Ce fut avec un léger pincement au cœur et l'esprit rempli de doutes et d'appréhensions que Lily-Lune quitta la Mage Blanc. Avant de se décider à s'en aller pour partir à la recherche de la jeune Orine, elle n'avait pu s'empêcher de passer quelques heures en la compagnie du vieil homme, qui malgré les troubles incessants dans sa vie et sa misérable existence, se révélait être un hôte de qualité. Il ne pouvait vivre, il ne faisait que survivre. La maladie, peu à peu, sans les bons soins de Capucine, le rongeait doucement, pour le dévorer de l'intérieur et le consumer. Il lui confia sentir un feu infernal ramper en lui, vicieux, pour embraser les dernières miettes de son être, jusqu'aux plus infimes. Ils n'abordèrent le sujet que très peu de temps, car Raphaël, gêné, tâcha de faire dévier habilement la conversation sur des petites choses plus légères et plus humoristiques. Si l'inquiétude et la peur se lisait clairement sur les traits du Magicien, il n'en demeurait pas moins qu'il avait besoin de compagnie. Ces derniers jours, il avait du se sentir si seul et abandonné, comme perdu dans les tréfonds de sa demeure ou il mourrait lentement. Juste avant de se retirer, Lily-Lune tendit une petite fiole à son interlocuteur d'un jour, qui la contempla surpris. « J'ai pris la liberté, après avoir lu votre lettre, de créer cette petite potion. J'ai, je dois vous l'avouer, navigué à vue en ce qui concerne les doses, car j'ignorais tout du mal qui vous assaillait. Mais elle devrait être efficace et soulager vos maux pour quelques temps, jusqu'à mon retour.» Il lui sourit, et, sans rien ajouter prit délicatement la main de la jeune femme pour y déposer un léger baiser avant qu'elle parte, laissant glisser ses doigts dans sa paume. Il était tellement dur de s'éloigner ainsi, en le sachant dans cet état qui risquait de l'emporter à tout moment. Au bord de la mort, elle devait le contempler, attendre son trépas avant de surgir, moment qui ne devrait pas tarder si Lily-Lune échouait ou prenait trop de temps. Durant quelques instants, la Vénus songea à lui proposer de voyager ensemble pour retrouver sa bien-aimé Capucine. Mais elle dû bien vite se raviser. Le maintenir en vie à coup de potion n'était guère un sort enviable, et elle n'aurait fait que perdre les précieuses secondes qui jouaient peut-être sur l'avenir de l'Orine du Mage. Il n'aurait été qu'un poids, un poids qui a tout instant pouvait mourir. Certes, Lily-Lune avait le don de ressusciter les morts dans un délai raisonnable. Mais en plus d'avoir un résultat plus qu'incertain, l'utilisation de ce pouvoir était des plus risqués pour la demoiselle, qui pouvait bien rendre son dernier souffle pour le donner à un autre. Et ce n'était guère dans ces projets du moment.

C'est pourquoi Lily-Lune tâcha de presser le pas pour se rendre au premier lieu qu'elle devait fouiller de fond en comble dans l'espoir de retrouver Capucine, ou tout du moins, des pistes plus solides. La Forêt aux Milles Clochettes fut donc sa première destination. Écumer les bois risquait d'être une étape longue et fastidieuse, mais Raphaël avait affirmer qu'elle devrait commencer ses recherches dans les parages. Munie du petit calepin qu'il lui avait confié, Lily-Lune avançait lentement, dans le plus grand des silences, non loin des petits sentiers qui traversaient la forêt, sans pour autant les emprunter. Mieux valait éviter les routes habituelles. N'était-ce pas le meilleur moyen de se faire repérer ? Elle préférait passer inaperçue, pour le moment, dans la mesure du possible. Elle ouvrit le carnet et feuilleta les pages. Ses délicats sourcils noirs se haussèrent doucement d'étonnement lorsqu'elle découvrit que la plupart des pages étaient désespérément blanches ou raturer à tel point qu'elles en devenaient illisibles. Lily-Lune soupira, secoua la tête avec une point d'énervement. Raphaël avait-il été pris dans une crise de démence, il y a peu ? Cela aurait expliqué tout cela, et pourtant il n'y avait qu'un seul et unique nom d'inscrit, plusieurs fois, souligné et re souligné. Vladimir Despeclara.

Lily-Lune glissa le carnet dans un des plis de sa longue robe. Encore une fois, elle n'avait peut-être guère choisie la tenue la plus propice pour ce genre d'aventure. Mais elle commençait à se faire une raison : peu importait la situation, le danger ou le lieu, elle aimait se vêtir élégamment des vêtements de sa propre confection. Tant pis si elle en massacrait quelques unes lors de ses expéditions comme celles d'aujourd'hui. La jeune femme laissa son regard vagabonder sur les alentours, silencieusement contemplative. La Forêt aux Milles Clochettes était un lieu vraiment sublime, coloré et lumineux, ou le chant des oiseaux résonnait à toute heure, accompagné d'étranges tintements si doux à l'oreille. L'air y était frais, pur, et une délicate fragrance enchanteresse flottait pour le plus grand bonheur des nez fins. Mais derrière ces apparences d'allégresse et de magie, Lily-Lune savait que la Forêt recelait de sombres secrets et de mystères inquiétants. De nombreuses légendes plus ou moins lugubres entourent ces lieux à l'allure pourtant si inoffensif, et tant d'âmes s'y étaient perdues.

