Noyé sous un ciel étoilé, j'avançais dans la pénombre d'une belle nuit d'été, sans me préoccuper des ombres inquiétantes que j'apercevais valser du coin de l'œil. Mirages ou réalité, je ne saurais me prononcer, mais je considérais ces silhouettes comme la représentation de mes vieux démons, qui aujourd'hui, ne pouvaient m'atteindre et se bornaient à tournoyer autour de moi dans l'espoir de me toucher, effleurer mon esprit, et continuer leur marche funèbre de destruction dans mon pauvre corps rongé par les maux. Le feu qui me brulait et me dévorait depuis toujours semblait s'être éteint quelque peu. Ô bien sûr, il continuait à me consumer, mais je sentais sa portée comme moindre, par rapport à d'ordinaire. Sur le Pont Originel, l'air me semblait plus pur et léger qu'autre part, comme emprunt de sérénité et de candeur, parfum délicat qui se révélait fort reposant. Bien qu'au beau milieu de la nuit, il faisait bon et doux, et une brise tiède balayait les feuilles mortes qui jonchaient le sol, et s'engouffrait dans les manches vaporeuses et bouffantes de la chemise blanche que je portais, emmêlait mes cheveux sombres que je m'évertuais à dégager de mes yeux. J'avais tant soif de ce paysage que je buvais du regard. Mes prunelles ocres se baladaient négligemment sur les environs, et mon imagination tournait en accélérer, plaçant dans ce décor céleste le plus bel ange que je n'ai jamais vu à ce jour.

Mon Ange ne tarderait pas à apparaître, je le savais, je l'espérais, et je l'attendais. Les Astres m'avaient confié il y a peu que la Belle se rendrait sur le Pont Originel d'ici peu, et je ne pouvais manquer pareil occasion de la revoir, de lui parler, et de me noyer dans la profondeur de ses yeux ensorcelants, à envier ses lèvres rouges et exquises qui me tentaient. La voir suffisait à mon bonheur. J'aimais la contempler. Elle était si belle, élégante et raffiné, et sa façon de se vêtir, bien que très particulière et originale, me plaisait. Au fond, j'aspirais aussi à la frôler. Le plus infime contact avec elle faisait s'emballer mon cœur, au bord du gouffre. Je fermais les yeux, imaginant sa silhouette près de moi, avec un petit sourire illuminant mon visage que je croyais définitivement mort et débarrassé d'émotions réels. Depuis que je la connaissais je redécouvrais la beauté des sentiments. Ma belle était celle qui me sauvait et qui me perdait dans le même temps, car si elle parvenait à réparer quelques brèches, elle me faisait, sans le savoir, transgresser plusieurs de mes principes auxquels j'étais fort attaché. Qu'importe, j'étais prêt à me perdre et à me damner pour elle, et j'irais braver les limbes et les enfers pour elle, je vivrais pour elle et mourrais pour elle, je serais le patin de son monde si elle le désirait, toujours là pour la protéger et la choyer, chevalier servant o gardien de ses rêves, peu m'importait. Peu m'importait.

Je ne songeais qu'à peine à la douleur d'Alice qui me vit partir, sans rien dire. Elle devait bien se douter que je ne partais pas pour une petite ballade de santé mais que j'étais animé par quelque chose de tout particulier. Mais puisqu'elle ne voulait plus m'entendre parler de Lily-Lune, j'avais tout simplement décidé de ne plus m'expliquer et me justifier. Cela me brisait, en un sens, puisque je cassais quelque chose entre mon ondine et moi, mais que pouvais-je faire d'autre? Avais-je d'autre choix? Pouvais-je agir comme je le souhaitais ou étais-je esclave de la volonté d'une demoiselle capricieuse qui me voulait pour elle seule, bien qu'elle sache que je ne lui portais pas l'amour qu'elle voulait tant. Je chassais vite ses pensées de mon esprit, n'ayant guère envie, qu'une fois de plus, Lily-Lune ne voit avec une expression mélancolique et désespéré. De toute façon, je savais que dès que je poserais mes prunelles sur elle, tout irait pour le mieux.

Il faisait doux, en cette soirée. Étonnement chaud, même. Une petite brise tiède soufflait, balayant les quelques feuilles mortes qui jonchaient le sol, s'engouffrant dans les manches vaporeuses et bouffantes de ma chemise clair. Souriant, je m'évertuais à dégager sans cesse les plus longues mèches de ma chevelure sombre qui s'entêtaient à tomber devant mes yeux. Et je la vis, au loin. Je saurais discerner ses courbes entre mille. Doucement, je m'approchais d'elle, qui observait le lointain. Je ne voyais d'elle, pour l'instant, que son dos et ses cheveux d'un noir d'encre. « L'horizon vous sourit. Ravi de vous revoir, ma Dame.» J'ajoutais, comme souvent : « Ne croyez pas que je vous traque. J'ai simplement éprouver le besoin de vous revoir, et je vous savais dans les parages.»

