Je n'arrivais pas à dormir et je n'avais même aucune notion de l'heure. Cela faisait depuis le début de l'après midi que j'étais allongé sur mon lit, broyant du noir. Ce problème mathématiques me hantait, cette manque de logique dans la chose m'exaspérait et moi qui étais maniaque au possible, je ne pouvais laisser l'énigme me supplicier encore et encore. Je devais trouver la solution. J'avais revu mes calculs tant de fois, j'avais consulté de nombreuses archives concernant ce problème, celles des naissances et des morts, j'avais tellement cherché que la nuit je rêvais des listes des noms de ceux qui avaient hanté le passé. Et pourtant, pourtant, le problème restait entier, le mystère ne voulait pas perdre pieds. Comment cela se faisait-il que le monde ne soit pas envahi d'esprit ? Oh bien sûr, il y en avait beaucoup, ici et là, surtout dans les villes. Mais tout de même, il ne me semblait pas que le nombre d'esprits soit supérieur à celui des vivants. Pourquoi ? C'était illogique. Je m'étais demandé si les esprits ne disparaissaient pas avec le temps mais j'avais croisé des esprits très anciens, tout comme mon esprit compagnon. Je n'arrivais pas à comprendre ce problème. Et le pire de tout, c'était que je n'arrivais pas à m'en débarrasser. Je dormais mal, peu et quand j'y arrivais, des cauchemars me prenaient. C'était comme si, à présent que j'étais à la place que j'occupais, encore dans le plus grand des secrets, la chose ne pouvait sortir de ma tête. Lucifer ne disait rien, comme tenu au secret et nul indice ne m'était confié. Bref, la chose me rendait dingue et j'avais recommencé mes vieilles habitudes, réfléchissant à la place de dormir, restant enfermé chez moi à lire et relire ces foutues archives, à emprunter des livres à la bibliothèque du château Malkavian pour essayer d'y trouver quelque chose. Mais je devais me rendre à l'évidence : il n'y avait rien sur ce que je cherchais et si je voulais trouver la clef, il faudrait que je demande à ceux qui pourraient me répondre. J'hésitais à aller voir Mitsuko mais elle ne me répondrait pas, elle ne ferait que sourire avant de rire doucement. Alors je devrais me débrouiller autrement.

A moitié irrité, je décidai de me lever, m'habillant lentement. Il me fallait de l'air. Aussi, je me vêtis que de noir, attrapant un manteau de fourrure blanche qui me tiendrait chaud dans la neige. Ce n'était pas comme si je ne vivais pas selon les us et coutumes d'ici. Les vampires devaient déjà être partis du château – certains du moins – pour se rendre dans le monde. Les Malkavian ne chassaient pas réellement mais ils couraient tout de même après une autre forme de proie : la connaissance, le savoir. Je sortis donc dehors, dans la neige, moi aussi empli de cette douce volonté de vouloir comprendre mon énigme. Aussi, je me mis à marcher dans la neige, la tête ailleurs avant de me rendre compte de la présence d'une personne que je n'avais jamais vu. En même temps, beaucoup d'individus vivaient ici, au château et puis au village en contre bas. Mais je me questionnais sur sa venue, sur ce qu'il était, sur ce qu'il voulait. Je m'arrêtai, le fixant. Lucifer n'était pas avec moi mais je sentais que les esprits aux alentours avaient un certain attrait pour lui. Aussi, d'une voix forte je demandai : « Qui êtes vous ? ». Je n'avais pas peur, et heureusement car si je calculais le nombre d'individus qui voulaient ma mort, ce nombre aurait pu sans aucun doute me tuer. Mais qu'importe, avant que je meurs, beaucoup mourraient avant moi. Et puis, même, j'étais intouchable grâce à plusieurs facteurs. Je finis par m'approcher un peu, ma posture éternellement droite.

