qu'une alliance avec les Magiciens serait de bonne augure... Je n'appellerai même pas cela un 'égarement' vous comprenez ? »

Il était évident qu'ils étaient, pour la plupart, complètement obsolète. Une alliance... Ahah... Et puis quoi encore ?
Se levant de là, il se dirigea vers une énorme fenêtre ouverte, où le vent et la pluie ne pouvait passer. S'appuyant contre l'autre mur en croisant les bras, il finit par se tourner vers la Reine en disant « Et vous, qu'en pensez vous ? »

HRP:

Kevne avait une voix posée et profonde, qui s'opposait parfaitement avec la voix de Takias. La jeune Reine s'était laissée tombée sur un fauteuil qu'elle avait attiré à elle et écoutait avec attention le conseiller royal. Elle soutenait ses yeux de terre sans malaise bien que l'impression d'être analysé par eux s'interposa quelques fois. Ce qu'il avait à dire était intéressant, beaucoup plus digne d'intérêt que la majorité de ce qui s'était dit au Conseil malheureusement. A l'énoncé de Thélios, Takias serra un peu plus ses poings fermés, il avait été l'un des premiers à sauter sur l'occasion pour la faire tourner en bourrique et elle avait bien du mal à s'en remettre. Pour tout dire, elle n'était pas capable pour le moment de le voir en face d'elle, et il valait mieux pour eux deux que cela ne se produise pas. Il avait bafoué son autorité comme toujours et ses railleries infantiles avaient jeté de l'huile sur le feu. En écoutant la suite du récit de Kevne, Takias se posait de plus en plus cette question: pourquoi Kemma était Esprit de la Terre? Pourquoi Kevne n'était-il pas à ce poste? Il aurait été un des rares à aider Takias pendant le Conseil, sans forcément aller dans son sens ou l'épauler, mais tout au moins pour agir et faire quelque chose pour Aeden. Oui, c'était quelque chose d'étrange de voir une personne aussi compétente à ce stade. Elle ne releva pas la similitude que le jeune Elémental de Terre nota entre elle et Thélios, elle refusait de s'y pencher par mauvaise foi. Car elle savait qu'il avait raison, du moins en ce qui concernait les pulsions et l'Elément protecteur. Pour le reste, elle ne voyait pas vraiment ce qu'elle avait en commun avec ce trouble-fête. Elle ne coupa donc pas Kevne qui, d'ailleurs, ne lui en laissa pas l'occasion. Il enchaina immédiatement sur le désastre du Sommet des Chefs. Takias soupira et appuya sa tête sur deux doigts de sa main droite, posée sur l'accoudoir. Combien de fois s'était-elle reprochée cette immense erreur! Combien de fois avait-elle regretté cette décision et les conséquences qui s'ensuivirent. Elle avait détesté Morvan et sa colère avait été plus grande encore contre elle même. Cela avait été sa plus grande erreur, elle le savait et le reconnaissait. Elle ne broncha pas lorsque le jeune homme poursuivit en disant que Morvan n'en avait pas été capable mais que la moitié des Esprits de l'aurait pas été. Si elle avait fait venir ce Conseiller, ce n'était pas pour rien: elle aimait sa franchise et sa loyauté envers son peuple, elle le savait apte à régner et elle sut dès cet instant que c'était lui qui aurait dû aller au Conseil des Chefs. Il continua par ailleurs en lui reprochant les qualifications des Esprits. Et il avait raison, il mettait le doigt sur le véritable problème et c'était pour ça qu'il était là. L'orgueil... un défaut que Takias espérait ne pas avoir, plus que tout autre défaut. Elle n'avait pas assisté au Sommet et à partir de là, chaque information qui lui revenait était des plus précieuses. Et celle de Kevne étaient des diamants dont la rareté était évidente. Elle ne pouvait faire plus confiance à quelqu'un, si ce n'est à Loki. Alors elle écouta avec attention, et elle mesura à nouveau l'étendue de son erreur. Morvan avait été absent de longs moments avant le Sommet et il n'avait pas été apte à reconnaître son ignorance. Mais il n'était pas le plus à blâmer. Qui l'avait envoyé? Qui l'avait mis dans cette situation? Elle resserra sa main gauche autour de son accoudoir et elle sentit malgré elle la table de réunion trembler. Elle comprenait très bien le besoin de former le Conseil et de laisser tomber quelques éléments perturbateurs mais le sujet abordé par Kevne fit trembler encore plus la pauvre table. Les Magiciens!!! Une alliance avec les Magiciens, ça avait été la cerise sur le gâteau, la crème de la crème de ce satané Conseil. Malgré tout l'estime que l'Impératrice avait pour Anwen, elle l'avait détesté et aurait pu la tuer de ses mains lorsque celle ci avait parlé de cette race maudite. Elle avait en plus de cela placé un nom sur celle qui se voulait amie des Magiciens et Takias était prête à mettre des bâtons dans les roues de cette dénommé Erine White. Elle avait cru qu'elle ne réussirait jamais à se contrôler quand Kemma s'était servi de cette idée saugrenue pour rebondir sur ses propres fantasmes: une alliance avec les Sorciers. Si Loki n'avait pas retenue sa jeune Reine, il était certain qu'un combat se serait engagé dans l'immédiat et que l'état de la salle de Conseil ne serait pas ce qu'il était actuellement.

