Mitsuko venait juste de retrouver assez de puissance pour pouvoir reprendre forme humaine. Cette condition d'Aether était des plus instables et le fait qu'elle accepte de devenir temporairement l'un des huit esprits du temple n'avait guère arrangé les choses. Certes, à présent, elle avait des pouvoirs infinis dans l'enceinte de ce lieu tout aussi illimité, mais elle ne pouvait guère en sortir. William l'avait prévenu : sortir signifiait perdre toute son énergie, c'était le pacte. Pourtant, l'homme pouvait non seulement s'échapper de l'enceinte du temple mais, en plus, user de sa magie. Lui qui avait imposé ces règles à tous les Aetheri vivant là, il ne les respectait absolument pas. Enfin, la puissance de William n'avait rien à voir avec celle de la jeune femme qui était encore une déesse plutôt faible. Et, il va s'en dire que dans ce monde rongé par le chaos, la justice ne faisait malheureusement pas souvent l'unanimité. Les individus avaient plutôt tendance à vouloir se venger plutôt que de respecter les règles établies par leurs différents souverains et la citation suivante n'avait jamais été aussi vraie : « Toutes les fois qu'une injustice est commise dans le monde, les Hommes deviennent plus mauvais, par découragement. ». Les individus souffraient à cause de l'enfer qu'avait créé Jun ici et là, et, bien qu'elle l'aurait souhaité de toutes ses forces, ce dernier n'agissait pas seul. Aya, Vanille, ces femmes étaient également impliquées, dans l'ombre. Assister au conseil des chefs avait été une mauvaise idée pour elle qui voyait au delà des apparences, pour elle qui pouvait contempler la véritable nature des individus sous leurs faux-semblants. Elle n'aurait pu continuer d'exister si elle n'avait pas accepté l'offre de William, surtout avec le Mârid qui s'était amusé à la critiquer ouvertement. Oui, il avait raison, elle était impuissante mais ce n'était pas avec des individus comme lui qui refusaient de croire en elle qu'elle allait devenir apte à changer les choses. Et puis, les mortels avaient beau critiquer les inactions des divins, il ne s'agissait là que d'orgueil mal placé. Ils étaient ignorants et les souverains étaient sans doute les pires de tous les mortels, imbus d'eux-mêmes à l'excès pour la plupart. Elle soupira, admirant son reflet dans une glace qui devait être beaucoup plus ancienne qu'elle.

Une lettre à la main, elle l'avait parcouru en souriant : Edelwyn qui lui demandait de renoncer à voir le roi des génies en la menaçant de lui prendre son époux. Était-elle seulement consciente qu'elle n'avait aucun intérêt à accéder à sa requête? Non, au contraire, elle avait bien l'intention de s'entretenir avec Naram, et cette nuit justement. Si elle ne pouvait pas sortir du temple, elle pouvait néanmoins encore se permettre de rêver. Bien sûr, elle n'en avait pas besoin, mais c'était un loisir qu'elle s'offrait aussi par plaisir. Ainsi, elle se rendrait à la porte des songes et appellerait son oublié pour qu'il s'explique. Toutes ces histoires étaient tellement complexes finalement et le Mârid était sans doute le souverain le plus puissant avec son cher époux. Les génies vendaient du rêve pour mieux les briser ensuite, et, possédant la couronne des rêves elle-même, elle avait hâte de demander à ce cher Naram si elle avait brisé le sien.