Lily-Lune laissa un petit soupire s'échapper de ses lèvres d'un rouge ensanglantée tout en passant ses longs doigts dans sa chevelure sombre, qui n'était guère attachée, si ce n'était légèrement relevé en un chignon faussement négligé, quelques piques et fleurs plantés à la base de la coiffure. Ses grands yeux noirs glissaient sur les nombreux arbres qui l'entouraient, les pierres et les oiseaux, à la recherche du moindre indice qui la mènerait à ce fameux Vladimir ou une preuve de la présence passée ou non de la jeune Capucine dans les parages. Car après tout, rien ne pouvait jusqu'alors affirmer que, où qu'elle soit, l'orine soit toujours en vie. Le meilleur moyen de tué Raphaël sans pour autant le toucher restait d'éliminer sa précieuse Orine. Cette situation semblait si tendue et compliquée... Malgré toute l'affection qu'elle portait au Mage Blanc, qu'avait-il donc réellement fait pour s'attirer ainsi les foudres d'êtres aussi fourbes? Les travaux qu'il menait devait en encombrer plus d'un, il devait vouloir percer des secrets de l'existence trop lourds, qui sait. Lily-Lune ne désirait pas vraiment le savoir, même si tant d'efforts pour réduire à néant un simple homme l'intriguait. Mais l'amour que le Mage portait à son Orine était touchant, car malgré qu'il ait besoin d'elle pour survivre, ce n'était guère cela qui l'avait incité à quémander de l'aide pour qu'on la retrouve, elle lui manquait, tout simplement, il la voulait à ses côtés. Et la jeune Capucine devait aussi se sentir seule et perdue, à pleurer en silence pour son maître qu'elle savait à l'agonie. Pensive, Lily-Lune avait les yeux virés sur le sol couvert de feuilles mortes, avançant lentement sans vraiment regarder où elle allait. Peu à peu, ses pensées s'évadaient pour la mener dans un autre monde, l'univers doux et cloitré, caché dans un coin de sa tête.

L'amour avait été longtemps pour Lily-Lune une notion abstraite qu'elle ne comprenait que peu et dont elle ne souhaitait pas percer les secrets. Les hommes l'ont toujours quelque peu effrayé, d'une manière pourtant très différente suivant son âge. Jusqu'à ces dix-sept ans, elle n'en avait jamais vu, et alors qu'elle franchit les portes de son village pour partir sans se retourner, elle découvrit les vices et les maux de la gente masculine, et si elle ne les appréciait pas, elle aimait jouer avec eux. Pendant quelques années, elle s'amusa à traîner dans des lieux pour le moins étranges et fréquentables à côtoyer toutes les sortes d'hommes qu'elle puisse, des aristocrates les plus riches aux nobles déchus, des meurtriers de petits chemins aux grands assassins à la recherche du meilleur contrat, des malfrats, des violeurs, tous. Qu'elle aimait les voir sourire alors qu'elle s'approchait d'eux. Lily-Lune était loin d'être laide, elle était une occasion en or pour ces messieurs à qui elle laissait entrevoir de biens douces perspectives. Ils espéraient, et c'est quand les choses allaient prendre un autre tournant qu'elle s'enfuyait pour les abandonner, criant de rage de s'être fait ainsi berner. Avec l'âge, la jeune femme s'assagit et évitait de tomber dans ces jeux dangereux. Elle se faisait cependant toujours courtiser mais se montrait froide et distante avec les amants pour qui elle ne ressentait rien si ce n'est un peu de peur car ils pouvaient se révéler imprévisible, à vouloir posséder une femme. Elle ne connaissait que trop ce désir qui les animait, le même qui les poussait souvent à répondre à l'énigme d'une Orine. Lily-Lune n'aimait pas les hommes, ils étaient tous pareils, et aucun homme ne pouvait la faire flancher un peu. Puis, le temps la rendit peut-être plus sensible et vulnérable, et elle se prit d'affection pour quelques personnes jusqu'à ressentir un désir brûlant pour un homme qui se montrait pourtant plus qu'inquiétant. Mais elle s'évertuait à refouler cette passion pour lui préférer des idylles plus sages, mais qu'il était dur d'oublier le génie bleu.

A croire qu'une femme ne pouvait empêcher d'avoir une faiblesse dans le cœur et si elle arrivait à la freiner, elle arrivait tôt au tard. C'était d'un désolant. Lily-Lune préférait cependant cela à celle des hommes qui se trouvaient souvent bien plus bas, et dans un endroit bien moins noble. Lily-Lune esquissa un sourire, relevant doucement les yeux, elle contempla le paysage quelques instants, troublée. Elle ne devait pas se laisser s'égarer ainsi, dans tous les sens du terme. Pourtant, elle avait un drôle de pressentiment qui lui susurrait qu'elle était sur la bonne voie et qu'elle devait continuer sa route ainsi. Un indice ne tarderait pas à faire son entrée. Et elle serait fracassante, mais l'Orine ne s'en doutait pas encore.