Pensive, Lily-Lune lut et relut la lettre qu'elle tenait entre ses longs doigts pâles. Du bout des ongles, elle caressait doucement le vieux papier épais d'un blanc éclatant où avait écrit un certain démon quelques lignes qui se voulaient cyniques et arrogantes. Cet homme s'évertuait à la rendre folle et la faire sortir de ses gonds. Mais il en fallait plus que cela pour que la demoiselle perde ses moyens, si elle avait été prise au dépourvu durant le mariage d'Aya, elle savait qu'aujourd'hui elle ne se montrerait pas si passive et douce face à lui. Alors qu'elle avançait d'une démarche lente et aérienne sans réellement regarder où elle allait, elle parcourut une dernière fois des yeux l'écriture grossière du démon, déchiffrant les sous-entendues derrière ses mots. Peu à peu, un fin sourire étira les lèvres de sang de la jeune femme qui déchira en quelques gestes élégants la lettre. Elle tendit la main en avant, paume ouverte, pour laisser le vent porter les morceaux déchiquetés vers le lointain. Tout cela ne l'inquiétait guère, et les menaces à peine voilées ne l'atteignaient que fort peu. Elle contempla le papier en charpie qui virolait au gré de la brise, d'abord presque inexpressive.

Et avec les secondes qui s'écoulaient, elle se mit à rire. Des éclats doux et clairs à peine audibles, qui malgré leur apparence candide avaient un arrière goût acerbe, un côté étrangement malveillant. C'était un comble que d'éprouver pareils sentiments en ce lieu calme et paisible qu'était le Pont Originel, le lieu par excellence des Anges. La Vénus se souvenait pourtant avoir choisis de se rendre dans les parages pour des raisons bien précises, et tellement éloignées du peuple des cieux. C'était un être du peuple des étoiles qu'elle espérait voir, en cette belle soirée. Songeuse, elle erra sans vraiment réfléchir sur le grand pont, se perdant dans la contemplation des paysage céleste, avant de s'arrêter pour poser délicatement ses mains sur la rambarde en pierre et fixer l'horizon, perdue dans ces pensées.

Lily-Lune savait que ce qui se passerait ce soir serait le début d'un tournant pour sa vie. Elle se doutait que Caleb demanderait une réponse qu'elle n'était pas prête à lui fournir, pas encore. Le cœur battant, elle réfléchissait, sans vraiment savoir quoi penser. Ses sentiments balançaient, et il était bien dur pour la demoiselle qui avait trop longtemps refoulé ce genre d'émotions de faire le tri et de comprendre, d'être certaine de son choix. Car il y avait Caleb, l'homme parfait en tout point, il était la raison. Mais il y avait cet homme qu'elle ne connaissait pourtant presque pas, la passion dévorante qu'elle savait éphémère mais qui était si dure à chasser tant elle était vive pour l'instant. Elle ferma doucement les yeux en entendant la voix douce et grave de Caleb résonner. Prenant une grande inspiration des plus discrète, elle se retourna, un petit sourire aux lèvres.

«Je n'y verrais aucun inconvénient, mon ami. Croyez-vous être le seul à avoir quelques dons de voyance? Je vous attendais.» Il serait surement ravi d'entendre ces paroles bien qu'il ne le montrait pas. Quelque peu nerveuse, Lily-Lunne passa doucement une main dans sa longue chevelure noire en faisait deux ou trois pas sur le côté. Elle continua dans un murmure : « J'espérais simplement vous voir, voilà tout, et je savais que vous seriez là. Tout comme vous étiez persuadé que je serais ici, n'est-ce pas?» Il hocha la tête dans un petit sourire que l'Orine lui rendit. « Je crois que vous avez des choses à me dire. C'est bien cela?» Il se crispa. Et à vrai dire, Lily-Lune sentait son coeur s'emballer. « Je crois que c'est le moment, Caleb. Je vous écoute.»