C'est sur cette pensée qu'elle fit apparaître un lit, se couchant sur ce dernier, dormant sur demande. C'était amusant finalement car pendant sa vie de mortelle, elle avait plusieurs fois peiné à trouver le sommeil. A présent, cela se faisait si facilement que ça en devenait presque déconcertant. Le tunnel, la porte, le rêve. Il était sans doute difficile de se rendre à la porte des songes la première fois mais une fois que l'on y était entré, y accéder était un jeu d'enfant. S'apprêtant à appeler Naram, elle fut coupée dans son idée par un sentiment qu'elle ne connaissait que trop bien : celui que, quelque part, on l'appelait. Au début, les voix criant à l'injustice, souhaitant que justice soit faite lui avaient été insupportables, mais, à présent, elle arrivait à les canaliser ou à les ignorer. Néanmoins, cette fois, elle se laissa tenter, se sentant comme aspirée dans le rêve. Elle apparut alors dans un tout autre espace, son rêve d'origine n'étant qu'une simple plage boisée au bord de l'océan par un magnifique couché de soleil. Contemplant l'homme qui se trouvait là, elle s'approcha de lui, vêtue d'une robe blanche dont la traine s'étendait à quelques centimètres derrière elle. Du haut de ses un mètre cinquante sept, elle paraissait toujours n'être qu'une ange évadée du paradis, frêle, faible. Cependant, il n'en était rien et elle avait été, à une époque, une bien terrible femme. Mais ne disait-on pas qu'il fallait connaître chaque chose pour pouvoir enfin un jour se positionner? Le mal, le bien, ces notions étaient surtout très vagues et subjectives. Elle finit par sourire au jeune homme, comme pour l'encourager, avant de lui murmurer d'une voix douce. « Enchantée. ». Fixant ses yeux verts dans le bleu des siens, elle s'approcha encore un peu. « Parlez, je vous écoute. ». Que dire d'autre? Le monde du rêve avait de caractéristique essentiel que les différences entres les dieux et les mortels s'estompaient. Ici, son interlocuteur pouvait créer autant qu'elle, pouvait devenir qui il voulait. Il n'y avait guère de limites et c'était cela finalement qui était magique dans les songes. Oui, voilà pourquoi elle ne pouvait renoncer à voir le Mârid, elle voulait comprendre leur histoire, même si elle ne s'en souvenait plus à cause de William.

Spoiler:

Mitsuko resta immobile, contemplant les changements du rêve tout en écoutant la voix de celui qui s'appelait Devly. Les songes étaient si mystérieux et bien que les dieux et les mortels semblent égaux dans ces derniers, les Aetheri étaient les seuls à pouvoir se défaire d'un rêve dès qu'ils le désiraient. Oh elle n'était encore que très peu puissante mais un jour, elle serait l'égale des esprits du temple, du moins, elle l'espérait. Faisant régner le silence un moment, elle crut bon de répondre aux questions de l'humain dans le sens inverse duquel il les avait posé. Laissant à son esprit le loisir d'agrémenter le songe de ses créations, ils se retrouvèrent sur un lac gelé, la neige tombant finalement autour d'eux, avec une délicatesse parfaite, ni froide ni chaude, juste ici pour le plaisir des yeux. Elle sourit. « Sachez qu'une femme se trouve actuellement sur le trône de votre race. L'une de mes fidèles du nom de Violette. Oh, il est certain que seule, elle n'arrivera à rien mais elle n'a sans doute jamais cessé de croire en la réussite de ses entreprises. Le désert lui appartient depuis peu même si la nouvelle n'a pas encore circulé. ». En effet, la jeune reine avait annoncé de but en blanc lors du conseil des chefs qu'elle décrétait que le désert appartenait à présent aux humains et que le premier qui y mettrait les pieds avec de néfastes intentions en paierait les conséquences. Puis, comme si ce commentaire n'était adressé qu'à elle, Mitsuko chuchota : « Je pense qu'elle a réellement besoin de soutien... ». En effet, la déesse savait que Violette avait été déçue par la plupart des souverains lors de la grande réunion. Elle avait sans doute plus que jamais besoin du soutien des siens pour mener à bien ses projets. Replongeant ses yeux dans ceux de l'homme, elle continua : « Elle projette de construire une cité au beau milieu du désert qui aura pour ambition de réunir tous les humains. Il ne tient qu'à vous de vous joindre à cette entreprise, de faire en sorte d'unir les vôtres. ». Elle fit une petite pause, des individus apparaissant, commençant à se déplacer élégamment sur la glace au moyen d'une barre de métal fixé en dessous de chacune de leurs chaussures. « Néanmoins, pour vous protéger des créatures mal intentionnées, cela est plus complexe car il faut développer un art annihilant leur magie, un art qu'il n'est absolument pas aisé de maîtriser. Mais je suis certaine qu'une fois que les humains seront réunis, soudés, peu de créatures oseront encore les attaquer. ». Ce n'était que la vérité et elle comptait bien sûr sur Violette et ceux l'entourant pour mettre un terme au calvaire que beaucoup vivaient encore aujourd'hui.