Le conseiller se leva alors, sortant la jeune Reine de ses pensées. Il s'appuya au mur de métal forgé près de la grande fenêtre. Se tournant vers Takias, il lui demanda son avis. La jeune femme s'obligea à desserrer sa main et la posa, paume à plat sur la lourde table d'acier. Les tremblements se stoppèrent et elle reposa ses yeux rouges sur Kevne, qui la fixait.

"Vous savez que ce n'est pas le pire! -ses yeux s'enflammèrent dans un tourbillon étrange alors qu'elle reprenait- vous savez que suite à cette proposition d'alliance, le Conseiller Kemma a parlé explicitement d'un rapprochement avec les Sorciers! Bordel, avec les SORCIERS!!!"

Sa voix était devenue plus rauque encore que d'habitude, si c'était possible et ses deux mains s'enflammèrent. Le mot résonna dans la pièce close pendant plusieurs secondes et elle sentit malgré elle son aura magique s'étendre. Elle se massa les tempes: elle même avait du mal à se rendre compte de ce qui s'était passé pendant le Conseil. Comment avait-on pu en arriver là? Elle aurait dû faire cesser ces enfantillages sur le champ, quitte à brûler certains papiers. Le contact des flammes sur sa peau de cadavre la calme un peu et elle remis l'une de ses mèche de cheveux en place.

"Je pense que vous avez tout à fait raison. Que nous n'arriverons à rien avec un Conseil aussi obsolète. Je ne m'en étais pas rendu compte jusqu'à la réunion. Maintenant je sais que peu d'entre eux méritent le poste qu'ils ont mais..."

Elle se leva à son tour et serra la mâchoire. De son pas militaire elle se détourna du Conseiller pour jeter un coup d'oeil aux livres présents sur les étagères de bois lustrées. Ses doigts fins et toujours enflammés frolèrent certains ouvrages tandis qu'elle reprenait:

"Je ne sais pas s'il s'agit de ma propre incompétence ou de celle du Conseil des Esprits, mais je ne suis plus capables de gérer tout ça Kevne. Vous êtes un des seuls à servir la Couronne des Elémentals et pas votre propre personne. Ecoutez bien ce que je vais vous dire, il n'y a que deux personnes en qui j'ai une totale confiance et que je peux écouter parler avec franchise comme vous venez de le faire: il s'agit de du Conseiller Loki et de vous-même."

Elle arracha son doigt à un livre qui commençait à noircir et se tourna vers le fils de la Terre:

"Je pensais avoir accompli de grandes choses pour Aeden. La fondation de l'école, la remise à l'honneur de notre propre langue trop souvent délaissée, et de notre culture, ignorée des jeunes Imprégnés. Aeden n'a jamais été aussi florissante et la ville s'est longuement développée depuis sa création par mon prédécesseur et ami, Iro. Mais à quoi bon, si je ne suis même pas capable de tenir l'image des Elémentals auprès des autres peuples? A quoi bon si je ne suis pas capable de tenir une réunion des membres du Conseil?"

Elle sentait les flammes de ses mains grignoter un peu plus sa chair et monter jusqu'à ses coudes. Son véritable dilemme était là: les problèmes recontrés venaient-ils d'elle ou des autres? Etait-elle faite pour régner sur ce peuple qu'elle chérissait plus que tout au monde? Avait-elle, comme Kevne l'avait dit tout à l'heure pour ses Esprits, les épaules assez solides? Tant de doutes en ces moments de troubles, tant de doutes et de questions sans réponse...