Comment avais-je pu me montrer aussi idiot? Cela ne me ressemblait vraiment pas. Je ne faisais que des faux pas que je savais regretter dans peu de temps. Il y a peu, j'étais si sûr de moi. Mais maintenant que j'étais face à elle, qu'elle me fixait, calme, de ses immenses yeux envoutants d'un noir profond, j'étais démuni, hésitant, et ne savais plus quoi faire. Les secondes s'écoulèrent lentement dans le plus grand des silences, alors que je me rendais à chacune un peu plus ridicule, mais Lily-Lune ne semblait pas m'en tenir rigueur. Mais ce n'était guère en me contemplant de la sorte qu'elle m'aiderait à retrouver un semblait d'esprit. Je n'étais qu'un idiot. Comment avais-je pu croire un seul instant qu'elle pourrait m'appartenir? Je le savais, pourtant, que l'amour m'était interdit, tout autant que de désirer une femme, et je n'avais pas choisis la première venue pour jeter mon dévolu. Elle était un ange tombée du ciel, comme j'en avais peu vu. Si elle n'était pas parfaite, elle était ma perfection. Je fis lentement un pas vers elle. Bien sûr, elle recula doucement, se plaquant contre la rambarde de pierre blanche. Habituellement, je ne m'approchais pas autant des gens, je leur laissais un espace de courtoisie. Mais ce soir, je n'avais pas envie. Je finis par murmurer doucement : « Je suis … heureux que vous aillez chercher à venir à ma rencontre.» Elle sourit. Mais je sentais que me lèvres ne frémissaient pas, elle aspirait à tout autre chose. « Lily-Lune...» Je doutais. Par quoi commencer? Je ne voulais pas paraître encore plus stupide ni tomber dans les stéréotypes. Je soupirais en me noyant dans le sombre de ses prunelles avant de tendre doucement une main vers son visage. Si elle parut mal à l'aise, elle n'en dit cependant rien et se laissa faire alors que mes doigts courraient le long de ses joues, pour glisser le long de sa gorge et remonter vers son menton en quelques gestes tremblants. « Pourquoi pas?» Et je me rapprochais davantage d'elle. J'étais étonné qu'elle parvienne autant à se contrôler, car elle était si sereine, d'apparence si paisible, mais aller que je rapprochais son corps mince contre le mien, je sentais son cœur battre plus vite que les ailes d'un colibri affolé. Avec douceur, je refermais mes bras autour de sa taille. Je frémis en la sentant poser sa tête sur mon épaule. Sans bouger, je pus jouer du bout des doigts avec sa chevelure si longue.

« Je sais...» commençais-je « Ce que vous pensez de … tout cela.» Je n'arrivais pas à le qualifier autrement, ou du moins, je ne voulais pas utiliser d'autres mots. « Mais pourquoi pas?» répétais-je. « Je ne vous demande pas de prendre une décision ce soir même, mais par pitié, s'il vous plait, pensez y. Pourquoi ne pas essayer? Qu'est-ce que nous y perdrons? J'ai envie d'essayer de me faire aimer de vous, Lily-Lune.» Mon discours était lamentable. Mais si j'étais damné, autant aller jusqu'au bout des choses : « Ma raison vacille et tague pour vous. J'espère que vous ne la laisserez pas chavirer. Mais quelque soit votre choix, je le respecterais. Si vous voulez bien de moi à vos côtés, sachez que jamais je ne m'imposerais et que si un jour vous vous lassez de moi, je partirais sans demander mon reste.» Je sentis qu'elle voulait se dégager de mon étreinte, et je desserrais ma prise pour qu'elle puisse faire un pas en arrière sans pour autant se détacher de moi. Elle continuait à me regarder de ces yeux à faire fondre les pierres, ensorcelante et divine. « Vous me faites renoncer à tout ce que j'étais.» - « Dites le.» Ma gorge était serrée, et ces deux mots, simples, banaux, résonnaient au fin fond de mon esprit. « Je vous aime.» Elle sourit, encore, mais cette fois ci je lui rendis un rictus figé par la peur et le doute. Ma belle Orine continua avec douceur : « Je ne peux rien vous promettre, si ce n'est d'y réfléchir, Caleb. Vous avez l'air de bien avoir cerner mes pensées...» Je doutais avoir bien compris la complexité de son être, mais concernant ses relations avec les hommes, oui, j'avais compris. « Je dois simplement faire le point avec moi même. Pour moi, vous savez ce que cela représente. Je ne peux prendre ce genre de décision à la légère. Mais je ne tarderais pas à vous faire savoir ce ...»



Je ne pus réfréner ce désir que j'éprouvais depuis que je la voyais. Comment résister à ses lèvres d'un rouge exquis ? Je déposais avec passion les miennes sur les siennes avec une certaine passion, tout en la gardant près de moi. Je sentis d'abord qu'elle ne régit pas tout en sentant une étrange douleur ténu que j'avais du mal à cerner. Mais cette drôle de souffrance s'effaça aussi rapidement qu'elle était venue et elle me rendit mon baiser tout en déposant ses bras, comme deux plumes, sur mes épaules. Un premier baiser tant attendu. Moi qui pensait que je trouvais dans la musique les équivalences à la vie, je ne connaissais aucune symphonie qui aurait pu illustrer un tant soi peu cet échange. Pendant longtemps, ce baiser risquait de hanter mes rêves, comme cette femme. Je me plaisais à le laisser durer, ce à quoi je ne sentais pas de résistance. Elle finit pourtant par y mettre fin.