Les choses ne se déroulaient pas toujours comme on le croyait, encore moins de la façon dont on l'espérait. Mais Lily-Lune n'avait jamais envisagé la possibilité de croiser un être comme celui qui avait fait son apparition. L'air sauvage, les vêtements en charpie et la peau sale, couverte de terre, de boue et de feuilles, une jeune fille d'allure juvénile venait de sauter d'un arbre pour atterrir non loin d'elle. Tout ses mouvements étaient emprunts d'une certaine brusquerie, quoiqu'avec une espèce d'élégance féline, elle tenait entre ses petites mains usées un espèce de bâton taillé en pique qu'elle pointait vers Lily-Lune qui demeurait immobile en observait la demoiselle, qui avait la tête penchée alors qu'elle faisait quelques pas sur le côté, comme prête à attaquer. Lily-Lune poussa un soupire qui balançait entre l'agacement et le rire face à cette drôle de situation inhabituelle. Que pouvait-elle bien faire? Elle savait qu'elle n'aurait très certainement aucun mal à maîtriser la sauvageonne, et pourrait ainsi continuer son chemin en toute tranquillité, mais l'utilisation des forces magiques ou de la violence physique n'étaient jamais dans les priorités de l'orine qui leur préférait la parole et l'art de la persuasion. Seulement, il fallait qu'elle s'assure que la petite parlait bien, car elle ne savait rien de cette enfant qui pouvait très bien ne jamais avoir connu un quelconque monde un tant soit peu civilisé. Avec un sourire attendrie sur les lèvres, Lily-Lune détaillait la fillette qui ne devait pas avoir plus de quinze ans, et qui, malgré qu'elle soit dans un piteuse état, était une petite plutôt mignonne. Cette jeune enfant sembla troublée de voir la femme face à elle sourire, et, déstabilisée, elle baissa légèrement son arme pour se redresser, l'air soudainement attentive. « Bonjour» murmura doucement la Vénus d'une voix encore plus douce que d'ordinaire, en articulant avec précaution. « Comment t'appelles tu? »

De toute évidence, la petite n'avait guère l'habitude qu'on lui parle. Elle se mordait les lèvres, ouvrant la bouche comme pour tenter de prononcer quelques mots, mais aucun son ne sortait. Peut-être était-elle aussi troublée, intimidée et gênée, qui sait. Mais Lily-Lune était patiente et ne brusquait pas cette enfant qu'elle ne saurait placer dans aucune race. Doucement, la jeune femme recula pour s'assoir sur un vieux tronc couché, recouvert de mousse. Et la sauvageonne se baissa doucement pour poser son arme au sol, mais sans bouger de son petit coin, elle finit par articuler en s'entortillant les doigts : « Kay.» L'Orine hocha délicatement la tête : « Bien Kay. Je m'appelle Lily-Lune.» - « Lily-L …?» - « Lune. Lily-Lune.» - « Lily-Lune.» - « Voilà.» Elle sourit. La petite demeura inexpressive quelques instants avant de lui retourner un sourire, comme heureuse d'avoir réussis à dire le prénom de cette inconnue qui s'était aventurée sur son territoire. « Vis-tu ici depuis longtemps?» - « Kay a toujours vécue ici.» - « C'est ta maison?» - « Kay vit ici. Sa maison est ici. Partout ici.» La communication risquait d'être fastidieuse, mais la jeune femme ne perdait pas espoir. « As-tu vu d'autres personnes passer dans les parages? Chez toi. D'autres sont venus?» Les yeux de Kay s'illuminèrent soudainement d'une drôle de lueur. « Oui ! Kay a beaucoup été dérangée depuis plusieurs lunes» - « Qui sont-ils?» - « Kay ne sait pas. Kay les chasse. Mais ils reviennent toujours chez Kay pour continuer à marcher vers l'est.» Elle pointa une direction. Lily-Lune suivit son geste pour poser ses grands yeux sur un coin de la forêt dont elle ne pouvait voir la fin tant cela semblait sombre. « Les as-tu vu avec une jeune fille?» Elle semblait réfléchir. « Kay n'est pas sûre. Kay ne regarde pas.» Elle avait l'air déçue de ne pas pouvoir mieux aider. « Ce n'est pas grave. Écoute Kay, je vais devoir passer par chez toi. Je recherche les gens que tu as vu, il faut que je retrouver ces hommes. Ils possèdent très certainement ce que je cherche.» - « Qu'est-ce que Lily-Lune cherche?» - « Une jeune femme de ma race.» - « De quelle race es-tu?» - « Les Orines» - « Je ne connais pas.» - « C'est un peuple un peu étrange qui vit caché.» - « Pourquoi?» - « Les hommes nous convoitent.» - « Pourquoi?» - « C'est ainsi.» - « Kay n'aime pas cette réponse.» - « Je ne peux faire mieux.» - « Alors Kay s'en contentera.» - « Et toi, de quelle race viens-tu?» - « Kay n'est pas sûre.» - « Tu as surement une idée.» - « Kay pense être un de ceux qui contrôle la terre.» - « Elemental?» - « Oui. Kay croit ça.»