Kevne sentait la Reine fulminer de rage. Colère, déception, et bien d'autres sentiments qui la traversaient et la faisaient bouillir. Il y avait de quoi. Au fur et à mesure qu'il argumentait, il écoutait le silence de l'Impératrice. Cela pouvait présager deux choses : une tempête, ou une résolution. Ici, c'était le second choix. Takias ne s'énerva pas contre lui. Elle renchérit, contre tout le monde, peut être contre elle-même, mais non contre Kevne. Et puis l'alliance des magiciens fut abordée et, par opposition, celle des Sorciers... Après que le mot ait résonné dans la salle de réunion, il dit de sa voix grave « Oui je sais. » Pour lui aussi c'était inadmissible. Sorciers, comme Magiciens, si les deux pouvaient être exterminés, ce serait l'idéal. Ils n'étaient pas là pour faire ami-ami avec ce genre de personnes, et le choix d'Erine White était de très mauvais augure. Le Conseiller n'avait pas abordé ce sujet, sachant pertinemment que l'Impératrice y pensait assez seule, pour en remettre une couche. Cependant, il n'en pensait pas moins. Ce genre de personne était un traitre « Le Conseiller Kemma a soutenu Anwen. Le plus inquiétant ici est de savoir si ces deux personnes ne seraient pas des traitres au sein de nos rangs. Pour moi, ces deux personnes ont, derrière elles, autant de militants du nom de Erine White ou que sais-je encore, cherchant à bafouer la raison même de nos conflits raciaux, sous des prétextes comme la 'tolérance' et la 'gentillesse'. » Takias se leva, acquiesçant à cela, a ce discours réaliste. Elle prit quelques secondes pour se calmer, réfléchir, avant de dire en un monologue bref et pourtant plein de sens que Kevne était le seul apte à être à ses côtés.

Toujours appuyé contre le chambranle de la fenêtre, il sentit sa Terre intérieure grondée. Elle rugit, trembla, ne comprenant réellement cette initiative. Aucune méfiance, mais une surprise. Et il détestait être pris au dépourvu de la sorte. Même si ses sourcils se froncèrent, son regard ne s'en fit pas méchant ou méprisant pour autant. Il attendait de comprendre, de savoir sur quoi elle s'appuyait pour dire de telles choses qui, pour lui, étaient des inepties.
Elle doutait d'elle même, elle avait besoin d'aide, d'une épaule sur laquelle se reposer. Il ne serait pas celle-ci, pas en permanence du moins mais, pour cette fois, vu les temps de crise, il se laissa porté par une spontanéité qui était inconnue chez lui. Kevne ne faisait rien par hasard, et encore moins sur un coup de tête. Mais Takias avait besoin d'aide.
Marchant vers elle, ses chaussures, claquant sur le sol à un rythme à la fois normal, et pourtant semblant lent, il se mit en fasse d'elle. Il prit sa main en feu dans sa main terreuse, et posa la seconde sur celle de la Reine, privant la main d'oxygène. Le feu mourut en quelques secondes et ce fut dans cette ambiance solennelle qu'il dit « Vous êtes une bonne Impératrice, Takias. » Laissant quelques secondes s'écouler, il lui rendit doucement sa main, soutenant son regard rouge de ses orbes brunes « Vous avez su mener Aeden à une aube dont, quelques années au paravent, nous doutions de sa venue. L'école, la langue, la culture... Tout cela n'était que des prémices d'un jour nouveau. La guerre des anges, la lutte permanente contre les sorciers et les magiciens, l'implication personnelle que vous avez mis partout où vous le pouviez, tout ceci n'est pas vain. Vous avez été, et vous êtes encore une Impératrice juste puissante. Vous êtes à votre place. » Il croisa les bras et dit « Vous ne vous étiez pas rendu compte des gens que vous aviez dans vos rangs, pour la bonne et simple raison que vous êtes une femme de terrain. Vous avez besoin de sortir d'ici, d'aller au front comme vous l'avez fait par le passé, peu importe la raison ou le chantier. Vos sous-fifres, moi y compris, nous devons d'assurer la permanence de la royauté en votre absence. Mais vous le savez comme moi, arriver à cette échelle de la société et de la politique, entraine des dérèglements chez certaines personnes. Et ici, mes collègues se sont laissés porter. Ne doutez pas de vous sur ce plan là mais... Je comprends que vous soyez lasse. Que vous aspirez à autre chose. Vous avez besoin d'évoluer, c'est le propre de l'être humain. Et si vous pensez que votre place ici est révolue, et que j'en suis le plus digne, croyez moi Takias, je mettrai tout en œuvre pour mener ce peuple et l'aider, comme vous l'avez aidé. »

