Musique d'écriture •  My baby left me - Elvis Presley
Savoir profiter...

De la vie et de son lot de malheur, s’accommoder de certains des problèmes qu’elle pouvait entraîner avec elle en se disant que ce ne serait qu’une passade, qu’il faudrait simplement du temps pour que tout se passe. Savoir prendre la vie du bon côté, en évitant de penser que quelque chose de terrible pourrait arriver à n’importe quel moment, n’importe où, n’importe comment et vivre toujours aux aguets. Ou bien au contraire, profiter des moments secrets de l’existence, qui n’apparaissaient qu’en de rares fois et se dire que finalement, rien ne servait d’attendre et qu’il fallait saisir n’importe quel instant, même les plus infimes. Et c’est bien ce qu’était en train de faire l’hybride, profiter de ces rares moments de bonheur...

Poursuivant ainsi un sentier, le Réprouvé fredonnait un air doux et calme dans cette forêt qui l’était tout autant, Eliosse dans ses bras, ne cessant de l’observer un seul instant avec affection. Avoir pris conscience de son futur lui avait fait comprendre qu’il ne pouvait pas rester éternellement indifférent au regard de son fils, à ses gestes réclamant une affection paternelle que son père n’avait pu lui offrir jusque-là. Ce déclic avait mis quelques temps à se produire en lui, mais il n’était encore pas trop tard pour rattraper le temps perdu. L’hybride s’était fait le devoir de construire avec son enfant une relation qui n’en serait que plus parfaite, une relation dont il n’aurait jamais pu rêver avec son père. Car cette vision d’une famille absente le hantait plus que tout au monde, il ne voulait surtout pas faire subir ce genre de vie à Eliosse, pas pour tout l’or du monde, il refusait catégoriquement.

Maak devait-il voir en cela une peur que ce rapport père-fils soit un échec tout autant que cela l’a été avec Alec ? Probablement. En un sens, c’était assez triste qu’il en vienne à cette réflexion, mais la mort de son fils aîné ne l’avait pas touché autant qu’il avait pu le croire, il n’était pas accablé par le chagrin, ni par le désespoir. Leur première rencontre avait très mal débutée, sans parler de cette relation qui n’avait fait que s’effriter avec le temps, jusqu’à disparaître totalement. Seule subsistait encore cette montre, dernière souvenir laissait par Alec en souvenir d’un passé qui n’avait pas été des plus glorieux. Un jour, cet héritage reviendrait à son petit frère, un héritage fraternel, il ne pourrait la garder lui ce geste aurait été comme trahir une mémoire déjà bien malmenée... Mais l’heure n’était plus à la nostalgie.

Aujourd’hui, le Réprouvé avait décidé de consacrer sa journée à s’occuper d’Eliosse, à l’emmener loin des tumultes des cités et de la population qui amenaient toujours avec eux un lot de danger. La forêt au milles clochettes était sans doute le lieu le mieux indiqué pour pouvoir profiter d’une journée ensoleillée, pour ne penser à rien, si ce n’est s’émerveiller de l’enfant qu’il tenait au creux de ses bras et qu’il n’aurait jamais pu imaginer aussi parfait. Le jeune Réprouvé ne possédait pas de cornes à l’instar de son père, mais une petite queue d’un noir charbon, qu’il parvenait à saisir de temps à autre, sur laquelle il ne cessait de tirer. C’était toujours amusant de le voir s’émerveiller d’un tout petit rien, du moindre insecte arrivant devant lui, jusqu’au moindre chat errant se posant près de lui, en passant par l’émerveillement d’une feuille de papier froissé.

Plus il passait de temps avec son fils, et plus le manque de présence de Reiya se faisait ressentir ; il regrettait plus que tout au monde de ne pas l’avoir à ses côtés pour partager ses moments uniques avec elle. Il tentait de s’en souvenir le moins possible, de ne pas évoquer son souvenir sans cesse, mais c’était parfaitement impossible ; dès lors qu’il posait ses yeux sur Eliosse, le souvenir de sa femme mourante dans ses bras revenait à la surface, encore et toujours, dans un interminable cauchemar qu’il ne pouvait stopper. Il n’osait imaginer ce qui se produirait le jour où son fils lui poserait la question fatale, ce qu’il pourrait répondre devant ses yeux innocents... Tandis qu’il marchait, l’enfant saisit un doigt de Maak et se mit à le serrer de plus en plus fort, cherchant du regard une masse inconnue.

« Ton père sera toujours là pour te protéger mon petit Eliosse... Toujours... »

Le Réprouvé continua sa marche, en sifflotant un air entrainant, père et fils étant baigné de la lumière passant entres les armes, dessinant des tâches ombrés. Qui pouvait croire que l’hybride traînait tant de mélancolie et de remords en lui...