Lily-Lune tapotait du bout de ses longs ongles l'écorce du tronc, songeuse. Ce genre de confrontation n'était jamais facile, et si Kay se montrait étrangement coopérative jusqu'à lors, un simple mot qu'elle ne comprendrait pas ou mal pourrait tout faire basculer. La jeune femme devait faire très attention aux choix de ces phrases, aux tournures qu'elle employait. Elle avait pour habitude de s'exprimer en un langage assez soutenu, naturellement, mais elle devait se forcer à simplifier ces paroles face à cette drôle d'enfant qui semblait manquer cruellement de compagnie, et si elle avait une façon bien à elle s'envisager les choses, elle était là, debout, souriante, heureuse qu'on se préoccupe un tant soit peu d'elle. « Je vais devoir continuer ma route, Kay, je dois retrouver la fille, tu sais?» Le sourire que la petite affichait se fana. « Pourquoi?» - « Je ne peux pas l'abandonner. Elle a besoin de mon aide. Des gens l'ont obligé à venir avec eux.» - « Les hommes qui passent chez Kay?» - « Oui.» - « Ils sont méchants» - « Oui, Kay. Je dois donc aller sauver la jeune fille.» - « Kay peut venir?» Lily-Lune soupira. C'était ce qu'elle craignait. La compagnie de la jeune sauvageonne risquait d'être plutôt embarrassante, mais elle se doutait que se débarrasser d'elle ou la semer serait encore plus dur. « Kay, c'est très risqué.» - « Kay n'a pas peur.» - « Là n'est pas la question.» - « Kay veut venir. Kay connait bien la forêt. C'est la maison de Kay.» - « Tu veux me servir de guide?» - « Oui. Kay veut rester encore avec Lily-Lune.» - « Mais après je devrais partir.» - « Partir où?» - « J'ai ma vie à mener, un village à faire vivre. Et tu as ta vie à mener. Où sont tes parents?» - « Kay n'en a pas, Kay n'en veut pas.» - « Mais tu ne te sens pas seule?» - « Kay n'est jamais seule. Ces amis vivent avec Kay.» Sans crier gare, elle bondit sur le côté et grimpa avec une agilité surprenante à un arbre pour y dénicher on ne sait quoi. Elle redescendit tout aussi rapidement avec une seule main puisqu'elle gardait son autre bras plié pour ne pas laisser tomber la petite chose qu'elle tenait. Elle trottina tout sourire jusqu'à Lily-Lune, posant sur ses genoux une petite boule de poile encore informe que la Vénus ne parvenait pas encore à identifier. Kay se mit à accroupit devant Lily, les yeux rivés sur le petit animal qui commençait doucement à s'étirer. « C'est ton ami?» - « Le meilleur.»

Du bout des doigts, Lily-Lune effleura le pelage d'un brun doré du petit animal qui découvrait peu à peu sa petite bouille qu'il cachait cependant toujours entre ses pattes griffues. C'était une créature assez improbable, un espèce d'écureuil, mais en plus gros et fin, aux oreilles bien plus longue et pointues avec en guise d'yeux, deux billes d'un vert intense. Il semblait bailler tout en s'étirant, avant de glisser vivement sa tête dans la paume de Lily-Lune, réclamant quelques caresses. La Vénus sourit. « Adorable. Comment s'appelle-t-il?» - « Teto ! Teto aime bien Lily-Lune, Kay croit.» Tout en cajolant l'espèce de petit être, savant mélange d'un chat, d'un panda et d'un écureuil, la jeune Orine songeait à la suite, à ce qu'elle allait bien pouvoir faire de Kay et pour elle, car elle n'aurait pas le cœur d'abandonner cette enfant ainsi, elle se devait d'agir, mais elle ne pouvait pas faire grand chose. « Es-tu sûre de vouloir m'accompagner?» Lily-Lune ne pouvait pas s'occuper d'une petite fille et n'était guère certaine d'être en mesure de la protéger. A chaque fois qu'elle clignait des yeux, des images floues lui apparaissaient, et bien qu'elle ne puisse réellement les assimiler, elle savait que cela ne présageait rien de bon et elle craignait pour la vie de cette sauvageonne.

« Kay s'ennuit.» finit par murmurer la petite « Kay veut venir. Kay aime bien Lily-Lune.» - « Mais comprends-tu que c'est vraiment très dangereux? Tu pourrais te faire tuer.» - « Lily-Lune aussi.» - « Je mesure les risques et les assume. Mais je m'en voudrais s'il t'arrivais quelque chose.» La petite soupira tout en reprenant Teto contre elle, et tandis qu'elle le caressait, ces yeux devinrent étrangement blancs. « Si c'est le destin de Kay de mourir en aidant Lily-Lune, Kay est d'accord.» La Vénus se raidit, soudainement bien crispée. Kay semblait tout d'un coup être plus âgée, plus mûre, et exprimait une certaine lassitude et une étrange sagesse. En la regardant, ce n'était pas une élémental qu'elle voyait. C'était une rehla, ou bien une ombre, c'était assez dur à dire. La gorge serrée, Lily-Lune ajouta tout bas : « Mais moi je ne l'accepterais pas.» - « Personne ne peut aller contre son destin. Pas Lily-Lune ni Kay.» - « Je préfèrerais qu'il ne t'arrive rien. Penses à Teto.» - « Teto est libre, sait vivre seul, car c'est comme ça que Teto vivait avant.» - « Mais il sera triste de te perdre.» Kay leva doucement ces grands yeux verts sur le visage de Lily-Lune, toutes deux muettes. L'Orine approcha doucement sa main de la joue de la sauvageonne, et à son plus grand étonnement, cette dernière se mit à pleurer. « Kay.» Lily-Lune avait la voix brisée. Se laissant glisser du tronc, elle s'assit à côté de la jeune fille pour la prendre tendrement dans ses bras.