Paupières closes, Lily-Lune se laissait bercer par cette douce étreinte. Délicatement, elle glissa ses mains sous la chemise de Caleb pour poser ses paumes sur la peau nue de ses épaules. Elle ne se souvenait point avoir déjà ressentie ce besoin de contact avec quiconque. Jamais elle n'aurait pu penser qu'embrasser cet homme lui aurait procurer de telles sensations, comme ce délicieux frisson qui lui parcourut le dos quand il fit glisser ces doigts le long de sa colonne vertébrale. Ce baiser qu'il posait sur ses lèvres était un baiser sur son cœur, chaleureux et apaisant. Mais la Vénus finit par y mettre fin, non sans regret, mais elle devait garder les idées claires face au beau Rehla, car malgré tout, elle se devait de réfléchir un peu et faire un point sur sa vie avant de prendre une quelconque décision. « Caleb...» murmura-t-elle doucement dans un souffle. « S'il vous plaît» Elle ne fut pas plus explicite dans ces paroles, se contentant de relever son visage pour planter ces grands yeux noirs dans les prunelles d'ocres du jeune homme, l'air étrangement implorant. Caleb comprit, il avait bel et bien cerner la complexité de la demoiselle face à lui. Lentement, il se détacha de Lily-Lune mais garda tout de même ses mains dans les siennes. Ave précaution, il les porta à sa bouche pour embrasser tendrement les doigts de sa bien-aimé, muette. « Vous me faites tourner la tête, ma Dame, veuillez m'excuser, moi et mon comportement.» Lily-Lune sourit. Cet homme était réellement parfait, le prince charmant de ses rêves de petite fille. Mais au fond, la Vénus avait peur de la perfection, et ses pensées volèrent quelques instants pour un homme tout autre qui n'était point parfait mais si bon d'aimer d'une passion dévorante. Lily-Lune chassa rapidement le visage du génie de ces pensées, car elle préférait oublier ce genre de sentiments pour des idylles plus sages et moins dangereuses.

« Caleb...» reprit Lily-Lune de sa voix chantante quoi qu’avec un drôle de ton. « Laissez moi simplement un peu de temps. Je ne peux prendre ce genre de décision à la légère. Vous savez...» Elle fit courir ses ongles sur la joue du jeune homme « Ce que je ressens, et que j'aimerais y croire. Mais je dois y songer un peu, par rapport à mes obligations, à mon peuple, à tout ce genre de choses...» - « Ne vous en faîtes pas, je comprends mieux que quiconque votre position et ne veux vous brusquer.» - « Je tâcherais de vous donne rapidement de mes nouvelles, je ne tiens pas particulièrement à vous faire attendre indéfiniment.» - « Je saurais patienter. » - « Mais je suis consciente que cela ne soit pas agréable. Attendez une lettre de ma part, je vous donnerais rendez-vous, car mon emploi du temps est assez chargé. » Le cœur de Lily-Lune peinait tout de même à se calmer. Toujours affolé, les battements irréguliers trahissaient ce que ressentait la belle, mais elle ne pouvait accepter ou non une relation aussi rapidement et sur un coup de tête. Songeuse, la jeune femme fit quelques pas sur le pont, s'éloignant de Caleb.

« Je suis navrée, mais je dois m'en aller. Nous nous retrouverons bientôt. Au revoir, Caleb.» - « A bientôt, Lily-Lune.» Elle ne lui laissa pas le temps de dire autre chose, et partit avec l'étrange impression de fuir. Était-ce lâche? Lily-Lune avait tellement vécu en mettant de côté ses sentiments qu'il était dur de vivre avec eux, à présent. Peut-être aurait-elle aimé n'avoir connu que Caleb, peut-être aurait-elle été vraiment sûre et certaine de faire le bon choix. Mais jamais elle ne pourrait effacer de sa mémoire Orion Shidori qui était de loin le sorcier le plus intéressant qu'elle ait jamais rencontré. Et malgré toute la bonne volonté du monde, elle continuerait à songer à cet homme avec une infini tendresse. Mais il n'était pas le seul homme qui hantait ses rêves et son esprit. Les autres étaient bel et bien vivants, et par là, ils étaient bien plus encombrants. Mais qu'en était-il pour Caleb? Il était si parfait, un cadeau inespéré tombé des cieux. Elle l'aimait, c'était une évidence. Jamais elle ne l'aurait laissé l'embrasser, sinon. Mais quel genre d'amour lui portait-elle, c'était une autre question.

FIN