« A présent que votre royauté est officielle, vous vous devez de marquer l'histoire avec une création qui vous sera propre. Lynn créa le repère des magiciens, vous devez être en mesure d'élaborer une construction architecturale digne de votre rang et de notre peuple. ». Eliassen m'avait présenté la chose il y a de cela des semaines. Depuis, je réfléchissais et tout ce que je voyais d'intéressant n'était autre qu'un hommage à mon frère, cet homme qui avait sans doute été le plus grand Mârid de tout les temps et qui avait créé une île dans le ciel, accessible depuis la porte des songes. Cet hommage, je le lui devais. J'aimais ce grand personnage historique, aujourd'hui disparu, un frère que je n'avais jamais connu comme tel. Il avait fallu que le sort m'apprenne son identité pour qu'il me l'arrache aussitôt. Alors oui, peu importe les efforts que je devrais faire, j'allais faire honneur à notre famille, faire honneur aux choses qu'il avait fait pour sa race. Il était sans doute mon modèle, un idéal, un homme à qui je voulais ressembler. J'étais loin d'être la meilleure reine des terres du Yin et du Yang, je le savais. J'étais incompétente même, mais la volonté qui soufflait en moi avait, les Archimages en étaient certains, le pouvoir de balayer des paysages entiers. Nous avions également réglé le soucis de mon apparence, mes longs cheveux rouges rappelant bien trop le clan Syrkell. Le peuple n'était, bien entendu, pas au courant de mon appartenance à ce dernier et il valait sans doute mieux qu'il ne le soit pas. C'était pour cela que mon apparence avait été modifiée, pour que jamais personne ne puisse faire de liens entre ce groupe appartenant au passé, au mal, et moi-même. Le doute ou même la panique aurait pu se répandre et c'était inenvisageable. Bien sûr, je n'arrivais toujours pas à contrôler cette magie maléfique qui coulait dans mes veines, mais j'avais appris à activer cette dernière, à la rendre meilleure. Le procédé était simple : je commençais tout exercice de magie par de la couture, seule activité qui me permettait de créer des miracles, des robes magnifiques qui avaient été portées par les plus grands. Aussi, j'avais du mal à me dire qu'à présent, moi aussi, je faisais partie de cette élite que je regardais autrefois avec admiration. Mais peu m'importait le titre, seuls les actes me paraissaient avoir du sens. Mon intelligence ne me permettait pas d'être capable de complexité. J'avais toujours été quelqu'un de simple, qui n'arrivait pas à dissimuler quoi que ce soit. Je ne savais pas mentir et, pourtant, mes projets pour cette île étaient loin d'être roses. Ma vie avait été un champ de bataille, j'avais appris à mes dépends que le bien ne pouvait gagner qu'avec des stratégies finement élaborées. Or, comme déjà dit, je n'étais pas une personne stratège, loin de là. Aussi, puisque j'étais reine, je disposais de nombreux conseillers, les Archimages, qui possédaient, justement, les facultés que je n'avais pas. Alors, dans l'objectif de trouver une parade efficace aux manipulations des êtres vils, j'avais décidé de les réunir, afin de discuter de mon projet primaire et des éventuels modifications et améliorations à y apporter. Peut-être que, finalement, le peu d'intelligence que j'avais était justement le fait de savoir que j'en manquais, le fait de savoir que je devais faire appel aux autres et le fait de savoir comment faire appel aux autres. J'étais reine, il était de mon devoir de trouver les meilleurs alliés possibles pour le bien de mon peuple.

Aussi, après des jours de réflexion, je pris le partie d'inviter les Archimages pour une longue promenade sur la plage de sable fin, berceau de mon projet, paysage idéal de tous les possibles. Et, malgré mon incompétence, j'étais bien décidée à faire de mon peuple l'un des plus respectés de ces terres. Je savais, j'avais appris, que les magiciens préféraient taire leur puissance magique, mais peu importait cette dernière, j'avais l'espoir d'en faire un peuple reconnu dans bien d'autres domaines.