Je fixai l'inconnu, attendant qu'il ne parle et le seul son qu'il émit me fit prendre conscience qu'il était des plus mal en point. Je n'avais aucune pitié mais puisqu'il se tenait devant moi et qu'il obligeait mon esprit à penser à autre chose qu'au nombre exact de morts des terres du Yin et du Yang, je lui devais bien de l'écouter. Il ne semblait pas vouloir me tuer et même si cela avait été le cas, l'aurait-il pu seulement ? J'en doutais vu son état mais j'avais appris à me méfier des apparences puisque j'avais joué un long moment avec ces dernières. Comme pour me tenir compagnie, Lucifer apparut à mes côtés, son expression sans doute à jamais sadique. Mon père n'était pas des plus bavards en temps normal mais ses yeux reflétaient toujours le fond de sa pensée. Il m'avait déjà fait part de la nécessité de transformer la plupart des êtres en chamans car nous étions trop peu nombreux mais j'étais trop préoccupé pour me lancer dans un voyage de persuasion ou d'obligation. Et puis, si j'étais responsable de mutations non souhaitées par les individus, je risquais de bien vite devoir céder ma place de souverain. Non. Il fallait le faire, certes, mais par un moyen détourné, de façon à ce que jamais personne ne sache qui en était à la source.

Encore une fois, mon esprit compagnon ne dit rien, se contentant d'observer, comme moi, l'homme essayer de reprendre une voix normal, une voix audible. Je n'étais pas pressé mais quelque chose se produisit, une chose étrange. Alors qu'il toussait, un nombre assez conséquent d'esprits arrivèrent. Le château Malkavian n'en contenait pas énormément normalement, la façon pour y accéder étant bien spéciale. Néanmoins, ces dernières affluèrent de toute part, regardant l'homme comme s'ils sentaient quelque chose se préparer. Mes instincts me poussaient à croire que cet inconnu devait avoir un lien certain avec le monde des morts. Je ne savais pas quoi, je ne savais pas comment, mais il était spécial. Je pensai même un instant à une sorte d'oracle ou de voyageur qui aurait traversé les temps pour venir me prévenir d'un quelconque événement à venir. Bien sûr, j'étais bien loin du compte mais l'aspect étrange de cet homme donnait à mon imagination un terrain intéressant. Puis, finalement, lorsqu'il finit sa phrase, je compris qu'il était sans doute ici pour la transformation même si je ne pouvais pas en être sûr. L'homme aux esprits ? Était-ce moi ?

Lucifer finit par ricaner devant mon hésitation, s'approchant de l'homme pour le regarder sous toutes ses coutures avant que je ne prenne la parole. « Êtes vous ici pour devenir un chaman ? ». J'avais été maître chaman par le passé, j'étais habitué à la procédure qui consistait à encore et toujours mettre en garde les individus contre cet état qui pouvait rendre fou quiconque n'avait pas le cœur assez accroché. Je savais que certains individus voyaient déjà les esprits avant de choisir de s'engager dans cette voie mais la plupart ne savaient pas, marchant naïvement sur les terres du Yin et du Yang sans prendre conscience que, chaque jour, des dizaine et des dizaine d'esprits traversaient leur corps. Je ne savais pas ce qui en était pour ce chaman mais ce dont j'étais certain c'est que j'avais vu plus d'un homme perdre toute crédibilité en s'apercevant de l'état du monde de l'autre côté, du côté où vivaient les Ombres et les Chamans. C'était différent, tout était différent. Cela dit, je n'avais pas tellement envie d'avertir cet homme. Je préférai lui faire la surprise si sa vue ne lui permettait pas d'avoir conscience de la réalité du monde, de ma réalité, de celle des êtres de mon peuple. Néanmoins, je finis par lâcher en restant très général. « Si tel est le cas, je dois vous avertir que votre vie sera amenée à changer. ».

Puis, je demeurai silencieux, attendant la suite des événements tout en surveillant du coin de l’œil la centaine d'esprits qui nous entouraient à présent.