S'enfonçant lentement dans les abimes de la forêt, Lily-Lune marchait en silence d'un pas léger, suivant son guide d'un jour, Kay, qui l'avait convaincue de la laisser l'accompagner sans rien dire. Car ce n'était pas les paroles incongrues de la petite qui l'avait décidé mais bien ses pleurs muets. Pourtant, la Vénus avait de bien mauvais pressentiments concernant cette drôle de petite demoiselle et s'en sentait d'autant plus mal. Ce n'était qu'une enfant qui n'avait jamais réellement vécu, mais elle avait l'air d'avoir une idée en tête à laquelle elle ne pouvait se départir. Mais Lily ne pourrait supporter d'être responsable de ce qui pourrait lui arriver, elle aurait bien du mal à vivre sereinement avec cette idée. Certes, elle avait déjà tué, et plus d'une fois, avec une certaine froideur pour ne pas dire un détachement impressionnant et inquiétant, mais au fond, elle n'enlevait jamais une vie par plaisir et ne s'y résolvait qu'en dernier recours, une fois toutes les autres voies possibles et inimaginables épuisées. Mais elle n'aimait que peu l'idée d'être la cause d'une mort innocente. Elle tâchait d'oublier cette éventualité, préférant croire que tout se passerait pour le mieux et que les véritables ennuis ne commenceraient que plus tard, car Lily-Lune était persuadée qu'elle n'aurait pas à faire à ce Vladimir qu'elle recherchait, mais plutôt à ces intermédiaires à qui elle devrait soutirer quelques informations. « Kay. Attends un instant s'il te plait.» Une main posée sur l'écorce d'un arbre, Lily-Lune se courba légèrement, sa tête cognant étrangement fort, soudainement. Le souffle court, elle tâchait de se reprendre mais peinait à voir les environs, tout devenait soudainement flou et sombre.

Était-ce encore l'une de ces étranges visions? Ce pouvoir s'était toujours manifesté d'une manière peu commune chez la jeune femme qui percevait les yeux fermés ou dans ces rêves des brides d'avenir, mais depuis peu, elle voyait se superposer à ce qu'elle regardait des images concernant le futur, au pire, elle quittait la réalité pour subir de drôles de phénomènes, et elle sentait que c'était ce qui se produisait alors. Kay, Teto et la forêt n'étaient plus là. Lily-Lune était seule dans une immense étendue noire, dépourvue de tout paysage. Peu à peu, il se détachait au lointain quelques ombres aux contours imprécis qu'elle ne distinguait qu'à peine. Les ombres semblaient danser et valser, rire et chanter, et elles n'en étaient que plus inquiétantes. Et elles s'évaporèrent soudainement pour ne laisser face à elle que la silhouette filiforme de ce qui semblait être un petit garçon. Immobile et muette, Lily-Lune observait la scène. Le garçon avait la tête basse, des cheveux plutôt long, et lentement, il releva son visage qui n'était pas dessiné, simplement blanc, à part ces yeux. Deux immenses prunelles à l'éclat mort d'un bleu intense qui lui rappelait le génie. Puis un sourire s'afficha, un sourire carnassier, et l'enfant tendit le bras avant d'exploser en une nuée de papillons lumineux alors que des rires résonnaient.

« Lily-Lune?» L'Orine rouvrit doucement les yeux, troublée, un mal de crâne horrible la tiraillant encore. Elle tourna légèrement la tête pour croiser des yeux Kay près d'elle, le regard préoccupé. « Ne t'inquiète pas. Tout va bien. Nous pouvons continuer.» La petite hocha la tête, elle n'était pas du genre à insister et se contenta de tourner les talons pour guider Lily-Lune à travers les bois. Qu'est-ce que cette vision signifiait? Lily-Lune ne savait pas encore, et elle ne préférait pas y songer pour l'heure, c'était un problème auquel elle réfléchirait plus tard. Durant de longues dizaines de minutes, elle avancèrent sans parler, puis, la petite sauvage brisa le silence en murmurant tout bas dans un souffle teinté de satisfaction: « Regarde Lily-Lune. Kay a trouvé.» Les deux jeunes femmes, tapis dans l'ombre, observaient le plus discrètement possible ce qui semblait être les ruines d'une ancienne ferme dans laquelle s'était établit un petit campement. Une demi-douzaine d'hommes environ était réunis. La Vénus jeta un regard appuyé à Kay qui fit non de la tête, comprenant qu'elle lui intimait qu'il était encore temps de partir. Mais la petite savait qu'elle avait un rôle à jouer dans cette histoire et qu'elle ne pouvait échapper à son destin qu'elle acceptait entièrement.

La bonne humeur et la camaraderie semblaient régner autour du feu dans la joyeuse troupe de sorciers. Enfin de compte, peut-être que le fameux Vladimir qui avait tant obsédé le Mage Blanc se trouvait ici, c'était impossible à dire d'un simple coup d'œil. A première vue, les sorciers n'avaient pas l'air de représenter une grande menace, mais ils n'en demeuraient pas moins des êtres maléfiques qui étaient très certainement impliqués dans de biens sombres affaires, entre autre, l'enlèvement de Capucine. Lily-Lune prit quelques instants pour détailler tour à tour les quelques hommes qu'elle pouvait voir. Ils se ressemblaient, physiquement, tous grands et minces avec en guise de chevelure une tignasse désordonnée. De toute évidence, cela faisait déjà quelques temps qu'ils vivaient dans les bois, surement par nécessité, ils devaient devoir demeurer caché, bien à l'abri et introuvables. Il est clair que l'Orine aurait bien eu du mal à dénicher leur cachette si elle n'avait pas reçu l'aide de Kay qui connaissait les environs de fonds en combles. La petite sauvageonne, d'ailleurs, se préparait à bondir et attaquer à tout moment, les yeux rivés sur la jeune femme, elle n'attendait qu'un signal pour s'élancer, sa lance entre les mains. D'un geste de la main, Lily-Lune lui intima de se contenir un peu, l'heure n'était pas à la bataille, et l'Orine préférait éviter les risques inutiles. Chose bien rare de la part de la Vénus qui aimait habituellement à se mettre dans des situations délicates pour mieux s'en sortir. Mais elle n'était pas seule, il y avait Kay.