Mes neuf dragons voletaient dans le ciel un peu plus loin, les sans âmes qui me suivaient souvent attendant sagement que les Archimages arrivent. Peut-être que leurs cheveux se hisseraient sur leur tête, pour ceux qui en avaient encore, mais j'avais une idée de défense de la future île plutôt précise. Bien sûr, mon peuple était bénéfique mais il était hors de question que la création reste sans défense. J'avais également amené de quoi coudre afin que les travaux puissent commencer dès aujourd'hui. Même si j'en avais été ignorante un long moment, je savais à présent que ma magie était gargantuesque, capable de beaucoup de choses et, de ce fait, capable de créer ce que je souhaitais. Ma timidité, mon introversion, m'avaient empêché d'être consciente de mes capacités mais depuis que je suivais les cours de mes conseillers, ma confiance se solidifiait petit à petit. Aussi, j'attendis qu'ils arrivent tous avant de prendre la parole, les saluant avant d'aborder le vif du sujet sans perdre de temps. « Il y a quelques jours, Eliassen m'a fait part de la nécessité de créer quelque chose, une construction architecturale. Si je vous ai fait venir ici, ce n'est pas pour rien mais pour vous présenter mon projet. Je souhaite créer un endroit qui se nommera Caelum. Une île qui représenterait notre race, notamment avec une magie liée à la transmutation. Je souhaite une île changeante, une île qui pourra flotter aussi bien dans le ciel que reposer sur les mers. Je veux une île merveilleuse mais redoutable, imprenable. ». Ma transmutation s'était transformée en un véritable pouvoir de création, j'en avais conscience. Je n'avais plus besoin de matière pour créer quoi que ce soit. C'était ainsi, un don que l'Ultimage possédait de par son rang, de par sa proximité avec le dragon Suris. Les Archimages écoutaient ce que je disais, ne m'interrompant pas. Ils m'avaient prise au début pour une gamine ignorante et stupide – et ils n'avaient pas réellement tord – mais ils avaient fait le pari de me laisser essayer, de me laisser m'épanouir et de m'aider dans cette tâche. Aussi, ils m'encourageaient, de manière plus ou moins aimable, certes, mais l'intention y était. Je continuai. « Seulement, après avoir étudié l'histoire, après avoir vécu beaucoup de choses, il est hors de question que Caelum soit sans défense. Je veux que l'île soit protégée par des morts vivants qui ne craignent pas grand chose, si ce n'est une décapitation. Ils sont redoutables et leur simple énonciation en fait encore trembler plus d'un. Tout le monde sait ce qu'il s'est passé avec Orion, tout le monde sait qu'avant de devenir sorcier, il fut un grand magicien. Je veux faire trembler l'imagination de ceux qui pourraient envisager de nous attaquer. Aussi, les dragons ont toujours été mes alliés. J'aimerai faire appel à des éleveurs spécialisés afin que la cité soit peuplée de ces créatures. Notre peuple est lié à Suris, il est impossible qu'il n'y ait aucun de ses descendants dans notre île. ». J'enchaînai sur la chose que je voulais résoudre avec les Archimages. « Aussi, notre peuple ne possède aucun réseau d'espionnage ce que je trouve étrange et dangereux. Seulement, je sais bien que nous sommes bénéfiques et que nous lier à des brigands ne nous serait pas profitable. J'aimerai donc réfléchir à un moyen d'espionner, de connaître le monde, sans pour autant que l'on puisse remonter à notre peuple... ».

Ce fut un grand débat, les Archimages avançant diverses théories. Une fut retenue, celle d'un groupe d'espionnage infiltré dans deux branches distinctes : la première serait celle de chasseurs de trésors, de pirates neutres, qui ne pilleraient pas les navires voisins mais qui se contenteraient de parcourir les airs, les terres et les mers afin de chercher des richesses, afin de révéler des secrets enfouis. La deuxième, toujours composée des mêmes individus, serait de faux miséreux. Des handicapés moteurs, des aveugles, des mendiants, toutes ces personnes que le monde ignore, que le monde oublie, dont personne ne se méfie et qui, ne font ni bien ni mal. Ils sont juste là, attendant, observant, espérant. Je rajoutai : « Nous donnerons également asile à ceux qui sont réellement touchés par ces maux en échange de renseignements. Si nous pouvons compter dans nos rangs des personnes de toutes les races, rejetées par les leur, alors nous gagnerons beaucoup. ». L'idée était de les regrouper dans un endroit secret de Caelum, un endroit qu'ils pourraient façonner comme bon leur semblerait, un endroit où ils pourraient trouver nourriture et eau.