« Vous savez, certains dieux demandent à leurs fidèles de les prier, d'exécuter des sacrifices ou diverses cérémonies. Cependant, je dois avouer ne pas être en état d'exiger cela. Je protège les humains voyez-vous, mais, pour l'instant, je n'ai pas assez de fidèles pour que ma puissance soit grande. Je dois encore m'enrichir, encore évoluée pour devenir une déesse à part entière, un sympan. C'est pourquoi, pour répondre à votre première question, je ne peux pour le moment imposer de lois aux souverains. Que ferai-je pour les obliger à obéir à ce que je leur dicte? Je n'ai pas les pouvoirs suffisant pour me montrer convaincante et je dois régler les choses au cas par cas, traiter une affaire de justice à la fois, trancher selon ce qui me paraît juste. ». Elle rit. « Ne dit-on pas que sans lois, la justice ne serait qu'une histoire de vengeance? ». Peut-être s'autocritiquait-elle mais mentir ne l'avancerait certainement à rien. Elle tendit la main, de la neige venant se déposer sur sa peau doucement. « Devenir un dieu est une chose complexe, mais évoluer jusqu'au sommet de la hiérarchie imposée est encore plus difficile. Alors oui, j'ai de nombreux projets, mais, non, pour le moment, je ne peux en aucun cas répondre à votre première question. J'ai deux grands principes de base : ne jamais tolérer que l'on s'en prenne à la nature et ne jamais tolérer que l'on s'en prenne aux humains. Quant à ce que je réaliserai dans le futur, à vrai dire, je pense édicter de grandes rlois internationales qui règleront les conflits entre les peuples. Vous savez, souvent les souverains souhaitent avoir un champs de compétence illimitée ne s'appliquant pas uniquement à leur peuple. Seulement, quand un litige survient entre deux individus n'appartenant pas au même peuple, comment savoir quelle règle ou quel souverain est compétent? ». Elle sourit, ayant peur d'endormir le jeune homme. « Je veux commencer par là, régler les conflits entre les races puis, lorsque je serai assez forte pour créer mon univers, j'y instaurerai une prison. Enfin, lorsque j'aurai assez de fidèles je pourrai rendre la justice à la place de chaque souverain tout en respectant les traditions de son peuple. ». Elle n'avait pas l'intention de faire en sorte qu'il n'y ait qu'une seule justice. Après tout, elle ne pouvait guère priver les démons de la peine de mort, ni l'imposer aux anges. Elle devait respecter les traditions de chaque peuple tout en respectant les grands principes qu'elle s'était fixée à elle même. Seulement, une fois son univers créé, elle pourrait y établir des lois qui s'y appliqueront. « Quant à mes fidèles, je les protège et leur donne les moyens de réaliser ce qui est juste. ». Sauf que son mari ne pensait qu'à la vengeance à l'heure actuelle et, comme il était son deuxième fidèle, il allait déteindre sur elle si cela continuait. Elle devait le remettre sur le droit chemin, lui expliquer. Mais comprendrait-il seulement. Elle interrogea alors Devly : « Et, si cela n'est pas indiscret, quels sont vos projets personnels? ».