La regardant il s'arrêta de parler quelques minutes. Pas besoin de descendre les conseillers, pas besoin d'en faire trop. Il fallait juste et honnête, il fallait droit. Savoir ce que l'on voulait quand on le voulait et, on sentait en Takias une vigueur, qui se reflétait très mal en politique et économie. Pour la bonne et simple raison qu'elle s'était donnée corps et âme à son trône, mais que maintenant, ce feu qui la consumait avant, s'éteignait doucement.
Le basculement, l'absence au conseil des chefs, n'était qu'une révélation de plus à ses yeux. Et surement la dernière. Celle qui faisait qu'elle s'asseyait sur une chaise en soupirant. Le soupir de plusieurs années de bons et loyaux services.
Kevne posa sa main sur son épaule « Votre conseil est obsolète, mais pas vous. Toutes les grandes têtes ont besoin de leur repos après leur heure de gloire. Vous avez mené des armées entières, ce Conseil ne reflétait pas vos compétences de meneuse. Et puis...  » Il se mit à sourire en disant « Vous au moins, vous ne vous êtes pas évanouit au Conseil, comme notre très grande amie Edwina Nilsson. » Retirant sa main il esquissa un sourire charmant. Non pour la séduire, juste pour essayer de lui faire prendre du recul. De se dire que si elle en était venu à toutes ces questions, c'était qu'elles étaient fondées, justes, et qu'il fallait prendre une décision.

Kevne avait donné son approbation quand à monter avec elle, à ses côtés, pour l'aider du mieux qu'il pouvait, le temps qu'elle trouve sa voie, son chemin, et qu'elle pense à évoluer. Qu'elle pense enfin à elle. Il lui promit de l'épauler, comme il l'avait toujours fait et, dorénavant, avec la main royale qui lui permettrait d'abattre un travail bien plus considérable, qu'il n'en n'avait abattu jusqu'à maintenant, en tan que Conseiller.

Les paroles du fils de la Terre réchauffait doucement le coeur fermé de la jeune Reine. Elle n'était pas la seule à penser cela, lui aussi considérait les actes d'Anwen et de Kemma comme une déclaration à la rébellion, contre le régime que Takias avait mis en place, elle avait parlé d'un rapprochement avec les Sorciers alors même que Takias leur avait interdit l'accès au Berceau Cristallin et à Aeden. Un sourire ironique s'interposa sur le visage fatiguée de l'Impératrice du Tout. Mais lorsque la jeune fille du Feu finit de parler, le conseiller s'approcha d'elle. Elle ouvrit des yeux surpris lorsqu'il lui saisit la main pour en étouffer la flamme. Celle ci ne tarda pas à s'éteindre et instinctivement, celle de l'autre main s'évapora aussi. Les quelques mots qu'il prononça en regardant l'Elémentale dans les yeux la touchèrent profondément. C'était exactement la réponse qu'elle attendait, la réponse de savoir si oui ou non, elle avait été une Impératrice sérieuse et utile. Si sa montée sur le trône avait servi à quelque chose, si elle avait suivi certains principes. Et Kevne venait de lui apporter la réponse. Le soulagement était profond même si certaines questions étaient encore présentes. Le jeune fils de la Terre lâcha sa main après quelques secondes et reprit la parole de sa voix grave. Oui, elle était une femme de terrain, elle le savait, elle l'avait toujours su. C'était pour cette raison qu'elle avait été générale avant d'être Impératrice et que même en étant Impératrice, il lui était inconcevable de ne pas se battre, de ne pas monter au front. Sa place n'était pas derrière un bureau, à signer de la paperasse et à régler des broutilles de citoyen, sa place était dehors. Elle se retrouvait petit à petit dans les paroles du jeune homme et elle avait l'impression de recoller des morceaux d'elle même qu'elle avait perdu depuis trop longtemps déjà. Si elle pensait que sa place ici était révolue... là était toute la question, là était tout le problème. Pourtant, cela paraissait simple. Et à la fois si compliqué. Takias sentait que son temps de régner touchait à sa fin, que si elle l'étirait elle sombrerait dans une folie meurtrière et pourtant, de l'autre côté, une certaine peur de l'inconnu la tiraillait. Que faire après? Si elle laissait le trône comme elle mourrait d'envie de le faire, quel serait son but? Elle avait malgré tout, dépasser le stade de la vengeance, et ce n'était plus ça qui guidait son existence, mais alors quoi? Elle avait mis sa vie au service de son peuple, sa force, son épée, son intelligence, toute sa personne avait été présente pour servir les Elémentals. Allait-elle plier bagage comme ça, prendre un palais loin dans le volcan, forger jusqu'à en mourir, seule avec Kolio dans le seul but de s'adonner à sa passion. Non. Cette passivité ne lui ressemblait pas et le temps de la retraite n'avait pas encore sonné. Au contraire, elle était à l'apologie de son existence, sur le sommet d'une montagne que l'on pouvait encore faire grandir. Avait-elle vraiment peur? Oui, c'était indéniable, mais est ce que cela l'arrêterait? Non, comme toujours, la peur ne l'arrêterait pas, et comme toujours, elle avait trouvé un nouveau but, une nouvelle source d'interrogation et de connaissance. Elle se rendrait à la bibliothèque d'Ilios, Et alors elle saurait. Elle saurait quoi faire, elle saurait quelle serait sa destinée et son avenir. Elle saurait des choses que personne n'avait jamais su et elle accèderait à la connaissance. Plus elle y pensait, plus elle sentait son être accaparé de cette idée, c'était ce qu'elle devait faire. Elle resterait Reine, le temps de se rendre à la bibliothèque, tandis que Kevne dirigerait Aeden en tant que Roi. Et en fonction de ses trouvailles... non, pas en fonction. Sa décision était prise, à son retour elle quitterait le trône, elle le laisserait au conseiller de la Terre, car c'était la meilleure chose à faire. Elle ne pouvait risquer de voir son être se flétrir et se mourir enchaîné au trône, elle ne pouvait risquer de voir son âme avide de savoir enfermé pour toujours dans le palais royal. Elle prendrait sa liberté et au moins elle n'aurait pas peur de laisser son peuple seul. Ce n'était pas un abandon, Kevne était apte à régner, elle le savait dorénavant.