«Nous ne sommes pas seuls.» déclara soudainement l'un des sorciers, laissant après ces paroles un silence lourd et pesant s'installer, tous était à l'affut du moindre bruit alors que celui qui avait parlé gardait les yeux clos, à simplement ressentir ce qui se passait dans les alentours. Lily-Lune blêmit, immobile et muette, elle n'osa que jeter un petit coup d'œil à Kay qui piétinait doucement le sol sous ces pieds, visiblement animée par l'envie presque insoutenable de bondir et attaquer, mais d'un regard, l'Orine l'en dissuada. Elle ne s'attendait guère à ce qu'on les découvre aussi vite et facilement, mais en même temps, ce n'était pas prévu qu'un des sorciers ait un tel don. C'était pour le moins gênant. «Qui ? Combien? Qu'est-ce que tu ressens?» cracha un autre avec dédain et hargne. « Moins fort» chuchota le premier dans un souffle «Il y a... deux femmes, tout près. Très près.» - « Sont-elles une menace?» - « Je ne sais pas.» - « On pourrait peut-être s'amuser un peu si elles sont mignonnes» ricana l'un des hommes au dos appuyé contre l'un de murs délabrés de la fermette. A ces mots, Lily-Lune dut s'empêcher de soupirer, dégoûtée. Décidément, les hommes se ressemblaient tous. La jeune femme, sans sortir de la pénombre, alla tout près de Kay et lui glissa à l'oreille, tout bas « Grimpes dans les branchages et ne descends que si je te le dis. D'accord?» Cette idée ne semblait guère plaire à la petite sauvageonne qui n'avait pas tardé à comprendre que Lily allait se jeter dans la gueule du loup, seule. Mais loin d'être une brebis égarée, Lily-Lune savait se défendre et pouvait se révéler être une véritable furie en cas de besoin. Pour le moment, elle privilégiait une tout autre tactique.

D'une démarche lente et aérienne, Lily-Lune fit quelques pas en direction de la vieille ferme, sortant peu à peu de la pénombre. Les maigres rayons lunaires caressaient son visage d'ange, le rendant davantage clair, agrémenté de reflets argentés. Ses immenses yeux noirs et le rouge ensanglantée de ses lèvres n'en ressortaient que plus. Douce apparition sortie dont on ne sait où, les rires et les gloussements des sorciers cessèrent à l'instant même où ils posèrent les yeux sur elle. Entre méfiance et allégresse, ils semblaient hésiter. Lily-Lune, quant à elle, s'était arrêtée près d'un pan de mur, paume posée à plat contre la pierre froide et rappeuse, tête légèrement penchée, elle se bornait à les contempler de son regard ensorcelant. Le sorcier au pouvoir encombrant se releva lentement puis avança avec prudence vers la jeune femme. D'abord, il ne dit rien, dévisageant la demoiselle face à lui qui faisait de même. Il avait un regard assez troublant, d'une couleur dure à définir oscillant entre le vert et le jaune. Il finit par tendre délicatement l'une de ses mains pour caresser du bout des doigts la joue de la Vénus qui ne cillait pas, avant de les faire glisser près de son oreille et agripper quelques mèches de cheveux. Sèchement, il tira sa prise avec grande fermeté, obligeant Lily à se courber légèrement dans un très petit rictus de douleur.

« Alors ma belle, on vient fouiner dans les parages?» Lily-Lune ne fit que lever les yeux vers lui, gardant une expression neutre. « Réponds.» Et face au silence persista, il empoigna plus de cheveux de la jeune femme qui se laissa tomber au sol. D'un geste vif et précis, le sorcier sortit de sa ceinture une longue dague qu'il fit mine de planter dans la poitrine de Lily qui ne réagit pas. La pointe de la lame était à quelques millimètres du corsage. Le sorcier ricana. « Tiens, une téméraire.» - « Eh ! Chad ! Sois cool un peu, on veut voir un bout du spectacle ! Laisses nous profiter un peu.» - « Tu entends ma belle» murmura doucement le sorcier tout en laissant ses doigts courir sur l'épaule de la jeune femme « Ils veulent un numéro»

Nerveuse, Kay tapotait doucement de ses petits doigts l'écorce de la branche sur laquelle elle était perchée. Dans une main, elle tenait sa lance et la serrait tant que les tendons bleus ressortaient sous la peau qui paraissait soudainement plus pâle. La petite avait du mal à tenir en place et luttait contre elle même pour rester bien sagement dans son arbre. Mais la vue de Lily-Lune dans cette posture ne lui plaisait guère, c'était presque insoutenable à regarder. Si Kay ne connaissait pas grand chose au monde civilisé, elle n'en était pas pour pourtant naïve et réfléchissait beaucoup, simplement, sa façon d'envisager les choses différaient de celles du commun. Mais comment rester calme en voyant Lily-Lune dans les bras d'un homme bien plus massif qu'elle. Poupée de chiffon, brisée ou désarticulée, la jeune femme se laissait faire sans broncher tandis que le dénommé Chad posait une main sur son cou, alors que de l'autre, il faisait glisser la lame de sa dague sur les lacets du corsage pour les couper un à un. Peu à peu, il dénudait la peau blanche de Lily-Lune qui n'opposait toujours pas la moindre résistance. La tête courbée vers le sol, le regard dans le vague, elle se laissait à la merci de ces hommes qui se réjouissaient de la découvrir de secondes en secondes. Les cris et les rires résonnaient de manière insupportable aux oreilles de la sauvageonne qui s'était prise rapidement d'affection pour la Dame Orine. Et surtout, elle ne comprenait pas pourquoi Lily-Lune réagissait si peu. Grinçant des dents, Kay contemplait la scène impuissante, attendant tant bien que mal le signe que lui avait promis Lily-Lune.