Mitsuko se réveilla de son rêve, un petit sourire sur les lèvres. La sensation changeait, tout changeait à présent. Oh bien sûr, elle avait hérité d'une partie de la puissance des esprits du temple mais ce qu'elle ressentait était totalement différent. Non, avant elle avait l'impression de s'éloigner un peu plus du fossé de la disparition, de l'oubli d'elle-même, mais, à présent elle sentait quelque chose gronder en elle, cette force qui ne demandait qu'un peu plus de matière pour pouvoir enfin se libérer. C'était si étrange, si intense qu'elle ne savait quoi en penser. Un fidèle de plus, c'était un nouveau pas vers une nouvelle position. Elle se leva, faisant apparaître une robe d'un noir intense sur sa peau, tellement qu'on pouvait avoir l'impression que le temple allait être aspiré par le trou noir qu'elle était. Avançant vers la porte, elle sortit, se dirigeant là où son instinct lui dictait qu'elle pourrait trouver les autres esprits. William n'était pas là, elle le sentait, et il s'agissait là d'une bonne opportunité pour parler aux autres. Elle avait envi de s'amuser un peu. Créant une pièce sombre éclairée par de faibles bougies, des sortes de moines encapuchonnés se postèrent devant les murs, en rang. Elle fit apparaître un trône sur lequel elle s'assit et appela les esprits. Ceux-ci arrivèrent, semblant amusés de par la mise en scène. Asîlah finit par dire : « Je me souviens des premiers temps, j'adorai créer n'importe quoi, me rappeler du temps où j'étais reine. ». « Oui, ça m'amusait. ». « Oh toi, tu as toujours été le genre équilibré, à méditer, à être posé, cela ne t'as jamais intéressé, mais Mitsuko et moi sommes des femmes de pouvoir et lorsque nous sommes perdues, nous aimons nous le rappeler. ».

La déesse sourit mais reprit vite son sérieux. Elle devait leur parler de quelque chose d'important, quelque chose qui les mettrait tous mal à l'aise mais qui semblait indispensable. Se levant, elle les regarda tour à tour. On avait réellement l'impression qu'elle était reine et qu'ils étaient ses sujets. C'était faux et tout le monde ici le savait. Seulement, contrairement aux mortels, les dieux n'éprouvaient pas ce besoin de prouver leur supériorité. Il la connaissait, ça leur suffisait. Et, pour le coup, cette mise en scène n'était pas anodine car elle était la seule ici à prendre une véritable position, la seule ici à regarder la vérité en face, à vouloir commander ce qu'ils n'avaient osé faire. « Je ne vous demanderai aucune réponse aujourd'hui, simplement, j'aimerai éveiller une réflexion qui, j'en suis certaine, a déjà germé dans votre esprit bien des fois. ». Ses yeux se fermèrent un instant puis elle entama le fond du sujet. « William est peut-être le plus puissant d'entre nous mais il enfreint toutes les règles. Ne pas sortir du temple? Vous, vous vous y pliez, mais lui? Est-il le seul à pouvoir faire ce que bon lui semble sans en payer le prix? Je pense que plusieurs avertissements lui ont été donné et il continue à passer outre vos principes. Bien sûr, auparavant, cela ne me regardait en rien, mais à présent qu'il a fait de moi un des esprits du temple, alors vos principes deviennent également les miens. Je suis la déesse de la justice, je n'oublie pas cette fonction que j'ai décidé d'exercer et il est de mon devoir de punir ceux qui ne se conforment pas aux règles, surtout si ce sont des lois qu'ils ont eux-mêmes fixés. ». Elle marqua une pause. « Je ne peux pas défier William seule, il me réduirait à un triste état mais vous, vous pouvez l'arrêter. Néanmoins, s'il s'avère que vous soyez lâches, alors je ne m'agenouillerai pas devant lui, je m'opposerai à ce régime anarchique qu'il a mis en place. ». Elle fit une nouvelle pause puis fit apparaître des yeux aux moines encapuchonnés. « Chaque fois qu'un dieu enfreint sa ligne de conduite alors les mortels sont en danger. Réfléchissez mais si vous ne faites rien, vous en paierez le prix tôt ou tard car vos fidèles ne sont pas idiots. ». Elle descendit de l'estrade du trône, passant lentement entre eux. « Regardez ce qu'il va se passer les jours, les semaines et les mois à venir. J'espère juste que vous ne prendrez pas la bonne décision trop tard. ».