La main du jeune homme sur son épaule l'expulsa à nouveau de ses pensée. Elle sourit doucement lorsqu'il la rassura une dernière fois. Ces paroles étaient tout ce qu'il y avait de plus vraie et elle se félicita d'avoir fait appel au conseiller de la Terre dans ces moments de doutes. Il l'avait aidé à prendre une décision qu'elle se devait de prendre. Une décision qu'il lui revenait et qu'au fond d'elle même, elle avait déjà prise depuis longtemps. Elle sourit à l'annonce du nom d'Edwina. Elle avait entendu dire qu'en effet l'Ultimage s'était évanouie et au vue de sa sympathie pour les Magiciens, elle en était ravie. Elle n'aurait jamais pu s'évanouir dans un moment comme ça. La meilleure chose qu'elle aurait faite aurait été de balancer son poing dans la figure du premier venu mais bon... était-ce réellement mieux? Elle secoua la tête pour se débarrasser de ces pensées et elle se releva doucement. Elle se plaça en face du fils de la Terre et plongea à nouveau ses yeux de feu dans les deux yeux terreux du jeune homme. Elle prit une inspiration et fit rouler ses épaules instinctivement. Sa décision était prise, et sa résolution certaine:

"Je sais déjà ce que vous allez dire, mais j'ai besoin d'entendre votre "oui" dans cette salle, maintenant. Conseiller Kevne acceptez vous de monter sur le trône des Huit Eléments et de devenir Seigneur du Tout pour m'épauler dans cette dure tâche. Et lorsque ce que j'ai à faire sera fait, acceptez vous de demeurer seul sur le trône d'Aeden pour servir notre peuple?"

Elle marqua une courte pause mais l'empêcha de répondre au dernier moment:

"Et si vous acceptez, je ne vous demanderais qu'une seule et unique chose: protégez notre peuple des Sorciers et des Magiciens, prônez les traditions et empêchez la décadence de notre jeunesse de pardonner les horreurs des magies malsaines et des souffrances qu'elles ont infligé à notre peuple. Empêchez les de faire une telle erreur. Considérez ça comme la dernière volonté de votre Reine..."

La Reine en question avait le coeur au bord des lèvres. C'était réellement son ultime souhait, de savoir son peuple protégé et ancré dans ses moeurs, de ne pas laisser les alliances actuelles et la banalisation du langage commun détruire toute trace de civilisation nationale Elémentale. Elle avait prôné la langue Elémentale, elle avait prôné la culture et l'histoire de son pays, elle avait prôné les valeurs des Elément durant tout son règne. Aujourd'hui, elle voulait que quelqu'un poursuive son oeuvre, mieux encore, qu'il la dépasse pour faire encore mieux, qu'il se serve de base pour construire. C'est ce qu'elle avait fait avec l'oeuvre de Iro et c'est ce qu'elle espérait que Kevne ferait avec la sienne. Alors elle pourrait s'absorber sans crainte à l'étude de la connaissance, tout simplement...