Lilith avait enfin décidé d'y mettre à nouveau les pieds. La citadelle blanche. Elle souhaitait comprendre sa condition et, à vrai dire, elle n'avait guère donné l'occasion aux anges de lui expliquer quoi que ce soit. Elle avait cru encore posséder sa puissance d'antan, elle avait cru s'enfuir d'ici dans les mêmes conditions que celles qui avaient été les siennes dans son ancienne vie. Seulement, voilà, le statut d'ange était différent de celui de génie, tout était différent. Avant, elle passait le plus clair de son temps en enfer aux côtés du monarque démoniaque dont elle était le génie éternel, avant elle avait été vouée à diriger l'armée des djinns sous le commandement de Naram-Sin, avant elle était la directrice du sanctuaire et elle ne ressentait qu'un ersatz de vie. A présent, son corps angélique la tourmentait bien plus qu'elle ne l'aurait pensé. Elle avait souvent froid, elle qui ne ressentait auparavant ni le chaud ni son contraire, elle avait faim, elle avait sommeil. Toutes ces choses, qui auparavant ne lui posaient que des problèmes plus psychologiques que physiques, étaient devenues un véritable enfer pour elle. Et puis, elle saignait, sans parler du fait qu'elle ressentait, tout simplement. Les odeurs la tourmentaient, elle était bien plus émotive, elle était bien plus surprise, elle voyait le monde différemment, comme un paysage de pièges, de tentations. Enfin, et sans se mentir, elle ne connaissait rien à sa nouvelle race. Alors elle était revenue à la citadelle blanche pour apprendre, pour qu'on lui enseigne ce qu'elle ignorait. Elle n'avait aucune notion concernant les pêchés, même si, quelque part, elle ressentait ce qui était droiture ou non au fond de son être.

« Je sais parfaitement que nous avions rendez-vous mais un empêchement de dernière minute me contraint à quitter les lieux. Je ne pourrai donc pas vous apprendre les rudiments de notre race aujourd'hui. ». Cristalline, l'une des archanges supérieures. Lilith soupira mais lorsqu'elle vit le petit sourire en coin se dessiner sur les lèvres de la jeune femme, elle sut qu'elle n'aurait pas à repartir bredouille. « Cela dit, je crois me souvenir qu'un ange très appréciable n'a justement rien à faire aujourd'hui. Je vais vous guider jusqu'à sa porte. ». Lilith ne savait comment prendre cette dernière réplique, se demandant si c'était de l'ironie qu'elle avait entendu dans sa voix ou si elle se moquait juste d'elle. Enfin, peu importe, elle verrait bien une fois qu'elle serait devant le dit ange. Elle se laissa donc guider dans les couloirs jusqu'à une porte. « Allez-y, frappez. Et passez une excellente journée. ». L'archange la laissa là sans plus d'explications. Bien, c'était un commencement on ne peut plus prometteur.

Lilith frappa, attendant poliment qu'une voix s'élève avant de pousser la lourde porte. Elle entra, son regard se posant sur un homme aux longs cheveux argentés, assis derrière un bureau, semblant ne rien faire de particulier. Elle sourit à cet inconnu avant de lui annoncer la couleur de sa visite. « Bonjour, je me nomme Lilith. J'avais rendez-vous avec Cristalline afin qu'elle m'informe des rouages de la condition d'ange mais il semble qu'un empêchement de dernière minute l'ait contraint à quitter les lieux. Elle m'a donc chaudement recommandé de me tourner vers vous. ». Elle n'avait aucune idée de qui il était, ce qu'il faisait exactement ici, son rang, sa place. A vrai dire, elle s'en fichait pas mal, pas que la hiérarchie ne l'impressionne pas, simplement qu'elle jugeait les gens sur leurs actes plutôt que sur leurs positions.