Il est vrai que ce n'était guère dans les habitudes de Lily-Lune d'être si peu réactive, mais elle avait ces raisons, bien qu'elles ne soient que très peu évidentes. Au fond, la scène qui se déroulait la répugnait au plus haut point, et pour une femme aussi prude et distante qu'elle, c'était une véritable humiliation, et c'était pour cela qu'elle ne regardait pas les hommes rirent et applaudirent en la dévorant du regard. Mais sans que le sorcier qui la tenait s'en aperçoive, elle glissait doucement ses doigts dans les poches secrètes de sa robe pour y dénicher les quelques fioles qu'elle y avait engouffrer. Car Lily-Lune n'était pas venue désarmée, et si elle avait concocté une potion pour le bien du Mage Blanc, elle en avait aussi créé quelques unes pour se défendre ou attaquer. Et alors qu'elle en tenait une entre ses longs doigts pâles, Chad la tourna brusquement pour qu'ils se fassent face. Lily entrouvrit la bouche, pour parler ou pousser un cri, c'était impossible à dire, mais le sorcier posa doucement son index sur les lèvres exquises pour la faire taire et murmura « Allons ma belle. Qu'est-ce que tu trafiques? Je sens que tu prépares quelque chose.» Lily-Lune n'aimait pas sentir cet homme contre sa peau. C'était dégoûtant, repoussa,t. Mais étrangement, elle sourit, fixant son adversaire droit dans les yeux. Agile et fine, rapide de surcroît, elle n'eut aucun mal à glisser son bras près du visage du sorcier et enleva le bouchon d'un petit coup de pouce avant de jeter le contenu de la fiole en un geste dans les yeux de Chad qui hurla de douleur. Chad hurlait de douleur et de rage. Effondré au sol, il se tordait dans tout les sens en jurant, se frottant les yeux avec insistance tandis que Lily-Lune se retournait lentement vers les cinq autres sorciers, interdits et ébahis, ils ne réagirent pas immédiatement. Kay, par contre, comprit que c'était le fameux signal et sauta à la seconde où elle aperçut la potion frôler les précieux globes oculaires du Mage Noir. Comme une furie la sauvageonne déboula avec sa lance pour frapper et cogner tout ce qui était à sa portée.

Lily-Lune sourit à nouveau en voyant Kay se débrouiller fort bien seule contre cinq hommes, simplement armée d'une morceau de branche pointue. Plus ou moins satisfaite et rassurée, elle reporta son attention sur le sorcier à qui elle avait lancé une solution acide qui privait du sens de la vue. La jeune femme enjamba ce messire et s'arrangea pour l'immobiliser un peu, et l'empêcher de gesticuler dans tout les sens. «Chut...» chuchota avec douceur Lily-Lune en tenant fermement les poignets de Chad au sol. « Je ne veux qu'une seule chose de vous. Éclairez moi, simplement. Dites moi ce que vous savez sur Vladimir Despeclara.» Il rit. « Ce bon vieux Raphaël a donc trouvé quelqu'un d'assez instable pour lui venir en aide. Vous courrez à votre perte, ma belle.» - « Épargnez-moi ce genre de discours. Parlez.» - «Vous ne pourrez pas gagner contre lui. Et vous ne gagnerez pas contre nous, petite.» - « J'ai du mal à vous croire. » La jeune femme se permit un petit rire discret tout en jetant un coup d'œil à Kay qui avait déjà mis à terre deux des hommes sur cinq. Malgré tout, elle s'inquiétait pour la petite, toujours animée par un étrange pressentiment. Était-ce si stupide de craindre pour la vie de cette enfant? Elle paraissait si sûre d'elle, déterminée et sereine malgré la situation délicate dans laquelle elle se trouvait. Si elle semblait avoir décidé de venir en aide à l'Orine sur un coup de tête, son acte avait cette étrange allure de plan médité. D'un côté, Lily-Lune voyait bien que la petite savait se débrouiller seule et qu'elle cachait de nombreuses ressources derrière sa silhouette frêle, mais d'un autre, elle avait cet intime conviction, celle que tout allait basculer d'un moment à l'autre et qu'elle ne pourrait rien y faire même avec toute la bonne volonté du monde. Et l’attitude étrange et énigmatique de la sauvageonne ainsi que ces paroles mystérieuses la confortaient dans son macabre pressentiment. Bien que soucieuse, Lily-Lune finit par détacher son regard de Kay pour planter ces prunelles dans les yeux froids du sorcier qu'elle maintenait toujours au sol.

