Perdus dans les bois

« Donc ma mère m’a abandonné à la naissance. Elle m’a confié à mon père. Comme il ne voulait pas s’occuper de moi, il m’a inscrit dans une école sur une petite île dans la Mer de Cristal. Ce n’est pas très connu mais l’école est réputée pour n’accueillir que des enfants de parents qui ont les moyens. C’est connu dans un milieu restreint quoi et ce n’est pas aussi ouvert que Basphel. Les trop maléfiques n’y ont pas accès, ni même les trop bénéfiques. C’est possible d’essayer pour tout le monde mais si le comportement ne convient pas, l’élève est renvoyé. »

Je réfléchis, tout en marchant.

« Tout le personnel a la peau foncée, un peu comme cette fille-là, Sæl. C’est une île où il fait vraiment beau. Je pense qu’il doit y avoir de la magie là-dedans. Il pleut parfois mais il ne fait jamais froid. C’était bien. Le matin, on avait des cours théoriques et l’après-midi c’étaient des cours pratiques. On faisait du sport, de la musique, des jeux. En plus, c’était assez rare qu’on me parle de mon père. Ici, c’est tous les jours. »

Nous avions commencé une promenade par le plus grand des hasards. J’avais voulu m’éloigner de l’auberge et lui aussi. Finalement, nous avions convenu de marcher ensemble. Alcide Taiji. Son nom était bien plus connu que le mien, même s’il ne devait pas subir le même style de harcèlement par rapport à son père. D’ailleurs, je n’avais aucune idée de qui étaient ses parents.

« Et toi ? Tu viens d’où ? T’as des parents célèbres ? J’imagine que ton père ne passe pas son temps à pénétrer tout ce qui lui passe par la main. »

J’étais un peu injuste. Adam n’était plus si insatiable. Après être tombé de l’arbre à cause de cette peste de Susannah, il m’avait accueilli quelques temps chez lui et il n’avait touché personne en ma présence, ou alors il l’avait bien caché. Il avait été plutôt cool à cette occasion. Néanmoins, je me méfiais. J’avais passé toute ma vie loin de mes parents. Je devais cependant concéder que mon père était celui des deux qui s’était le plus occupé de moi. Ma mère ne m’avait jamais donné le moindre signe de vie. J’évitais les eaux salées et, même avec les circonstances actuelles, je ne m’inquiétais pas pour elle. Je la détestais de m’avoir abandonné et j’espérais qu’elle était coincée dans les profondeurs sans possibilité de revenir à la surface.

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Perdus dans les bois

« T’as bien de la chance. »

Je réfléchis. La plupart des hommes devaient être fidèles. Mon père n’était fidèle qu’à lui-même.

« Ah ouais ? J’aimerais bien y aller. »

Son histoire me paraissait improbable. Néanmoins, si c’était vrai, je voulais m’y rendre. Je n’étais pas toujours joyeux, c’était même assez rare. Je ne déprimais pas non plus mais il y avait pleins de questions en moi et autant de réponses qui m’échappaient. Ce n’était pas facile. J’avais souvent l’impression d’être seul. Même si Adam faisait des efforts parfois, je me doutais bien qu’il ne voulait pas vraiment de moi. Comme je n’avais pas de frère et sœur connus, c’était comme si ma famille n’était composée que de moi.

« C’est sûr qu’il y en a pléthore des Taiji… »

Il devait y avoir pleins d’homonymes.

Quand il avoua le nom de son père, j’ouvris des yeux ronds. Il ne lui ressemblait pas du tout. C’était comme le jour et la nuit. L’un était brun, l’autre était blond. Sans parler des couleurs, ils ne semblaient pas pouvoir faire partie de la même famille. À moins que sa mère soit blonde aux yeux clairs et à la peau très blanche ?

« Je ne savais pas que ton père était marié. »

Il me semblait avoir entendu des rumeurs prétextant le contraire. Cependant, savoir ce qui était vrai ou faux relevait plus du hasard qu’autre chose. Toutes les personnes connues trainaient avec elles leur lot de rumeurs. Certaines choses sur mon père devaient n’être que pures mensonges. J’espérais parce que des trucs pas très vertueux m’étaient arrivés aux oreilles. Je préférai ne pas y penser.

« Elle est comment ta mère ? »

Il fallait que je sois fixé sur ce mystère. Le monde devait savoir.

« C’est sûr… Les parents, parfois, c’est un peu naze. »

Je parlais surtout des miens mais avoir pour père un ancien Empereur Noir ne devait pas être une partie de plaisir tous les jours.

« Moi ? »

Je haussai les épaules.

« J’étais trop grand alors il fallait me mettre ailleurs et mon père a choisi de me faire passer les tests de Basphel. C’est la meilleure école apparemment. Au moins il n’est pas trop naze de ce point de vue là… Il m’a même soigné et pris quelques jours avec lui quand Susannah m’a fait tomber d’un arbre. J’crois qu’elle vit mal le fait qu’on doive se marier. »

Je le regardai.

« Et t’en dis quoi du monde en dehors de Boraür ? »

Quand il me demanda ce que je voulais faire plus tard, je haussai les épaules.

« J’en sais trop rien… journaliste peut-être. Et toi ? »

En regardant autour de nous, je me demandai si Alcide savait où est-ce qu’on se trouvait. La forêt nous avait entourés en silence. Je ne m’inquiétai pas pour autant.

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