Monsieur, cela sonnait étrangement aux oreilles de Lilith. Néanmoins, elle ne s'en formalisa pas, préférant l'appeler ainsi plutôt que « Seigneur Kamaël ». Les origines de l'ange étaient modestes et bien qu'elle eut été la femme d'un des empereurs démoniaques lorsqu'elle était encore djinn, elle n'avait jamais retiré de sa condition aucun avantages. Elle se plierait donc aux exigences de cet ange qui était sensé lui apprendre tout ce qu'elle devait savoir sur les siens ; tâche d'ailleurs très vaste si l'on partait du principe qu'elle n'y connaissait rien. Cela étant dit, peut-être aurait-elle préféré quelqu'un de plus... laxiste. Oui, c'était sans doute le mot juste. Des manières et une tenue irréprochables ? Bien, mais pourquoi ? C'était la question, une question qui ne découlait nullement d'un manque de réflexion de la part de Lilith mais plus d'une grande expérience qui lui faisait penser que l'habit ne faisait pas le moine. Un homme magnifique entièrement couvert d'habits blancs immaculés et aux manières parfaites ne représentait pas forcément un homme bon. Aussi, elle avait parcouru le monde, aider un nombre incalculable d'individus et était parfaitement bien placée pour savoir que ceux qui étaient considérés le plus souvent par les autres comme des moins que rien avaient plus de bonté d'âme que n'importe quel seigneur soi-disant bénéfique. Où étaient les rois quand la population souffrait le martyr ? Où étaient les souverains quand la population se battait pour des idéaux que seuls ceux cachés dans leur palais possédaient ? Aussi, elle se retint de justesse de lui faire remarquer que ses principes à lui manquaient sincèrement de justesse. Mais encore une fois, elle n'était ici qu'une ange nouvellement née qui avait besoin de savoir pour comprendre. Il était son hôte et cela aurait été sans doute impolie de lui faire porter le fardeau d'un jugement qu'elle trouvait erroné. Quant au fait de rencontrer des anges haut placés, elle n'en avait cure. Lilith voyait en chaque personne un être unique et peu importe les titres et les dorures, elle ne s'en formalisait pas. Le rang ne l'impressionnait pas, seuls les actes comptaient.

Aussi, elle suivit le regard de Kamaël sur elle sans rien dire. Pour quelqu'un qui se défendait de demander aux autres des manières irréprochables, il en manquait clairement. Cela dit, elle attendit simplement qu'il parle à nouveau pour lui expliquer la suite des événements, hochant la tête pour accepter la boisson qu'il lui offrait. Elle n'en avait jamais entendu parlé et écouta le discours sans l'interrompre. Ainsi donc les anges pouvaient-ils être maléfiques ? Enfin, il ne le disait pas clairement mais elle avait du mal à envisager un tout autre point de vue. « La pire créature ». Mais qu'était-ce que celle-ci ? Tout dépendait de la vision des choses.

« Moyennement. ». Elle avait, en effet, du mal à suivre ses propos dans le sens où elle ne partageait pas sa vision des choses. « Quand vous dites la pire créature, l'entendez-vous d'une position générale, d'une position angélique ou de votre propre position ? ». Elle sourit. « Vous savez, j'ai côtoyé longtemps des démons, le roi lui-même, et je vous assure que leurs us et coutumes, leur culture, font que, pour eux, la pire créature qui puisse exister soit un ange. Mais n'est-ce pas une question de point de vue finalement ? Un ange pensera qu'il s'agit d'un démon ou d'un déchu si j'ai tout compris, mais un démon n'aura que faire des lois angéliques et les trouvera même ridicules à souhait. ». Elle fit une courte pause. « Au final, c'est un trait propre à l'Humanité, l'on pense toujours que les choses sont mieux chez soi alors même que l'on n'a pas foulé l'herbe de notre voisin, alors même que nous ne cherchons pas à le comprendre. Mais quand je dis, chercher à le comprendre, j'entends bien sûr se détacher de notre culture pour embrasser celle de l'autre pleinement, sans jugement. ». Elle réfléchit un instant avant de murmurer. « Chose qui semble impossible de la part d'un ange car s'il se livrait à la même existence qu'un démon, il en serait déchu. Néanmoins, si les réprouvés existent, c'est qu'il y a eu des ententes passées entre les deux races dans un sens. ». Les réprouvés qui avaient aussi bien été exterminés par les anges et les démons. La jeune femme trouvait cela triste finalement. Elle souhaitait voir changer les choses, sachant très bien que le travail serait rude et quasi-impossible. Mais ce n'était pas en rêvant simplement qu'une quelconque évolution pourrait avoir lieu.