« Maintenant, parlez. Ou puis-je le trouver.» - « Tu crois vraiment que tu vas réussir à me faire parler, poupée.» Lily-Lune soupira. Elle savait que tout finirait ainsi, qu'elle devrait user d'autres méthodes que celles de la parole pour obtenir de cet homme les informations qu'elle désirait savoir. Mais la Vénus avait absolument tout prévu. Se concentrant quelques instants, elle fit léviter de sa poche une petite fiole partiellement faite de métal qu'elle déboucha magiquement pour la renverser, toujours sans la toucher mais seulement la regarder, dans la gorge du sorcier qu'elle tenait fermement. Et la jeune femme se releva, observant sans émotion le dénommé Chad se tordre une nouvelle fois dans tout les sens, le temps que le petit mélange qu'elle avait concocté fasse effet. Ce qui ne tarda guère. Dorénavant, elle aurait à faire à un homme bien plus conciliant et docile. « Bien.» Lily-Lune sourit, plus ou moins satisfaite. Au moins pourrait-elle tirer quelque chose d'exploitable, seulement, elle répugnait d'utiliser les potions à de mauvaises fins. Calme, elle continuait à contempler le sorcier qui se releva pour se planter à quelques pas d'elle avant de sembler se figer. Tête haute, le regard lointain, droit comme i, il n'était pas dur de voir que quelque chose clochait à présent chez lui. Il était sous l'effet de la potion. Les deux êtres demeuraient face à face, comme insensible au combat qui se déroulait derrière eux à seulement quelques pas. « Est-il non loin? » - « Non, il n'est plus ici depuis longtemps déjà. » - « Où est-il? » - « Dans les montagnes.» - « La fille était-elle avec lui ? L'Orine?» - « Laquelle?» - « Pardon?»

Kay était loin d'être une mauvaise combattante. Féline, elle était une véritable tornade impossible à stopper. Dans des cris furieux, elle cognait, tapait, mettant toute sa force dans le plus infime de ces coups, comme s'il s'agissait du dernier. Elle tâchait de ne pas trop se préoccuper de Lily-Lune qui semblait maîtriser la situation, un peu plus loin, mais lorsqu'on était en possession d'informations comme celles qu'elle savait, on ne pouvait s'empêcher de ressentir cette vicieuse pointe d'inquiétude. Mais la petite sauvageonne voyait bien que sa protégée et l'être odieux en dessous de cette dernière ne faisaient que parler. Ainsi, elle détourna tant bien que mal les yeux pour se concentrer à sa tâche. Dans un ultime hurlement de fureur, elle asséna un coup de bâton dans la gorge d'un des hommes, le dernier qui était encore debout, et qui s'effondra silencieusement. Rapidement, la jeune fille passa une main sur son front couvert de sueur, reprenant son souffle dans de grandes respirations. Et elle s'approcha de l'Orine. « Alors, il a parlé?» Mais Lily-Lune ne répondit pas immédiatement. Sa peau opaline était sans couleur. Le visage blême, elle se releva. Alerte, Kay posa sa main sur l'épaule de la Vénus, murmurant, soucieuse : « Kay peut aider?» - « Non. Ne t'inquiète pas. Je viens juste d'apprendre une effroyable nouvelle.» - « Ah?» - « Plus d'une Orine a été enlevé. Celle que je recherche n'est ni la première, ni la dernière.» Kay fronça les sourcils. Elle avait du mal à comprendre tout cela. Elle se contenta de se retourner vers le dernier homme encore en état de marcher ou de frapper. « Que fait-on de lui? Kay peut le tuer?»

Durant un instant, un si court instant, Lily-Lune hésita. S'il lui arrivait de prendre des mesures drastiques et de ne pas faire dans la dentelle, elle n'en demeurait pas moins une femme qui préférait régler ces problèmes autrement que par le sang et la violence, tant que cela restait possible. Elle ne prenait aucun plaisir à tuer, enlever une vie n'était pas un geste banal, et bien qu'elle se montre aussi froide que la glace lorsqu'elle devait le faire, elle pesait à chaque fois avec un immense soin le pour comme le contre. Elle posa avec douceur ses grands yeux noirs sur le dénommé Chad, qui s'était lentement accroupi, attendant très certainement sa sentence. Ce sorcier, selon son humble avis, mériterait très certainement la mort pour les horribles méfaits qu'il avait commis et qu'il continuait à faire. Cependant, ce n'était guère dans les habitudes de la Vénus que d'assassiner un être démuni, comme offert sur un plateau d'argent. Mais il était un danger, pour elle, pour Kay, pour le peuple des Orines, et pour bon nombres d'autres personnes à n'en pas douter.

Dans un soupire, elle finit pas lâcher, résignée. « Fais ce que bon te semble, Kay. J'en ai fini avec ce sorcier. Son sort te revient.» - « Lily-Lune est gentille.» - « Pardon?» - « Oui, Lily-Lune est une personne vertueuse. Le sorcier est mauvais, mais Lily-Lune répugne à le tuer. Kay, elle, n'hésite pas.» - « Et tu as très certainement raison.» La Vénus tourna les talons, récupérant ses quelques affaires tombées au sol tout en tenant dans une main les tissus déchirés de sa robe qui laissait entrevoir la peau blanche de sa poitrine. Le chemin qui l'attendait à présent était des plus longs. Chad avait parlé et lui avait confié des tas d'informations capitales. Elle n'avait plus qu'à se rendre aux montagnes, pour l'heure. Il était temps de faire ses adieux à Kay, elle ne comptait pas emmener la petite avec elle dans son périple bien trop dangereux. Mais quand elle se retourna, elle ne put bouger, elle ne put parler. Elle ne fit qu'observer la scène, impuissante, avant de crier. Simple douleur qui résonnait dans toute la forêt.