Je fixai l'homme, semblant totalement neutre quant à son état. Ce n'était pas faux, j'avais traversé des épreuves pires que la mort et je m'étais retrouvé dans des positions sans doute semblables à la sienne. Seulement, cela ne faisait pas de moi un être empathique pour autant. Le malheur des autres me touchait autant que les cris des femmes dans les brasiers ardents que j'avais jadis allumé. Je n'étais pas compréhensif. Enfin, si, je comprenais, mais je n'avais pas la bonté de me pencher sur la petite vie des êtres qui m'entouraient. Néanmoins, il fallait que je prenne une décision concernant cet homme. Il semblait attirer les esprits tout comme la mort. Peut-être qu'en le transformant en chaman, il pourrait trouver la paix ou un second souffle de vie. Son langage laissait à désirer mais je comprenais pourquoi. La vie n'avait sans doute pas été des plus tendres avec lui. Les épreuves séparaient les Hommes en deux catégories : ceux qui s'effondraient et crevaient sur le sol et ceux qui relevaient la tête, prêts à affronter celles-ci autant de fois que nécessaire. Tomber et se relever, telle aurait pu être ma devise, même si je n'avais plus l'intention de tomber outre mesure. Mon regard se perdit un instant sur la fille qui accompagnait l'homme pour remonter quelques secondes plus tard sur lui. Ma décision était prise. Il n'avait pas l'air conscient des conséquences d'une transformation, ni réellement la demander mais, après tout, la déesse de la justice n'aurait qu'à me tomber dessus si elle jugeait que j'enfreignais les règles concernant les chamans. Quoi que, loin de m'effrayer, puisqu'elle et moi étions des sortes d'âmes sœurs, j'aurai bien voulu la voir. Le problème c'est que mes petits délits n'avaient pas l'air de la faire bouger outre mesure. Sans doute me snobait-elle. Je ris à cette idée. Snobé par les dieux, ce n'était pas si original pour un mortel.

Bien. Quoi qu'il en soit, j'avais décidé de changer le destin de cet homme, de le transformer, même si je n'avais pas son assentiment clair et précis. Tant pis, au pire, cela me ferait un ennemi de plus, ce qui ne changerait pas grand chose finalement si l'on prenait en compte que la moitié des habitants des terres du Yin et du Yang souhaitaient me tuer. Qu'ils essayent seulement.

Je m'approchai, posant une main ferme sur l'une des épaules de l'homme. « Je vais vous aider. ». Enfin, je n'en savais rien. Mais bon, de toute façon, je ne resterai pas pour voir ses prouesses, j'avais autre chose à faire. Je le transformais et je repartais. Mes yeux se plissèrent légèrement, une magie étrange se répandant doucement dans la paume de ma main. Un vent sortit de nulle part fit voleter mes vêtements alors que d'une voix claire j'énonçais la formule de transformation. « Moi, Jun Taiji, souverain des chamans et ton maître, en ce jour, je te fais devenir l'un des médiateurs entre le monde des vivants et celui des morts. Je t'offre les dons qui te permettront le contrôle de ces derniers. A cet instant tu deviens et tu resteras chaman. ». La magie emplit le corps de l'homme, traçant le tatouage qui serait la marque de son appartenance au peuple chamanique. « Par ce tatouage, tu acquiers tes pouvoirs et ton ethnie. ».

Voilà qui était fait. J'avais rendu cet homme capable de voir et d'entendre les esprits de ce monde, capable de fusionner avec eux et apte à trouver un esprit qui serait son compagnon. D'ailleurs, je devais lui en parler, même s'il ne semblait pas comprendre la moitié des choses que je lui racontais. « Hey ! Tu m'écoutes ? ». Depuis la formule rituelle, j'avais cessé de le vouvoyer. La formule l'exigeait, c'était ainsi. Je pris ses joues entre mes mains pour qu'il me regarde, espérant ainsi que l'information monterait à son cerveau. « Maintenant tu vas devoir fusionner avec un esprit pour qu'il te protège. Tu comprends ? Normalement c'est assez instinctif, les esprits savent comment faire. Mais attention ! Choisis bien ton esprit... d'accord ? ». Je ne savais pas s'il avait entendu mais je finis par quelque chose d'important. « Retiens bien mon nom : Jun Taiji. C'est moi que tu devras contacter en cas de problèmes ou de questions. ». Puis, le lâchant, je me détournais de lui, laissant derrière moi simplement un petit signe de main en signe d'au revoir.